AB/PB
Numéro 12/623
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 06/02/12
Dossier : 10/05278
Nature affaire :
Demande relative aux murs,
haies et fossés mitoyens
Affaire :
[Y] [V], [H] [I] épouse [V]
C/
[N] [K], [E] [S] épouse [K]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 6 Février 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 5 décembre 2011, devant :
Monsieur BILLAUD, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame PEYRON, greffier, présente à l'appel des causes,
Monsieur CASTAGNE, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Monsieur BILLAUD et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame PONS, Président
Monsieur CASTAGNE, Conseiller
Monsieur BILLAUD, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [Y] [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Madame [H] [I] épouse [V]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentés par la SCP LONGIN-LONGIN DUPEYRON-MARIOL, avoués à la Cour
INTIMES :
Monsieur [N] [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [E] [S] épouse [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentés par Me VERGEZ, avoué à la Cour
assistés de Me DE TASSIGNY, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 03 NOVEMBRE 2010
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU
Faits et procédure :
M. et Mme [V] sont propriétaires à [Localité 3] d'une maison qu'ils ont faite construire en 2003.
Ils sont voisins de M. et Mme [K] qui ont également fait construire leur habitation à [Localité 3] au terme d'un permis de construire accordé le 22 avril 2003.
Considérant que cette construction ne respecte pas le plan local d'urbanisme de la commune de Sauvagnon, que leurs voisins ont construit, dans le prolongement de leur maison, une terrasse en limite de propriété donnant une vue directe sur leur piscine, que cette construction de terrasse est surélevée d'environ 2 mètres et bordée par un empierrement constituant un muret non autorisé, que cette construction est par ailleurs de nature à leur occasionner un trouble anormal de voisinage, M. et Mme [V] ont fait assigner M. et Mme [K] devant le tribunal de grande instance de Pau par acte huissier en date du 7 décembre 2009 afin d'obtenir leur condamnation à démolir la terrasse et l'enrochement ainsi édifié ainsi que pour obtenir le paiement de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour trouble anormal de voisinage.
Par jugement en date du 3 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Pau a débouté M. et Mme [V] de l'intégralité de leurs demandes.
Suivant déclaration enregistrée au greffe de la Cour le 30 décembre 2010, M. et Mme [V] ont relevé appel de cette décision.
Moyens et prétentions des parties :
Dans leurs conclusions en date du 7 Novembre 2011, M. et Mme [V] demandent à la Cour de juger fautive la construction, sans déclaration et en violation du plan local d'urbanisme, du complexe constitué par la terrasse, le muret en pierres et l'enrochement de la propriété de M et Mme [K], de dire que cette construction irrégulière constitue un trouble anormal de voisinage et crée une vue illégale sur leur propriété, notamment leur piscine, ce qui leur occasionne un préjudice.
A titre subsidiaire, ils demandent à la Cour de condamner les époux [K] à implanter sur ladite terrasse à 1 m 90 de la ligne divisoire des fonds et sur la longueur de celle-ci, un écran d'une hauteur de 2 mètres et plus subsidiairement encore d'ordonner une mesure d'instruction afin de connaître la configuration des lieux ; Ils réclament 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs conclusions en date du 26 octobre 2011, M. et Mme [K] demandent à la Cour de constater la légalité de leur permis de construire, la date d'achèvement de leurs travaux au plus tard le 25 mai 2004, le respect des prescriptions du permis de construire et en conséquence de réformer le jugement entrepris et de déclarer irrecevable, pour cause de tardiveté, l'action en démolition et en réparation introduite par les époux [V] et subsidiairement, de constater qu'aucune violation des règles d'urbanisme applicables n'a été démontrée, que l'aménagement du talus est conforme à toutes les règles de construction, que la maison est elle-même correctement implantée et que les ouvertures pratiquées sont parfaitement légales.
Ils considèrent que leurs voisins ne justifient d'aucun trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et demandent par conséquent la confirmation du jugement déféré. Ils réclament en outre 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 novembre 2011.
SUR QUOI
Sur la clôture de la procédure :
Attendu que les appelants et les intimés ont fait une demande de report de l'ordonnance de clôture au motif que les dernières conclusions des appelants ont été déposées le 7 novembre 2011, veille de la clôture, ce qui a entraîné un nouveau dépôt de conclusions le 9 novembre 2011 de la part des intimés ;
Attendu toutefois qu'il convient de constater que les dernières conclusions de M et Mme [V] ne comportent pas plus d'éléments utiles aux débats que leurs conclusions du 26 octobre 2011, que par ailleurs les intimés ont pu déposer 20 pages de conclusions accompagnées de 13 pièces justificatives ,qu'aucun élément de leurs conclusions postérieures à l'ordonnance de clôture n'est utile à la solution du litige, qu'il n'y a donc pas lieu de faire droit à la double demande de report de clôture présentée par les parties ;
Attendu qu'il sera donc statué au vu des conclusions ci-dessus visées et que les conclusions des intimés en date du 9 novembre 2011 seront rejetées des débats ;
Sur la demande de démolition :
Attendu que M. et Mme [K] soutiennent que la demande de démolition des constructions litigieuses par les époux [V] est irrecevable comme tardive eu égard aux dispositions de l'article L480-13 du code de l'urbanisme ;
Attendu que ce texte prévoit que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative. L'action en démolition doit être engagée au plus tard dans le délai de deux ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative ;
Attendu que le certificat de conformité qui a été accordé à M. et Mme [K] pour leur construction, le 5 mai 2011 ne concerne, par définition, que les travaux ayant fait l'objet du permis de construire ; que la Cour peut constater que les constructions de terrasse et enrochement dont il est demandé la démolition ne figuraient pas sur le permis de construire, que le texte susvisé du code de l'urbanisme ne peut donc recevoir application en l'espèce et que, par conséquent l'action engagée par M. et Mme [V] est recevable ;
Attendu que le jugement déféré doit être confirmé sur ce point ;
Attendu par ailleurs qu'il est constant que la réalisation d'un enrochement, résultant d'un simple empilement de roches et de pierres non liées entre elles, ne constitue pas une construction, que la construction d'un mur d'une hauteur de 2 mètres ne requiert pas d'autorisation administrative et qu'une terrasse non couverte de plein pied avec le rez-de-chaussée, sans fondations, ne nécessite pas plus d'autorisation administrative, que par conséquent, en tout état de cause, ces ouvrages ne sauraient être considérés comme des constructions irrégulières susceptibles de démolition ;
Attendu de même que la terrasse et l'enrochement litigieux qui ne constituent pas des constructions ne sauraient contrevenir aux dispositions du plan local d'urbanisme de la commune qui ne s'applique qu'aux constructions situées à proximité ou sur la limite séparative de fonds voisins ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ;
Attendu qu'il n'est par ailleurs pas établi que les travaux de terrassement litigieux soient constitutifs d'un exhaussement du sol interdit par le plan local d'urbanisme de la commune ; qu'au contraire, il résulte des documents d'urbanisme, permis de construire, déclarations d'achèvement des travaux et certificat de conformité, que lors de la construction de la maison [K], un décaissement a été réalisé pour tenir compte de la pente du terrain, ainsi qu'un vide sanitaire, que la terre a servi à constituer un remblai autour de la maison et non un exhaussement, afin de constituer un passage permettant l'accès à la maison par les baies vitrées ;
Attendu qu'il est constant en droit que les interdictions réglementaires édictées par les plan d'occupation des sols ou les plans locaux d'urbanisme ne sont pas applicables aux travaux de mise en état des terrains d'assiette des bâtiments et ouvrages ayant fait l'objet d'un permis de construire régulier ;qu'il s'en suit que des remblais nécessaires à la construction des ouvrages indiqués sur le permis de construire sont autorisés, que tel est bien le cas en l'espèce du terrassement effectué chez M. et Mme [K] ;
Attendu que sur le fondement de l'article 1382 du code civil, M. et Mme [V] ne rapportent nullement la preuve d'un fait fautif imputable à M. et Mme [K] en rapport avec la construction des ouvrages litigieux et leur ayant occasionné un dommage ;
Sur l'existence d'un trouble de voisinage et la création d'une vue :
Attendu que le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, ainsi que le prévoit l'article 544 du code civil, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage ;
Attendu que la mise en 'uvre de l'action en réparation sur le fondement de l'abus de droit exige la preuve du caractère anormal du trouble et l'absence de causes d'exonération ;
Attendu d'une part, que l'existence d'une terrasse avec vue sur la piscine et le jardin de son voisin ne constitue pas en soi un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage surtout lorsqu'il s'agit de constructions rapprochées les unes des autres situées sur de petites superficies, en agglomération et en lotissement,
Que, d'autre part, M. et Mme [K] ayant construit leur maison avant celle de leurs voisins, il existe en leur faveur et en toute hypothèse un critère d'antériorité qui s'oppose au droit à réparation éventuel des époux [V] ;
Attendu enfin que l'article 678 du code civil invoqué par les époux [V] à l'appui de leurs demandes ne saurait recevoir application en l'espèce ;
Attendu en effet que cet article prévoit qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n' y a dix neuf décimètres de distance entre le mur où on le pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions ;
Attendu que si, pour la mise en 'uvre de ces dispositions, il y a lieu de considérer que l'énumération de l'article 678 n'est pas limitative et que ce texte s'applique non seulement aux fenêtres et balcons mais aussi aux terrasses et autres exhaussement de terrain d'où l'on peut exercer une servitude de vue sur le fonds voisin, il n'en demeure pas moins que ce texte impose seulement de respecter une distance légale lors de la création d'une vue entraînant un risque d'indiscrétion sur le fonds voisin et qu'il ne trouve pas à s'appliquer notamment lorsque la situation des lieux rend possible une réciprocité de vue entre voisins, ce qui est le cas en l'espèce ;
Attendu que les demandes subsidiaires des appelants ne sont pas justifiées pour les motifs déjà indiqués ci-dessus ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 novembre 2010 par le tribunal de grande instance de Pau, de condamner M. et Mme [V] aux entiers dépens et au paiement de la somme de 2 000 € à M. et Mme [K] pour leurs frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Après en avoir délibéré, statuant publiquement, contradictoirement en dernier ressort ;
Déboute M. et Mme [V] de l'ensemble de leurs demandes,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 3 novembre 2010 par le tribunal de grande instance de Pau.
Condamne solidairement M. [Y] [V] et Mme [H] [I] épouse [V] à payer à M. et Mme [K] la somme de deux mille euros (2 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamne solidairement aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Me Vergez en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme Françoise Pons, Président, et par Mme Mireille Peyron, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER,LE PRESIDENT,
Mireille PEYRONFrançoise PONS