PS/CD
Numéro 23/01400
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 25/04/2023
Dossier : N° RG 21/01167 - N° Portalis DBVV-V-B7F-H2UO
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par un produit ou une prestation de services défectueux
Affaire :
SAS GENERALE DU SOLAIRE
C/
EARL DE GRAND MAYNE,
SA MMA IARD,
SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 25 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 27 Février 2023, devant :
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire chargé du rapport,
assisté de Madame DEBON, faisant fonction de greffière présente à l'appel des causes,
en présence de Madame DIOT, greffière stagiaire
Monsieur SERNY, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SAS GENERALE DU SOLAIRE
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée et assistée de Maître GACHIE de la SELARL THOMAS GACHIE, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
INTIMEES :
EARL DE GRAND MAYNE
prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [D]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée et assistée de Maître MIRA, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
Compagnie d'assurance MMA IARD
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Compagnie d'assurance MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentées par Maître MARIOL de la SCP LONGIN MARIOL ET ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
Assistées de Maître FRANCOIS de la SELARL AQUI'LEX, avocat au barreau de MONT DE MARSAN
sur appel de la décision
en date du 10 FEVRIER 2021
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 16/01577
Vu l'acte d'appel initial du 06 avril 2021 ayant donné lieu à l'attribution du présent numéro de rôle,
Vu le jugement dont appel rendu le 10 février 2021 par le tribunal de Mont de Marsan qui a :
- rejeté les moyens de nullité du rapport d'expertise soulevé par les assureurs de la personne actionnée en responsabilité,
- retenu la responsabilité décennale de la SAS GENERALE DU SOLAIRE,
- condamné in solidum cette société ainsi que les sociétés du groupe MMA qui l'assurent, à réparer le préjudice subi par l'EARL DE GRAND MAYNE évalué à 224 400 euros,
- rejeté les demandes d'indemnisation formées pour préjudice de jouissance et perte de production d'électricité,
- condamné la SAS GENERALE DU SOLAIRE et les sociétés du groupe MMA qui l'assurent à payer in solidum les dépens ainsi qu'une somme de 4 000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions (n° 2) transmises par voie électronique le 31 août 2022 par la SAS GENERALE DU SOLAIRE, appelante, qui conclut :
- à titre principal à la nullité du rapport d'expertise et au débouté de l'action en responsabilité qui la vise,
- subsidiairement à la confirmation du jugement et à la garantie de ses assureurs ;
Vu les dernières conclusions (n° 3) transmises par voie électronique le 14 octobre 2022 par les sociétés d'assurances MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, intimées, qui concluent à l'infirmation totale du jugement en faisant valoir :
- la nullité du rapport d'expertise,
- l'inapplicabilité de la garantie décennale souscrite au type d'ouvrage réalisé,
- une non garantie pour mise en oeuvre d'un procédé différent de celui pour lequel la société d'assurance a accordé sa garantie,
- l'absence de preuve de la qualité de maître de l'ouvrage de l'EARL DU GRAND MAYNE faisant obstacle à ce qu'elle invoque la garantie décennale,
- le rejet des demandes indemnitaires au motif qu'une solution réparatoire moins onéreuse serait possible, et au motif que les préjudices immatériels ne sont pas justifiés,
- une demande reconventionnelle tendant au paiement par l'EARL d'une somme de 2 500 euros en compensation de frais irrépétibles.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 août 2022 par l'EARL DE GRAND MAYNE, intimée qui poursuit :
- la confirmation du jugement en ce qu'il a validé le rapport d'expertise, retenu la responsabilité décennale de la SAS GENERALE DU SOLAIRE et la garantie de son assureur,
- l'infirmation du jugement en ce qui l'a déboutée de ses demandes d'indemnisation des préjudices immatériels, en sollicitant une indemnité de 25 000 euros en réparation du préjudice de jouissance, une indemnité de 58 136 euros en réparation de la perte d'électricité,
- le prononcé d'une amende civile contre les assureurs,
- l'allocation de 8 000 euros en compensation de frais irrépétibles.
Vu l'ordonnance de clôture délivrée le 25 janvier 2023.
Le rapport ayant été fait oralement à l'audience.
MOTIFS
Les faits
Selon devis daté du 10 octobre 2009 accepté, l'EARL DE GRAND MAYNE, représentée par son gérant [S] [D] a passé contrat avec la SAS GENERALE DU SOLAIRE (nom commercial SUNNCO), pour mettre en place une installation de production d'électricité photovoltaïque en toiture d'un bâtiment à usage de hangar situé sur la commune de [Localité 5] (40). Le prix convenu a été fixé à 745 587,89 euros.
Une déclaration d'ouverture du chantier a été effectuée en juillet 2010 par l'EARL DU GRAND MAYNE dont [S] [D] est le gérant. L'acte est daté du 13 juillet 2010 mais le chantier est mentionné comme ayant débuté le 27 juillet 2010 ; cette incohérence n'a pas d'incidence juridique.
L'installation photovoltaïque a donné lieu à un procès-verbal de réception sans réserve daté du 25 septembre 2010.
Des désordres sont apparus au début de l'année 2012. L'EARL DE GRAND MAYNE a agi en référé et obtenu une ordonnance du 20 novembre 2014 instituant expertise entre l'EARL DE GRAND MAYNE, la SAS GENERALE DU SOLAIRE et la société COVEA RISKS, aux droits de laquelle viennent aujourd'hui les sociétés du GROUPE MMA.
Le rapport a été déposé le 10 février 2016 ; l'expert constate que l'installation photovoltaïque est composée de 720 panneaux dont 89 présentent des phénomènes de surchauffe que les experts amiables avaient rattachés à une série de production défectueuse ; mais il constate aussi que ces panneaux sont assemblés entre eux par des pièces métalliques et que le matériel de connexion électrique est indissociable de la structure.
Abstraction faite du défaut de fabrication, le travail d'installation a été mal fait parce que des infiltrations se produisent en toiture et empêchent l'utilisation normale du bâtiment qui ne peut plus être normalement utilisé comme lieu de stockage ni pour la production récoltée, ni pour les engrais ni pour les semences. La production d'électricité n'a pas atteint le niveau prévu de 138.600 watts/crête pour les 720 modules.
L'expert préconise le remplacement de toute l'installation et une nouvelle pose sur bacs aciers munis d'une étanchéité fiable. Il mentionne que la GENERALE DU SOLAIRE a fourni un devis de 261 413 euros.
Sur la validité du rapport d'expertise judiciaire
La cour adopte les motifs du premier juge au soutien du rejet de demande d'annulation du rapport d'expertise judiciaire.
Sur la qualité de l'EARL pour agir en responsabilité décennale
La déclaration d'ouverture de chantier et le procès-verbal de réception portent la même signature, à savoir, celle d'[S] [D]. Aucune des parties ne verse au débat le titre de propriété du bâtiment mais, quelle qui soit l'hypothèse, que l'EARL en soit propriétaire ou qu'elle soit seulement titulaire d'un contrat lui donnant la disposition des lieux, cette signature suffit à démontrer que l'EARL a bien reçu pouvoir pour réaliser l'installation litigieuse par le propriétaire, et qu'elle a qualité pour agir en responsabilité contre la société SAS GENERALE SOLAIRE.
Sur la responsabilité décennale de la SAS GENERALE SOLAIRE
La SAS GENERALE SOLAIRE avait à s'assurer de l'étanchéité de la couverture du hangar sur laquelle elle posait le matériel de production électrique selon un procédé solidarisant le matériel de production électrique avec le matériel de couverture destiné à assurer l'étanchéité de l'ouvrage ; or, les travaux d'installation de la centrale de production voltaïque sont défectueux puisque la toiture du hangar souffre des infiltrations d'eau empêchant l'utilisation normale du bâtiment aux fins de stockage de matériaux ou des produits de récolte.
Le vice était caché à la réception du 25 septembre 2010.
L'immeuble est impropre à sa destination puisque sa couverture est fuyante et compromet gravement les conditions d'utilisation habituelle d'un hangar.
La présomption de responsabilité décennale de l'article 1792 du code civil oblige donc la SAS GENERALE SOLAIRE à réparer les préjudices tant matériels qu'immatériels causés par ces désordres de construction.
C'est à bon droit que le premier juge a retenu la responsabilité décennale de la SAS GENERALE DU SOLAIRE envers l'EARL DE GRAND MAYNE.
Sur le montant des préjudices
a) préjudice matériel
Le montant de la réparation des désordres matériels a été fixé à un montant 224 400 euros dont l'EARL demande confirmation ; ni la SAS GENERALE DU SOLAIRE, ni ses assureurs ne donnent d'éléments concrets dont ressortirait la vraisemblance d'une possibilité de réparation selon un autre mode réparatoire d'un montant inférieur.
La réfection totale par remplacement des éléments de couverture qui n'ont pas assuré l'étanchéité, et il ressort du rapport d'expertise qu'il convient d'installer en sous face des panneaux une étanchéité en bac acier pour garantir l'étanchéité recherchée.
Le jugement sera donc confirmé.
b) préjudice immatériel
La perte de production électrique comme l'impossibilité économique d'utiliser le hangar constituent des préjudices en lien avec la cause du dommage dont la SAS GENERALE DU SOLAIRE doit répondre.
En compensation de l'impossibilité d'utiliser le bâtiment pour y stocker le produit des récoltes et les produits phytosanitaires indispensables à la culture ; il n'en résulte cependant pas une impossibilité totale d'utiliser le bâtiment, mais une indisponibilité réduite à 50 % du potentiel d'utilisation ; l'EARL DE GRAND MAYNE obtiendra donc la moitié de l'indemnité de 25 000 euros qu'elle réclame soit la somme de 12 500 euros.
S'agissant de revenus de production électrique, l'EARL DE GRAND MAYNE s'appuie sur la comparaison des relevés de production de deux bâtiments (appelés [D] 1 et [D] 2) dont elle est propriétaire et dont la production est gérée par la SAS GENERALE DU SOLAIRE. La production de la centrale défaillante est inférieure aux prévisions alors que celle de l'autre centrale est légèrement supérieure pour la même période ; elle démontre ainsi, sur la base d'éléments produits en cause d'appel, que le bâtiment couvert par l'installation défectueuse subit une perte de production par rapport à ce qu'elle serait sans la défaillance de l'installation ; on relève que le nombre des panneaux solaires en surchauffe et défaillants (et par conséquent déconnectés) est de 89 sur un total de 720 soit environ 12 %. Mais les relevés de la SAS GENERALE DU SOLAIRE pour 2019 font eux même apparaître, selon les mois, une production en baisse actuellement de l'ordre de 6,4 % par rapport au prévision pour l'année 2019 ; le taux est de 4,7 % en prenant pour base la production totale entre la mise en service et 2019 mais ce taux intègre les années de production antérieures à l'apparition des dommages ; le taux de 6,4 % peut être retenu pour la période de 8 ans durant lesquelles la production a été affectée par l'apparition des infiltrations.
Si la production théorique est de 150 417 kW par an, la perte est annuelle est donc de 9 637 KW soit une perte de revenus bruts de 6 000 euros par an en moyenne (on constate une variation du prix de l'électricité mais les éléments du dossier ne permettent pas de retracer avec précision) ; dans ces conditions, le préjudice de perte de revenus bruts de production électrique sera évalué sur 8 ans à 6 000 euros par à 48 000 euros à réduire du taux de TVA de 20 % soit un préjudice de 40 000 euros.
La garantie décennale des constructeurs a pour seule fonction de garantir la pérennité de la fonction de couverture des panneaux posés, c'est-à-dire l'aptitude de l'ouvrage à couvrir efficacement le hangar et sans défaut d'étanchéité ; elle n'a pas vocation à garantir la fonction de production d'électricité d'une installation électrique quand la perte de production n'est pas due à un défaut en lien avec la fonction de couverture.
Au cas d'espèce, l'indivisibilité induite par le procédé de fixation impose, pour mettre fin aux défauts d'étanchéité, de refaire la totalité de la couverture afin de restituer son étanchéité à l'ouvrage, et ce sans faire de distinction entre les panneaux aptes à produire de l'électricité qui sont au nombre de 631 sur 720, et les 89 autres panneaux affectés d'un défaut de série qui les rend inaptes à produire du courant électrique. Le coût de cette prestation de réfection de la couverture est indemnisé au titre des préjudices matériels ; le montant de l'indemnisation, limité à 244 400 euros, accepté par l'EARL, correspond approximativement aux deux tiers du coût d'une réfection procédant au remplacement de l'ensemble des panneaux. Si la fonction de couverture doit être entièrement restaurée par l'installation d'un système d'étanchéité complémentaire, la perte de rendement de l'ordre de 6 à 7 %, l'installation électrique ne peut pas être considérée comme étant une conséquence du défaut ayant affecté la couverture et cette perte demeure trop faible pour estimer que l'installation électrique est rendue impropre à sa destination. Ainsi, la perte de production ne peut donc pas être rattachée à l'acte de construire mal réalisé ; la perte de production électrique eut été la même si l'étanchéité avait été correcte.
La perte de rendement électrique reste au cas d'espèce étranger à l'exécution du contrat de louage d'ouvrage.
Sur la garantie d'assurance
La société SAS GENERALE DU SOLAIRE a souscrit une assurance de responsabilité civile souscrite auprès de COVEA RISKS (aux droits de laquelle viennent aujourd'hui les sociétés du groupe MMA) pour une activité d'entreprise du bâtiment et de génie civil renvoyant à des conditions spéciales 971 K et générale 248 D, sous le numéro de contrat 118 263 560. La responsabilité décennale pour vices cachés entre dans les garanties souscrites et s'applique aux travaux litigieux qui combinent technique de bâtiment et mise en place de panneaux photovoltaïques.
Cette activité est expressément déclarée aux conditions particulières.
Ces mêmes conditions particulières précisent que les produits objets de la garantie sont les suivants :
- Panneaux de verre/EVA cellules de silicium mono ou polycristallin de marque SCHUCO, SUNTECH, TRINA, disposant systématiquement d'un certificat TÜV (organisme public de contrôle des normes en RFA) de conformité aux normes applicables aux panneaux de production photovoltaïque.
- Système d'intégration en toiture Ubbink Intersolle fourni avec les accessoires faisant partie du système :
- onduleur continu de 230 volts
- câbles, dimensionnement.
L'attestation d'assurance délivrée le 30 décembre 2009 par la société COVEA RISKS visant la police d'assurance 118 263 560 qui est bien celle dont l'application est discutée, mentionne en revanche que la garantie est donnée pour l'installation du système BIOSOL de CENTROSOLAR, spécifique à des panneaux intégrés en monocouche ; or, la centrale a bien été équipée de 720 modules CENTROSOLAR BIOSOL fournissant une puissance de 190 Wc pour pouvoir fournir au cas particulier 136 800 W en crête.
Le préjudice immatériel de jouissance n'est pas exclu de la garantie.
La garantie du dommage est donc due par les sociétés du groupe MMA venues aux droits de la société COVEA RISKS auprès de qui l'EARL avait contracté.
Sur les demandes annexes
Les sociétés du groupe MMA n'ont pas commis d'abus de procédure.
Elles devront cependant s'acquitter des dépens d'appel et payer à l'EARL DE GRAND MAYNE une somme de 8 000 euros en compensation de frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
* confirme le jugement dans toutes ses dispositions SAUF celle portant rejet des demandes d'indemnisation du préjudice de jouissance,
* l'infirmant sur ce point, et statuant à nouveau, condamne la SAS GENERALE SOLAIRE à payer à l'EARL DE GRAND MAYNE une indemnité de 12 500 euros en réparation du trouble de jouissance,
* y ajoutant condamne les sociétés du groupe MMA aux entiers dépens,
* les condamne à payer à l'EARL DE GRAND MAYNE une somme de 8 000 euros en compensation de frais irrépétibles exposés en appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Carole DEBON Caroline FAURE