COUR D'APPEL DE REIMS CHAMBRE SOCIALE D.M/S.F ARRÊT N ° 555 AFFAIRE N : 02/00836 AFFAIRE S.A MON LOGIS C/ Hassan X... C/ une décision rendue le 12 Mars 2002 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section commerce. ARRÊT DU 19 JUIN 2002
APPELANTE : S.A MON LOGIS 4 rue Jeanne d'Arc B.P. 4004 10013 TROYES CEDEX Comparante, concluant et plaidant par la SCP LEMOULT - GRIVIAU, avocats au barreau de TROYES, INTIMÉ : Monsieur Hassan X... 4 rue Maurice Ravel 10600 LA CHAPELLE ST LUC Comparant, concluant et plaidant par la SCP BABEAU - VERRY - LINVAL, avocats au barreau de L'AUBE, COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré : Monsieur Daniel MARZI Président Monsieur Bertrand SCHEIBLING Conseiller Monsieur Luc GODINOT Conseiller Y... : Madame Isabelle Z..., Y... en Chef lors des débats et Mme Bénédicte A..., agent administratif faisant fonction de greffier lors du prononcé. DÉBATS : A l'audience tenue en Chambre du Conseil du 29 Avril 2002, où l'affaire a été mise en délibéré au 19 Juin 2002. ARRÊT : Prononcé par Monsieur Daniel MARZI, Président de Chambre à l'audience publique du 19 Juin 2002, qui a signé la minute avec le greffier présent lors du prononcé. Agent d'immeuble au service de la S.A MON LOGIS depuis le 15 juin 1970, Hassan X... a été licencié pour faute grave le 29 mai 2001. Contestant la légitimité de son renvoi, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour faire condamner son ex-employeur à lui payer ses indemnités de rupture, des dommages et intérêts ainsi qu'une allocation au titre de l'article 700 du NCPC. Il est constant qu'avant tout débat au fond, l'avocat de la société MON LOGIS a déposé à l'audience une requête en récusation de deux conseillers prud'homaux - collège salarié, appelés à siéger, Mesdames B... et MARCHAND. Par jugement du 12 mars 2002, le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Commerce a :
- donné acte à la S.A MON LOGIS du dépôt, à l'audience du 12 mars
2002, de la requête en récusation de deux Conseillers Prud'homaux salariés, Madame B... et Madame MARCHAND,
- déclaré que Madame B... et Madame MARCHAND, Conseillers Prud'homaux Salariés récusés par la S.A MON LOGIS, s'opposent à cette récusation, les dispositions de l'article L 518-1 du Code du Travail ne leur étant pas applicables,
- requalifié, en vertu de l'article 364 du Nouveau Code de Procédure Civile, la demande de récusation en demande de renvoi pour cause de suspicion légitime,
- constaté que le Président du Conseil de Prud'hommes de TROYES, Monsieur C..., s'oppose en date du 12 mars 2002 à la récusation des Conseillers Prud'homaux Salariés telle que formulée par la S.A MON LOGIS,
- dit que l'instance n'est pas suspendue,
- décidé d'entendre les parties sur le fond,
- dit que la demande de renvoi pour cause de suspicion légitime sera transmise sans délai au Premier Président de la Cour d'Appel de REIMS,
- réservé les dépens. Par lettre recommandée du 29 mars 2002, l'avocat de la société a déclaré former un appel-nullité contre cette décision. Par ordonnance du 2 avril 2002, le Premier Président de la Cour d'Appel de REIMS a désigné la Chambre Sociale pour connaître de la demande de récusation et renvoi pour cause de suspicion légitime. L'affaire a été plaidée à l'audience du 29 avril 2002. Aux termes de ses conclusions datées du 26 avril 2002 que son avocat a développées oralement à l'audience, la société appelante demande à la Cour : "Vu la requête en récusation déposée à l'audience du Conseil de Prud'hommes de TROYES le 12 mars 2002 à la requête de la S.A MON LOGIS, Vu le jugement prononcé par la Section Commerce du Conseil de Prud'hommes de TROYES le 12 mars 2002, Vu l'appel nullité interjeté
par la S.A MON LOGIS contre le jugement prononcé le 12 mars 2002, Statuant sur l'appel nullité ,
Dire et juger cet appel recevable et fondé,
Annuler en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le Conseil de Prud'hommes de TROYES le 12 mars 2002,
En conséquence,
Dire et juger n'y avoir lieu à requalification de la requête en récusation en demande de suspicion légitime,
Dire et juger nulle et non avenue la poursuite de l'instance devant le Conseil de Prud'hommes de TROYES en application du jugement annulé. Statuant sur la requête en récusation présentée par la S.A MON LOGIS:
Déclarer recevable et fondé la S.A MON LOGIS en sa requête en récusation,
En conséquence,
Dire et juger que les deux Conseillers Prud'homaux salariés, Madame MARCHAND et Madame B..., ou tous autres conseillers du collège salarié du Conseil de Prud'hommes de TROYES ne pourront siéger et statuer dans la procédure opposant la société MON LOGIS à Monsieur X... et renvoyer la cause et les parties devant telle autre juridiction qu'il plaira à la Cour de désigner, le tout conformément à la requête initiale,
Statuer ce que de droit quant aux dépens." Pour sa part, le salarié représenté à l'audience par son conseil, a repris oralement les conclusions selon lesquelles il prie la Cour de :
"Déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société MON LOGIS, à l'encontre du jugement rendu le 12 mars 2002, sur la requête en récusation,
Rejeter la requête déposée par la société MON LOGIS,
Considérant par ailleurs, le caractère abusif de cette demande,
statuer ce que de droit sur l'amende civile, susceptible d'être prononcée à l'encontre de la société,
En tout état de cause, condamner la société MON LOGIS à verser à Monsieur X..., la somme de 10 000 ä à titre de dommages et intérêts, outre 1 000 ä au titre de l'article 700 du NCPC." Le Ministère Public a été entendu en ses réquisitions. SUR CE, LA COUR, Sur la demande de récusation :
D... qu'à l'audience prud'homale du 12 mars 2002, avant toute défense au fond, le Conseil de la S.A MON LOGIS, a sous le visa de l'article 6 de la Convention Européenne des droits de l'homme et des articles L 518-1, R 518-1 et R 518-2 du Code du Travail, présenté une requête tendant à la récusation non seulement des deux conseillers prud'homaux salariés composant la formation de jugement, Mesdames B... et MARCHAND, mais également celle de tous les autres conseillers du collège salarié du Conseil de Prud'hommes de TROYES, sollicitant en outre que la Cour d'Appel appelée à statuer, renvoie la cause et les parties devant une autre juridiction de même nature. D... qu'à l'exclusion de Mesdames B... et MARCHAND, les autres membres du collège salarié dont les noms et le nombre restent à ce jour inconnus de la Cour, n'ont pas été en mesure de présenter leurs observations sur les motifs de récusation allégués à leur encontre par la société ; qu'il est par ailleurs évident que la récusation sollicitée de tous les conseillers-salariés du Conseil de Prud'hommes de TROYES, si elle était admise, mettrait cette juridiction dans l'impossibilité de statuer, faute de pouvoir se constituer, ce qui revient à faire peser le soupçon de partialité sur tout le Conseil dont le dessaisissement est d'ailleurs demandé par la société qui souhaite que l'affaire soit évoquée devant une autre juridiction de même nature. D... que la requête tend conjointement à récuser tous les conseillers prud'homaux
du collège salarié et à faire renvoyer le dossier devant un autre Conseil de Prud'hommes ; que son indivisibilité commande que seule lui soit applicable la procédure de renvoi pour cause de suspicion légitime prévue aux articles 356 à 363 du NCPC ; qu'en vertu des dispositions conjuguées des articles 356 et 359 du NCPC qui stipulent notamment l'identité des conditions de recevabilité et de forme entre demandes de renvoi pour cause de suspicion légitime et demandes de récusation, le Premier Président de la Cour d'Appel saisit la juridiction, soit ici la Chambre Sociale par référence à l'article R 518-2 du Code du Travail, qui statue en Chambre du Conseil, le Ministère Public entendu. Et attendu que la société n'invoque aucun des moyens de récusation tels qu'énumérés par les articles 341 du NCPC et L 518-1 du Code du Travail, incapable qu'elle est de démontrer que les conseillers prud'homaux qu'elle vise dans sa requête relèveraient de l'un ou l'autre des cas visés par ces articles, la Cour observant en outre que leur appartenance au syndicat CFDT ne constituerait pas un intérêt personnel à la contestation et qu'au demeurant Madame B... est affiliée à une organisation syndicale F.O. Mais attendu que la société MON LOGIS se prévaut également de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont il résulte que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial ; qu'elle soutient que le Conseil de Prud'hommes de TROYES ne pourra pas l'entendre impartialement en dénonçant essentiellement les prises de position publiques du président de cette juridiction ainsi que l'appel en qualité de témoins de plusieurs conseillers prud'homaux salariés dans une instance pénale opposant la société à un conseiller prud'homal du collège salarié, Monsieur Michel E... D... qu'il ressort des pièces produites, que lors de l'audience solennelle de rentrée du
Conseil de Prud'hommes de TROYES du début de l'année 2002, le Président du Conseil, s'exprimant au nom de ses collègues, a publiquement apporté son soutien et sa solidarité à l'un de ses membres Michel E..., dans le procès l'opposant à la société MON LOGIS, stigmatisant les violentes attaques dont le salarié aurait été l'objet de la part de son entreprise tout en soulignant l'honnêteté et les qualités humaines de Monsieur E... ; qu'il ajoutait qu'à travers l'intéressé, c'était l'institution prud'homale qui était mise à mal ; que la presse locale s'est fait l'écho de ces propos rapportés dans ses titres évoquant nommément la société MON LOGIS. D... que cet événement et la publicité qui lui a été donnée constituent un motif suffisant pour permettre objectivement à la société MON LOGIS de douter de l'impartialité de la juridiction prud'homale troyenne devant laquelle elle doit comparaître ; que faisant droit à la requête de la S.A MON LOGIS, la Cour ordonne le dessaisissement du Conseil de Prud'hommes de TROYES et renvoi l'affaire devant le Conseil de Prud'hommes de DIJON. Sur l'appel nullité : D... que constatant qu'il était saisi d'une requête conjointe et indivisible qui tendait au final au renvoi de l'affaire devant une juridiction de même nature, le Conseil de Prud'hommes n'a fait qu'user des pouvoirs qui étaient le siens en décidant qu'il devait répondre à une cause de suspicion légitime ; qu'il résulte de l'article 361 du NCPC applicable, que l'instance n'est pas suspendue devant la juridiction dont le dessaisissement est demandé, et que seul le Premier Président avait qualité pour ordonner un sursis à statuer jusqu'au jugement de la requête; que la décision rendue non entachée d'excès de pouvoir était donc insusceptible d'appel ; que l'appel de la société est déclaré irrecevable. D... que la société MON LOGIS qui voit sa requête prospérer n'a commis aucun abus en la présentant ; que Monsieur X... sera débouté de sa demande de
dommages et intérêts. D... que les éventuels dépens seront partagés par moitié entre les parties sans que l'équité commande de faire application de l'article 700 du NCPC. PAR CES MOTIFS LA COUR, Statuant contradictoirement en Chambre du Conseil, déclare recevable la requête de la SA MON LOGIS et irrecevable son appel nullité, Ordonne le dessaisissement du Conseil de Prud'hommes de TROYES et renvoie l'affaire devant le Conseil de Prud'hommes de DIJON, Dit qu'une copie de la présente décision sera notifiée aux parties et que le dossier de l'affaire avec une expédition de l'arrêt sera adressé au Conseil de Prud'hommes de DIJON par les soins du secrétariat-greffe de la Chambre Sociale, Déboute Monsieur X... de sa demande de dommages et intérêts, Partage par moitié en les plaideurs, les éventuels dépens de l'instance, sans application de l'article 700 du NCPC. LE Y...
LE PRÉSIDENT