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04/09/2024 | FRANCE | N°23/00416

France | France, Cour d'appel de Reims, Chambre sociale, 04 septembre 2024, 23/00416


Arrêt n°

du 4/09/2024





N° RG 23/00416





IF/FJ









Formule exécutoire le :







à :



COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 4 septembre 2024





APPELANT :

d'un jugement rendu le 24 janvier 2023 par le Conseil de Prud'hommes de CHALONS-EN-CHAMPAGNE, section Industrie (n° F 21/00195)



Monsieur [M] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par la SELARL G.R.M.A., avocats au

barreau de REIMS





INTIMÉE :



S.A.S. MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS et par la SAS VOLTAIRE, avocats au barreau de LILLE

DÉBATS :



En au...

Arrêt n°

du 4/09/2024

N° RG 23/00416

IF/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 4 septembre 2024

APPELANT :

d'un jugement rendu le 24 janvier 2023 par le Conseil de Prud'hommes de CHALONS-EN-CHAMPAGNE, section Industrie (n° F 21/00195)

Monsieur [M] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par la SELARL G.R.M.A., avocats au barreau de REIMS

INTIMÉE :

S.A.S. MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Pascal GUILLAUME, avocat au barreau de REIMS et par la SAS VOLTAIRE, avocats au barreau de LILLE

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 mai 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, et Madame Isabelle FALEUR, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 4 septembre 2024.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Madame Isabelle FALEUR, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Faits et procédure :

Monsieur [M] [I] a été embauché par la société routière Morin Marne le 10 novembre 2006, en qualité de conducteur d'engins. Cette société a été rachetée par le groupe Eiffage Route qui a ouvert en 2015 un site de fabrication de matériaux enrobés pour la construction, situé à [Localité 3] (51) exploité par une filiale, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE.

Monsieur [M] [I] a été mis à disposition de la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE aux termes d'un avenant à son contrat de travail du 21 mars 2016, avant d'y être définitivement muté le 1er juin 2016 en qualité de conducteur d'engins, statut ouvrier coefficient 140 N2P2 de la convention collective des ouvriers des travaux publics du 15 décembre 1992, avec une rémunération mensuelle brute de 1800 euros.

Le 1er avril 2019, la rémunération de Monsieur [M] [I] a été portée à la somme de 2 300 euros.

Au dernier état de la relation contractuelle, il travaillait en qualité d'opérateur de poste et bénéficiait de la qualification ETAM niveau D de la convention collective nationale des travaux publics. Son salaire mensuel brut de base s'élevait à 2 340 euros.

Par courrier du 12 novembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a convoqué Monsieur [M] [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27 novembre 2020 à 11 heures.

Le 24 novembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE lui a notifié, par courrier, une mise à pied conservatoire lui rappelant que la mise à pied lui avait été notifiée le vendredi 13 novembre à 14 heures par Monsieur [U] [S], directeur de filiale, lors de sa fin de poste et qu'une enquête était en cours au sein de l'entreprise.

Par courrier du 26 novembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a indiqué à Monsieur [M] [I] qu'une erreur avait été commise dans le courrier du 24 novembre 2020 et que la mise à pied conservatoire avait démarré le vendredi 20 novembre 2020 à 14 heures et non le 13 novembre 2020.

L'entretien préalable s'est tenu le 27 novembre 2020 en présence du salarié et de son conseiller.

Par lettre recommandée du 4 décembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a notifié à Monsieur [M] [I] un avertissement pour avoir :

- le 19 octobre 2020, passé commande d'un porteur de filler de 30 tonnes sans vérifier l'état du stock alors que le niveau des silos était au complet, la mise en silos ayant eu pour conséquence un débordement engendrant une perte sèche de 10 t et la nécessité de faire procéder au nettoyage par l'équipe de nuit,

- le 5 novembre 2020, mal procédé au nettoyage d'agrégats qu'il avait déversés sur un lot propre, le client se plaignant par la suite de présence de craie dans les enrobés,

- le 19 novembre 2020, commandé 10 t de chaux qui ont été déversées sur le tas de refus,

Par lettre recommandée du même jour, soit le 4 décembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a convoqué Monsieur [M] [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, lui rappelant sa mise à pied conservatoire depuis le 20 novembre 2020 à 14 heures.

L'entretien préalable s'est tenu le 14 décembre 2020 en présence du salarié et de son conseiller.

Par courrier recommandé du 17 décembre 2020, Monsieur [M] [I] a été licencié pour faute grave pour avoir :

- fait pénétrer une personne étrangère dans l'enceinte de l'établissement, pendant plusieurs heures, sans faire respecter les consignes sanitaires dues au covid,

- à plusieurs reprises commis des erreurs dans la saisie des bons de pesées engendrant un problème de fiabilité du système AQP

- conduit un engin agricole dans le bassin d'eau pluviale, loué à la société LOXAM, au mépris des règles élémentaires en matière de prévention au sein de l'établissement et sans porter ses EPI.

Monsieur [M] [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne de 6 décembre 2021 pour voir juger que son licenciement pour faute grave était dénué de cause réelle et sérieuse et obtenir divers rappels de salaires, des dommages et intérêts et diverses indemnités.

Par jugement du 24 janvier 2023, le conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne a débouté Monsieur [M] [I] de l'ensemble de ses demandes, débouté la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de ses demandes, débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles, dit que chaque partie conserverait la charge de ses dépens.

Le 28 février 2023, Monsieur [M] [I] a formé appel de toutes les dispositions du jugement de première instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 avril 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du 29 mai 2024 pour être mise en délibéré au 4 septembre 2024.

Prétentions et moyens des parties :

Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 21/11/2023, auxquelles en application de l'article 455 du code de procédure civile il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Monsieur [M] [I] demande à la cour :

DE LE JUGER recevable et bien fondé en son appel ;

D'INFIRMER le jugement rendu le 24 janvier 2023 par le Conseil de Prud'hommes de Châlons-en-Champagne en ce qu'il :

- l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- a débouté chacune des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a dit que chacune des parties conserverait la charge de ses dépens,

- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

DE JUGER que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

DE CONDAMNER la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE à lui payer les sommes suivantes :

. 37 240,68 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

. 1 831,31 euros outre 183,13 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire sur mise à pied du 23 novembre au 11 décembre et du 15 décembre au 17 décembre 2020,

. 12 396,49 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 6 206,78 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 620,67 euros de congés payés afférents,

A titre subsidiaire,

DE JUGER que son licenciement est irrégulier ;

DE CONDAMNER la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE à lui payer la somme de 3 103,39 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement irrégulier ;

En tout état de cause,

DE CONDAMNER la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE à lui payer la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles,

D'ORDONNER la remise des bulletins de salaires, de l'attestation Pôle Emploi ainsi que du certificat de travail conformes sous astreinte de 15 euros par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir, la Cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte ;

D'ORDONNER la régularisation de sa situation vis-à-vis des organismes sociaux sous astreinte de 15 euros par jour de retard et par organisme social à compter de la décision à intervenir, la Cour se réservant la faculté de liquider l'astreinte ;

DE CONDAMNER la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

DE DÉBOUTER la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de son appel incident et de l'intégralité de ses demandes ;

Aux termes de ses conclusions notifiées par RPVA le 25/08/2023, auxquelles en application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE demande à la Cour :

DE JUGER Monsieur [M] [I] irrecevable et, en tout état de cause, mal fondé en son appel ;

DE CONFIRMER les dispositions du jugement rendu le 24 janvier 2023 par le Conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne, ayant débouté Monsieur [M] [I] de l'ensemble de ses demandes ;

D'INFIRMER les dispositions du jugement rendu le 24 janvier 2023 par le Conseil de prud'hommes de Châlons-en-Champagne, ayant :

- débouté chacune des parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

- dit que chacune des parties conserverait la charge de ses dépens

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires

Statuant à nouveau,

DE JUGER que le licenciement de Monsieur [M] [I] est valable, fondé et justifié par une faute grave ;

En conséquence,

DE DÉBOUTER Monsieur [M] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

DE CONDAMNER Monsieur [M] [I] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile toutes instances confondues ;

DE CONDAMNER Monsieur [M] [I] à prendre en charge les entiers dépens ;

Motifs :

A titre liminaire il convient de relever que la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE, qui conclut à l'irrecevabilité des demandes de Monsieur [M] [I], ne fait valoir aucun moyen d'irrecevabilité. Elle sera donc déboutée de cette demande.

Sur la demande tendant à voir juger que le licenciement pour faute grave est dénué de cause réelle et sérieuse

La faute grave est celle qui résulte d'un fait, ou d'un ensemble de faits, imputable au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.

La lettre de licenciement qui, au cas d'espèce, fixe les limites du litige dans la mesure où le courrier adressé au salarié à la suite de sa demande de précision reprend textuellement les motifs contenus dans la lettre de licenciement, est ainsi rédigée : « (...) Vous avez fait pénétrer une personne étrangère dans l'enceinte de l'établissement sans faire respecter les consignes sanitaires dues au Covid. Cette personne a été accueillie dans l'enceinte du bureau du poste d'enrobage et cela pendant plusieurs heures.

Vous avez à maintes reprises commis des erreurs dans la saisie des bons de pesées, ce qui engendre un problème de fiabilité de notre système AQP (association qualité pesage). Pour rappel ce système est obligatoire dans la gestion des enrobés et pour des raisons réglementaires.

Pire encore vous avez conduit un engin agricole dans le bassin d'eaux pluviales, loué à la société LOXAM au mépris de toutes les règles élémentaires en matière de prévention au sein de notre établissement. L'absence du port de vos E.P.I. est un manquement caractérisé de nos consignes de sécurité.

Pour rappel vous avez déjà fait l'objet d'un avertissement début décembre 2020 et d'une mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 20 novembre 2020 à 14 heures. Dès lors les périodes non travaillées du 23 novembre 2020 au 13 décembre 2020 et du 15 décembre 2020 au 17 décembre 2020 ne seront pas rémunérées.

En outre, compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous vous informons que nous avons décidé de vous notifier votre licenciement pour faute grave, pour les raisons ci-dessus rappelées (...)

. sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison de l'épuisement du pouvoir disciplinaire de l'employeur

Monsieur [M] [I] soutient que la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE ne pouvait le licencier pour faute grave puisqu'elle avait épuisé son pouvoir disciplinaire dans la mesure où lorsque l'employeur qui a connaissance de divers faits commis par son salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, il ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction.

Il affirme que la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE avait connaissance de l'intégralité des faits qu'elle lui reproche dès le 4 décembre 2020, jour de l'avertissement et de l'engagement de la procédure de licenciement et souligne qu'en raison de la mise à pied à titre conservatoire, il n'a plus travaillé à compter du 20 novembre 2020.

Monsieur [M] [I] ajoute que la mise à pied à titre conservatoire doit être qualifiée de mise à pied disciplinaire dès lors que la lettre de convocation à entretien préalable du 4 décembre 2020 fait référence à la mesure de mise à pied à titre conservatoire du 20 novembre 2020, et que pour être qualifiée de conservatoire, la mise à pied doit être concomitante à l'engagement de la procédure de licenciement.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE répond que deux procédures distinctes ont été menées, ainsi que cela a été précisé à Monsieur [M] [I] dans un courrier du 11 janvier 2021, la première avec une convocation à entretien préalable tenu le 27 novembre 2020 ayant abouti à un avertissement et la seconde avec une convocation à entretien préalable tenu le 14 décembre 2020, avec mise à pied à titre conservatoire débutant le 20 novembre 2020, ayant abouti à son licenciement le 17 décembre 2020.

Elle fait valoir que, dans une telle hypothèse, il ne peut être considéré que l'employeur a renoncé à sanctionner la seconde faute après avoir sanctionné la première à une date où la seconde procédure n'était pas achevée.

Elle affirme qu'elle n'a eu accès aux images de videosurveillance concernant la venue d'une personne extérieure à l'entreprise que le 14 décembre 2020, date à laquelle elle a eu une connaissance exacte de la nature et de l'ampleur des faits.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE ajoute que la mise à pied est qualifiée de conservatoire lorsqu'elle est expressément désignée comme telle au salarié et notifiée dans un délai raisonnable ce qui est le cas lorsqu'une quinzaine de jours séparent la convocation à entretien préalable de la notification de la mise à pied.

Contrairement à ce qu'affirme la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE, aucun des éléments qu'elle produit aux débats ne prouve que Monsieur [M] [I] a été mis à pied à titre conservatoire dans le cadre de la seconde procédure disciplinaire, engagée le 4 décembre 2020 et ayant abouti à son licenciement.

Le 20 novembre 2020 Monsieur [U] [S], directeur de la filiale a adressé un email à Monsieur [M] [I] pour lui indiquer qu'un courrier de mise à pied était en cours de rédaction.

Le 24 novembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a notifié par lettre recommandée à Monsieur [M] [I] une mise à pied à titre conservatoire, lui rappelant que celle-ci lui avait été notifiée le vendredi 13 novembre 2020 à 14 heures par Monsieur [U] [S]. Il lui était également indiqué qu'une enquête était en cours au sein de l'entreprise.

Par courrier recommandé du 26 novembre 2020, elle lui a notifié un courrier rectificatif quant à la date de démarrage de la mise à pied, indiquant qu'en réalité elle avait commencé le vendredi 20 novembre 2020 à 14 heures et non le vendredi 13 novembre 2020.

Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable tenu le 27 novembre 2020, établi par le conseiller du salarié, qu'à l'occasion de cet entretien, il a été fait référence à la mise à pied à titre conservatoire notifiée le 20 novembre 2020.

Dans le cadre du courrier de convocation à entretien préalable à un éventuel licenciement envoyé par courrier recommandé à Monsieur [M] [I] le 4 décembre 2020, l'employeur lui rappelle sa mise à pied conservatoire depuis le 20 novembre 2020 à 14 heures.

Il ressort du compte rendu de l'entretien préalable tenu le 14 décembre 2020, établi par le conseiller du salarié, qu'à l'occasion de cet entretien, il a été fait référence, à nouveau, à la mise à pied à titre conservatoire notifiée le 20 novembre 2020. Par ailleurs les faits objets de l'avertissement du 27 novembre 2020 ont à nouveau été abordés dans le cadre de l'entretien.

Ces éléments établissent que la mise à pied conservatoire notifiée le 20 novembre à Monsieur [M] [I] est afférente aux deux procédures disciplinaires, celle ayant abouti à un avertissement et celle ayant abouti au licenciement du salarié.

A compter du 20 novembre 2020, Monsieur [M] [I] a été mis à pied à titre conservatoire et la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE a entrepris d'effectuer une enquête, selon ses propres affirmations dans le courrier adressé au salarié le 24 novembre 2020.

Selon l'article L 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Il appartient à l'employeur d'établir qu'il n'a été informé des faits que moins de deux mois avant l'engagement des poursuites ainsi que l'a rappelé la cour de cassation dans un arrêt de la chambre sociale du 26 juin 2024, pourvoi n° 23-17.687.

Or la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE ne justifie pas qu'en dépit de son enquête, elle n'avait connaissance ni le 27 novembre 2020, jour du premier entretien préalable, ni le 4 décembre 2020, jour de la notification d'un avertissement, des faits pour lesquels le jour même elle a engagé une seconde procédure disciplinaire qui a abouti au licenciement du salarié, étant souligné que les faits objets de la seconde procédure sont nécessairement antérieurs au 20 novembre 2020 puisque Monsieur [M] [I] n'a plus travaillé à compter de cette date.

Concernant le 1er grief, lié à l'entrée sur le site d'une personne étrangère à l'entreprise en période covid, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE produit une photographie extraite de la videosurveillance sur laquelle figure une personne qui s'apprête à entrer dans un bureau le 16 octobre 2020 à 13h36 et qui en ressort le 16 octobre 2020 à 17h18.

Le 14 décembre 2020 à 17h31, Monsieur [U] [S], directeur de filiale a adressé cette photographie par email à Madame [R] [L], ce qui ne prouve pas qu'il a eu connaissance seulement à cette date des images de la videosurveillance et de la présence de cette personne sur le site le 16 octobre 2020.

Concernant le seconde grief, relatif à des erreurs dans la saisie des bons de pesée, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE ne précise pas les dates et les circonstances des faits qu'elle reproche au salarié. Elle ne justifie pas davantage qu'elle a eu connaissance de ces erreurs postérieurement à l'entretien préalable du 27 novembre et à l'avertissement du 4 décembre.

Concernant le troisième grief relatif à la conduite d'un véhicule agricole dans un bassin d'eau pluviale et au non port des équipements individuels de protection, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE produit une photographie floue, non datée, qui ne permet pas davantage d'établir qu'elle a eu connaissance de ce fait postérieurement à l'entretien préalable du 27 novembre 2020 et à l'avertissement du 4 décembre 2020.

C'est donc à juste titre que Monsieur [M] [I] fait valoir qu'après lui avoir notifié un avertissement le 4 décembre 2020, la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE, qui ne justifie pas avoir eu connaissance des faits qui ont conduit à son licenciement, postérieurement à l'entretien préalable du 27 novembre 2020 et à l'avertissement du 4 décembre 2020, avait épuisé son pouvoir disciplinaire de sorte qu'elle ne pouvait le licencier pour faute.

Pour ce seul motif, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner le bien-fondé des griefs, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [M] [I] est fondé à solliciter le paiement du salaire qui ne lui a pas été versé au titre de la mise à pied à titre conservatoire, soit la somme totale de 1 831,31 euros outre 183,13 euros de congés payés afférents ainsi que cela est établi par les retenues qui figurent sur son bulletin de salaire du mois de décembre 2020.

La rémunération mensuelle brute moyenne de Monsieur [M] [I] calculée sur les 12 derniers mois précédant le licenciement s'élève à 3 103,39 euros.

Au moment de son licenciement, l'ancienneté de Monsieur [M] [I] était de 14 ans et un mois. Il était âgé de 33 ans.

En vertu de l'article 8.1 de la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics du 12 juillet 2006, Monsieur [M] [I], compte tenu de son ancienneté, avait droit à un préavis de deux mois.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE est donc condamnée à lui payer la somme de 6 206,78 euros outre 620,67 euros de congés payés afférents.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE est également condamnée à lui payer une somme de 12'396,49 euros d'indemnité de licenciement sur le fondement de l'article L 1234-9 du code du travail, l'indemnité légale de licenciement étant plus favorable que l'indemnité conventionnelle.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE ne justifie pas qu'elle emploie moins de 11 salariés.

Compte tenu de son ancienneté, Monsieur [M] [I] peut prétendre à des dommages et intérêts, pour réparer le préjudice né de la perte de son emploi, compris entre 3 et 12 mois de salaire brut.

Il justifie qu'il a été indemnisé par Pôle emploi devenu France Travail jusqu'au mois d'octobre 2023, date à laquelle il a créé une SARL de prestation de services dans le domaine équestre après avoir suivi une formation de maréchal-ferrant.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE est condamnée à réparer son préjudice né de la perte de son emploi à hauteur de la somme de 15 000 euros.

Le jugement de première instance est infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [I] de toutes ses demandes.

Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales et salariales applicables.

Le jugement de première instance est infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [M] [I] de sa demande au titre des frais irrépétibles, de sa demande de rectification des documents de fin de contrat et en ce qu'il a jugé que chaque partie garderait la charge de ses dépens.

Il y a lieu d'ordonner à la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE d'une part de remettre à Monsieur [M] [I] un bulletin de salaire, son attestation France Travail et son certificat de travail rectifiés et conformes au présent arrêt et d'autre part de régulariser la situation du salarié vis-à-vis des organismes sociaux.

L'astreinte n'apparaît toutefois pas nécessaire.

Les conditions s'avèrent réunies pour condamner l'employeur au remboursement à France Travail des indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [I] du jour du licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE qui succombe à hauteur d'appel est condamnée à payer à Monsieur [M] [I] la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

Elle est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

La société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE est condamnée aux dépens de première instance et d'appel

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

CONFIRME le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de sa demande au titre des frais irrépétibles et des dépens ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de sa demande tendant à voir juger que les demandes de Monsieur [M] [I] sont irrecevables ;

JUGE que le licenciement de Monsieur [M] [I] est dénué de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE en conséquence la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE à lui payer les sommes suivantes :

. 1 831,31 euros de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre 183,13 euros de congés payés afférents,

. 6 206,78 euros d'indemnité compensatrice de préavis outre 620,67 euros de congés payés afférents,

. 12'396,49 euros d'indemnité légale de licenciement,

. 15'000 euros de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse,

RAPPELLE que les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales et salariales applicables ;

ORDONNE à la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de remettre à Monsieur [M] [I] un bulletin de salaire, une attestation France Travail et un certificat de travail rectifiés et conformes au présent arrêt et de régulariser sa situation vis-à-vis des organismes sociaux ;

DIT n'y avoir lieu à astreinte ;

CONDAMNE l'employeur à rembourser à France Travail les indemnités de chômage versées à Monsieur [M] [I] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 6 mois d'indemnités ;

CONDAMNE la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE à payer à Monsieur [M] [I] la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

DÉBOUTE la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société MATERIAUX ENROBES DE CHAMPAGNE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 23/00416
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;23.00416 ?
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