ARRET N°
du 03 septembre 2024
N° RG 23/00965 - N° Portalis DBVQ-V-B7H-FLAR
[E]
[E]
c/
[X]
[X]
Formule exécutoire le :
à :
Me Jean-Baptiste ROUGANE DE CHANTELOUP
COUR D'APPEL DE REIMS
CHAMBRE CIVILE-1° SECTION
ARRET DU 03 SEPTEMBRE 2024
APPELANTS :
d'un jugement rendu le 24 avril 2023 par le tribunal judiciaire de TROYES
Madame [J] [E]
Née le [Date naissance 1] 1947 à [Localité 11]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représentée par Me Jean-Baptiste ROUGANE DE CHANTELOUP, avocat au barreau de L'AUBE
Monsieur [K] [E]
Né le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 10]
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean-Baptiste ROUGANE DE CHANTELOUP, avocat au barreau de L'AUBE
INTIMES :
Madame [O] [X]
Née le [Date naissance 8] 1941 à [Localité 12]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
Monsieur [Z] [X]
Né le [Date naissance 5] 1965 à [Localité 13]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Florence SIX de la SCP HERMINE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
Madame MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame PILON, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les parties ne s'y étant pas opposées. Elles en ont rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre
Madame Florence MATHIEU, conseillère
Madame Sandrine PILON, conseillère
GREFFIER :
Madame Jocelyne DRAPIER, greffière lors des débats et de la mise à disposition
DEBATS :
A l'audience publique du 04 juin 2024, où l'affaire a été mise en délibéré au 03 septembre 2024
ARRET :
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 03 septembre 2024 et signé par Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, présidente de chambre, et Madame Jocelyne DRAPIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Mme [O] [X] est propriétaire d'une maison d'habitation située [Adresse 6], qu'elle occupe avec son fils, M [Z] [X].
Mme [J] [E] est propriétaire de la maison voisine, située [Adresse 3].
Se plaignant de nuisances sonores en provenance du bien de Mme [E], M et Mme [X] ont fait assigner M et Mme [E] devant le tribunal judiciaire de Troyes, après réalisation d'une expertise judiciaire ordonnée en référé, afin de les voir condamner au titre des troubles anormaux du voisinage.
Par jugement du 24 avril 2023, le tribunal a :
- condamné Mme [E] à réaliser sous astreinte de 50 euros par jour de retard, dans le délai de 3 mois après la signification du jugement à intervenir, tous travaux nécessaires à mettre un terme au trouble anormal du voisinage,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [X] la somme de 2 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement,
- débouté Mme [E] de sa demande de rejet de la contre-expertise produite par les demandeurs,
- condamné Mme [E] à payer à Mme [X] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [E] aux entiers dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au dispositif.
Il a relevé qu'il n'était pas contesté que la note technique avait été versée régulièrement aux débats et qu'elle avait donc été soumise à la libre discussion des parties.
Il a estimé indéniable, au vu des éléments produits, que Mme [O] [X] et son fils subissent des nuisances sonores depuis plusieurs années notamment à cause du manque d'isolation acoustique de l'immeuble de Mme [E] et que ces nuisances, de par leur caractère répété et durable et ce, même à un niveau sonore modéré, constituent un trouble excédant les inconvénients anormaux du voisinage.
M et Mme [E] ont relevé appel de ce jugement par déclaration du 14 juin 2023.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2024, ils demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer partiellement le jugement,
Et statuant à nouveau,
- juger que M et Mme [X] ne justifient d'aucun trouble anormal qui excéderait les inconvénients ordinaires du voisinage, ni d'aucun dommage ou préjudice précis,
- condamner solidairement M et Mme [X] à leur verser la somme de 2 000 euros de dommages intérêts pour procédure abusive,
- condamner solidairement M et Mme [X] aux entiers dépens ainsi qu'à 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils affirment que M et Mme [X] ne rapportent pas la preuve qu'il y ait un trouble, ni que celui-ci excède les inconvénients du voisinage et qu'ils ne justifient pas d'un dommage ou préjudice précis.
Au soutien de leur demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive, ils dénoncent l'attitude particulièrement violente et outrancière des intimés, leur ayant occasionné de nombreux soucis et les ayant conduits à renoncer, un temps, à donner leur bien en location. Ils précisent que Mme [E] présente un état dépressif.
M et Mme [X] ont notifié des conclusions le 27 mai 2024 afin de solliciter :
- la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, à l'exception du montant des dommages intérêts alloués à Mme [X],
- l'infirmation sur ce point,
- la condamnation de Mme [E] à payer à Mme [X] la somme de 5 000 euros à titre de dommages intérêts,
- le rejet de l'ensemble des demandes, fins et conclusions des époux [E],
- la condamnation de Mme [E] au paiement d'une indemnité complémentaire de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- sa condamnation aux dépens d'appel, auxquels s'ajouteront les frais d'expertise judiciaire compris dans les dépens de première instance.
Ils affirment que Mme [E] s'est toujours montrée hostile à toute recherche de solution aux nuisances endurées et que si elle n'a toujours pas reloué son bien, c'est en raison de sa mise en vente et, surtout, de son état de délabrement associé à son absence d'entretien.
Ils soutiennent que si l'expert a considéré que pour la douche, les tiroirs et le lave-linge, l'émergence restait admissible, il est évident qu'elle ne l'aurait pas été pour une mesure de nuit et que peu importe que ce soit le procédé constructif des maisons qui soit à l'origine des bruits, ce fait ne pouvant constituer une cause d'exonération de responsabilité.
Ils approuvent le tribunal d'avoir déduit que ces nuisances, de par leur caractère répété et durable, même à un niveau sonore modéré, constituent un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage.
Ils font valoir que les pièces produites par les appelants pour justifier de travaux sont bien antérieures à la constatation des nuisances sonores par l'expert et que le jugement n'a pas été exécuté par ceux-ci, de sorte qu'ils subissent toujours d'importants bruits sourds émanant du logement contigu, alors que les travaux à réaliser ne sont pas d'importance.
MOTIFS
Il est constant que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage (2e Civ., 9 juillet 1997, pourvoi n° 96-10.109).
M et Mme [X] font valoir que le rapport d'expertise judiciaire a révélé des dépassements sonores allant au-delà de l'émergence réglementaire admissible sur certains points.
Les mesures et conclusions réalisées par l'expert sont fondées sur les dispositions du code de la santé publique applicables aux bruits de voisinage.
Selon l'article R1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité.
L'article R1336-7 du code de la santé publique dispose : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier :
1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d'apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ;
2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ;
3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ;
4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ;
5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ;
6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ;
7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures ".
L'expert judiciaire a pris en compte les nuisances générées par l'implantation et l'exploitation d'équipements de l'immeuble de Mme [E], dont M et Mme [X] se plaignaient : ouverture et fermeture manuelle de volets, man'uvres des tiroirs de la salle de bain, utilisation de la douche, utilisation du lave-linge.
Il a effectué des mesures, en période diurne, dans la salle à manger et en période nocturne dans la chambre de Mme [X], ces deux pièces étant situées derrière le mur mitoyen avec la maison de M et Mme [E].
Or, seul le fonctionnement des volets a conduit à un niveau d'émergence globale (16.8 dBA). supérieur à l'émergence admissible (10.0 dBA), dans la salle à manger, en période diurne.
M et Mme [X] produisent une note technique relative au rapport d'expertise judiciaire, à laquelle M et Mme [E] dénient toute valeur probante, au motif qu'elle n'a pas été soumise à l'appréciation de l'expert judiciaire. Cette seule considération ne saurait cependant ôter toute valeur probante à la note, qu'il convient de confronter au rapport d'expertise judiciaire.
La notion d'émergence spectrale, dont l'auteur de la note reproche à l'expert judiciaire de ne pas avoir fourni les valeurs, est prévue par l'article R1336-6 du code de la santé publique, propre au bruit ayant pour origine une activité professionnelle ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation.
De telles activités n'étant pas en cause dans la présente affaire, cette critique du rapport d'expertise judiciaire n'apparaît pas pertinente et sera donc écartée.
La note critique encore le rapport d'expertise en ce qu'il n'est pas tenu compte du caractère impulsionnel des bruits en cause et suggère l'emploi d'autres indicateurs tels l'indice de pointe ou l'analyse des émergences instantanées.
Mais il ne peut être présumé des résultats auxquels l'emploi de telles méthodes pourrait conduire et il ne peut qu'être constaté que M et Mme [X], à qui incombe la charge de prouver l'existence d'un trouble anormal du voisinage, ne proposent aucune mesure mettant en 'uvre la méthodologie suggérée, de sorte qu'il ne peut être tiré aucune conclusion de la critique précitée.
La note estime que le niveau sonore relevé par l'expert lors du fonctionnement du lave-linge de l'occupant du logement de Mme [E] en essorage (30.8 dBA) et celui de la douche (30.7 dBA) serait non conforme selon l'arrêté du 30 juin 1999 relatif aux caractéristiques des bâtiments d'habitation, dont il précise néanmoins qu'il ne s'applique pas dans le cas présent, compte tenu de la date de construction de l'immeuble en cause (années 1920 ou 1930 selon les éléments de la procédure). Il ajoute qu'" un bruit de voisinage qui excède 30 dB(A) dans une pièce de vie, ce n'est pas rien ! ".
Toutefois, le rapport d'expertise judiciaire reproduit deux échelles dont il résulte que :
- 30 dB(A) correspondent au niveau sonore de chuchotements et 40 dB(A), à celui d'une radio en musique de fond,
- Un bruit de 42.7 dB(A) correspond à une activité dans une salle de séjour, sans conversation.
Ces indications ne sont donc pas de nature à confirmer l'appréciation de l'auteur de la note.
Quant à l'incertitude de mesure, qui devrait faire retenir selon l'auteur de la note une incertitude de mesurage de l'ordre du décibel, elle ne saurait faire retenir un niveau d'émergence globale non conforme dès lors que tous les niveaux relevés, à l'exception de celui concernant les volets, en période diurne, sont inférieurs de plus d'un décibel au niveau d'émergence admissible (en période diurne : émergence globale de 4.8 dBA pour une émergence admissible de 8.0 dBA pour la douche, 9.1 dBa pour 11.0 dBa s'agissant des tiroirs, 4.9 dBa pour 9.0 dBA pour le lave-linge à l'essorage, en période nocturne, 0.7 dBA pour une émergence admissible de 8.0 dBA).
La note fait reproche à l'expert de ne pas avoir défini de durée d'apparition du bruit particulier pour la période nuit dans la salle de bains et pour le lave-linge. S'il est fondé à soutenir que salle de bains et lave-linge peuvent être utilisés la nuit, il ne procède que par affirmation, comme M et Mme [X] dans leurs conclusions, lorsqu'il indique que l'émergence du bruit de tiroirs en période nuit serait très certainement non conforme avec 9.1 dBA mesurée en période jour pour 9 dBA admissible en période nuit.
La note ne permet donc pas de démontrer, contre les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, un niveau d'émergence globale supérieur au niveau admissible au regard des dispositions du code de la santé publique autre que celui résultant du fonctionnement des volets, perçu dans la salle de séjour en période diurne.
Il n'en résulte pas non plus la preuve de bruits en provenance de l'immeuble de Mme [E] qui excèderaient les troubles normaux du voisinage.
Et le rappel du principe de la propagation du bruit par voies aérienne et solidienne décrit par l'expert judiciaire n'est pas de nature à démontrer que le bruit en cause excède les inconvénients normaux du voisinage.
Le procès-verbal de constat du 25 octobre 2019 produit par M et Mme [X] fait état de dégradations sur l'arêtier béton du toit de Mme [E], de décollements de l'enduit extérieur, de l'état non entretenu du portail de la maison et de la porte du garage, ainsi que du terrain, mais ne contient aucune mention relative à de quelconques bruits.
Les attestations versées aux débats par M et Mme [X] évoquent des bruits en provenance de l'immeuble voisin, qualifiés de sourds ou de relativement importants, ce qui ne permet pas de caractériser un trouble anormal, tout voisinage exposant à subir les bruits de la vie quotidienne. Deux attestations évoquent des bruits suffisamment importants pour gêner une conversation ou un bruit qualifié d'assourdissant, l'une précisant que ce bruit provenait du lave-linge du voisin en phase d'essorage.
Si le fonctionnement de cet appareil est le seul produisant un bruit dont l'émergence excède les valeurs limites, ainsi que le rapport d'expertise l'a mis en évidence, le trouble qui en résulte n'est pas permanent et il n'est pas établi qu'il est d'une fréquence telle qu'il constitue un trouble anormal du voisinage. Il en va de même des bruits d'écoulement d'eau provenant de la douche du logement appartenant à Mme [E].
Il résulte de tout ce qui précède que M et Mme [X] ne démontrent pas l'existence d'un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage imputable à Mme [E]. Ils doivent donc être déboutés de leurs demandes de travaux et de paiement de dommages intérêts, le jugement étant infirmé de ces chefs.
Sur la demande d'indemnité pour procédure abusive
M et Mme [E] ne rapportent pas la preuve de l'existence d'une faute de M et Mme [X] qui aurait fait dégénérer en abus le droit dont ceux-ci disposent d'agir en justice. Ils seront donc déboutés de leur demande en paiement de dommages intérêts pour procédure abusive.
Sur les dépens et frais irrépétibles
M et Mme [X] succombent en leurs demandes. Ils doivent donc supporter les dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé de ce chef et de celui condamnant Mme [E] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité ne commande pas de faire droit aux demandes en paiement des parties pour leurs frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant contradictoirement,
Infirme le jugement rendu le 24 avril 2023 par le tribunal judiciaire de Troyes en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Mme [O] [X] et M [Z] [X] de l'ensemble de leurs demandes,
Déboute Mme [J] [E] et M [K] [E] de leurs demandes en paiement d'une indemnité pour procédure abusive et pour frais irrépétibles,
Condamne Mme [O] [X] et M [Z] [X] aux dépens de première instance et d'appel.
Le greffier La présidente