ICM / NL
Numéro / 08
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRET DU 17 / 06 / 08
Dossier : 06 / 02786
Nature affaire :
Demande relative à un droit de passage
Affaire :
Jeanne X...
C /
René Bernard Y..., Jean-Pierre Z..., Joseph A...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé par Monsieur NEGRE, Président,
en vertu de l'article 452 du Code de Procédure Civile,
assisté de Madame LAFONTAINE, Greffier,
à l'audience publique du 17 JUIN 2008
date à laquelle le délibéré a été prorogé.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 18 Février 2008, devant :
Monsieur NEGRE, Président
Monsieur BILLAUD, Conseiller
Madame CARTHE MAZERES, Conseiller, Magistrat chargé du rapport conformément à l'article 785 du Code de Procédure Civile.
assistés de Madame PEYRON, Greffier, présent à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame Jeanne X...
...
65200 ORDIZAN
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Me LAVIGNE, avocat au barreau de TARBES
INTIMES :
Monsieur René Bernard Y...
...
65200 ORDIZAN
représenté par la SCP F. PIAULT / M. LACRAMPE-CARRAZE, avoués à la Cour
assisté de la SCP MONTAMAT CHEVALLIER FILLASTRE LARROZE GACHASSIN, avocats au barreau de TARBES
Monsieur Jean-Pierre Z...
...
65190 TOURNAY
représenté par la SCP MARBOT / CREPIN, avoués à la Cour
assisté de Me C..., avocat au barreau de TARBES
Monsieur Joseph A...
...
Quartier Lavigne
65200 ORDIZAN
représenté par la SCP LONGIN, LONGIN-DUPEYRON, MARIOL, avoués à la Cour
assisté de Me D..., avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 06 JUILLET 2006
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TARBES
FAITS ET PROCÉDURE :
Madame X..., Monsieur A..., Monsieur Y...et Monsieur Z...sont chacun propriétaire de parcelles agricoles qui sont voisines à ORDIZAN (HAUTES-PYRÉNÉES) au lieu dit TARY.
Pour accéder à sa propriété Monsieur A...passait sur celle de Madame X...qu'il traversait sur 441 mètres. Mais celle-ci lui a refusé le passage ; et le Tribunal de Grande Instance de TARBES a décidé par jugement en date du 7 avril 1999 que les faits antérieurs de passage n'avaient pas fait acquérir une servitude par prescription au bénéfice du fonds de Monsieur A....
Par acte du 6 février 2001 Monsieur A...a saisi le Tribunal de Grande Instance d'une action en revendication de servitude légale de passage pour cause d'enclave.
Au vu d'un rapport d'expertise ordonnée par jugement du 24 avril 2002, le Tribunal de Grande Instance, par jugement en date du 15 mai 2003, a constaté l'état d'enclave du fonds de Monsieur A...et ordonné une nouvelle mesure d'expertise confiée à Madame E...sur les éléments permettant de déterminer l'assiette de la servitude de passage, tout en écartant trois des cinq possibilités de désenclavement indiquées dans le rapport de l'expertise dont celle sur la propriété deMonsieur Z...(parcelle n 339).
Ce jugement en date du 15 mai 2003 qui n'a pas été frappé d'appel, a l'autorité de la chose jugée.
Le rapport de Madame E...a été déposé au greffe du tribunal le 21 juin 2005.
Par un jugement en date du 6 juillet 2006 rendu au vu de ce rapport d'expertise le Tribunal de Grande Instance de TARBES a :
- déclaré le rapport de l'expertise inopposable à Monsieur Y...;
- dit que les parcelles enclavées n 281, 282, 290, 291, 292 et 294, propriétés de Monsieur A..., sise au ..., seront desservies par un passage aménagé à partir de l'impasse des Chevreuils, via la piste carrossable située sur la parcelle n 258 et la parcelle n 259, le tout appartenant à Madame X..., selon le tracé établi par Madame E...dans son rapport d'expertise du17 juin 2005 et matérialisé en pointillés bleus sur la pièce n 5 du dit rapport ;
- dit que Monsieur A...versera à Madame X...une indemnité de 1. 500 € ;
- débouté Madame X...de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive contre Monsieur A...;
- condamné Madame X...à payer 600 € respectivement à Monsieur Y...et àMonsieur Z...en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- débouté Madame X...et Monsieur A...de leur demande l'un contre l'autre au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- condamné Madame X...et Monsieur A...à supporter chacun pour moitié les entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la Cour d'appel de PAU le 25 juillet 2006, Madame X...a relevé appel de cette décision dans des conditions de forme qui ne sont pas critiquées.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures en date du 25 septembre 2007 Madame X...demande à la Cour de :
- réformer le jugement et dire que la propriété de Monsieur A...sera désenclavée par le chemin de TARY passant sur les parcelles de Monsieur Y...n 286, 288 et 409 d'une longueur de 77 mètres ;
- subsidiairement, condamner Monsieur A...à lui payer 1. 500 € au titre de l'emprise sur son fonds comme en première instance ;
- le condamner à lui payer en outre 7. 500 € de dommages intérêts complémentaires ;
- condamner Monsieur Y..., Monsieur Z...et Monsieur A...à lui payer 800 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- les condamner solidairement aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués DUALE LIGNEY conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Madame X...soutient que :
- le rapport de l'expertise est opposable à Monsieur Y...car il a pu le discuter dans le cadre du débat contradictoire ;
- le Tribunal a méconnu l'article 683 du Code Civil car le passage le plus court à la voie publique, le chemin rural de TARY, est sur la propriété de Monsieur Y...et ne mesure que 77 mètres ; alors que le passage sur sa propriété serait de 261 mètres et occasionnerait d'importants frais ;
- en outre le Tribunal a fait une erreur en considérant que le passage sur la propriété de Monsieur Y...couperait celle-ci en deux, car c'est au contraire la propriété de Madame X...qui est clôturée en raison de la présence de bêtes d'élevage ;
- le passage sur sa propriété serait très dommageable car elle devrait déplacer la clôture longeant le ruisseau ; les passages répétés vont occasionner à ses animaux qui vivent en liberté à proximité du ruisseau de nombreux désagréments.
Dans le dernier état de ses écritures en date du 10 avril 2007 Monsieur A...demande à la Cour de :
- confirmer le jugement et débouter Madame X...de ses demandes ;
- condamner Madame X...à lui payer 3. 000 € de dommages intérêts pour résistance abusive et la même somme en application de l'article 700 du Code de Procédure Civil, et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SPC d'avoués LONGIN conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Monsieur A...soutient que :
- le jugement du 15 mai 2003 n'a pas été frappé d'appel ; il a l'autorité de la chose jugée ;
- un passage sur le fonds de Monsieur Y...qui est d'un seul tenant et livré au pacage des animaux, générerait un dommage important car ce fonds serait coupé en deux ; en outre il aboutirait au chemin de TARY qui est en état d'abandon manifeste et ensuite au chemin de Cap de la Serre difficilement utilisable ;
- le chemin sur la propriété de Madame X...indiqué par l'expert et retenu par le Tribunal passerait sur une partie non cultivée et laissée à l'abandon en raison de la pente vers le ruisseau, puis par la piste existante ;
- les travaux d'aménagement ne seront pas à la charge de Madame X...et elle ne justifie pas des préjudices complémentaires invoqués ;
- Madame X...a rendu la procédure longue par ses contestations successives.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 13 février 2007 Monsieur Y...demande à la Cour de :
- confirmer le jugement et condamner Madame X...à lui payer 1. 500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués PIAULT LACRAMPE-CARRAZE conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Monsieur Y...soutient que :
- le rapport de l'expertise ne lui est pas opposable dès lors qu'il n'a pas participé à ces opérations et qu'il n'a été assigné dans la cause qu'après le dépôt du rapport ;
- ce serait en méconnaissance de l'article 16 du Code de Procédure Civile et 6 de la convention européenne des droits de l'homme que les conclusions du rapport de l'expertise lui seraient déclarées opposables ;
- le passage sur son fonds qui serait coupé en deux serait dommageable.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 2 février 2007 Monsieur Z...demande à la Cour de :
- le mettre hors de cause et condamner Madame X...à lui payer 1. 500 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP d'avoués MARBOT CREPIN conformément à l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Monsieur Z...soutient que :
- c'est par jugement du 15 mai 2003 que le Tribunal a exclu que le passage se fasse par sa propriété ; il est étranger au débat ;
- par sa mauvaise foi, Madame X...a cherché à égarer l'expert vers des solutions totalement irréalisables comme chez lui.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Sur l'opposabilité du rapport de l'expertise à Monsieur Y...:
Monsieur Y...a été attrait dans la cause devant le Tribunal de Grande Instance de TARBES par Madame X...suivant assignation du 7 octobre 2005 ; il a présenté des conclusions le 30 janvier 2006 par lesquelles il a pu critiquer le rapport de l'expertise en date du 17 juin 2005 qui était versé au débat et soumis à la discussion contradictoire des parties ; ensuite l'audience de l'affaire n'a eu lieu que le 18 mai 2006, soit dans un délai suffisant pour que Monsieur Y...soit à même de faire valoir ses moyens et prétentions.
Dans ces conditions Monsieur Y..., qui ne présente aucune critique contre le rapport de l'expertise et qui en outre a été entendu au cours de ces opérations, n'est pas fondé à soutenir que cette pièce du procès ne lui serait pas opposable à moins de la méconnaissance du principe du contradictoire et de la garantie d'un procès équitable, du fait qu'il n'était pas présent aux opérations de l'expertise.
Sur la détermination de l'assiette de la servitude de passage :
Aux termes de l'article 683 du Code Civil : « Le passage doit régulièrement être pris du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique. Néanmoins il doit être fixé dans l'endroit le moins dommageable à celui sur le fonds duquel il est accordé ».
Pour désenclaver le fonds à usage agricole de Monsieur A..., deux trajets, objet du rapport de l'expertise, sont en cause : le trajet sur la propriété de Monsieur Y...qui n'est que de 77 mètres accédant au chemin rural de TARY, et celui sur la propriété de Madame X...qui est de 261 mètres accédant à l'impasse des chevreuils.
Il ressort du rapport de l'expertise que le chemin rural de TARY, qui devrait être emprunté sur 110 mètres environ après le passage sur la propriété de Monsieur Y..., est dans « un état d'abandon manifeste » et qu'il se prolonge sur 750 mètres par le chemin rural du Cap de la Serre qui lui même n'étant pas empierré « présente une assiette terreuse mouvementée (ornières, trous... etc.) rendant son utilisation aléatoire par mauvais temps ».
Eu égard à la longueur totale qui en résulte de 860 mètres et au mauvais état qu'ils présentent, ces chemins ruraux, dépendant du domaine privé de la commune qui n'est pas tenue de les entretenir, bien que n'étant pas déclassés ne sont pas suffisamment praticables, même pour des engins agricoles, pour que le trajet envisagé d'une servitude de passage sur la propriété de Monsieur Y...soit regardé comme présentant une issue à la voie publique au sens des dispositions précitées de l'article 683 du Code Civil.
En outre, ce trajet serait dommageable pour Monsieur Y...dans la mesure où, nécessairement eu égard à la configuration des lieux, il couperait en deux sa propriété agricole d'un seul tenant de 20 hectares sur laquelle des animaux d'élevage circulent librement.
En revanche le trajet sur la propriété agricole de Madame X...accède à une voie publique dont l'état d'entretien n'est pas en cause, l'impasse des Chevreuils, après une portion de 50 mètres de la piste existante sur ce fonds et un passage, longeant le ruisseau situé en limite de propriété, dans une partie non cultivée « et laissée à l'abandon compte tenu de son relief » ; contrairement aux affirmations de Madame X..., il ne ressort pas du rapport de l'expertise que des animaux d'élevage séjourneraient dans cette partie de sa propriété, et il est souligné dans le rapport que le trajet envisagé n'occasionnerait aucun dégât aux cultures et qu'il ne les traverserait pas ; par ailleurs, si ce passage nécessite des aménagements nettement plus importants que ceux qui seraient indispensables sur le fonds de Monsieur Y..., il est constant que les frais induits, dont l'article 683 du Code Civil n'impose pas qu'ils soient pris en considération, seront à la charge de Monsieur A....
Ainsi, le trajet sur le fonds de Madame X...répond aux exigences de l'article 683 du Code Civil comme étant le plus court à la voie publique et le moins dommageable à celle-ci. Il suit de là que le jugement déféré qui a fixé l'assiette de la servitude de passage pour cause d'enclave du fonds de Monsieur A...sur le fonds de Madame X...selon le tracé matérialisé en bleu sur la pièce numéro 5 du rapport de l'expertise, sera confirmé sur ce chef.
Sur l'indemnisation de Madame X...:
Madame X...ne produit aucun justificatif des préjudices invoqués comme supplémentaires à celui résultant de la perte du terrain d'emprise de la servitude de passage sur son fonds. Ainsi elle ne justifie ni de l'existence d'une clôture le long du ruisseau qu'il faudrait déplacer, ni du fait que cet endroit serait consacré à des animaux d'élevage.
L'indemnité de 1. 500 € décidée dans le jugement déféré et correspondant à la valeur du terrain d'emprise de la servitude de passage sera donc confirmée, et la demande de dommages intérêts complémentaires de Madame X...sera rejetée.
Sur la demande de dommages intérêts de Monsieur A...pour résistance abusive contre Madame X...:
En dépit de la longueur de la procédure entamée en 2001, il ne peut être considéré que du seul fait qu'elle a obligé à envisager tous les éventuels trajets sur les fonds voisins de celui enclavé de Monsieur A..., censés donner accès à une voie publique, Madame X...aurait abusé du droit de se défendre en justice. La demande de Monsieur A...ne peut dès lors être accueillie.
Sur les dépens :
Aux termes de l'article 696 du Code de Procédure Civile : " La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. "
En application des dispositions précitées, Madame X..., partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel, et le jugement déféré qui a partagé par moitié les dépens de première instance entre Madame X...et Monsieur A...au motif qu'ils succombaient chacun pour partie, adopté par la cour et auquel il convient de se reporter, sera confirmé sur ce chef. Les demandes contraires des parties sont rejetées.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris mais seulement en ce qu'il a déclaré le rapport de l'expertise inopposable à Monsieur Y...;
Et statuant à nouveau sur le chef infirmé :
- déclare le rapport de l'expertise opposable à Monsieur Y...;
Confirme le jugement pour le surplus ;
Y ajoutant :
- rejette le surplus des demandes des parties ;
- vu l'article 700 du Code de Procédure Civile, rejette les demandes formées par Madame X...; condamne Madame X...à payer respectivement à Monsieur Y...et à Monsieur Z...la somme de 1. 000 € (mille euros) ; dit n'y avoir lieu à l'application de ces dispositions pour le surplus des demandes ;
- condamne Madame X...au paiement des dépens exposés en cause d'appel. Ces dépens pourront être recouvrés par les SCP d'avoués LONGIN, PIAULT LACRAMPE-CARRAZÉ et MARBOT CRÉPIN conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
Angélique LAFONTAINERoger NEGRE