SF/SH
Numéro 23/01393
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 25/04/2023
Dossier : N° RG 21/02172 - N° Portalis DBVV-V-B7F-H5FX
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés à une chose mobilière ou immobilière par un immeuble
Affaire :
[Y] [I]
C/
[K] [D]
[X] [D]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 25 Avril 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 06 Mars 2023, devant :
Madame de FRAMOND, magistrate chargée du rapport,
assistée de Madame DEBON, faisant fonction de greffière présente à l'appel des causes,
Madame de FRAMOND, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Madame de FRAMOND, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [Y] [I]
née le [Date naissance 4] 1951 à [Localité 9] (50)
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Maître HAMTAT de la SELARL DALEAS-HAMTAT-GABET, avocat au barreau de PAU
INTIMES :
Monsieur [K] [D]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Madame [X] [D]
née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentés et assistés de Maître BELLEGARDE, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 07 JUIN 2021
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
RG numéro : 11-20-000110
EXPOSE DU LITIGE
Mme [Y] [I] a acquis de Mme [V] [P] en juillet 2012 une maison d'habitation avec cour et jardin sise [Adresse 5], propriété contiguë au [Adresse 3], propriété de M. [K] [D] et Mme [X] [D]. Le mur du garage de ceux-ci et de l'abri de jardin qui le prolonge donne sur une bordure de cailloux de la propriété [I].
Mme [I] se plaint que les taches noires d'humidité situées sous la gouttière du toit du garage ainsi que celles en partie basse et au coin droit de ce mur lui causent un trouble anormal de voisinage. Elle déplore en outre la chute de mousses de ce toit et de tuiles sur son massif de pierres et pouvant être dangereux.
Elle se plaint également de l'atteinte à sa vie privée que constituent les vues sur son fonds par les fenêtres situées dans la toiture de ses voisins.
Par requête du 07 février 2020, Mme [I] a saisi le juge des contentieux et de la protection du Tribunal Judiciaire de PAU aux fins de tentative préalable de conciliation et à défaut voir condamner M. et Mme [D] à procéder à l'entretien et la réparation du toit de leur garage et à lui payer des dommages et intérêts. M. et Mme [D] se sont opposés aux demandes et ont réclamé la condamnation de Mme [I] à peindre en crépi beige rosé le mur de l'abri jardin de leur propriété donnant sur le fonds de celle-ci, sous astreinte.
Par jugement contradictoire et en dernier ressort du 7 juin 2021, le tribunal judiciaire de Pau, a notamment :
Débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes au titre du trouble anormal de voisinage et au titre de l'atteinte à sa vie privée.
Débouté M. et Mme [D] de leur demande de remise à l'état initial du mur donnant sur la propriété de Mme [I].
Condamné Mme [I] à payer 300 € à M. et Mme [D] au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
L'a condamnée aux entiers dépens de l'instance et de ses suites en application de l'article 696 du Code de Procédure Civile.
Dans sa motivation, le tribunal a constaté que l'espacement des traces sur le mur du garage et des mousses sur le toit de la propriété [D] ainsi que la présence d'autres traces d'humidités sur les sols de la propriété [I] sont à attribuer à des phénomènes naturels tels que l'action du temps sur les matériaux, intensifiée par l'humidité du climat béarnais plus qu'à un trouble anormal de voisinage, non démontré, Mme [I] ayant acquis l'immeuble en connaissance de la configuration des lieux et de leur environnement. Il a retenu par ailleurs que les fenêtres du toit de M. et Mme [D] sont placés à plus de 7 mètres de la propriété de Mme [I], et qu'aucune preuve de l'atteinte à la vie privée de Mme [I] n'est rapportée compte tenu de la hauteur des velux à 2,20 mètres du sol ne permettant de voir à l'extérieur que monté sur un escabeau. Enfin, sur la demande reconventionnelle de M. et Mme [D], le tribunal a constaté que la remise à l'identique du mur ne présente que peu d'intérêt pour les époux [D] puisqu'il n'est visible que par Mme [I].
Mme [I] a relevé appel par déclaration du 28 juin 2021, critiquant le jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 5 janvier 2023, Mme [I], appelante, demande à la Cour de :
- Réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté les époux [D] de leur demande reconventionnelle de remise en peinture du mur';
et statuant à nouveau,
- Condamner M. et Mme [D] à procéder à l'entretien et la réparation du toit de leur garage (tuiles, mousses, etc.) et à la réparation de la gouttière sous astreinte de 300 € par jour de retard à partir d'un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir
- Condamner M. et Mme [D] à verser à Mme [I] la somme de 2 500 € à titre de dommages et intérêts en raison du trouble subi et de la dégradation du béton désactivé et des massifs en cailloux
- Condamner M. et Mme [D] à opacifier leurs fenêtres de toit de type Velux sous astreinte de 300 € par jour de retard à partir d'un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir.
- Condamner M. et Mme [D] à verser à Madame [I] la somme de 3 000 € en réparation du préjudice résultant de l'atteinte à la vie privée.
- Condamner les époux [D] à verser à Madame [I] la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris le coût du constat d'huissier.
Au soutien de ses prétentions Mme [I] fait valoir principalement, sur le fondement des articles 544, 681 et à titre subsidiaire 1240 du code civil , que :
- les infiltrations et versement des eaux pluviales sur sa propriété résultent de la dégradation de la gouttière du toit du garage de ses voisins qu'ils ont reconnu par courrier devoir réparer, leur toit étant également en mauvais état en projetant de la mousse ou des tuiles sur le sol voisin,
- si le trouble ainsi créé n'était pas qualifié d'anormal, elle demande de constater que ce défaut d'entretien est fautif et lui cause un préjudice qu'ils doivent réparer,
- que les velux, d'après les plans produits, sont situés à 1,30 m de hauteur du plancher, et que les témoignages établissent l'observation de ses faits et gestes pratiquée par ses voisins,
- elle conteste avoir repeint le mur de ses voisins qui ne démontrent pas ces allégations, alors que le crépis de ce mur n'a jamais été fini.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2023, M. et Mme [D], intimés, demandent à la cour de :
- Confirmer le Jugement du Tribunal Judiciaire de PAU en date du 28 juin 2021.
Y ajoutant,
- Condamner Mme [I] au paiement d'une somme de 4 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel.
- La condamner aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions M. et Mme [D] font valoir principalement, sur le fondement des articles 678 et 681 du code civil , que :
- le mur sur lequel l'huissier mandaté par Mme [I] a fait ses constats de traces d'humidité ou d'infiltrations leur appartient, aucun trouble n'est démontré pour des écoulements sur le fonds de Mme [I]
- les tuiles déplacées sur leur toit ne présentent aucun danger pour leur voisine, puisqu'au pire, elles tomberaient dans la gouttière
- la chute des mousses du toit ne constitue pas un trouble anormal, pas plus que la chute des feuilles dont elle ne démontre pas les conséquences sur son allée ou ses cailloux ou leur imputation
- l'usage légal de leurs fenêtres, situées à la distance réglementaire requise entre leur deux fonds, peut faire l'objet d'une restriction judiciaire à la condition qu'il soit démontré un usage abusif qui serait le fait de M. et Mme [D], ce qui n'est pas le cas.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel':
Bien que qualifié de décision en dernier ressort il convient de déclarer recevable l'appel de Mme [I] au regard des demandes de nature indéterminée présentées devant le 1er juge.
Sur la demande au titre des troubles anormaux de voisinage relatifs à la gouttière et au toit de la maison de M. et Mme [D]':
En vertu de l'article 681 du code civil, tout propriétaire doit établir ses toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique ; il ne peut les faire verser sur le fonds de son voisin.
En l'espèce,il ressort du constat d'huissier dressé le 2 décembre 2019 par Maître [T], et de celui du 7 novembre 2022 dressé par Maître [H], que le mur du garage de M. et Mme [D], situé en limite de propriété, présente des tâches noires d'humidité , ainsi qu'en partie basse au coin droit du mur à cause des infiltrations d'eau par les gouttières, ce qui tache les cailloux et le béton désactivé au pied de ce mur, côté propriété [I], et que de la mousse tombe également du toit ou des morceaux de tuiles insuffisamment arrêtés par la gouttière.
Par courrier du 23 juillet 2019, M. et Mme [D] avaient reconnu que leur gouttière de toit à cet endroit n'était pas étanche et devait être réparée.
Il y a donc lieu, en vertu du texte précité, de condamner M. et Mme [D] à procéder, sous astreinte, à la réparation de cette gouttière de manière à ce qu'elle évite toute débordement des eaux de pluie, et par là même le rejet de mousses ou de morceaux de tuiles sur la propriété de leur voisine et le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [I] au titre du préjudice lié à la gouttière':
La condamnation de M. et Mme [D] à ce titre est fondée sur les dispositions de l'article 681 du code civil. Pour justifier de dommages et intérêts, Mme [I] doit rapporter la preuve d'un préjudice, or en l'espèce, les quelques coulures sur le mur de ses voisins, les morceaux de mousses et très exceptionnellement deux ou trois morceaux de tuiles constatés au pied de ce mur dans un massif de pierres ne constituent pas un trouble anormal de voisinage comme l'a constaté le 1er juge à juste titre par des motifs que la cour adopte, et n'ont causé aucun préjudice à Mme [I] justifiant de lui allouer des dommages et intérêts. Sa demande doit être rejetée et le jugement déféré confirmé sur ce point.
Sur la demande au titre de l'atteinte à la vie privée par les fenêtres de la toiture de M. et Mme [D]':
En matière de vues sur le fonds de son voisin, l'article 678 du code civil prévoit qu'on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance(1,90 mètre) entre le mur où on les pratique et ledit héritage.
La distance se calcule depuis la fenêtre jusqu'à la limite séparative des fonds.
Il n'est pas démontré que les fenêtres situées dans la toiture de M. et Mme [D] se situent à moins d'1,90 mètre de la limite séparative de la propriété de Mme [I], ceux-ci affirmant sans être contredits qu'elles sont à 7 mètres, ce qui est vraisemblable selon les photos versées au débat au regard de leur hauteur dans la toiture de la maison. Peu importe ensuite que ces fenêtres soient ouvrantes et permettent des vues, puisqu'elles sont autorisées et placées à une distance légale non critiquable.
Mme [I] n'est donc pas légitime à en demander la fermeture ou l'obstruction. Sur le fondement du trouble anormal du voisinage, qui suppose la preuve d'un préjudice causé par ces vues et l'abus dans l'usage de celles-ci, force est de constater que les attestations produites par Mme [I] sont extrêmement vagues sur les dates, les heures, la durée, la fréquence et les circonstances au cours desquelles les témoins ont constaté les indiscrétions de M. et Mme [D], notamment ils n'expliquent pas en quoi leur attitude était indiscrète et relevait de la surveillance, et rien dans ces témoignages ne permet de caractériser que l'intention des [D] était bien d'espionner leur voisine : « les [D] ne cessent de contrôler les faits et gestes de Mme [I] . j'en ai été présent à plusieurs reprises'»'; «'je certifie que M. et Mme [D] sont toujours en train de surveiller les faits et gestes de Mme [I] de leur velux je les ai vus'»'; «'Mme [I] n'a plus de vie personnelle,même lorsqu'elle reçoit des amis ou de la famille dans sa salle à manger, les [D] surveillent de leurs Velux. Depuis 2012, les [D] empoisonnent la vie de Mme [I], elle n'a plus de vie privée sans contrôle'».
Ces appréciations, qui relèvent d'une interprétation dans le contexte d'un contentieux de voisinage, ne suffisent ni à caractériser une attitude malveillante de M. et Mme [D] dans l'usage de leurs fenêtres de toit situées à une distance très supérieure aux règles d'urbanisme, ni un préjudice de Mme [I] dont il n'est démontré aucune atteinte à sa vie privée, ni indiscrétion réelle. Aucun trouble anormal de voisinage ou faute de M. et Mme [D] n'est démontré.
La demande de fermeture ou d'obstruction des fenêtres de toit, comme celle de dommages et intérêts doit donc être rejetée de ce chef, et le jugement déféré confirmé sur ce point.
Sur les mesures accessoires':
La Cour rappelle que les frais engagés par une partie pour se procurer des preuves au soutien de ses prétentions ne rentrent pas dans les dépens de l'instance, limitativement énumérés à l'article 695 du code de procédure civile, qui ne concernent que les débours relatifs à des actes ou des procédures judiciaires et dont ne font pas partie les honoraires de techniciens non désignés par le juge.
Ces frais peuvent par contre être pris en compte dans l'indemnité accordée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il y a donc lieu de condamner M. et Mme [D] à payer à Mme [I] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.
La demande M. et Mme [D] au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais en appel sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel interjeté par Mme [Y] [I] ;
Infirme le jugement rendu le 7 juin 2021 en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [I] tendant à condamner M. et Mme [D] à réparer leur gouttière de toit sous astreinte et en ce qu'il a condamné Mme [I] à payer une indemnité de 300 € à M. et Mme [D] et l'a condamnée aux dépens ;
Confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne M. [K] [D] et Mme [X] [D] à procéder à la réparation de la gouttière du toit de leur garage pour éviter tout débordement des eaux de pluie et chute de tuiles ou de mousse sur le fonds voisin, sous astreinte de 200 € par jour de retard, astreinte provisoire courant après un délai de 3 mois à compter de la signification de l'arrêt et pendant une durée limitée à 3 mois.
Condamne M. [K] [D] et Mme [X] [D] à payer à Mme [Y] [I] la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Rejette la demande de M. [K] [D] et Mme [X] [D] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour leurs frais exposés en appel.
Condamne M. [K] [D] et Mme [X] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE