Arrêt n°
du 11/05/2022
N° RG 21/00705 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E7NU
OB / LS
Formule exécutoire le :
à :
Me Julien PREGNOLATO
Me Pascal GUILLAUME
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 11 mai 2022
APPELANT :
d'un jugement rendu le 22 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de TROYES, section INDUSTRIE (n° F19/00104)
Monsieur [J] [R]
4 RUE DES DRILLONS
89150 VERNOY
Représenté par Me Julien PREGNOLATO, avocat au barreau d'ARGENTAN
INTIMÉE :
S.A.R.L. COLLIN ETANCHEITE
14 rue Jean Baptiste Colbert ZI
10600 LA CHAPELLE SAINT LUC/FRANCE
Représentée par Me Stéphanie VAN-OOSTENDE et par Me Pascal GUILLAUME, avocats au barreau de REIMS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mars 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Monsieur Olivier BECUWE, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 11 mai 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Monsieur Olivier BECUWE, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Lozie SOKY, greffier placé
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Madame Lozie SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
EXPOSE DU LITIGE :
M. [R] a été engagé à durée indéterminée en qualité d'ouvrier, à compter du 18 avril 1994, par une société aux droits de laquelle vient, à la suite d'un transfert d'entreprise, la société Collin Etanchéité (la société) qui exerce dans le domaine du bâtiment.
Il est devenu, en février 2010, conducteur de travaux et percevait en dernier lieu un salaire mensuel brut de 2 700 euros hors primes et 13 ème mois pour une durée de travail de 35 heures par semaine.
La société est organisée en deux pôles, le pôle 'Travaux' et le pôle 'Services'.
M. [R] gérait le pôle 'Services' ayant pour mission de réaliser des petits travaux de réparation et d'entretien et avait également sous sa responsabilité le service après-vente.
Il a fait l'objet d'un avertissement le 1er août 2017 puis d'un autre le 1er février 2018.
Un nouveau directeur est concomitamment arrivé dans la société.
Le salarié a été convoqué à un entretien préalable à licenciement le 20 avril 2018 et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire avant d'être, selon lettre du 15 mai 2018, licencié pour faute grave.
Contestant les avertissements, son licenciement et se prévalant de nombreuses heures supplémentaires qui seraient constitutives, selon lui, de travail dissimulé, il a saisi, en mai 2019, le conseil de prud'hommes de Troyes de demandes indemnitaires et salariales.
Par un jugement du 22 mars 2021, la juridiction prud'homale l'en a débouté.
Par déclaration du 8 avril 2021, il en a fait appel.
Par ses conclusions récapitulatives notifiées le 4 février 2022, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens, l'appelant sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il rejette ses prétentions qu'il réitère.
Par ses dernières conclusions en défense, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, la société intimée réclame pour l'essentiel la confirmation du jugement, sauf à lui accorder des dommages-intérêts pour procédure abusive.
MOTIVATION
1°/ Sur les heures supplémentaires
L'appelant produit un décompte par lequel il revendique un certain nombre d'heures supplémentaires hebdomadaires sur la période non prescrite.
Il réclame plus de deux mille heures supplémentaires.
Il verse également aux débats diverses attestations.
C'est par des motifs pertinents que le conseil de prud'hommes a estimé que les attestations étaient dépourvues de valeur probante.
Le décompte apparaît certes suffisamment précis, au sens de l'article L.3171-4 du code du travail, pour mettre l'employeur en mesure d'apporter ses propres éléments.
Mais c'est par diverses attestations que l'employeur y répond et dont la cour estime qu'elles réfutent l'existence d'heures supplémentaires.
En outre, c'est à juste titre que le jugement attaqué souligne des incohérences dans la demande du salarié qui a demandé, dans un premier temps, de calculer ses heures supplémentaires sur la base d'un différentiel de 5 heures par semaine (40 -35) avant d'en réclamer, dans un second temps, largement plus de deux mille sur la période triennale.
Le jugement sera confirmé.
2°/ Sur le travail dissimulé
Il résulte de ce qui précède que cette demande ne peut aboutir.
Le jugement sera confirmé.
3°/ Sur l'avertissement du 1er août 2017
Cet avertissement concerne l'utilisation sans autorisation de la carte d'essence de la société.
C'est par des motifs pertinents que le jugement attaqué a retenu que cette sanction était fondée.
Le jugement sera confirmé.
4°/ Sur l'avertissement du 1er février 2018
Cet avertissement est relatif à l'annulation d'une commande par un client du fait d'une absence d'intervention et de nombreuses relances et réclamations pour des fuites, non-présentation aux rendez-vous ou travaux de finitions non effectués.
Or, à l'issue d'une réunion qui s'est tenue le 14 février 2018, l'employeur a convenu que le service de M. [R] devait être renforcé en moyens.
Il apparaît, dans ces conditions, paradoxal d'adresser un tel reproche au salarié.
L'avertissement sera annulé et le jugement infirmé.
5°/ Sur le licenciement
A - Sur l'absence de cause réelle et sérieuse :
La lettre de licenciement reproche une 'insubordination récurrente par rapport aux directives données'.
Ce reproche se décompose en quatre griefs distincts tels qu'énoncés dans la lettre de licenciement, étant observé qu'aucune fiche de poste n'apparaît avoir été remise à M. [R].
1er grief : 'Absence de mise en 'uvre des moyens que nous vous avons mis à disposition pour redresser la situation alors que le mécontentement croissant de nos clients impacte l'image de notre entreprise'.
Ce grief prend appui sur de nombreuses doléances de clients.
C'est à juste titre que le salarié souligne que le mécontentement croissant des clients repose sur des lettres antérieures datant tout au plus du début du mois de février 2018, soit de plus de deux mois à la date à laquelle la procédure disciplinaire a été engagée par la convocation à l'entretien préalable le 20 avril 2018.
L'employeur rétorque certes judicieusement que la question n'est pas celle du mécontentement de la clientèle mais des raisons de celui-ci.
Mais encore faut-il qu'il démontre, dès lors que le moyen tiré de la prescription est dans les débats, qu'il n'a pu prendre la mesure de la faute grave alléguée à l'intérieur du délai de deux mois, étant souligné que le salarié n'excipe pas du délai restreint spécifique à la faute grave.
La société a mis à la disposition du salarié des moyens supplémentaires, selon compte rendu de la réunion du 14 février 2018, convenant par ce biais que le service devait être renforcé.
Il apparaît donc paradoxal de reprocher si vite une 'absence de mise en oeuvre des moyens mis à disposition'.
L'employeur estime que M. [R] a rapidement refusé de confier la rédaction des devis à une autre salariée et qu'il se serait rapidement privé d'un renfort qui lui avait été envoyé.
Mais il n'est pas justifié que l'employeur ait pris connaissance de tels faits à l'intérieur du délai de prescription.
Le premier grief ne peut donc être retenu.
2ème grief : 'Inversement, nous vous reprochons de prendre des initiatives qui ne correspondent pas à l'activité de l'entreprise et qui lui sont défavorables sur un plan financier alors que dans un même temps le pôle dont vous avez la responsabilité affiche un résultat provisoire déficitaire'.
Le grief essentiel réside dans le fait que M. [R] a, en marge de ses fonctions, commandé du matériel pour une autre société à laquelle il a refacturé la vente sans bénéfice pour son employeur.
Il a donc servi d'intermédiaire.
L'employeur en a subi un préjudice en ce que son propre secrétariat et ses moyens informatiques ont été utilisés, sans rétribution, au profit d'une autre société.
Mais il n'est ni justifié, ni même allégué que cette dernière soit concurrente ou encore que le salarié en ait tiré un enrichissement personnel..
Le deuxième grief doit donc être retenu, même si sa portée doit être relativisée.
3ème grief : 'Nous vous reprochons de camoufler vos faibles résultats par des manipulations comptables en violation des directives données et au mépris de votre obligation d'exécuter votre contrat de travail de bonne foi'.
Par ce grief, l'employeur reproche au salarié d'avoir facturé à 100 % des marchés non intégralement réalisés et de l'avoir fait en deux occasions.
La première fois, M. [R] l'a reconnu par un courriel du 12 février 2018 de sorte que le grief est prescrit.
La seconde fois, qui porte sur un marché de 24 999 euros, interroge quant au fonctionnement de l'entreprise : le salarié était conducteur de travaux, et non comptable, et la société disposait elle-même d'un comptable.
M. [R] a peut-être cherché à cacher le fait que ce marché n'était pas complètement terminé mais l'employeur avait acté le principe, par la réunion du 14 février 2018, que les moyens devaient être renforcés.
Le troisième grief est donc partiellement établi même si sa portée doit être relativisée.
4ème grief : 'Vous venez de franchir une nouvelle étape en falsifiant des feuilles d'intervention pour dissimuler l'affectation d'heures de main d''uvre du pôle 'Services' sur le compte service après-vente ce qui est extrêmement grave'.
La falsification prétendue porte sur 965 heures.
La démonstration du grief repose pour l'essentiel, d'une part, sur l'attestation d'un collègue non dépourvue d'une certaine imprécision et, d'autre part, sur un traçage par géolocalisation dont M. [R] soulève, à juste titre, l'illégalité, le dispositif n'ayant été ni déclaré ni porté à la connaissance des intéressés.
Le grief ne peut être retenu.
Il résulte de ce qui précède que le licenciement ne saurait être considéré comme reposant sur une faute grave ni même sur une cause réelle et sérieuse, la matérialité des griefs résiduels et l'ancienneté du salarié y faisant obstacle.
Pour juger à l'opposé que le licenciement était fondé, le conseil de prud'hommes s'est attaché au compte-rendu de l'entretien préalable dont il a déduit que M. [R] avait reconnu l'essentiel des faits.
Mais le salarié qui l'avait alors assisté a attesté en sens contraire.
Le jugement sera infirmé.
B - Sur les dommages-intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié disposait d'une ancienneté de 24 ans de sorte qu'il a droit à des dommages-intérêts d'un montant compris entre 3 et 17,5 mois de salaire brut.
Au regard de sa rémunération mensuelle brute telle que rappelée précédemment et de sa situation personnelle et professionnelle tel qu'il en est justifié, M. [R], né en 1971, ayant retrouvé un travail à compter du mois d'octobre 2019, il lui sera accordé la somme de 20 000 euros.
C - Sur l'indemnité légale de licenciement
Au regard des bulletins de salaire, le montant le plus favorable, au sens de l'article R.1234-4 du code du travail, revient à prendre en compte le 13 ème mois.
Aucune autre prime n'a été versée.
Il s'en déduit un salaire de référence de 2 925 euros (2700 + [2700 : 12]), nonobstant les périodes d'arrêt de travail qui ne peuvent conduire à minorer la base de calcul.
L'indemnité légale revendiquée se calcule ainsi, conformément à l'article R. 1234-2 du code du travail :
2 925 x 1/4 x 10 ans = 7 312,50 euros
2 925 x 1/3 x 14 ans = 13 650 euros.
Soit un total de 20 962,50 euros.
D -Sur le préavis
Le 13ème mois n'est versé qu'à la fin de l'année de sorte qu'en l'absence d'autres primes, il apparaît nécessaire de s'en tenir au salaire mensuel brut de 2 700 euros, soit un préavis dû d'un montant de 5 400 euros.
E - Sur le paiement de la mise à pied conservatoire
Selon bulletins de salaire, la retenue sur mise à pied s'est élevée à la somme de 2 202,48 euros.
Il importe de rappeler que l'employeur ne saurait être condamné au paiement des congés payés, s'agissant du secteur du bâtiment.
6°/ Sur la demande en dommages-intérêts pour préjudice moral
M. [R] invoque, à l'appui de cette demande, les circonstances de son licenciement.
Mais il ne démontre aucun préjudice distinct de celui qui sera réparé au titre de la perte d'emploi.
7°/ Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive
Il ressort de l'ensemble des développements qui précèdent que cette demande n'est pas fondée.
8°/ Sur la sanction de l'article L. 1235-4 du code du travail
Cette sanction ne peut qu'être ordonnée, la société ne justifiant pas ne pas remplir les conditions d'effectif posées par ce texte.
9°/ Sur les frais irrépétibles
Il sera équitable de condamner la société, qui sera déboutée de ce chef ayant succombé devant la cour d'appel, à payer à M. [R] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
Le jugement qui condamne à ce titre M. [R] sera infirmé.
PAR CES MOTIFS
La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- confirme le jugement rendu le 22 mars 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Troyes, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé, de l'annulation de l'avertissement du 1er août 2017, du préjudice moral et en ce qu'il déboute la société Collin Etanchéité 'du surplus de ses demandes' ;
- l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :
* prononce l'annulation de l'avertissement du 1er février 2018 ;
* juge que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
* condamne la société Collin Etanchéité à payer à M. [R] les sommes suivantes :
* 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 20 962,50 euros à titre d'indemnité légale de licenciement;
* 5 400 euros à titre de préavis ;
* 2 202,48 euros au titre de la mise à pied conservatoire ;
- précise que ces condamnations sont prononcées sous déduction des cotisations applicables ;
* ordonne, sur le fondement de l'article L.1234-5 du code du travail, à la société Collin Etanchéité de payer à l'organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du présent arrêt ;
- la condamne également à payer à M. [R] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
- rejette le surplus des prétentions ;
- condamne la société Collin Etanchéité aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT