Arrêt n°
du 11/05/2022
N° RG 21/01318 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FA3K
CRW / LS
Formule exécutoire le :
à :
SCP DUPUIS LACOURT MIGNE
SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 11 mai 2022
APPELANT :
d'un jugement rendu le 21 juin 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CHARLEVILLE-MEZIERES, section Industrie (n° F18/00435)
Monsieur [T] [L]
1 rue Jean-Claude Devouge
08320 AUBRIVES
Représenté par la SCP DUPUIS LACOURT MIGNE prise en la personne de Me Emeric LACOURT, avocat au barreau des ARDENNES
INTIMÉE :
S.A.S. ENDEL
165 Boulevard de Valmy
92700 COLOMBES
Représentée par la SELARL LAQUILLE ASSOCIÉS prise en la personne de Me Rudy LAQUILLE, avocat au barreau de REIMS et par la SELARL TELLUS AVOCATS prise en la personne de Me François MAUUARY, avocat au barreau de METZ
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 mars 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Christine ROBERT-WARNET, président de chambre, et Monsieur Olivier BECUWE, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 11 mai 2022.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Christine ROBERT-WARNET, président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Monsieur Olivier BECUWE, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Lozie SOKY, greffier placé
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, président, et Madame Lozie SOKY, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
M. [T] [L] a été embauché le 29 novembre 2013 par la SAS Endel selon contrat à durée indéterminée en qualité de mécanicien.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 octobre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuellement licenciement, pour celui-ci se tenir le 10 novembre 2017.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 novembre 2017, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
Contestant le bien-fondé du licenciement dont il a fait l'objet, M. [T] [L] a saisi, par requête enregistrée au greffe le 14 août 2018, le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières.
Aux termes de ses dernières écritures, il prétendait à la condamnation de la SAS Endel au paiement des sommes suivantes:
30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par jugement du 21 juin 2021, le conseil de prud'hommes a débouté M. [T] [L] en l'ensemble de ses demandes et l'a condamné au paiement de la somme de 600 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 1er juillet 2021, M. [T] [L] a interjeté appel.
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 4 février 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie appelante, par lesquelles M. [T] [L], continuant de prétendre au bien-fondé de ses demandes, renouvelle, par infirmation du jugement, celles qu'il avait initialement formées, pour les sommes alors sollicitées
Vu les conclusions transmises au greffe par RPVA le 21 décembre 2021, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample informé des moyens de la partie intimée, par lesquelles la SAS Endel sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de M. [T] [L] au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur ce ,
Sur la nullité du jugement
Le conseiller de la mise en état a demandé aux parties, par avis du 5 janvier 2022, de conclure sur la validité du jugement de 1ère instance au regard de l'article R. 1454-31 du code du travail.
L'alinéa 1 de cet article énonce 'Quel que soit le nombre des conseillers prud'hommes présents et même en l'absence de tout conseiller prud'homme, lorsque lors de l'audience de départage la formation n'est pas réunie au complet, le juge départiteur statue seul à l'issue des débats. Il recueille préalablement l'avis des conseillers présents.'
M. [T] [L] indique que les règles de composition de la juridiction de départage ainsi édictées n'ont effectivement pas été respectées et sollicite l'annulation du jugement.
La SAS Endel n'a présenté aucune observation.
En l'espèce, le jugement entrepris fait mention d'un bureau de départage composé lors des débats et du délibéré, du juge départiteur ainsi que de deux conseillers, l'un employeur, l'autre salarié, ce dont il suit que la formation de jugement n'étant pas réunie au complet, le juge départiteur devait statuer seul.
Toutefois, dans le cadre de la crise sanitaire liée au covid, l'ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés a prévu en son article 4 la possibilité pour 'le président du conseil de prud'hommes, après avis du vice-président' de statuer' en formation restreinte comprenant un conseiller employeur et un conseiller salarié' et 'en cas de partage des voix' que le juge départiteur 'statue après avoir recueilli par tout moyen l'avis des conseillers présents lors de l'audience de renvoi en départage'.
Selon son article 1, l'ordonnance était applicable dès le lendemain du jour de sa publication, soit à compter du 20 novembre 2020, jusqu'à un mois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 susvisé, et prorogé dans les conditions prévues par l'article L. 3131-13 du code de la santé publique. L'état d'urgence sanitaire a pris fin le 1er juin 2021 pour être remplacé par un régime "transitoire" jusqu'au 31 juillet 2022.
Dès lors, les dispositions de l'ordonnance du 18 novembre 2020 étaient applicables à la présente affaire de sorte que le jugement n'encourt pas la nullité.
Sur le licenciement
* la prescription des faits
M. [T] [L] oppose à la SAS Endel la prescription de certains faits énoncés dans la lettre de licenciement.
L'article L 1332-4 du code du travail dispose qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois courant à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Les faits reprochés ont été commis entre le 10 août 2017 et le 21 septembre 2017.
Les poursuites ont été engagées par la convocation à l'entretien préalable, soit le 23 octobre 2017.
Dans la lettre de licenciement, la SAS Endel précise avoir été avisée par écrit, le 17 octobre 2017, de plusieurs dysfonctionnements de la part de son client EDF.
Elle verse aux débats le mail de mécontentement, daté du 17 octobre 2017, du client EDF listant les défaillances constatées et sollicitant le remplacement de M. [T] [L]. Ce mail indique 'suite à plusieurs remarques effectuées sur le chargé de travaux [T] [L], je t'ai demandé de remplacer ce dernier'.
Cependant, dans la lettre de licenciement, l'employeur indique également avoir été informé par le client du coût supplémentaire induit par les erreurs de M. [T] [L], le 22 septembre 2017.
En conséquence, c'est à la date du 22 septembre 2017 que les faits en cause ont été portés à la connaissance de l'employeur, soit moins de deux mois avant la convocation à l'entretien préalable au licenciement de sorte que la prescription n'est pas encourue.
* le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement fixe le cadre du litige soumis à l'appréciation des juges du fond, auxquels il incombe de s'assurer du caractère objectif, précis et vérifiable ou des griefs énoncés et d'en apprécier la gravité.
En cas de doute, celui-ci profite au salarié en application des dispositions de l'article L.1235-1 du code du travail.
En l'espèce, la lettre de licenciement reproche à M. [T] [L] :
- une transmission sans aval du responsable hiérarchique d'une mauvaise étude de faisabilité au client EDF, le 10 août 2017, engendrant du retard et des réflexions de la part du client,
- un refus d'exécuter une demande du client EDF, le 11 août 2017,
- un non-respect de consignes et dissimulation d'une erreur au chef de chantier, le 17 août 2017,
- une non prise en compte de document d'analyse de risque conduisant à la commission d'une erreur engendrant du retard sur le chantier, le 21 septembre 2017.
S'agissant des faits du 10 août 2017, aucun élément n'atteste d'un envoi de la part de M. [T] [L] au client EDF d'une étude de faisabilité. C'est donc à raison que le conseil de prud'hommes a écarté ce grief.
Sur le deuxième grief, les premiers juges ont retenu qu'aucun élément ne permet de remettre en cause les déclarations du client EDF affirmant que M. [T] [L] a refusé , le 11 août 2017, d'effectuer la tâche demandée, à savoir le dépôt de plaques anti-froid.
Aucun élément ne vient davantage étayer ces déclarations du client EDF, au-delà du mail qu'il a transmis le 17 octobre 2017. Compte tenu du doute existant quant à réalité du grief ainsi énoncé, celui-ci doit être écarté, par application des dispositions de l'article L 1235-1 du code du travail.
Les éléments versés aux débats n'établissent pas la réalité des faits reprochés du 17 août 2017. En effet, seul le mail du client EDF fait le constat du non-respect des consignes. Or, M. [T] [L] le conteste formellement et fait valoir qu'il travaillait en équipe de deux, ce que confirment les documents qu'il produit aux débats. En outre, l'analyse des risques produit aux débats date du 18 août 2017, soit du lendemain des faits reprochés et porte mention de 'repère fonctionnel 1ASG' alors que dans la lettre de licenciement , il est reproché à M. [T] [L] de ne pas avoir utilisé le bon support sur le 'système élémentaire 2ASG'. Il existe dès lors un doute qui profite au salarié. En tout état de cause, la dissimulation qui impliquerait un élément intentionnel n'est pas rapportée.
S'agissant des faits du 21 septembre 2017, la cour adopte les motifs pertinents des premiers juges qui ont retenu le grief en soulignant qu'au vu de la formation dont avait bénéficié le salarié, celui-ci disposait des capacités à appliquer les règles énoncées par l'exploitant en matière d'intervention et de prévention relatives à l'exposition interne en zone contrôlée, tel que rapporté et justifié par la SAS Endel (pièce 11 dossier employeur) .
Au regard de la lettre de licenciement, seul ce dernier grief est établi.
Toutefois, compte tenu de la nature spécifique des fonctions confiées à M. [T] [L] , dans une centrale nucléaire, des risques potentiellement encourus, tant par lui-même qu'au minimum son environnement professionnel, ce grief caractérise de la part du salarié une forme de laisser-aller que lui impute d'ailleurs son employeur aux termes de la lettre de licenciement, qui entache, comme soutenu par l'employeur, l'image de l'entreprise auprès du client EDF, justifiant le licenciement du salarié.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] [L] en sa demande en paiement de dommages-intérêts fondée sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement dont il a fait l'objet.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Compte tenu des termes de la présente décision, M. [T] [L], succombant en son appel, sera condamné à payer à la SAS Endel la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a pu exposer, à hauteur d'appel, s'ajoutant au paiement de celle à laquelle il a été condamné en première instance, pour le jugement être confirmé sur ce point.
En revanche, il sera débouté en cette même demande.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi :
Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité du jugement ;
Y ajoutant,
Confirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Charleville-Mézières le 21 juin 2021 en toutes ses dispositions ;
Condamne M. [T] [L] à payer à la SAS Endel une indemnité de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;
Déboute M. [T] [L] de sa demande en paiement d'une indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [T] [L] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT