Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 5
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024
(n° /2024, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08689 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFYDV
Décision déférée à la Cour : jugement du 12 avril 2022 - tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/05807
APPELANTE
S.A.R.L. SLN RENOVATIONS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Ayant pour avocat plaidant à l'audience Me Yann LE MOULLEC, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.C.I. COLLEGIEN LAMIRAULT prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée à l'audience par Me Fabrice GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2613
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Ludovic JARIEL, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Ludovic JARIEL, président de chambre
Mme Viviane SZLAMOVICZ, conseillère
Mme Valérie MORLET, conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre DARJ
ARRET :
- contradictoire.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Ludovic JARIEL, président de chambre et par Alexandre DARJ, greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 13 décembre 2016, la société SLN Immobilier a, dans la cadre d'une vente en l'état futur d'achèvement (VEFA), conclu avec la société [Localité 3] Lamirault un contrat de réservation de locaux à usage " d'activité/entrepôt avec bureaux d'accompagnements " situés [Adresse 2] à [Localité 3] (77) pour un montant de 469 000 euros HT.
Le contrat prévoyait une livraison sept mois après la signature de l'acte authentique, sauf survenance d'un cas de force majeure ou d'une autre cause légitime de suspension de délai.
Le 23 février 2017, l'acte authentique a été signé.
Le 29 septembre 2017, la société Spirit, mandataire de la société [Localité 3] Lamirault, a transmis un planning prévoyant une livraison au 25 octobre 2017 ; date qu'elle a, par la suite, reportée au 30 octobre 2017.
Alors, qu'à cette date, les travaux n'étaient pas terminés, la société [Localité 3] Lamirault a, néanmoins, le 30 octobre 2017, mis à disposition la zone " activités " afin de permettre à la société SLN Immobilier de procéder aux travaux d'aménagement.
Aux termes du contrat de bail produit par la société SLN Immobilier, celle-ci aurait, le 16 octobre 2017, donné, à effet au 1er novembre 2017, les locaux à bail commercial à la société SLN Rénovations pour un usage de bureau, dépôt et show-room. Les deux sociétés ont le même gérant.
Le 14 décembre 2017, la livraison est intervenue avec des réserves tenant, notamment, à l'absence de raccordements des concessionnaires, l'absence de pose des chevêtres et l'inachèvement des extérieurs.
Le 20 décembre 2017, la société BPCC, maître d''uvre, a informé la société SLN Immobilier que les menuiseries seraient posées en janvier 2018 et les réserves levées dès le 26 décembre 2017.
Le 21 décembre 2017, la société Spirit a informé la société SLN Immobilier que les enrobés définitifs seraient réalisés après le passage des concessionnaires, en février 2018 au plus tard, et a précisé que le raccordement en électricité et en eau était conforme.
Le 12 janvier 2018, la société SLN Immobilier a transmis une liste de réserves complémentaires à la société [Localité 3] Lamirault.
Le 18 janvier 2018, la société SLN Immobilier a fait dresser, par huissier de justice, deux constats de l'inachèvement des travaux.
Les 16 et 21 février 2018, la société SLN Immobilier a fait dresser, par huissier de justice, deux nouveaux constats de l'état des locaux.
Le 13 mars 2018, la société BPCC a informé la société SLN Immobilier que l'entreprise de VRD devait commencer la pose des bordures le lendemain.
Le 14 mars 2018, la société BPCC a informé la société SLN Immobilier de la levée des réserves pour le 24 mars.
Le 6 avril 2018, la société BPCC a informé la société SLN Immobilier que les enrobés seraient réalisés le 9 avril.
Le 12 avril 2018, la société Spirit a mis en demeure la société SLN Immobilier de régler la somme de 49 274,30 euros.
Le 24 septembre 2018, la société Spirit a informé la société SLN Immobilier que les menuiseries avaient été posées.
Le 25 septembre 2018, un quitus de levée de réserves a été donné, à l'exception des suivantes :
" - avis BC traitement coupe-feu, poutres métalliques, parpaing,
- retrait du sac en haut de l'EP,
- extérieurs à terminer (balcons à finaliser),
- avis BC largeur de l'escalier. "
Le 15 novembre 2018, la société Spirit a transmis les attestations du contrôleur technique concernant la sécurité incendie et la largeur de l'escalier.
Le 27 mars 2019, le quitus final de levée de réserves avec les attestations du bureau de contrôle a été adressé à la société SLN Immobilier.
Par actes du 17 avril 2018, les sociétés SLN Immobilier et SLN Rénovations ont assigné la société [Localité 3] Lamirault en réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 12 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :
Dit que la société [Localité 3] Lamirault a engagé sa responsabilité contractuelle, à l'égard de la société SLN Immobilier sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, et sa responsabilité délictuelle à l'égard des tiers et notamment de la société SLN Rénovations sur le fondement de l'article 1240 du code civil ;
Condamne la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Immobilier la somme de 10 353,91 euros TTC au titre du préjudice locatif, majorée des intérêts de retard au taux légal à compter de la présente assignation ;
Déboute la société SLN Rénovations de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute la société [Localité 3] Lamirault de sa demande reconventionnelle en payement
Condamne la société [Localité 3] Lamirault aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la société Vaillan & Associes, conformément aux articles 699 et suivants du code de procédure civile ;
Condamne la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Immobilier et à la société SLN Rénovations la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'exécution provisoire.
Par déclaration en date du 29 avril 2022, la société SLN Rénovations a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour, la société [Localité 3] Lamirault.
EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2024, la société SLN Rénovations demande à la cour de :
Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 12 avril 2022 en ce qu'il a jugé que la société [Localité 3] Lamirault a engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société SLN Rénovations
Infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 12 avril 2022 en ce qu'il a débouté la société SLN Rénovations de l'ensemble de ses demandes
Statuant à nouveau :
Juger que la livraison était contractuellement prévue le 23 septembre 2017,
Juger que la livraison n'est intervenue que le 14 décembre 2017 avec réserves,
Juger qu'au 25 septembre 2018, l'intégralité des réserves n'était pas levée,
En conséquence,
Juger que le préjudice subi par la société SLN Rénovations s'élève à la somme de 752 479,04 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires ;
Juger que le préjudice subi par la société SLN Rénovations s'élève à la somme de 9 303,70 euros au titre des indemnités de ruptures conventionnelles
Juger que le préjudice subi par la société SLN Rénovations s'élève à la somme de 24 276 euros TTC euros au titre du supplément de loyer
Condamner la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Rénovations la somme de 752 479,04 euros à titre de dommages et intérêts pour la perte de chiffre d'affaires augmenté des intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation
Condamner la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Rénovations la somme de 9 303,70 euros à titre de dommages et intérêts pour les indemnités de ruptures conventionnelles augmentés des intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation
Condamner la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Rénovations la somme de 24 276 euros TTC euros à titre de dommages et intérêts pour supplément de loyer augmenté des intérêts de retard au taux légal à compter de l'assignation
En tout état de cause,
Condamner la société [Localité 3] Lamirault à payer à la société SLN Rénovations la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Condamner la société [Localité 3] Lamirault aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Me Schwab et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 2 mai 2024, la société [Localité 3] Lamirault demande à la cour de :
Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 12 avril 2022, en ce qu'il a débouté la société SNL Rénovations de l'ensemble de ses demandes.
En conséquence :
Débouter la société SNL Rénovations de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
Condamner la société SNL Rénovations au paiement, au bénéfice la société [Localité 3] Lamirault, de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance et de ses suites.
La clôture a été prononcée par ordonnance du 14 mai 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 15 mai 2024, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour relève que le chef de jugement ayant dit que la société [Localité 3] Lamirault avait engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard la société SLN Rénovations sur le fondement de l'article 1240 du code civil ne lui ayant pas été déféré, celui-ci est devenu définitif.
Interprété à la lumière de ses motifs, cette reconnaissance par le jugement de l'engagement de la responsabilité délictuelle de la société [Localité 3] Lamirault ne porte que sur l'un des éléments constitutifs de la responsabilité civile, c'est-à-dire la commission d'une faute, en l'occurrence, le retard dans la livraison et la levée des réserves, et laisse donc non tranchée définitivement la réunion de ses deux autres éléments constitutifs, c'est-à-dire le préjudice et le lien de causalité le rattachant à la faute d'ores et déjà retenue.
Sur les préjudices de la société SLN Rénovations
Moyens des parties
La société SLN Rénovations soutient que le retard pris par la société [Localité 3] Lamirault dans la livraison du local, qui devait devenir son nouveau siège social, et dans la levée des réserves lui a occasionné plusieurs préjudices tenant à une perte de chiffre d'affaires, à la conclusion de ruptures conventionnelles de contrats de travail et à l'acquittement d'un supplément de loyer.
S'agissant du premier préjudice, elle fait valoir que l'impossibilité, d'une part, de bénéficier d'une connexion internet et téléphonique satisfaisante, d'autre part, de recevoir ses clients au show-room et ses franchisés pour les former, ne lui a pas permis de développer son activité traditionnelle d'entrepreneur de bâtiment et sa nouvelle activité de développeur d'un réseau de franchises.
Concernant cette dernière activité, elle indique, d'une part, que son exercice est démontré par la déclaration faite en 2017 à l'INPI d'une première licence de marque et par la production des trois contrats de licence signés en 2018, d'autre part, que la règlementation des établissements recevant du public (ERP) ne lui était pas applicable puisqu'elle se situait en-dessous du seuil de 200 personnes.
S'agissant du deuxième préjudice, elle relève que cette perte de chiffre d'affaires l'a contrainte à conclure une rupture conventionnelle du contrat de travail de cinq salariés et à leur verser, en conséquence, les indemnités correspondantes.
S'agissant du troisième préjudice, elle souligne qu'elle a dû, pour la période allant du 1er octobre 2017 au 31 août 2018, continuer à payer un loyer pour ses anciens locaux sans, comme elle l'avait prévu, pouvoir les sous-louer jusqu'à la fin de l'échéance triennale au terme de laquelle elle avait donné congé.
En réponse, la société [Localité 3] Lamirault fait valoir que le retard de livraison n'est que de 53 jours dès lors que, contrairement à ce qu'a énoncé le tribunal, celui-ci ne devait être comptabilisé que jusqu'à la livraison et non jusqu'à la levée des réserves.
Elle relève que la société SLN Rénovations ne démontre pas la réalité des préjudices découlant du trouble de jouissance qu'elle allègue dès lors, qu'à supposer que le bail non enregistré aurait effectivement été signé le 16 octobre 2017, il portait sur un bien qui n'avait pas encore été livré et qui nécessitait des travaux d'aménagement supplémentaires pour être conformes à sa destination.
Elle ajoute que la perte des appels téléphoniques ni l'absence d'accès à internet ne sont aucunement démontrées, que les locaux construits n'étant pas, comme indiqué dans l'acte de VEFA, classés dans la catégorie des ERP, la société SLN Rénovations ne pouvait y déployer une activité de show-room et que l'exercice d'une activité de franchise n'est pas, non plus, établie, puisque seule une licence de marque a été déclarée à l'INPI.
Elle souligne que la société SLN Rénovations ne justifie pas du lien de causalité entre sa prétendue perte de chiffre d'affaires et les locaux donnés à bail dès lors qu'une activité de rénovation immobilière s'exerce, par nature, à l'extérieur et que l'activité alléguée de vente de licence n'est entrée dans son objet social que par son assemblée générale du 19 janvier 2019.
Enfin, elle relève que la société SLN Rénovations n'établit aucunement qu'elle aurait sous-loué les locaux dont elle disposait jusqu'à l'échéance triennale fixée au 1er septembre 2018 et qu'elle aurait été conduite par ses difficultés financières à conclure des ruptures conventionnelles, celles-ci n'étant pas justifiées et, par nature, distinctes de licenciements économiques.
Réponse de la cour
A titre liminaire, la cour rappelle qu'il est établi que seul le préjudice direct et certain, présentant un lien de causalité avec le fait dommageable peut être indemnisé par l'auteur du dommage (1re Civ., 24 février 2004, pourvoi n° 00-15.219 ; Com., 22 mars 2005, pourvoi n° 03-12.922, Bull n° 67).
Au cas d'espèce, il résulte des actes de réservation et de VEFA que les locaux acquis par la société SLN Immobilier sont à usage " d'activité/entrepôt avec bureaux d'accompagnement " et qu'ils ne sont pas classés dans la catégorie ERP ; catégorie applicable, en vertu des dispositions de l'article R*123-2 du code de la construction et de l'habitation, dès l'admission dans l'établissement de personnes ne faisant pas partie du personnel.
Partant, la société SLN Rénovations ne démontre pas l'existence d'un préjudice découlant de l'impossibilité de recevoir des clients ou de potentiels franchisés.
S'agissant de l'activité de franchisage, distincte de la simple attribution d'une licence de marque, il ressort du procès-verbal d'assemblée générale en date du 19 janvier 2019 que ce n'est que lors de celle-ci que la société SLN Rénovations a, par sa cinquième décision, étendu son objet social " aux opérations de commercialisation de marques en forme de franchise ou licence, de logiciels en ligne et au négoce de matériaux ". Auparavant, ledit objet, pourtant mis à jour lors de l'assemblée générale extraordinaire du 11 janvier 2018, ne portait que sur une activité d'entreprise générale et ses accessoires.
Partant, la société SLN rénovations ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice découlant de l'impossibilité de réaliser sa nouvelle activité de développeur d'un réseau de franchises alors que celle-ci n'a pu commencer que postérieurement à son assemblée générale du 19 janvier 2019, soit postérieurement à la levée de toutes les réserves.
Quant à son activité d'entreprise générale, celle-ci s'exerce sur des chantiers situés à l'extérieur de ses locaux et il n'est pas démontré, avec la certitude exigée, que la perte de chiffre d'affaires de 27 148 euros en 2018 soit causée directement par les difficultés de connexion internet et téléphonique.
S'agissant des ruptures conventionnelles, celles-ci ne sont pas assimilables à des licenciements pour cause économiques et les raisons desdites ruptures ne sont pas justifiées.
S'agissant de la perte de loyer, en l'absence de tout contrat signé en ce sens, la société SLN Rénovations ne justifie pas, avec la certitude requise, qu'elle aurait pu sous-louer les locaux de son ancien siège social pendant une période de 10 mois.
Par suite, les demandes de la société SLN Rénovations en indemnisation de préjudices non démontrés et, en tout état de cause, sans rapport de causalité directe et certain avec les retards dans la livraison et la levée des réserves seront rejetées.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les frais du procès
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En cause d'appel, la société SLN Rénovations, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société [Localité 3] Lamirault la somme de 5 000 euros, au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne société SLN Rénovations aux dépens d'appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de société SLN Rénovations et la condamne à payer à la société [Localité 3] Lamirault la somme de 5 000 euros.
Le greffier, Le président de chambre,