MFTL/AM
Numéro 1706/08
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRÊT DU 10 avril 2008
Dossier : 07/03958
Nature affaire :
Autres demandes relatives à un bail d'habitation ou à un bail professionnel
Affaire :
Gérard X...
Martine X...
Claire X...
C/
Jean-Luc Y...
Sylvie Y... née Z...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 avril 2008, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
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APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Février 2008, devant :
Madame TRIBOT LASPIERE, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame MARI, greffier présent à l'appel des causes,
Madame TRIBOT LASPIERE, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur BERTRAND, Président
Madame TRIBOT LASPIERE, Conseiller
Monsieur A..., Vice-Président placé, désigné par ordonnance du 21 décembre 2007
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
DEMANDEURS AU CONTREDIT :
Monsieur Gérard X...
"Le Houdin"
40410 SAUGNACQ ET MURET
Madame Martine X...
"Le Houdin"
40410 SAUGNACQ ET MURET
Mademoiselle Claire X...
"Le Houdin"
40410 SAUGNACQ ET MURET
assistés de Maître B..., avocat au barreau de PAU
DEFENDEURS AU CONTREDIT :
Monsieur Jean-Luc Y...
né le 6 janvier 1959 à PIETS (64)
de nationalité française
Quartier Piets
64110 PIETS PLASENCE MOUSTROU
Madame Sylvie Y... née Z...
née le 21 août 1966 à MONT DE MARSAN (40)
de nationalité française
Quartier Piets
64110 PIETS PLASENCE MOUSTROU
assistés de Maître C..., avocat au barreau de PAU
sur contredit à la décision
en date du 16 NOVEMBRE 2007
rendue par le TRIBUNAL D'INSTANCE DE SABRES
Faits et procédure
Mr et Mme Y... sont propriétaires d'une maison d'habitation avec dépendances et de diverses parcelles de terre, situées notamment sur la commune de CASTEIDE-CANDAU (64) ;
Par acte sous seing privé du 11 mars 2004, ils ont donné en location aux consorts X... la maison d'habitation et ses dépendances à compter du 15 mars 2004 moyennant le paiement d'un loyer de 1 753 € par mois ; il était prévu dans l'acte le versement par les locataires d'un dépôt de garantie de 3 506 € équivalent à 2 mois de loyer ;
Le même jour, Mr Y... a consenti aux consorts X... en application des articles 1875 du code civil, un prêt à usage portant sur les terres agricoles d'une superficie totale de 10 ha 21 a 05 ca ;
Par acte extrajudiciaire du 20 septembre 2004, Mr et Mme Y... ont fait délivrer à Mr Gérard X..., à Mme Martine et à Melle Claire X... un commandement de payer la somme principale de 10 704 €, comprenant le dépôt de garantie et les loyers échus ; ce commandement vise la clause résolutoire contractuelle dont les termes ont été rappelés ;
Les époux Y... ont fait constater par ministère d'huissier le 7 juin 2005 que la maison louée était fermée et paraissait inhabitée et que du maïs avait été planté sur 8,5 ha de terre tandis que le reste des parcelles était en jachère ;
Le 16 juin 2005, les époux Y... ont fait sommation à Gérard, Martine et Claire X... à leur nouveau domicile à ARGENTAT (Corrèze) de restituer les clés ; Martine X... qui a reçu l'acte a répondu à l'huissier qu'elle ne pouvait pas déférer à cette sommation car elle se considérait toujours comme locataire ;
Le 12 août 2005, Mr et Mme Y... ont fait constater par huissier que la maison était vide et ont fait procéder à un état des lieux, hors la présence des consorts X... ;
Un chèque d'un montant de 1 753 €, tiré le 11 mars 2004 sur le compte CAISSE D'EPARGNE de Melle Claire X... a été refusé car frappé d'opposition par le titulaire du compte pour cause de « fraude » ;
Les époux Y... ont requis et ont obtenu par ordonnance du juge de l'exécution du 8 janvier 2007, l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire en garantie du paiement des loyers et des indemnités d'occupation, évalués à cette date à la somme de 30 282,80 € ;
La saisie a été pratiquée le 3 avril 2007 par Me E..., huissière de justice à MONT DE MARSAN au dernier domicile connu des consorts X... qui, entre-temps, s'étaient installés à SAUGNACQ ET MURET (40) ;
Par acte d'huissier du 15 mars 2007, les époux Y... ont fait assigner les consorts X... en paiement devant le Tribunal d'instance de MONT DE MARSAN, greffe détaché de SABRES ;
Par jugement du 16 novembre 2007, le Tribunal a :
Ø rejeté l'exception soulevée par les consorts X... tendant à voir écarter sa compétence au profit du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux d'ORTHEZ ;
Ø ordonné la comparution personnelle de Mr Gérard X... aux fins de procéder à une vérification d'écritures puisque ce dernier contestait avoir signé le contrat de location ;
Les Consorts X... ont fait contredit au jugement du Tribunal d'instanceen ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur le litige les opposant aux époux Y... ;
Au soutien de leur contredit les consorts X... exposent que :
- les époux Y... qui étaient eux-mêmes précédemment fermiers sont devenus propriétaires des terres en exerçant leur droit de préemption mais, qu'étant tenus en cette qualité d'exploiter personnellement, ils ont contourné cette obligation légale en établissant un bail d'habitation pour la maison et un prêt à usage pour les parcelles agricoles sur lesquelles les consorts X... avait l'intention, connue des époux Y..., de créer un centre de randonnée équestre ;
- les époux Y... ont été attrait devant le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux d'ORTHEZ par l'acquéreur évincé et ont été condamnés à verser à ce dernier la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts ;
- afin d'échapper à la censure du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux, les époux Y... ont tenté de régulariser la situation en leur adressant le 27 décembre 2004 une lettre recommandée avec accusé de réception dans laquelle ils déclaraient mettre fin à la convention de prêt à usage qu'ils leur avaient consentie ;
- les consorts X... se sont ainsi trouvés confrontés à une charge de loyer particulièrement élevée tenant compte de la mise à disposition des terres agricoles dont l'usage leur a été retiré, les privant de l'exercice de l'activité en vue de laquelle les conventions avaient été conclues ;
Les consorts X... demandent à la Cour de dire que le litige relève de la compétence du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux d'ORTHEZ et de débouter les époux Y... de toutes leurs prétentions ; ils sollicitent l'octroi de la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
*
Les époux Y... soutiennent que les consorts X... n'avaient pas la qualité d'exploitants agricoles, le 11 mars 2004 et qu'ils n'ont jamais procédé à leur affiliation à la MSA ; ils déclarent que les activités de centre équestre ne constituent pas des activités agricoles au sens des dispositions des articles L 411-1 et 311-1 du code rural ; que les consorts X... ont clairement loué une maison d'habitation qu'ils ont quittée « à la cloche de bois » sans avoir payé les loyers ;
Les époux Y... rappellent les dispositions de la loi du 26 janvier 2005 et plus précisément l'article L 321-2-1 du code de l'organisation judiciaire ; ils demandent à la Cour de déclarer le contredit abusif et dilatoire et de condamner les consorts X... à leur payer la somme de 4 000 € à titre de dommages et intérêts, outre 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Motifs de la décision
Sur la compétence
Attendu qu'aux termes de l'article L.441-1 du code de l'organisation judiciaire, «il est créé au siège de chaque Tribunal d'instance, un Tribunal Paritaire des Baux Ruraux qui est seul compétent pour connaître des contestations entre bailleurs et preneurs de baux ruraux, relatives à l'application des titres Ier à V du livre VI (IV) du code rural»;
Attendu que le juge n'est pas lié par la qualification retenue par les parties à leur convention qu'il doit qualifier le contrat en fonction de son contenu et lui restituer sa cause véritable lorsqu'il s'avère que celle-ci a été déguisée ;
Attendu qu'en l'espèce, sous couvert d'un bail d'habitation, qui n'en est que l'accessoire, les époux Y... ont mis à la disposition des consorts X... des terres agricoles d'une superficie de plus de 10 ha dans le but de créer et de développer sur ces parcelles un centre équestre et une activité de randonnées à cheval ;
Attendu que cette activité doit être rangée dans les activités de nature agricole ;
Attendu que les consorts X... avaient acquis dans ce but une trentaine de chevaux ; qu'ils ont dû renoncer rapidement à leur projet, à la demande des époux Y... qui par courrier du 27 décembre 2004, leur ont demandé de libérer les terres au plus tard le 11 mars 2005 ;
Attendu que le projet des consorts X... était parfaitement connu des bailleurs puisque ceux-ci avaient donné leur accord écrit à l'ouverture d'un Centre de Randonnée Equestre sur leur propriété de CASTEIDE CANDAU ; que cette autorisation n'a cependant pas été suffisante pour permettre aux intéressés de se faire reconnaître la qualité d'agriculteurs et d'obtenir de l'ADSEA les aides à l'installation, les consorts X... n'ayant pas été en mesure de justifier d'un bail à ferme en bonne et due forme sur les parcelles concernées ;
Attendu qu'il ressort des pièces produites et notamment du jugement rendu le 29 novembre 2005 par le Tribunal paritaire des baux ruraux d'ORTHEZ que les époux Y..., qui exploitaient précédemment les terres en fermage, avaient fait jouer leur droit de préemption sur la propriété rurale dont ils étaient locataires et avaient été préférés à un nommé CHWIEDUCIK qui s'était porté acquéreur de cette propriété ; que l'exercice du droit de préemption obligeant le preneur à exploiter personnellement, les époux Y... ne pouvaient donner les terres à bail sans s'exposer aux revendications de l'acquéreur évincé ;
Attendu que le subterfuge consistant à établir un bail d'habitation sur la maison d'habitation et les dépendances et à consentir le même jour un prêt à usage à titre gratuit sur les terres agricoles a été clairement démontré par le tribunal paritaire qui a relevé l'existence d'une évidente disproportion entre la valeur de la maison d'habitation estimée 350 000 F (53 357,16 €) en 1999 et le montant du loyer mensuel 1 753 € (21 036 € par an) soit une rentabilité inégalable de près de 38 % l'an ;
Attendu que le tribunal a justement conclu que ce loyer incluait à l'évidence le prix de mise à disposition des terres ;
Attendu qu'il se déduit de ces constatations que, sous couvert d'un bail d'habitation de l'immeuble et d'un prêt à usage gratuit des terres, les époux Y... ont bien mis à la disposition des consorts X... à titre onéreux, une superficie de plus de 10 ha de terres destinées à un usage agricole ; que cette définition est celle d'un bail rural ; qu'il y a lieu de déclarer recevable et bien fondé le contredit des consorts X... et de renvoyer la cause et les parties devant le Tribunal paritaire des baux ruraux d'ORTHEZ seul compétent pour statuer sur l'exécution et, les éventuelles conséquences de la rupture de ce bail ;
Attendu qu'il sera alloué aux consorts X... la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs
LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Déclare recevable et bien fondé le contredit formé par les consorts X... à l'encontre du jugement du Tribunal d'instance de SABRES du 16 novembre 2007 ;
Réforme le jugement entrepris ;
Dit que le bail litigieux est un bail à ferme dont le contentieux relève de la compétence du Tribunal Paritaire des Baux Ruraux d'ORTHEZ auquel l'affaire devra être renvoyée ;
Condamne solidairement les époux Y... à payer aux consorts X... la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne les époux Y... aux dépens.
Signé par Monsieur Philippe BERTRAND, Président, et par Madame Brigitte MARI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT