Arrêt n°
du 11/05/2022
N° RG 21/01311
MLB/FJ
Formule exécutoire le :
à :
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 11 mai 2022
APPELANT :
d'un jugement rendu le 25 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes de TROYES, section Encadrement (n° F 19/00172)
Monsieur [I] [B]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par la SELARL IFAC, avocats au barreau de l'AUBE
INTIMÉE :
SAS SETICAP
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représentée par la SCP PLOTTON-VANGHEESDAELE-FARINE-YERNAUX, avocats au barreau de l'AUBE et par le Cabinet DUBERNET DE BOSCQ, avocats au barreau de BAYONNE
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 mars 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 11 mai 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Monsieur Francis JOLLY, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er février 2007, la SAS Seticap a embauché Monsieur [I] [B] en qualité de directeur d'exploitation.
Monsieur [I] [B] a accepté une convention de forfait de 218 jours.
A l'occasion du rachat des actions de la SAS Seticap par la SA Ramondin, des modifications étaient apportées au contrat de travail par contrat du 26 février 2018.
Le 6 mars 2018, le président de la SAS Seticap a signé au profit de Monsieur [I] [B] une délégation de pouvoirs.
Le 6 février 2019, la SAS Seticap a convoqué Monsieur [I] [B] à un entretien préalable à licenciement et lui indiquait, qu'en raison de la gravité de ses agissements, elle le dispensait de tout travail tout en étant normalement rémunéré.
Le 22 février 2019, elle lui notifiait son licenciement pour faute grave.
Contestant notamment le bien-fondé de son licenciement, le 2 août 2019, Monsieur [I] [B] saisissait le conseil de prud'hommes de Troyes.
Par jugement en date du 25 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de Monsieur [I] [B] pour faute grave est justifié,
- débouté Monsieur [I] [B] de ses demandes,
- condamné Monsieur [I] [B] à payer à la SAS Seticap la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens.
Le 30 juin 2021, Monsieur [I] [B] a formé une déclaration d'appel.
Dans ses écritures en date du 10 septembre 2021, Monsieur [I] [B] demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf du chef des dépens, et statuant à nouveau, de condamner la SAS Seticap à lui payer les sommes de :
. 26 464 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
. 2 205 euros au prorata du 13e mois sur préavis,
. 2 866,90 euros au titre des congés payés sur préavis et prorata de 13e mois,
. 18 814,96 euros au titre du rappel de congés payés conforme au bulletin de salaire,
. 61 682,56 euros au titre de l'indemnité de licenciement conventionnelle,
. 157458 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement contractuel,
. 82152 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
. 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement entouré de circonstances vexatoires,
. 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il demande en outre qu'il soit ordonné à la SAS Seticap de lui remettre les documents de fin de contrat et le bulletin de paie rectifiés sous astreinte et de dire et juger qu'elle devra lui rembourser les frais d'huissier en cas d'exécution forcée en application de l'article 10 du décret 96-1080 du 12 décembre 1996.
Dans ses écritures en date du 3 décembre 2021, la SAS Seticap demande à la cour de confirmer le jugement sauf du chef des dépens, de débouter Monsieur [I] [B] de ses demandes, de le condamner à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé.
Motifs :
- Sur la faute grave :
Monsieur [I] [B] reproche aux premiers juges d'avoir retenu que la faute grave qui lui est reprochée est caractérisée, ce que la SAS Seticap demande à la cour de confirmer.
Il appartient à la SAS Seticap de rapporter la preuve d'une telle faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis.
Aux termes de la lettre de licenciement, 5 griefs sont formulés à l'encontre de Monsieur [I] [B] :
- des agissements inacceptables lors de la visite de l'inspectrice du travail le 24 janvier 2019,
- le non-respect réitéré des règles premières et élémentaires de sécurité,
- la dissimulation au président du contrôle de l'inspectrice du travail les 11 et 13 septembre 2018 et le courrier d'observations du 18 septembre 2018,
- le refus de mettre un local à la disposition des délégués du personnel et les propos inadmissibles tenus à l'encontre d'un délégué du personnel,
- le non-respect des obligations en matière d'établissement d'une déclaration d'accident du travail.
Monsieur [I] [B] est directeur d'exploitation de la SAS Seticap et il s'est vu consentir depuis le 6 mars 2018 une délégation de pouvoirs, notamment en matière d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, pour veiller de manière non exhaustive au respect des normes de sécurité relatives aux appareils de sécurité, produits inflammables ou explosifs, au respect des consignes de sécurité, au dégagement des issues de secours, mais aussi en matière de règlementation du travail, pour veiller de manière non exhaustive au fonctionnement des institutions du personnel, aux relations avec l'administration du travail, et de manière plus générale au respect de l'ensemble des dispositions légales, réglementaires, conventionnelles, jurisprudentielles et usuelles applicables à l'entreprise.
Les 11 et 13 septembre 2018, l'inspectrice du travail a fait un contrôle au sein de la SAS Seticap. Elle a rencontré Monsieur [I] [B] le 13 septembre 2018, et le 18 septembre 2018, elle lui adressait un courrier d'observations aux termes duquel elle lui demandait de procéder à un certain nombre de mises en conformité.
Monsieur [I] [B] n'a informé la SAS Seticap, ni du contrôle de l'inspectrice du travail, ni de son courrier du 18 septembre 2018. Ce n'est que par l'intermédiaire d'un des salariés qu'elle a acquis une telle connaissance (pièces n°17 et 18 de la SAS Seticap), le 24 janvier 2019.
L'inspectrice du travail s'est présentée de nouveau sur les lieux dans le cadre d'une contre-visite le 24 janvier 2019. Elle relève dans le courrier d'observations qu'elle a établi le 1er février 2019 que lors du contrôle, Monsieur [I] [B] a élevé plusieurs fois la voix, lui reprochant notamment de ne pas l'avoir averti au préalable et d'avoir également menacé de saisir son avocat. La SAS Seticap produit des attestations de deux salariés dans lesquelles ils relatent que Monsieur [I] [B] a notamment élevé le ton. L'un d'eux indique que Monsieur [I] [B] était très remonté contre [F] (le délégué du personnel), et l'autre rapporte ses propos : 'Je suis sûr que c'est ce connard de [F] qui a contacté l'inspectrice, je suis sûr qu'il savait qu'elle devait venir cet après-midi. Celui-là, je vais le virer comme ça, il ne m'emmerdera plus'.
Dans les observations qu'elle a adressées le 1er février 2019, l'inspectrice du travail note la persistance de certains manquements relevés lors de son précédent contrôle et notamment concernant le défaut de conformité des équipements de travail, l'absence de local pour les délégués du personnel et de la tenue d'une réunion mensuelle. La pièce produite au sujet du local par Monsieur [I] [B] est en toute hypothèse postérieure au contrôle.
L'inspectrice du travail a par ailleurs constaté le 24 janvier 2019 qu'un salarié s'était blessé à la main sur une machine le 18 janvier 2019, qu'aucune déclaration d'accident du travail n'avait été faite et que Monsieur [I] [B] a minimisé l'accident du travail dont avait été victime le salarié. Monsieur [I] [B], dès lors qu'il avait eu connaissance de l'accident, était tenu de faire une telle déclaration, nonobstant le prétendu refus du salarié.
Il ressort donc de ces éléments que la SAS Seticap fait la preuve de l'ensemble des griefs reprochés à Monsieur [I] [B].
De tels manquements, émanant de la part du directeur d'exploitation, bénéficiaire d'une délégation de pouvoirs, qui s'inscrivent pour la plupart d'entre eux dans le cadre d'une contre-visite de l'inspectrice du travail, constituent une faute grave.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur [I] [B] repose sur une faute grave et en ce qu'il a par voie de conséquence débouté Monsieur [I] [B] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis, de prorata du 13ème mois sur préavis, de congés payés sur préavis et prorata de 13ème mois et d'indemnité conventionnelle de licenciement.
- Sur les dommages-intérêts pour licenciement entouré de circonstances vexatoires :
Pas davantage qu'en première instance, Monsieur [I] [B] ne caractérise de circonstances vexatoires ayant entouré son licenciement.
Il fait tout au plus valoir que l'entretien préalable à son licenciement ne s'est pas tenu sur son lieu de travail mais à l'hôtel Kyriad de Troyes -sans que la SAS Seticap ne justifie d'une telle nécessité- ce qui ne constitue pas en soi une mesure vexatoire.
Dans ces conditions, le jugement doit être confirmé du chef du rejet de sa demande de dommages-intérêts.
- Sur le rappel de congés payés :
Monsieur [I] [B] reproche aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande en paiement de la somme de 18 814,96 euros correspondant à un solde de congés payés tandis que la SAS Seticap conclut à la confirmation du jugement sur ce point.
Monsieur [I] [B] fait exactement valoir que la mention sur les bulletins de paie du solde de ses congés payés acquis au cours de périodes antérieures à la période de référence en cours à la date de la rupture, vaut accord de l'entreprise pour le report des congés payés sur cette dernière période.
Pour s'opposer à la demande de Monsieur [I] [B], la SAS Seticap n'est dès lors pas fondée, au vu de cet accord, à lui opposer l'absence de droit à un report illimité de ses congés -elle ne soulève pas de prescription le cas échéant au titre de la somme réclamée- et que les congés payés non pris pendant la période des congés payés seraient perdus, ou sa qualité de directeur, garant de la bonne application de la règlementation du droit du travail.
C'est donc à tort qu'au titre des 120 jours de congés payés repris sur le bulletin de paie du mois de février 2019, la SAS Seticap n'a indemnisé Monsieur [I] [B] qu'à hauteur de 12523,50 euros.
Les parties s'opposent sur le solde restant dû : 18814,96 euros selon Monsieur [I] [B], 17532,90 euros selon l'intimée.
Monsieur [I] [B] ne saurait être suivi en son calcul établi à partir de la moyenne des salaires de l'année 2018, laquelle ne correspond pas à la période de référence visée à l'article L.3141-24,I du code du travail.
En conséquence, la SAS Seticap sera condamnée à payer à Monsieur [I] [B] la somme de 17532,90 euros au titre du solde des congés payés.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
- Sur les dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement contractuel :
Monsieur [I] [B] reproche aux premiers juges de l'avoir débouté de sa demande tendant à la condamnation de la SAS Seticap à lui payer la somme de 157458 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement contractuel, ce que la SAS Seticap demande à la cour de confirmer.
Aux termes de l'article 9 du contrat du 26 février 2018, il est indiqué que 'Le présent contrat est conclu initialement pour une durée indéterminée. Il prendra toutefois fin au moment où le salarié atteindra l'âge ordinaire de la retraite. Nonobstant ce qui précède, les deux parties s'engagent à respecter une durée minimale allant jusqu'au 31/12/2020'.
Aux termes de l'article 10, il est écrit que 'Nonobstant ce qui précède, le manquement grave à toute obligation découlant de ce document de la part de l'une des parties donnera le droit à l'autre partie de le résilier sans préavis, cette décision devant également faire l'objet d'une notification formelle, le contrat prenant fin à compter de la date de réception de l'avis de résiliation'.
Il importe peu que les manquements fautifs constitutifs de la faute grave reprochée à Monsieur [I] [B] ne constituent pas des manquements aux obligations du document dès lors qu'en toute hypothèse une clause de garantie d'emploi peut être révoquée en cas d'accord entre les parties, de force majeure ou de faute grave, sans restriction du champ de celle-ci.
Dans ces conditions, dès lors que son licenciement repose sur une faute grave, Monsieur [I] [B] soutient à tort que la SAS Seticap aurait engagé sa responsabilité contractuelle en ne respectant pas la clause de garantie d'emploi, alors que celle-ci est révoquée.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [I] [B] de sa demande de dommages-intérêts.
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Il y a lieu d'enjoindre à la SAS Seticap de remettre à Monsieur [I] [B] l'attestation Pôle Emploi et le dernier bulletin de paie rectifiés conformément à la présente décision, sans qu'il y ait lieu toutefois au prononcé d'une astreinte.
La SAS Seticap doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande d'indemnité de procédure au titre des deux instances et condamnée en équité à payer à Monsieur [I] [B] la somme de 2000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La demande de Monsieur [I] [B] au titre d'un remboursement de frais d'exécution forcée, sur la base d'un décret abrogé, ne peut prospérer.
Par ces motifs :
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement repose sur une faute grave, débouté Monsieur [I] [B] de ses demandes au titre de l'indemnité de préavis, du prorata du 13ème mois sur préavis, des congés payés sur préavis et prorata de 13ème mois, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement contractuel, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour licenciement entouré de circonstances vexatoires ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Condamne la SAS Seticap à payer à Monsieur [I] [B] la somme de 17 532,90 euros au titre du rappel de congés payés ;
Enjoint à la SAS Seticap de remettre à Monsieur [I] [B] l'attestation Pôle Emploi et le dernier bulletin de salaire rectifiés conformément à la présente décision ;
Dit n'y avoir lieu à astreinte de ce chef ;
Condamne la SAS Seticap à payer à Monsieur [I] [B] la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Déboute la SAS Seticap de sa demande d'indemnité de procédure au titre des deux instances ;
Condamne la SAS Seticap aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT