R.G : N° RG 21/00863 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E7YW
ARRET N°
du : 05 juillet 2022
FM
SA GELIED
C/
S.C.I. SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE STANISLAS
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE 1ère SECTION
ARRET DU 05 JUILLET 2022
RENVOI DE CASSATION
Arrêt Au fond, origine Cour de Cassation de PARIS, décision attaquée en date du 18 Mars 2020, enregistrée sous le n° 18-11.672
DEMANDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE EN DATE DU 27 Avril 2021
SA GELIED
43 route du Luxembourg
L3253 BETTEMBOURG (LUXEMBOURG)
COMPARANT, concluant par la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître PITOUN avocat au barreau de PARIS
DEFENDEUR A LA DECLARATION DE SAISINE
S.C.I. SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE STANISLAS
20 rue Gambetta
54300 LUNEVILLE
COMPARANT, concluant par la SELARL GUYOT - DE CAMPOS, avocats au barreau de REIMS, et ayant pour conseil Maître JACQUEMIN avocat au bareau de NANCY
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBEREÂ :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller
Madame Florence MATHIEU, conseiller
GREFFIER :
Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, lors des débats et lors du prononcé,
DEBATS :
A l'audience publique du 30 mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 05 juillet 2022,
ARRET :
Contradictoire,, prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Juillet 2022 et signé par Madame MEHL-JUNGBLUTH président de chambre et Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 26 juillet 1983, la SCI Stanislas a donné à bail commercial à la SA Catef un local sis au rez-de-chaussé d'un immeuble situé 20 rue Banaudon à Luneville.
Le 1er octobre 1991, la SA Catef a donné le fonds de commerce en location gérance à la société Lunamod.'
Par acte sous seing privé du 18 avril 1995, un nantissement de premier ordre a été pris sur le fonds de commerce par la SA de droit luxembourgeoise Gelied, en garantie d'un prêt de 200.000 francs (30.489,80 euros) accordé à la société Catef, par acte sous seing privé du 20 mars 1995.
Le 2 mai 2002, un nantissement de second ordre a été pris sur le fonds de commerce par la SA Gelied en remboursement d'un prêt de 148.152,79 euros accordé à la société Catef le 18 avril 2002.
Par acte d'huissier en date du 5 mars 2008, la SCI Stanislas a fait assigner la SA Catef devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins de voir constater le renouvellement du bail commercial au 1er juin 2007 et la voir condamnée à lui payer un arrieré locatif de 11.446,64 euros.
En cour d'instance, la SCI Stanislas a exposé avoir découvert que la SA Catef avait sous-loué les locaux sans son autorisation et que le commerce exploité avait fermé ses portes. Elle a, en conséquence, sollicité la résiliation du bail, l'expulsion du locataire et le paiement des arriérés de loyer.
Par jugement rendu le 2 février 2009, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Nancy a ordonné la résiliation du bail ainsi que la reprise de possession des lieux du bailleur sous huitaine.
Par jugement du 22 février 2010, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la SA Catef.
La créance de la SA Gelied a été admise au passif de la procédure collective de la SA Catef à titre privilégié pour la somme de 178.682,59 euros.
Par acte d'huissier en date du 25 mai 2010, la SA Gelied a fait assigner la SCI Stanislas devant le tribunal de grande instance de Nancy en responsabilité et en paiement du préjudice causé par l'absence de notification lui ayant été faite de la demande de résiliation judiciaire du bail.
Par jugement rendu le 25 janvier 2013, le tribunal de grande instance de Nancy a notamment :
-constaté, qu'en omettant de notifier à la SA Gelied, créancier inscrit, la procédure de résiliation de bail commercial qu'elle avait introduite à l'encontre de la SA Catef, la SCI Stanislas a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle,
-dit qu'à défaut de maintien ou de remise dans les lieux du locataire dont le bail a été ainsi régulièrement résilié, le préjudice subi par la SA Gelied s'analyse en une perte de chance de recouvrer ses créances, évaluée à 10%,
-condamné la SCI Stanislas à payer à la SA Gelied la somme de 17.868,26 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement ainsi qu'aux dépens,
-rejeté les autres demandes.
Statuant sur l'appel interjeté par la SCI Stanislas, par un arrêt rendu le 22 octobre 2014, la cour d'appel de Nancy a infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau a:
-déclaré la SA Gelied irrecevable en sa demande d'indemnisation du chef de son nantissement pris le 21 avril 1995 et renouvelé le 21 avril 2005 et mal fondée en sa demande d'indemnisation de son nantissement pris le 2 mai 2002,
-condamné la SA Gelied aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la SCI Stanislas la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Par un arrêt du 6 septembre 2016, la cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Nancy uniquement en ce qu'il a déclaré la SA Gelied irrecevable en sa demande d'indemnisation du chef de son nantissement pris le 21 avril 1995 et renouvelé le 21 avril 2005 et mal fondée en sa demande d'indemnisation de son nantissement pris le 2 mai 2002.
Pour se déterminer ainsi, la Cour a motivé sa décision comme suit :
«'Vu l'article L 143-2 du code de commerce;
Attendu que pour dire la société Gelied irrecevable en sa demande indemnitaire au titre du nantissement inscrit le 21 avril 1995 et renouvelé le 21 avril 2005, l'arrêt se borne à retenir qu'elle ne justifie pas de sa qualité pour agir puisque ce nantissement concerne, non pas un fonds ayant une activité déclarée à la date de sa demande d'indemnisation «'la location de terrains et d'autres biens immobiliers-ou encore-l'activité de banque centrale'»mais un fonds de commerce de confection féminine;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter la qualité de créancier inscrit de la société Gelied, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision;
(')
Vu les articles L 143-2 du code de commerce et 1382 du code civil;
Attendu que pour rejeter la demande de la SA Gelied au titre du nantissement inscrit le 2 mai 2002, l'arrêt retient que celle-ci ne justifie pas avoir subi un préjudice dès lors qu'elle n'établit pas que le fonds qui était inexploité depuis 2008 ait conservé une valeur lorsque l'action en résiliation du bail a été engagée par la SCI Stanislas;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rchercher, comme elle y était invitée, si la demande de résiliation ayant été formée le 5 mars 2008, la société Gelied n'aurait pas eu la faculté de préserver ses droits de créancier inscrit si le manquement de la société Stanislas n'avait pas créé une situation irreversible à son égard, la cour d'appel, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Par un arrêt rendu le 7 décembre 2017, statuant après renvoi de cassation, la cour d'appel de Metz a :
-jugé qu'au titre du prêt consenti à la SA Catef sur la somme de 30.489,80 euros la SA Gelied ne disposait pas de la qualité de créancier nanti au sens de l'article L 143-2 du code de commerce,
-en conséquence, déclaré irrecevable, pour défaut de qualité à agir, l'action de la SA Gelied au titre de ses demandes indemnitaires afférentes au prêt consenti à la SA Catef de 30.489,80 euros,
-pour le surplus, au fond :
-déclaré que la faute commise par la SCI Stanislas à ne pas avoir notifié sa demande de résiliation du bail consenti à la SA Catef sur le local du 20 rue Banaudon à Luneville a causé un préjudice à la SA Gelied, ayant perdu son gage sur le bien, à raison de la perte de chance de recouvrer sa créance au titre du prêt consenti à la SA Catef pour la somme de 148.192,79 euros,
-évalué la perte de chance d'avoir pu recouvrer la créance à 1%,
-en conséquence,
-condamné la SCI Stanislas à payer à la SA Gelied 1% des sommes suivantes :
-146.710 euros avec intérêts légaux entre mai 2002 et mai 2012,
-26.802 euros avec intérêts mensuels capitalisés mensuellement entre mai 2002 et mai 2012,
-ordonné sur lesdites sommes la capitalisation annuelle des intérêts légaux à courir à compter de cette décision,
-rejeté la demande de la SA Gelied au titre du préjudice moral,
-condamné la SCI Stanislas à payer à la SA Gelied la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,
-rejeté le surplus des demandes'.
Par un arrêt rendu le 18 mars 2020, la cour de cassation, statuant sur le pourvoi formé par la SA Gelied, a :
-cassé et annulé l'arrêt prononcé par la cour d'appel de Metz, le 7 décembre 2017 mais seulement en ce qu' «'il juge qu'au titre du prêt consenti à la société Catef pour la somme de 30.489,80 euros, la SA Gelied ne dispose pas de la qualité de créancier nanti au sens de l'article L 143-2 du code de commerce et déclare, en conséquence, irrecevable pour défaut de qualité à agir, l'action de la SA Gelied au titre de ses demandes indemnitaires afférentes au prêt consenti à la SA Catef sur la somme de 30.489,80 euros et en ce qu'il statue sur les dépens et l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné la SCI Stanislas aux dépens et l'a condamnée à payer à la SA Gelied la somme de 3.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Pour se déterminer ainsi, la Cour de cassation a motivé comme suit sa décision :
«'Vu l'article 1351, devenu 1355 du code civil, l'article 31 du code de procédure civile et l'article L 142-4 du code de commerce,
Pour juger qu'au titre du prêt consenti à la société Catef d'un montant de 30.489,80 euros, la SA Gelied ne disposait pas de la qualité de créancier nanti en raison de la non-inscription du nantissement garantissant le remboursement de ce prêt dans le délai de 15 jours prescrit par l'article 11 de la loi du 17 mars 1909, devenu l'article L 142-4 du code de commerce, l'arrêt retient que cette société ne peut se prévaloir, au titre de l'autorité de la chose jugée, de la décision d'admission de sa créance au passif privilégié de la société Catef, qui n'est pas opposable au bailleur, la société Stanislas, tiers à cette procédure d'admission.
En statuant ainsi, alors que l'autorité de la chose jugée attachée à la décision d'admission des créances par le juge-commissaire s'étendant à la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est assortie, le bailleur qui, en s'abstenant d'exercer le recours prévu par la loi, a laissé l'admission à titre privilégié devenir irrévocable à son égard, ne peut plus invoquer, sur le fondement d'une cause antérieure à la décision d'admission, la nullité du nantissement du fonds de commerce pris par le créancier du preneur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.'
La SA Gelied a saisi cette cour sur renvoi après cassation, par déclaration en date du 27 avril 2021.
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''''''''''' Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 21 avril 2022 , la SA Gelied demande à la cour de condamner la SCI Stanislas à lui payer :
*au titre de la perte de ses gages :
-' en principal 30.489,80, outre les intérêts au taux conventionnel de 1,50 par mois tel que prévu dans la convention du 1er mars 1995 et ce à compter de mars 2022, les intérêts étant capitalisés,
au titre de la clause pénale, la somme de 4.573,47 euros, outre les intérêts au taux conventionnel de 1,50 % par mois tel que prévu dans la convention du 1er mars 1995 et ce à compter de mars 2002, les intérêts étant capitalisés,
*50.000 euros à titre de dommages et intérêts,
*10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elle explique que la Cour de cassation dans l'arrêt du 18 mars 2020 a relevé que la SA Gelied pouvait se prévaloir de la qualité de créancier inscrit du fait du nantissement inscrit sur le fonds de la société Catef, par acte du 18 avril 1995, renouvelé le 18 avril 2005, notamment eu égard au jugement du juge-commissaire intervenu lors de la liquidation judiciaire de la SA Catef.
Elle fait valoir que la décision du juge-commissaire devenue définitive empêche le bailleur de formuler toute critique notamment au regard de la qualité de créancier inscrit.
Elle soutient qu'en vertu de l'article L 143-2 du code de commerce, le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l'immeuble dans lequel s'exploite un fonds de commerce grevé d'inscription doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits; qu'en l'espèce la SCI Stanislas en ne respectant pas ce texte, a commis un faute lui causant un préjudice irréversible.
Elle précise qu'en sa qualité de créancier inscrit, elle n' a pas pu préserver le droit au bail de la SA Catef et par conséquence, le fonds de commerce de celle-ci, lequel constituait son gage.
Elle insiste sur le fait que la SCI Stanislas a volontairement agi de manière frauduleuse afin d'obtenir la résiliation du bail commercial de la SA Catef en se fondant sur des manquements prévus par des clauses figurant dans un bail commercial ancien qui n'était plus en vigueur entre les parties.
Elle indique qu'au surplus la démolition des locaux et leur relocation a créé une situation irréversible.
Elle soutient que la responsabilité de la SCI Stanislas est pleine et entière et que son préjudice est égal à la perte de son gage à hauteur de 30.489,80 euros et à des dommages et intérêts à hauteur de 50.000 euros tendant à réparer le préjudice subi par la perte de la créance (créance déclarée à hauteur de 178.682,59 euros) et par les contraintes qu'elle a rencontrées à travers toutes les procédures engagées depuis le 25 mai 2010.
Elle souligne que la SCI Stanislas a perçu un droit d'entrée de 50.000 euros suivant le bilan délivré par le greffe du tribunal de commerce de Nancy.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 29 avril 2022, la SCI Stanislas conclut au débouté de la SA Gelied en sa demande d'indemnisation du chef du nantissement pris le 21 avril 1995 et renouvelé le 21 avril 2005.
Subsidiairement, elle demande à la cour de dire que le préjudice invoqué à raison de la perte de chance de recouvrer la créance au tire du prêt consenti à la SA Catef sur la somme de 30.489,80 euros est limité à 1% de cette somme.
En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la SA Gelied à lui payer la somme de 10.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir que la SA Gelied ne peut décemment pas prétendre avoir ignoré la procédure de résiliation du bail de la société Catef, dans la mesure où le dirigeant de ces deux sociétés est le même, à savoir Monsieur [O] [T].
Elle indique qu'entre l'établissement de la reconnaissance et l'inscription du nantissement litigieux en 1995 et la déclaration de créance au liquidateur en 2010, la SA Gelied ne justifie d'aucune tentative de recouvrement de sa créance à l'encontre de la SA Catef, ni d'aucune action en justice pour obtenir un titre exécutoire.
Subsidiairement, elle soutient que si la SA Gelied avait voulu s'opposer à la résiliation, elle aurait déjà dû payer au bailleur (SCI Stanislas) les arriérés de loyers fixés à 11.446,64 euros puis n'aurait rien obtenu puisque le fonds ayant été cédé à une société qui avait fermé ses portes depuis plus d'un an, le nantissement sur ledit fonds n'avait plus aucune valeur.
Elle ajoute que la cour de cassation n'a pas annulé la disposition de l'arrêt de la cour d'appel de Metz qui a rejeté la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de la SA Gelied.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 mai 2022.
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MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, il convient de rappeler que l'étendue de la saisine de la présente cour est définie par l'arrêt rendu par la cour de cassation du 18 mars 2020 qui casse et annule l'arrêt rendu par la cour d'appel de Reims le 7 décembre 2017 mais seulement en ce qu' «'il juge qu'au titre du prêt consenti à la société Catef pour la somme de 30.489,80 euros, la SA Gelied ne dispose pas de la qualité de créancier nanti au sens de l'article L 143-2 du code de commerce et déclare, en conséquence, irrecevable pour défaut de qualité à agir, l'action de la SA Gelied au titre de ses demandes indemnitaires afférentes au prêt consenti à la SA Catef sur la somme de 30.489,80 euros et en ce qu'il statue sur les dépens et l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile'».
Ainsi, la cour doit à titre principal statuer sur une demande présentée par un créancier inscrit (la SA Gelied), se prétendant titulaire d'un nantissement sur un fonds de commerce sis à Luneville, 20 rue Banaudon, inscrit par acte du 18 avril 1995, renouvelée le 18 avril 2005, aux fins d'obtenir l'indemnisation du préjudice qu'il soutient avoir subi du fait que le bailleur de ce fonds (la SCI Stanislas) ne lui a pas, conformément aux dispositions de l'article L 143-2 du code de commerce, , notifié la demande en résiliation de bail dirigée contre le preneur (la société Catef, à laquelle le prêt de 30.489,80 euros a été accordé), afin de lui permettre de prendre toute mesure utile à la sauvegarde de son gage.
*Sur la recevabilité de la demande de la SA Gelied
En application des dispositions des articles 1355 du code civil et L 143-2 du code de commerce, l'autorité de chose jugée attachée à la décision d'admission des créances par le juge-commissaire s'étendant à la nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est assortie, le bailleur (la SCI Stanislas) qui, en s'abstenant d'exercer le recours prévu par la loi a laissé l'admission à titre privilégié devenir irrévocable à son égard, ne peut plus invoquer, sur le fondement d'une cause antérieure à la décision d'admission, la nullité du nantissement du fonds de commerce pris par le créancier (la SA Gelied) du preneur (la société Catef).
En l'espèce, par courrier du 16 novembre 2011, le liquidateur judiciaire de la société Catef a informé notamment la SA Gelied de l'admission de sa créance à titre privilégié à hauteur de 30.489,80 euros. Cette décision d'admission d'une créance résultant d'un nantissement n'ayant pas été contestée par la SCI Stanislas, la SA Gelied a la qualité de créancier inscrit auprès du juge commissaire suivant l'inscription de nantissement prise le 18 avril 1995 et est dès lors recevable à agir au titre de ses demandes indemnitaires afférentes au prêt consenti à la société Catef sur la somme de 30.489,80 euros.
*Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire à raison du défaut de notification de l'action en résiliation du bail
Il est constant que le manquement du bailleur à son obligation de notification de la poursuite de la résiliation du bail au créancier inscrit engage sa responsabilité à l'égard de celui-ci sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil applicable au litige.
Il est admis que la procédure de résiliation de bail introduite par la SCI Stanislas à l'encontre de la société Catef le 5 mars 2008 et ayant abouti au jugement du tribunal de grande instance le 2 février 2009 prononçant la résiliation du bail et la reprise de possession des lieux loués, n'a pas été notifiée à la SA Gelied, conformément à l'article L 143-2 du code de commerce, et ce alors que le nantissement de cette dernière du 18 avril 2015 en garantie du prêt de 30.489,80 euros était régulièrement inscrit et valable.
Cette faute commise par la SCI Stanislas a donc privé la SA Gelied de la possibilité de s'opposer à la résiliation demandée en se substituant au preneur dans l'exécution de ses obligations pour sauvegarder son gage ou en faisant vendre le fonds de commerce pour se payer sur le prix de cession et ainsi mettre à exécution son gage. Ce préjudice ne peut s'analyser qu'en la perte de chance de recouvrer sa créance.
Au soutien de sa demande en paiement, la SA Gelied verse aux débats notamment un acte sous seing privé particulièrement laconique en ce qu'il ne stipule aucune modalité de remboursement, daté du 20 mars 1995, par lequel la société Catef se reconnaît débitrice de la somme de 200.000 francs (30.489,80 euros). Elle communique également':
- une convention datée du 1er mars 1995 prévoyant que pour toute somme d'argent prêtée entre les deux sociétés «'les intérêts sont fixés à 1,5% par mois sur le montant ttc et capitalisés mensuellement'» et «'la somme devra être remboursée dans un délai de 6 mois maximum, passé ce délai, une pénalité financière de 15% sera appliquée suivant l'article 33-1er ordonnance n°86-1243, circulaire «'Delors'» du 22 mai 1984. Cette pénalité sera elle-même productrice d'intérêts de 1,5% HT par mois sur le montant TTC. Les intérêts seront capitalisés mensuellement'»,
-une convention datée du 15 mars 1995 stipulant que «'Les parties conviennent qu'en contrepartie des créances qu'un nantissement puissent être pris sur un fonds de commerce exploité par CATEF, il s'ensuit que le terme du remboursement total de la dette sera le terme du nantissement requis suivant l'article L 143-19 du code de commerce français mais en application des conditions d'intérêts et de clause pénale de la convention du 1er mars 1995.
Des acomptes pourront être effectués sans remettre en cause ladite convention'».
Il ressort des pièces produites que la SA Gelied et la société Catef, entretenaient des liens étroits, ayant notamment le même dirigeant en la personne de Monsieur [O] [T]. Néanmoins, la SA Gelied ne justifie d'aucune demande de remboursement de la somme remise ni d'aucune mise en demeure adressée à la société Catef avant le prononcé de la liquidation judiciaire de cette dernière et la déclaration de ses deux créances à cette procédure, alors même que ces créances de montants importants étaient anciennes, la première (dont s'agit) datant de 1995, soit quinze ans avant la liquidation judiciaire et la seconde de 2002, soit huit années avant cette même procédure.
De plus, il y a lieu de relever que le défaut de paiement de loyers par la société Catef puis la mise en liquidation de celle-ci traduisent une situation d'exploitation critique, de même que le départ de la SA Lunamod, sous-locataire, des lieux donnés à bail. Par ailleurs, la SCI Stanislas souligne également par la production d'article de presse, sans être contredite sur ce point, que l'activité économique du lunevillois a chuté de manière considérable depuis les années 1990, de sorte que la valeur du fonds de commerce, en cas de reprise d'exploitation aurait nécessairement chuté par rapport à l'estimation d'origine (la SA Gelied ayant produit une expertise évaluant en 1993 la valeur du fonds de commerce à la somme de 79.830 euros).
Enfin, il est établi que le privilège de la SA Gelied au titre du prêt du 20 mars 1995 est primé par celui de la SCI Stanislas sur le même fonds pour la somme de 32.474,68 euros.
Dans ces conditions, au vu des éléments ci-dessus développés, la perte de chance de la SA Gelied d'avoir recouvré sa créance à raison de la perte de son gage sur le fonds de commerce de la société Catef du fait de la SCI Stanislas est minimal et doit ainsi être évalué à 1% .
En application de la convention du 1er mars 1995 fixant les conditions de prêt entre la SA Gelied et la société Catef, les intérêts sont fixés à 1,5% HT par mois, capitalisable mensuellement.
Par ailleurs, il résulte également des conventions précitées conclues les 1er mars et 15 mars 1995 que dès lors que les sommes prêtées étaient garanties par un nantissement, l'échéance du prêt était, par dérogation, celle du nantissement. Aussi, conformément à l'article 143-19 du code de commerce qui prévoit que l'inscription conserve la durée du privilège pendant dix ans, le prêt du 20 mars 1995 d'un montant de 30.489,80 euros garanti par le nantissement du fonds de commerce de la société Catef (renouvelé le 21 avril 2005) était échu au 21 avril 2015. Aussi, les créances de la SA Gelied étant échues au 21 avril 2015, celle-ci n'est pas fondée à solliciter que son préjudice soit calculé sur le montant de sa dette avec intérêts conventionnels échus au-delà de la dette elle-même.
Par conséquent, il convient de condamner la SCI Stanislas à payer à la SA Gelied 1% des sommes suivantes':
- 30.489,80 euros, avec intérêts de 1,5% mensuels, capitalisés mensuellement entre avril 2005 et avril 2015,
-4.573,47 euros (clause pénale':15% de 30.489,80) avec intérêts de 1,5% mensuels, capitalisés mensuellement entre avril 2005 et avril 2015,
et d'ordonner la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière conformément à l'article 1154 ancien devenu 1343-2 du code civil.
En revanche, la SA Gelied ne justifie pas d'un préjudice distinct de cette perte de chance pour obtenir le paiement de dommages et intérêts supplémentaires. Elle sera donc déboutée de sa demande sur ce point.
*Sur les autres demandes
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Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, la SCI Stanislas succombant, elle sera tenue aux dépens d'appel.
Les circonstances de l'espèce commandent de condamner la SCI Stanislas à payer à la Sa Gelied la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS,
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La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, dans les limites de la cassation prononcée, par mise à disposition au greffe,
Vu l'arrêt rendu par la cour d'appel de Metz le 7 décembre 2017,
Vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 18 mars 2020,
Déclare la SA Gelied recevable en son action en paiement au titre du prêt consenti à la SA Catef pour un montant de 30.489,80 euros.
Fixe la perte de chance de la SA Gelied d'avoir pu recouvrer sa créance à 1%.'
Condamne la SCI Stanislas à payer à la SA Gelied 1% des sommes suivantes':
- 30.489,80 euros, avec intérêts de 1,5% mensuels, capitalisés mensuellement entre avril 2005 et avril 2015,
-4.573,47 euros ,avec intérêts de 1,5% mensuels, capitalisés mensuellement entre avril 2005 et avril 2015,
Ordonne la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière conformément à l'article 1154 ancien devenu 1343-2 du code civil.
Déboute la SA Gelied de sa demande en paiement à titre de dommages et intérêts complémentaires.
Condamne la SCI Stanislas à payer à la Sa Gelied la somme de 1.000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.
La déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement.
Condamne la SCI Stanislas aux dépens d'appel.
Le greffier La présidente