SF/CD
Numéro 22/03636
COUR D'APPEL DE PAU
EXPROPRIATIONS
ARRÊT DU 13/10/2022
Dossier : No RG 22/00095 - No Portalis DBVV-V-B7G-ICYL
Nature affaire :
Demande de fixation de l'indemnité d'expropriation
Affaire :
Etablissement Public ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER LOCAL PAYS BASQUE (EPLF Pays Basque)
C/
SA BNP PARIBAS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 13 Octobre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 08 Septembre 2022, devant :
Madame de FRAMOND, Conseillère faisant fonction de Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Madame GUIROY, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
En présence de Madame [U], Commissaire du Gouvernement représentant le Directeur départemental des Finances Publiques des Pyrénées-Atlantiques.
Assistées de Madame DEBON, faisant fonction de Greffière.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
ETABLISSEMENT PUBLIC FONCIER LOCAL PAYS BASQUE (EPLF Pays Basque)
représenté par son Président
[Adresse 6]
[Adresse 30]
[Localité 28]
Représenté par Maître MILLE, avocat au barreau de BAYONNE
Assisté de Maître PINTAT de la SELARL PINTAT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
SA BNP PARIBAS
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 23]
Représentée par Maître LHOMY de la SELARLU KARINE LHOMY, avocat au barreau de PAU
Assistée de Maître HINFRAY de la SCP D'AVOCATS FORESTIER-HINFRAY, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 10 DECEMBRE 2021
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU, JUGE DE L'EXPROPRIATION DU DÉPARTEMENT DES PYRÉNÉES-ATLANTIQUES
EXPOSE DU LITIGE
La SA BNP PARIBAS est propriétaire de locaux à usage commercial composant les lots l et 2 et les 685/1000ème des parties communes de l'immeuble en copropriété sis [Adresse 13] et [Adresse 17] à [Localité 26], parcelle cadastrée section CO numéro [Cadastre 5] d'une emprise de 550 m², la surface des bureaux dans le bâtiment occupant 450,44 m².
Le 6 octobre 2020, la mairie d'[Localité 26] a reçu une déclaration d'intention d'aliéner par laquelle la SA BNP PARIBAS l'a informée de la vente de son bien à un promoteur moyennant la somme de 1.160.000 € outre une commission d'agence à la charge de l'acquéreur de 60.000 €.
Par arrêté du 19 décembre 2020, Monsieur [G], président de la communauté d'agglomération Pays Basque a décidé de déléguer son droit de péremption urbain renforcé à l'EPFL Pays Basque en vertu de l'article L 213-3 du code de l'urbanisme.
Par arrêté du 12 janvier 2020, le directeur de l'EPFL Pays Basque a décidé de préempter le bien.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 avril 2021, la SA BNP PARIBAS a décidé de maintenir son intention de vendre son bien mais n'a pas accepté le prix offert par l'EPFL Pays Basque de 840.000 €.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 27 avril 2021, l'EPFL Pays Basque a saisi le juge de l'expropriation aux fins de fixation de la valeur du bien litigieux à défaut d'accord entre les parties au visa de l'article R 213-11 du code de l'urbanisme.
Par ordonnance du 20 août 2021, le juge de l'expropriation a fixé la date de visite du bien au 5 novembre 2021 et l'audience à la suite de celle-ci.
Par jugement du 10 décembre 2021, le Juge chargé de l'expropriation au tribunal judiciaire de Pau a fixé le prix de l'immeuble à la somme de 1.022.048,36 € outre 60.000 € au titre des honoraires de négociation et a rejeté la demande de la SA BNP PARIBAS au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans sa décision, le juge a utilisé la méthode par comparaison et retenus comme seuls suffisamment pertinents les termes 1, 2 et 4 proposés par le Commissaire du Gouvernement.
L'EPFL PAYS BASQUE a relevé appel par déclaration au Greffe du 7 janvier 2022.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 29 août 2022 en réplique aux mémoires de la société BNP PARIBAS et de la Commissaire du Gouvernement l'EPFL PAYS BASQUE, appelant, demande à la cour d'infirmer le jugement rendu et de fixer la valeur de l'immeuble à la somme de 835.926 €, et de condamner la SA BNP PARIBAS à payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens d'instance.
L'EPFL fait valoir qu'il est d'accord avec le 1er juge sur la nature du bien préempté et ses caractéristiques et sur la méthode d'évaluation par comparaison des prix au m² de surface utile pour des locaux commerciaux au sein de copropriété, et retient les mêmes termes de référence que le jugement, sauf qu'il estime que c'est à tort que le 1er juge a écarté son terme de référence no 4 dont la moindre surface, qui est bien de 111 m² selon sa pièce justificative, ne porte pas préjudice au propriétaire puisque plus la surface est petite et la vente est récente, plus le prix est élevé, le terme de référence se situe à proximité du bien préempté, et qu'aucun abattement n'a été pratiqué sur la moyenne du prix retenu alors que le bien à évaluer est en état d'usage avancé, qu'il a été relevé la présence d'amiante, qu'il y a des limitations d'urbanisme importantes et qu'un abattement de 10 % doit donc être appliqué. Sur le terme de comparaison récent invoqué par la société BNP PARIBAS pour la vente d'une parcelle voisine du bien préempté, l'EPFL fait valoir qu'il faut comparer les mêmes surfaces, soit cadastrales, soit surfaces utiles, or, le bien préempté ne représente que les 685/1000ème de la parcelle totale de 550 m².
Dans son mémoire reçu au greffe le 16 juin 2022, la SA BNP PARIBAS, intimée, demande à la cour de débouter l'EPFL PAYS BASQUE de ses demandes, de confirmer le jugement rendu en première instance sur le prix fixé majoré des honoraires de négociation et y ajoutant, de condamner l'EPFL PAYS BASQUE à lui payer la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA BNP PARIBAS fait valoir principalement que ses deux termes de référence no 1 et 2 auraient aussi pu être retenus par le juge, les références cadastrales permettant de les localiser, et elle conteste les restrictions d'urbanisation et l'abattement demandé par l'EPFL PAYS BASQUE, un projet urbain incertain étant impropre à permettre l'évaluation d'un bien.
Dans son mémoire reçu au greffe le 21 juin 2022, la Commissaire du Gouvernement demande que la Cour fixe la valeur du bien à la somme de 2.269 € le m², sans pratiquer d'abattement, soit pour une surface de 450,44 m² un prix de 1.022.048,36 €. Elle a communiqué ses pièces, produites en 1ère instance, y joignant la copie des actes de vente, et notamment l'acte de vente du 17 avril 2019 portant sur les lots de la parcelle CN [Cadastre 12], communiquée aux parties le 1er septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Aux termes des articles L213-4 et suivants du code de l'urbanisme, lorsqu'il y a préemption, à défaut d'accord amiable, le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation ; Le prix est fixé, payé ou, le cas échéant, consigné selon les règles applicables en matière d'expropriation.
La décision fixe la somme allouée en précisant les bases sur lesquelles ces diverses indemnités sont allouées. En matière de préemption, ce prix est exclusif de toute indemnité accessoire, et notamment de l'indemnité de réemploi.
Sur la date de référence :
En matière de préemption, selon l'article L213-4 du code de l'urbanisme la date de référence est, pour les biens non compris dans une zone d'aménagement différé, la date à laquelle est devenu opposable aux tiers le plus récent des actes rendant public, approuvant, révisant ou modifiant le plan d'occupation des sols, ou approuvant, révisant ou modifiant le plan local d'urbanisme et délimitant la zone dans laquelle est situé le bien ;
En l'espèce, la date d'approbation de la dernière modification du PLU de la Commune d'[Localité 26] est le 23 septembre 2015, constituant donc la date de référence, non contestée par les parties.
En matière de préemption selon l'article L213-4 du Code de l'Urbanisme, à défaut de transactions amiables constituant des références suffisantes pour l'évaluation du bien dans la même zone, il pourra être tenu compte des mutations et accords amiables intervenus pour des biens de même qualification située dans des zones comparables.
Sur les caractéristiques du bien préempté :
Il ressort des pièces du dossier et de la visite des lieux que le bien préempté est situé dans un secteur attractif bénéficiant d'une excellente visibilité au niveau d'un carrefour, avec des accès fluides très passant dans une zone UA2 du plan local recouvrant des zones urbaines denses à destination mixte (résidentielle, commerciale, tertiaire). L'immeuble dans lequel se situe le bien préempté est en maçonnerie traditionnelle avec toiture tuile à deux pentes sur charpente bois, les deux lots sont constitués sur trois niveaux d'espaces d'accueil du public, de bureaux et de commodités pour le personnel. Les deux lots sont en usage avancé et libre d'occupation. Les diagnostics établis le 12 décembre 2019 ont révélé la présence d'amiante dans un conduit en toiture et en façade extérieure. Le bien fait l'objet de deux emplacements réservés (no 3 et no 31) en vue d'élargissement de routes et d'une servitude T5 correspondant à une zone maximale de dégagement de l'aéroport de [Localité 29] qui se trouve à proximité.
Sur les indemnités :
Selon l'article L321-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'indemnité principale d'expropriation correspond à la valeur vénale du bien exproprié à la date du jugement fixant l'indemnité (donc ici en décembre 2021) même en cas d'appel (L322-2).
Pour apprécier la valeur vénale d'un bien, il y a lieu de procéder à des comparaisons avec les ventes de biens présentant des caractéristiques similaires dans un secteur géographique proche et les plus récentes possibles.
Il n'est pas contesté que l'immeuble, dont l'EPFL détient par ailleurs les autres lots que ceux préemptés, doit être démoli pour une reconstruction dans le cadre de la rénovation urbaine du c?ur de ville entreprise dans le secteur.
Les parties sont d'accord sur la méthode d'évaluation du bien par comparaison en poursuite d'usage (c'est-à-dire en comparant le prix des cessions de biens en nature de locaux commerciaux ou professionnels compris dans un immeuble de copropriété, sans tenir compte de la destination future qu'en ferait l'acquéreur, notamment la récupération foncière après démolition du bâti pour reconstruire).
Les trois références proposées par Mme la Commissaire du Gouvernement et retenues par le 1er juge, sont admises tant par l'EPFL PAYS BASQUE que la BNP PARIBAS. Les références de 2013 ou 2015 qui avaient été produites ont été écartées comme trop anciennes.
Les références non contestées figurent dans le tableau ci-dessous.
Adresse : Références Date de cession Surface
en m² Prix total
en euros Prix/m²
CX [Cadastre 19]/[Cadastre 7] [Adresse 16]
[Localité 26]
lot de copropriété en bon état 30/04/18 471 1.300.000 2.760
BO [Cadastre 1] [Adresse 9] 29/09/20 410 820.000 2.000
CS [Cadastre 8]/[Cadastre 2], [Cadastre 14],[Cadastre 11],... [Adresse 22]
lots de copropriété
en très bon état 01/10/19 381 780.000 2.047
Prix du bien préempté selon la moyenne des 3 prix de cession 450,44
1.022.048 Moyenne = 2.269
La Cour observe que deux références produites par la BNP PARIBAS dans l'expertise [Y], également très proches géographiquement du bien préempté, écartées en 1ère instance car identifiées seulement par leur référence cadastrale, ont une moyenne de prix de cession en totale cohérence avec les autres termes de comparaison retenus. (CO [Cadastre 21]de 354 m² au [Adresse 3] et [Adresse 24] à [Localité 26] cédée le 5 février 2018 pour 2.316 € par m² et BZ [Cadastre 15] de 301 m² au [Adresse 20] cédée le 11 avril 2019 pour 2.213 € par m²).
Deux autres références (no 2 et 4 de l'EPFL PAYS BASQUE ) ont été écartées par le 1er juge, bien que correspondant à des ventes dans le même secteur à [Localité 26] et à une date suffisamment récente, mais portant toutes les deux sur des lots de copropriétés trop petits (79,15 m² et 111 m²) trop différentes du bien préempté représentant 450,44 m² de bâti et avec des prix jugés très disparates (respectivement 2.899,56 € et 1441,44 € le m²).
Compte tenu de la production par Mme la Commissaire du Gouvernement de la copie de l'acte de cession du bien CN [Cadastre 12] situé [Adresse 27], qui seule fait foi des surfaces cédées, en réalité les lots de copropriété concernés par cette vente ne représentent que 75,41 m² et non 111 m² (le portail ETALAB mentionnant seulement les données déclarées par les propriétaires). Le prix au m² de ces deux références sont donc les suivants :
Adresse : Références Date de cession Surface
en m² Prix
en euros Prix/m²
4) CO [Cadastre 18] [Cadastre 25] [Adresse 31] bon état lots en copropriété 06/03/18 79,15 229.500 2.899,56
5) CN [Cadastre 12] [Cadastre 25] [Adresse 27]
lots en copropriété bon état 17/04/19 75,41 160.000 2.121,00
Ces deux ventes concernent toutes les deux une surface très petite, moins de 80 m², pour des biens de même nature et très proches géographiquement. L'écart de prix n'est pas en soi un obstacle à leur prise en considération, mais la Cour ne trouve pas de motif pour les traiter différemment : les deux références sont pertinentes, ou ne le sont pas. Or, la Cour, tenue de statuer dans les limites des demandes des parties, ne peut donc qu'écarter ces deux références portant sur des surfaces trop petites par rapport au bien préempté, leur prise en compte porterait sinon le prix moyen de cession à 2.336,65 € le m² (et le prix total alors à 1.052.521 €), au-delà du prix demandé, par voie de confirmation, par la BNP PARIBAS.
Il y a donc lieu de retenir seulement les trois références du premier tableau ci-dessus, donnant un prix de vente au m² de 2.269 €.
Sur la demande d'abattement :
Dès lors que la méthode de comparaison repose sur la poursuite d'usage des locaux commerciaux préemptés, il n'est pas justifié de pratiquer un abattement pour tenir compte des limitations au droit de reconstruire (quand bien même la préemption s'accompagnera de fait le cas échéant de la démolition des locaux actuels).
Par contre, un abattement peut être pratiqué si le bien préempté est en moins bon état, ou moins bien situé que les termes de comparaison. Il a en effet été constaté que les locaux étaient en état d'usage avancé, le bâtiment est ancien, il a été construit en 1890. Il ne dispose pas d'ascenseur. Si de l'amiante a été constatée sur un conduit en toiture et sur façade extérieure, la présence de ce matériau est très limité et par contre, le bien jouit d'une visibilité excellente, situé à un carrefour très passant proche de l'aéroport (s'agissant de le comparer à des locaux commerciaux) alors que les termes de comparaison sont plus éloignés, et pour deux termes situés à [Localité 28].
Il n'apparaît donc pas justifié de pratiquer d'abattement.
L'EPFL PAYS BASQUE a signé le 6 mai 2022, donc postérieurement au jugement déféré, un compromis de vente pour acquérir la parcelle CO [Cadastre 10] voisine du bien préempté, d'une surface totale cadastrale de 299 m², mais en pleine propriété, et sans qu'il soit communiqué la surface du bâtiment ni sa nature d'usage et son état. Cette acquisition ne présente pas d'intérêt pour évaluer le bien préempté qui est de nature différente.
Par conséquent, il y a lieu de confirmée la décision déférée sur le prix du bien préempté fixé à la somme de 1.022.048,36 € outre la somme de 60.000 € au titre des honoraires de négociation.
La cour, statuant à nouveau sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile condamne l'EPFL PAYS BASQUE à payer à la BNP PARIBAS de ce chef la somme de 2.000 € et à payer les entiers dépens d'instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS LA COUR
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 10 décembre 2021 sur le prix de l'immeuble préempté, les honoraires de négociation et l'infirme sur le rejet de l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile réclamée par la BNP PARIBAS.
Y ajoutant,
Condamne l'EPFL PAYS BASQUE à payer à la BNP PARIBAS la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de l'EPFL PAYS BASQUE fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'EPFL PAYS BASQUE aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Madame de FRAMOND, Conseillère faisant fonction de Présidente, et par Madame DEBON, faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,