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09/05/2023 | FRANCE | N°21/02334

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ere chambre sect.civile, 09 mai 2023, 21/02334


ARRET N°

du 09 mai 2023



R.G : N° RG 21/02334 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FDIH





[V]





c/



S.A.R.L. ISALYS

Société CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)

S.A. MMA IARD



















Formule exécutoire le :

à :



la SCP MARTEAU-REGNIER-MERCIER-PONTON



la SCP SCP ACG & ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 09 MAI 2023



APPELANT :

d'un jugeme

nt rendu le 17 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de REIMS



Monsieur [C] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représenté par Me Cécile REGNIER de la SCP MARTEAU-REGNIER-MERCIER-PONTON, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître PINCENT avoca...

ARRET N°

du 09 mai 2023

R.G : N° RG 21/02334 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-FDIH

[V]

c/

S.A.R.L. ISALYS

Société CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)

S.A. MMA IARD

Formule exécutoire le :

à :

la SCP MARTEAU-REGNIER-MERCIER-PONTON

la SCP SCP ACG & ASSOCIES

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE-1° SECTION

ARRET DU 09 MAI 2023

APPELANT :

d'un jugement rendu le 17 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de REIMS

Monsieur [C] [V]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Cécile REGNIER de la SCP MARTEAU-REGNIER-MERCIER-PONTON, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître PINCENT avocat au barreau de PARIS

INTIMEES :

S.A.R.L. ISALYS Agissant poursuite et diligences de son représentant légal domicilié de droit audit siège SARL au capital de 15.000 € immatriculée au RCS de Reims

[Adresse 7]

[Localité 2]

Représentée par Me Gérard CHEMLA de la SCP ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître de BELVAL avocat au barreau de LYON

CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE)

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Vincent NICOLAS, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître LEMOUX avocat au barreau de PARIS

S.A. MMA IARD inscrite au RCS du MANS sous le N° 440 048 882, au capital de 537.053.368 euros prise en la personne des Président et Membres de son Conseil d'Administration domiciliés de droit audit siège

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Mélanie CAULIER-RICHARD de la SCP DELVINCOURT - CAULIER-RICHARD - CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS et ayant pour conseil Maître PERICARD avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, président de chambre

Madame Sandrine PILON, conseiller

Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller

GREFFIER :

Madame Eva MARTYNIUK, greffier lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET greffier lors du délibéré

DEBATS :

A l'audience publique du 21 mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 mai 2023,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023 et signé par Madame MAUSSIRE conseiller en remplacement de la présidente de chambre régulièrement empêchée, et Monsieur Nicolas MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

La SARL Isalys, société ayant pour activité le conseil en investissements financiers et en gestion de patrimoine, notamment, a proposé à M [C] [V] de réaliser un investissement en acquérant la pleine propriété d'une collection de lettres et manuscrits anciens appartenant à la société Aristophil.

Le 16 juin 2011, M [C] [V] a ainsi signé une convention 'Amadeus', un bon de commande auprès de la SAS Aristophil pour un montant de 20 000 euros, ainsi qu'une convention de garde et de conservation de sa collection par ladite société.

M [V] a reçu la notification de la composition de sa collection par courrier de la société Aristophil du 30 septembre 2011

Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la SAS Aristophil le 16 février 2015, puis une procédure de liquidation judiciaire, le 5 août 2015.

Une enquête préliminaire a été diligentée par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, principalement sur des faits d'escroquerie en bande organisée susceptibles d'avoir été commis depuis 2008 dans le cadre de la SAS Aristophil. Le 5 mars 2015, une information judiciaire a été ouverte des chefs d'escroqueries en bande organisée, de pratiques commerciales trompeuses, d'abus de biens sociaux et d'abus de confiance, notamment.

M [V] s'est constitué partie civile dans le cadre de cette information judiciaire par courrier du 4 décembre 2015.

Par actes des 10, 11 et 13 septembre 2019, il a fait assigner les sociétés Isalys, CNA Insurance Company Limited et MMA IARD devant le tribunal judiciaire de Reims afin d'être indemnisé de ses préjudices.

La société CNA Insurance Compagny (Europe) est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement du 17 décembre 2021, le tribunal a':

- Déclaré la société CNA Insurance Company (Europe) recevable en son intervention volontaire,

- Rejeté la demande de mise hors de cause de la société CNA Insurance Company Limited,

- Déclaré prescrites les demandes en indemnisation formées par M [V] contre la société Isalys,

- Rejeté les demandes en garantie formées contre la société MMA IARD et la société CNA Insurance Company (Europe),

- Rejeté les demandes de M [V] au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- Condamné M [V] à payer aux sociétés Isalys, MMA IARD et CNA Insurance Company (Europe)la somme de 2'000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamné M [V] aux entiers dépens,

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Pour statuer ainsi, le tribunal a rappelé que la prescription de l'action en responsabilité contractuelle ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance, que M [V] n'explique pas en quoi la découverte de la procédure collective ouverte contre la société Isalys lui aurait permis de réaliser que celle-ci n'avait pas souscrit d'engagement ferme de racheter sa collection et qu'en tout état de cause, les obligations de chaque partie sont clairement précisées par la convention de garde et de conservation, de sorte que M [V] était en mesure de le comprendre dès la signature de ladite convention.

Il a, en outre, considéré que les moyens développés quant à la valeur vénale des biens achetés à la société Aristophil ne pouvaient servir à reporter le point de départ de la prescription au motif que l'intervention de la société Isalys s'est limitée à la période de souscription des deux contrats et que les éléments de la procédure pénale n'impliquent pas la société Isalys et a conclu que le point de départ devait être fixé à la date de signature des contrats litigieux, soit le 16 juin 2011.

S'agissant de l'interruption du délai de prescription, il a relevé que la constitution de partie civile de M [V] n'a été faite que pour corroborer l'action du ministère public et ne contenait pas de demande pécuniaire, mais aussi qu'elle a été formée dans une enquête pénale dans laquelle la société Isalys n'a pas été mise en cause.

M [V] a interjeté appel par déclaration du 29 décembre 2021, en intimant les sociétés Isalys, CNA Insurance Company (Europe) et MMA IARD.

Par conclusions notifiées le 6 mars 2023, il demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de':

- Le déclarer recevable en son action dirigée à l'encontre des sociétés Isalys, CNA Insurance Company (Europe) et MMA IARD,

- Condamner la société Isalys à réparer son préjudice de perte de chance de ne pas souscrire le contrat litigieux en lui versant une somme de 17'500 euros de dommages intérêts, outre intérêts légal à compter du 23 novembre 2018, avec capitalisation des intérêts,

- Condamner la société Isalys à réparer son préjudice de perte de chance de faire fructifier le capital investi dans Aristophil dans un produit d'épargne classique en lui versant une somme de 3'135 euros de dommage intérêts, outre intérêt légal à compter du 23 novembre 2018, avec capitalisation des intérêts,

- Condamner la société Isalys à réparer son préjudice moral en lui versant une somme de 1'500 euros de dommages intérêts,

- Condamner la société CNA Insurance Company (Europe), venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited, à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de son assurée la société Isalys par application de la police FN 1925,

- Condamner la société MMA IARD à garantir les condamnations prononcées à l'encontre de son assurée, la société Isalys, par application de l'assurance responsabilité civile professionnelle,

- Rappeler qu'il pourra s'adresser soit à la société CNA Insurance Company (Europe), soit à la société MMA IARD pour obtenir le règlement des indemnités d'assurance,

- Condamner les sociétés Isalys, CNA Insurance Company (Europe), venant aux droits de la société CNA Insurance Company Limited et MMA IARD à lui verser une somme de 8'000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, outre les entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 2 mars 2023, la SARL Isalys sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il retient la prescription de l'action et la condamnation de M [V] à lui payer la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle demande en tout état de cause le rejet de l'intégralité des demandes, fins et prétentions de M [V] à son égard et sa condamnation à lui payer 5'000 euros pour ses frais irrépétibles.

Par conclusions notifiées le 8 mars 2023, les sociétés CNA Insurance Company Limited et CNA Insurance Company (Europe) demandent à la cour d'appel':

- A titre principal, de confirmer le jugement en ce qu'il juge l'action de M [V] prescrite,

- A tire subsidiaire et très subsidiaire, de débouter M [V] de son action contre la société CNA Insurance Company (Europe),

- A titre plus infiniment subsidiaire encore, de condamner la société CNA Insurance Company (Europe) à garantir la société Isalys des conséquences des condamnations prononcées à son encontre dans la limite des condamnations qu'elle aura déjà versées au titre des autres réclamations formulées soit pendant la période subséquente à la réclamation de M [V] (20 novembre 2018), soit pendant la période d'assurance 2018 et après application de la franchise contractuelle,

Ou de désigner tel séquestre qu'il lui plaira avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les réclamations formées à l'encontre des assurés au titre de la police FN n° 1925 se rattachant à la même période d'assurance, en l'occurrence la période d'assurance subséquente si la résiliation de la police est jugée régulière ou, à défaut la période d'assurance 2018 et procéder à une répartition au marc l'euro des fonds séquestrés,

- Au surplus, juger qu'il convient de limiter la part contributive de la société CNA Insurance Company (Europe) par application de l'article L121-4 du code des assurances puisque la société Isalys est également garantie par la société MMA IARD,

- En tout état de cause, condamner M [V] à payer à la société CNA Insurance Company (Europe) une somme de 3'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens et juger n'y avoir lieu à l'exécution provisoire.

Par conclusions notifiées le 10 mars 2023, la SA MMA IARD'sollicite':

- A titre principal, la confirmation du jugement en ce qu'il juge irrecevable l'action engagée par M [V] car prescrite et en conséquence, le rejet de l'ensemble de ses demandes,

- A titre subsidiaire, le rejet des demandes de M [V] au motif qu'il ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par la société Isalys, ni de l'existence d'un préjudice, ni du lien de causalité entre ce préjudice et les fautes alléguées,

- A titre très subsidiaire, qu'il soit jugé que sa garantie sera mobilisable dans les limites de la garantie,

- En tout état de cause, la condamnation de M [V] à lui payer la somme de 10'000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.

MOTIFS

Sur la prescription de la demande de M [V]

M [V] se défend de la prescription de sa demande fondée sur un manquement de la société à ses obligations d'information et de conseil ne lui ayant pas permis de prendre conscience de l'absence d'obligation de rachat de la collection pour la société Aristophil et de la surévaluation de cette collection. Mais sur le fond, il invoque d'autres manquements de la société Isalys, dont il convient de déterminer également si la demande indemnitaire qu'ils fondent est ou non prescrite, puisque les intimées concluent à la prescription de son action.

M [V] invoque une perte de chance de ne pas contracter et de faire fructifier son capital dans un produit d'épargne classique.

L'article 2224 du code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le délai de l'action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (Civ 3., 26 octobre 2022 n°21-19.898).

Contrairement à ce qu'il soutient, la notion de personne avertie ou non n'a pas été érigée en critère de détermination du point de départ du délai de prescription aux termes des quatre arrêts qu'il invoque, rendus le 5 janvier 2022 par la première chambre civile de la cour de cassation. En effet, si l'un de ces arrêts se réfère à la notion d'emprunteur non averti, c'est pour rappeler qu'elle conditionne l'existence même du devoir de mise en garde pesant sur le prêteur. Dès lors, il n'est pas nécessaire d'apprécier si celui-ci avait ou non la qualité d'investisseur profane pour déterminer s'il pouvait légitimement ignorer son dommage à la date de conclusion des contrats.

S'agissant de l'absence de garantie de rachat, il convient de relever que la convention de garde et de conservation signée par M [V] stipule que':

'au terme de cette convention, l'acquéreur retrouvera la détention de sa collection, mais qu'il pourra, notamment, décider de vendre tout ou partie de sa collection et qu'en ce cas, la société Aristophil aura six mois comme prévu dans les dispositions suivantes du contrat, pour éventuellement exercer son option d'achat (article I Convention de garde et de conservation)

«'Article III': Promesse de vente

1)'Société et Acquéreur sont convenus de la possibilité pour la société Aristophil d'acheter la collection au terme de la convention de garde et de conservation. L'Acquéreur promet à la société de lui vendre, si bon semble à celle-ci, la collection au terme du contrat. La Société accepte cette promesse unilatérale de vente en tant que promesse et bénéficie donc d'une option d'achat. Elle pourra l'exercer dans les six mois qui suivront l'expiration du contrat de garde et de conservation aux conditions prévues ci-dessous.

2) La promesse de vente accordée par l'Acquéreur et acceptée en tant que promesse par la Société se réalisera au même prix que le prix de vente de la collection par l'Acquéreur.

Ce prix sera néanmoins majoré en fonction de la durée de détention de la collection par l'Acquéreur': (')

OPTION 5': Il sera majoré de 8,30% par année pleine et entière de garde et de conservation si le dépôt a eu une durée d'au moins 7 années complètes.'»

Ces termes sont clairs quant au fait que la société Aristophil n'avait pas une obligation de rachat, puisque le terme «'option d'achat'», aisément compréhensible, même par un non-juriste, est utilisé à deux reprises, et qu'il est fait mention de la simple «'possibilité'» pour la société Aristophil d'acheter la collection au terme de la convention de garde et de conservation, ce qui doit conduire un lecteur normalement attentif à prendre conscience de l'absence d'obligation d'acheter pour cette société.

Ainsi, M [V] pouvait aisément se convaincre, à la lecture des documents contractuels, de l'absence d'engagement de la société Aristophil à racheter ses manuscrits et donc du caractère incertain de la restitution du prix versé au terme du contrat, augmenté de 8,30% par année pleine et entière de garde et de conservation.

M [V] ne démontre pas que, comme il l'affirme, la société Isalys aurait perpétué les dissimulations et pratiques trompeuses du concepteur et du distributeur du produit Aristophil. En effet, il n'est pas établi que le document qu'il produit, intitulé «'Les garanties Aristophil'» lui aurait été remis par la société Isalys, ni que celle-ci aurait eu recours, à son endroit, aux pratiques commerciales trompeuses décrites dans la lettre que le juge d'instruction a adressée aux parties civiles, qui n'évoque pas cette société. M [V] ne prouve pas non plus que la société Isalys a eu recours à l' «'Argumentaire de vente - Aristophil'» présenté dans des documents au nom des sociétés Finestim et Art Courtage, avec lesquelles il n'est d'ailleurs pas démontré par les pièces de la procédure que la société Isalys serait en relation.

L'information judiciaire ouverte notamment sur des faits de pratiques commerciales trompeuses, dont les enquêteurs estiment, dans un rapport de synthèse du 18 mai 2017, qu'elles résultent notamment de l'ambiguïté des contrats Aristophil est toujours en cours et il n'a donc pas encore été statué définitivement sur cette infraction, de sorte qu'une telle appréciation sur la clarté des documents contractuels ne s'impose pas à la présente instance civile.

Le point de départ du délai de prescription de la demande de M [V] fondée sur un manquement de la société Isalys ne lui ayant pas permis de prendre conscience de l'absence de garantie de rachat et donc de restitution du capital, abondé d'intérêts de 8,30% par an, ne saurait donc être repoussé à une date ultérieure à la conclusion des documents contractuels intervenue le 16 juin 2011.

Il s'était écoulé plus de cinq années depuis cette date lorsque M [V] a fait assigner les sociétés intimées devant le tribunal judiciaire les 10, 11 et 13 septembre 2019.

M [V] invoque l'effet interruptif de prescription de sa plainte avec constitution de partie civile, en soutenant qu'il a ainsi manifesté sans équivoque son intention de mettre en cause la responsabilité des auteurs de son dommage.

Sa constitution de partie civile a été formalisée par courrier du 4 décembre 2015, dans laquelle il expose que celle-ci fait suite à des investissements réalisés auprès de la société Aristophil, pour un montant de 20 000 euros.

Etant rappelé qu'une constitution de partie civile peut n'avoir pour but pour la partie civile que d'apporter son concours à l'action publique, ces pièces ne font pas suffisamment ressortir une volonté de M [V] d'obtenir réparation d'un préjudice en relation avec les faits instruits, qui plus est contre la société Isalys, dont les parties s'accordent à dire qu'elle n'est pas mise en cause dans la procédure pénale.

M [V] n'est donc pas fondé à se prévaloir d'une finalité commune entre une action introduite devant la juridiction répressive à l'encontre de la société Aristophil et la présente action contre la société Isalys et sa plainte avec constitution de partie civile n'a pas interrompu le délai de prescription.

Sa demande fondée sur l'absence de garantie de rachat doit donc être déclarée prescrite.

S'agissant de la délivrance par la société Isalys d'une information incomplète sur la composition et la valorisation précise des 'uvres, il convient de relever que le bon de commande signé par M [V] mentionne le montant total de l'investissement réalisé par celui-ci (20 000 euros), sans que l'encart destiné à faire apparaître la ventilation de cette somme en fonction de catégories d''uvres (lettres de personnages célèbres, manuscrits et documents historiques, livres anciens et modernes, ') n'ait été renseigné.

La SA MMA IARD produit la convention 'Amadeus' signée par M [V], qui mentionne expressément': «'par la présente convention, la société s'engage à vendre à l'acquéreur une collection d''uvres en cours de constitution dont le prix est dès à présent fixé. La société s'engage à proposer, dans les soixante jours de la date de la présente convention, la collection qu'elle propose à l'acquéreur. Celui-ci aura la possibilité de refuser. La société fera alors ses meilleurs efforts pour lui faire une nouvelle proposition dans le délai de 30 jours. En cas de second refus l'accord sera caduque et la société et le client seront déliés de tout engagement'» (article I, 1).

M [V] savait donc, dès la signature du contrat avec la société Aristophil que la composition de la collection qui lui était vendue ne serait précisée qu'ultérieurement.

En retenant même que l'obligation de délivrance d'une information complète sur la composition n'ait été remplie que lors de l'envoi de cette composition le 30 septembre 2011, son action introduite le 30 septembre 2019 n'en serait pas moins prescrite.

En conséquence, sa demande fondée sur ces faits est prescrite, en l'absence d'effet interruptif de prescription de sa plainte avec constitution de partie civile, ainsi qu'il a été précédemment démontré.

S'agissant de la surévaluation des manuscrits acquis par M [V], il convient de relever à nouveau que la composition de la collection n'était pas connue à la date de souscription des contrats et que l'acquéreur, qui en a confié la garde et la conservation à la société Aristophil par contrat du jour même de la vente, n'est pas entré en possession des 'uvres acquises avant l'ouverture de la procédure collective à l'égard de cette dernière.

Dans ces conditions, M [V] est fondé à soutenir qu'il ne pouvait avoir connaissance, au jour de la souscription des contrats, d'une possible surévaluation des 'uvres acquises.

La société CNA Insurance Company Limited soutient que la société Isalys n'est et ne saurait être tenue pour responsable de la surévaluation invoquée.

Ce faisant, elle oppose à M [V] un moyen de fond, sans emport au stade de l'examen de la recevabilité de la demande de celui-ci.

Si la première vente publique s'est tenue le 20 décembre 2017, il est plus sûrement établi que M [V] a compris que les manuscrits qu'il avait acquis étaient surévalués lorsque lui est parvenu l'avis d'un cabinet d'expertise du 12 septembre 2019 portant, précisément, sur les 'uvres qu'il a acquises.

Le point de départ de l'action de M [V] fondée sur le manquement de la société Isalys ne lui ayant pas permis d'être informé d'une possible surévaluation des manuscrits doit donc être fixé au 12 septembre 2019 et cinq ans ne s'étaient pas écoulés lorsqu'il a fait assigner les intimés, les 10, 11 et 13 septembre 2019 devant le tribunal judiciaire de Reims, puis lorsque la société CNA Insurance Compagny (Europe) est intervenue volontairement à l'instance.

Son action de ce chef n'est donc pas prescrite.

S'agissant de l'absence de diligences que M [V] reproche à la société Isalys pour apprécier la réalité de son patrimoine et ses objectifs de placement, celui-ci ne pouvait que s'en convaincre dès la signature des contrats litigieux, puisqu'il s'agissait pour la société de s'informer à son sujet et que l'absence de prise de renseignements ne pouvait que lui apparaître au moment de la conclusion des contrats.

Le caractère lacunaire des supports d'information remis par la société Isalys, notamment la 'Fiche connaissance client', que M [V] a signée, pouvait également être constaté dès l'époque de conclusion des contrats.

En l'absence d'effet interruptif de sa plainte avec constitution de partie civile, sa demande est prescrite en ce qu'elle est fondée sur ces manquements.

M [V] fait reproche à la société Isalys de lui avoir notifié un niveau de risque faible pour l'investissement en cause et non le risque majeur de non-rachat de la collection par la société Aristophil lié à l'absence d'obligation contractuelle de rachat pesant sur celle-ci.

Mais il a été précédemment vu que l'absence d'obligation contractuelle de rachat apparaissait clairement à la lecture des documents contractuels, en particulier la convention de garde et de conservation. Dès lors le risque invoqué était décelable dès la signature de ces documents et, comme la demande fondée sur l'absence de garantie de rachat, la demande fondée sur l'absence de notification de risques pertinente est prescrite, en l'absence d'effet interruptif de prescription de la plainte avec constitution de partie civile.

Le manquement allégué par M [V] de la société Isalys à son obligation générale de vigilance quant à la nature et au sérieux du placement Aristophil n'a pu se révéler à M [V] à la date de conclusion des contrats, mais, au plus tôt, à la date d'ouverture de la procédure collective à l'égard de cette dernière, soit le 16 février 2015. L'action engagée par M [V] les 10, 11 et 13 septembre 2019, soit moins de cinq ans plus tard, n'est donc pas prescrite.

M [V] dénonce un manquement de la société Isalys à son obligation générale de loyauté tenant aux méthodes de commercialisation, à l'existence d'un conflit d'intérêts et aux modalités de rémunération convenues avec la société Aristophil.

Les méthodes de commercialisation dénoncées, consistant dans l'intervention de la société Isalys comme mandataire de M [V], puis comme mandataire de la société Aristophil, constituent des faits dont M [V] pouvaient se convaincre immédiatement, c'est-à-dire à la date de signature des contrats, puisque ceux-ci mentionnent l'intervention de la société comme «'mandataire de la société exploitante'»

Sa demande fondée sur ce manquement est donc prescrite en l'absence d'effet interruptif de prescription de la plainte avec constitution de partie civile.

En revanche, les pièces contractuelles ne permettaient pas à M [V] de connaître les modalités précises de rémunération de la société Isalys. Or M [V] se prévaut de ce que la procédure pénale aurait révélé que les conseillers-vendeurs ont perçu des commissions de l'ordre de 10%.

L'information judiciaire ayant été ouverte le 5 mars 2015, soit moins de cinq ans avant l'assignation des sociétés intimées, la demande de M [V] fondée sur l'opacité des modalités de rémunération n'est donc pas prescrite.

En conséquence de ce qui précède, les demandes indemnitaires de M [V] seront déclarées prescrites à l'exception de celles fondées sur la surévaluation des manuscrits, l'obligation générale de vigilance quant à la nature et au sérieux du placement Aristophil et la rémunération de la société Isalys. Le jugement sera infirmé de ces seuls chefs.

Sur la responsabilité de la société Isalys

M [V] invoque la double qualité de la société Isalys, de conseiller en investissements financiers et de conseiller en gestion de patrimoine, pour se prévaloir des obligations découlant pour celle-ci de ces deux missions.

Les sociétés CNA Insurance Company et MMA affirment que la société Isalys est intervenue en qualité de conseiller en gestion du patrimoine et non comme conseiller en investissements financiers, de sorte qu'elle n'était pas, pour les faits en cause, soumise aux obligations prévues pour le second par le code monétaire et financier, mais qu'elle supportait une simple obligation de moyens d'information et de conseil sur le fondement de l'article 1147 du code civil, dans sa version en vigueur avant le 1er octobre 2016.

Il résulte de l'article L541-1 du code monétaire et financier que les conseillers en investissements financiers sont des personnes qui exercent, à titre de profession habituelle, les activités suivantes':

le conseil en investissement financier,

le conseil portant sur la fourniture de services d'investissement,

le conseil portant sur la réalisation d'opération sur biens divers,

la fourniture du service de réception et de transmission d'ordres pour le compte de tiers mais uniquement sur les parts d'OPC,

d'autres activités de gestion de patrimoine.

En l'espèce, M [V] a donné à la société Isalys un mandat de recherche de produits d'art et de collection afin de valoriser un capital.

Les produits d'art et de collection ne répondent pas à la définition que l'article L211-1 du code monétaire et financier donne des instruments financiers. La société Isalys n'a pas non plus fourni de conseil sur la réalisation d'une opération sur biens divers, dès lors que la convention de garde et de conservation ne transfère pas la gestion des 'uvres à la société Aristophil, qui n'en reçoit que le dépôt.

En conséquence, la société Isalys n'est pas intervenue auprès de M [V] en qualité de conseiller en investissements financiers et il n'y a pas lieu de faire application de l'article L548-1 du code monétaire et financier qui énonce les obligations incombant à ce type de professionnel.

Le conseil en gestion de patrimoine est tenu en sa qualité de professionnel à un devoir d'information et de conseil et doit notamment guider sont client dans les choix de placement qui s'offrent à ce dernier et l'éclairer sur les conséquences juridiques et fiscales de ces choix.

S'agissant de la surévaluation des 'uvres composant la collection acquise par M [V], il convient de rappeler que la convention Amadeus portait sur une collection d''uvres en cours de constitution, de sorte que la société Isalys ne disposait d'aucun moyen, au temps de l'exécution de son obligation d'information et de conseil, pour détecter une éventuelle surévaluation de pièces qui n'étaient pas même encore identifiées. Aucun manquement ne peut donc être établi de ce chef à l'encontre de cette société.

M [V] invoque ensuite le manquement de la société Isalys à son obligation générale de vigilance quant à la nature et au sérieux du placement en soutenant que celle-ci n'aurait jamais pris le soin de vérifier la fiabilité du produit Aristophil alors que les taux de rendement annoncés, ainsi que son taux de commissionnement auraient dû, selon lui, attirer la suspicion du conseiller en gestion du patrimoine, de même que l'existence d'alertes avant la souscription/notification de la collection.

Si l'annexe de la convention de garde et de conservation fait état d'une majoration du prix de la collection de 8,30% par année pleine et entière de garde et de conservation dans l'hypothèse où le dépôt a eu une durée d'au moins 7 années complètes, une telle majoration ne pouvait être acquise qu'au cas de rachat de la collection par la société Aristophil. Ce rachat ne constituant pas une obligation pour la société Aristophil, ainsi que cela apparaît clairement à la lecture des documents contractuels, il ne peut être considéré qu'un tel taux de rendement était garanti au souscripteur.

Par ailleurs, M [V] ne démontre pas que la société Isalys a effectivement perçu une commission de 10%.

Dès lors, il n'est pas justifié de reprocher à la société Isalys de ne pas s'être interrogée au vu d'un taux de rendement et d'une commission particulièrement avantageux, ni d'avoir manqué de loyauté au regard de ladite rémunération.

Quant aux alertes invoquées par M [V], la société CNA Insurance Company Limited établit que les deux mises en garde de l'Autorité des Marchés Financiers de 2003 et 2007 invoquées par M [V] ont été retirées du site de l'institution avant la souscription des contrats litigieux. La société Isalys ne peut donc se voir reprocher de ne pas en avoir tenu compte.

La revue «'Que Choisir'» n'est pas spécifique au domaine d'intervention des conseillers en gestion de patrimoine et la société Isalys ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir pris en compte un article qu'elle a fait paraître le 31 mars 2011, dont rien ne lui imposait d'avoir connaissance.

La société Isalys n'a pas non plus commis de manquement à ne pas avoir anticipé l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de la société Aristophil, laquelle est survenue plus de trois ans et demis après la fin de sa mission ou à ne pas avoir détecté la commission de faits qu'une information judiciaire, toujours en cours, est nécessaire à établir. Et ce, d'autant plus que d'autres éléments d'information étaient de nature à inspirer confiance quant à la situation de la société Aristophil, à l'instar de la cotation établie à C3 en 2011 par la Banque de France, correspondant à un niveau d'activité compris entre 150 millions d'euros et 750 millions d'euros et une capacité à honorer ses engagements financiers à un horizon de 3 ans qualifiée de forte.

En conséquence, les manquements invoqués à l'encontre de la société Isalys ne sont pas établis et M [V] doit être débouté de ses demandes indemnitaires et de sa demande, subséquente, de garantie par les assureurs. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application et le jugement sera confirmé de ces chefs.

M [V] succombant en son appel, les dépens de cette instance doivent être mis à sa charge et sa demande en paiement pour ses frais irrépétibles d'appel sera rejetée.

Il est équitable d'allouer aux sociétés Isalys, MMA IARD et CNA Insurance Company (Europe) la somme de 1 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 17 décembre 2021 sauf en ce qu'il déclare prescrites les demandes en indemnisation de M [C] [V] fondées sur la surévaluation des manuscrits, l'obligation générale de vigilance quant à la nature et au sérieux du placement Aristophil et la rémunération de la société Isalys,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Déclare non prescrites les demandes en indemnisation de M [C] [V] fondées sur la surévaluation des manuscrits, l'obligation générale de vigilance quant à la nature et au sérieux du placement Aristophil et la rémunération de la société Isalys,

Déboute M [C] [V] desdites demandes et de celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M [C] [V] à payer aux sociétés Isalys, MMA IARD et CNA Insurance Company (Europe) la somme de 1 000 euros chacune pour leurs frais irrépétibles d'appel,

Condamne M [C] [V] aux dépens d'appel.

Le greffier Le conseiller en remplacement de la présidente de chambre régulièrement empêchée


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ere chambre sect.civile
Numéro d'arrêt : 21/02334
Date de la décision : 09/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-09;21.02334 ?
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