3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N° 449
N° RG 17/07250 - N° Portalis DBVL-V-B7B-OKBO
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINI STERE
C/
SAS ETABLISSEMENTS CASTEL
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Boulouard
Me Chaudet
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2020
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, rapporteur
GREFFIER :
Madame Isabelle GESLIN OMNES, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 06 Octobre 2020
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 17 Novembre 2020 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU FINISTERE, société coopérative à capital variable, immatriculée au RCS de QUIMPER sous le n° 778 134 601, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège.
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Olivier BOULOUARD de la SELARL BAZIRE-BOULOUARD, plaidant/postulant, avocat au barreau de BREST
INTIMÉE :
SAS ETABLISSEMENTS CASTEL, immatriculée au RCS de Brest sous le n° 926 750 076, représentés par ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège.
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-David CHAUDET de la SCP JEAN-DAVID CHAUDET, postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Angélique LE JEUNE, avocat au barreau de Quimper substituant Me Georges FLOCHLAY de la SELARL LES CONSEILS D'ENTREPRISES, plaidant, avocat au barreau de QUIMPER
FAITS ET PROCEDURE
Les 21 et 22 décembre 2015, la société Etablissements Castel était victime d'une escroquerie 'au président'.
Ainsi, un individu se présentant au téléphone comme un expert-comptable de la société KPMG contactait Mme [V], comptable récemment embauchée par la société Etablissements Castel, pour lui indiquer qu'elle allait recevoir l'ordre de M. [J], dirigeant de la société, d'effectuer un virement au crédit d'un compte bancaire dont les coordonnées lui seraient alors communiquées.
Ce virement étant censé financer une offre publique d'achat qui devait intervenir dans le plus grand secret, le prétendu expert-comptable invitait Mme [V] à n'en parler à personne au sein de la société Etablissements Castel.
Quelques heures plus tard, Mme [V] recevait un courriel censé émaner de M. [J] qui lui confirmait l'ordre de virer une somme de 243.256,24 € au crédit d'un compte ouvert au nom de 'Castel' auprès de la National Westminster Bank.
Le lendemain, conformément au protocole 'EBICS' convenu avec le Crédit Agricole du Finistère, établissement tenant le compte bancaire de la société Etablissements Castel, Mme [V] envoyait à la banque l'ordre de virement par voie électronique, avant de le confirmer, toujours conformément au protocole, par une télécopie adressée à la banque sous sa propre signature.
Dès le lendemain matin, découvrant l'escroquerie dont la société Etablissements Castel venait d'être victime, M. [R] tentait de faire annuler l'opération par le Crédit Agricole.
Toutefois et en dépit des diligences de la banque, la procédure dite de «'recall'» échouait, le virement étant déjà devenu effectif et le compte indûment crédité vidé de son contenu.
Il s'avérait également que ce compte avait été ouvert par les escrocs pour les seuls besoins de l'opération et ce, sous un homonyme de la société Etablissements Castel.
Ayant définitivement perdu la somme escroquée en dépit d'une plainte pénale déposée contre auteurs inconnus, la société Etablissements Castel, qui considérait que le Crédit Agricole avait manqué à ses obligations contractuelles et de vigilance, faisait assigner la banque devant le tribunal de commerce de Quimper qui, par jugement du 15 septembre 2017':
- condamnait le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel la somme de 243.256,24 € avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ';
- ordonnait la capitalisation des intérêts par année entière' ;
- condamnait le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel une somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive' ;
- condamnait le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile' ;
- condamnait le Crédit Agricole aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 17 octobre 2017, le Crédit Agricole interjetait appel de cette décision.
L'appelant notifiait ses dernières conclusions le 29 avril 2020, l'intimée les siennes le 12 avril 2018.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 17 septembre 2020.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Le Crédit Agricole demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, en conséquence, de' :
- débouter la société Etablissements Castel de l'ensemble de ses demandes' ;
- juger la société Etablissements Castel entièrement responsable du préjudice subi par elle, du fait de ses fautes et négligences fautives' ;
- très subsidiairement, fixer à 80 % à minima le montant des préjudices devant rester à la charge de la société Etablissements Castel en raison de ses fautes et négligences fautives' ;
- condamner la société Etablissements Castel au paiement d'une somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile' ;
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au contraire, la société Etablissements Castel demande à la cour de :
Vu les articles 1937, 1103 et 1231-1 du code civil,
Vu l'article L 133-18 du code monétaire et financier,
- confirmer la décision entreprise ';
En conséquence,
- condamner le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel la somme de 243.256,24 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- ordonner la capitalisation des intérêts par année entière ;
- condamner le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel une somme de 8.000 € à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
- condamner le Crédit Agricole au paiement d'une somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- le condamner aux entiers dépens.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens des parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande principale ':
En vertu de l'article 1231-1 du code civil (article 1147 ancien du même code) le débiteur d'une obligation contractuelle est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
En l'espèce et ainsi que le fait justement valoir la société Castel, il peut être reproché au Crédit Agricole d'avoir validé un ordre de virement donné par une personne, en l'occurrence Mme [V], qui n'était pas habilitée à le faire.
En effet et ainsi que la banque le reconnaît elle-même, ce virement a été effectué dans le cadre de la procédure dite 'EBICS' (Electronic Banking Internet Communication Standard) convenue entre le Crédit Agricole et la société Castel suivant contrat en date du 20 avril 2011.
Or, il résulte des pièces du dossier, notamment des conditions générales et particulières de ce contrat' :
- que le service 'EBICS' était fourni à la société Etablissements Castel via une plate-forme informatique distincte du site internet d'accès en ligne aux services courants du Crédit Agricole, lui-même utilisé par la société en application du contrat 'CAEL' ([Adresse 5]) récemment modifié, par avenant du 8 décembre 2015, pour ajouter Mme [V], nouvellement arrivée dans la société, parmi les personnes habilitées à utiliser le site 'CAEL'' ;
- qu'en revanche, le service 'EBICS', distinct de 'CAEL', obéissait à ses propres règles, définies par le contrat du 20 avril 2011, indépendant du contrat 'CAEL' mis à jour le 8 décembre 2015 ';
- que le contrat 'EBICS' mentionnait notamment, en pages 7 et 8 de ses conditions générales, que 'le client [devait] confirmer chaque opération bancaire effectuée via le service par télécopie simultanément à l'émission des fichiers d'opération' et que 'la confirmation [devait] comporter': la raison sociale, les coordonnées bancaires, la nature de l'ordre, le nombre d'enregistrements, le montant total du lot transmis, la date et l'heure de transmission des fichiers d'opération, la date de remise (pour les lettres de change) ou la date d'exécution (pour les virements), ['], le cachet social et la signature habilitée''.
Ainsi, la procédure 'EBICS' prévoyait, à la charge de la banque, l'obligation de vérifier, au moment de la confirmation par télécopie d'un ordre de virement effectué via la plate-forme du même nom, que la personne qui l'avait utilisée était 'habilitée' à le faire, cette vérification consistant pour la banque à s'assurer que la signature portée sur la télécopie de confirmation était bien celle de l'une des personnes habilitées à utiliser le système.
Or, il est constant que Mme [V], qui venait d'être embauchée par la société Etablissements Castel, ne faisait pas partie des personnes 'habilitées' à utiliser la plate-forme 'EBICS', le contrat du 20 avril 2011, non remis à jour au moment de l'arrivée de Mme [V] parmi les effectifs de la société, ne faisant en effet mention que de deux utilisateurs habilités : M. [R] et Mme [J], précédente comptable qui avait depuis quitté la société.
Mme [V] ne pouvait donc pas utiliser cette plate-forme, la société Etablissements Castel n'ayant pas convenu avec la banque qu'elle le puisse.
Ainsi, c'est à tort que le Crédit Agricole soutient, par référence à l'article 4.2 du contrat 'EBICS' que la société Castel serait 'seule responsable des conséquences d'un accès non autorisé dû à sa négligence ou à celle d'un utilisateur habilité', ou encore d'une 'mauvaise utilisation ou utilisation frauduleuse du service par un utilisateur habilité', dès lors en effet que l'opération litigieuse, initiée par un utilisateur non habilité, n'aurait pas dû aboutir si la banque avait effectué son travail de vérification, prévue au contrat, de la signature apposée sur la télécopie de confirmation du virement.
A cet égard, il n'est pas même allégué que Mme [V] ait imité la signature d'une personne habilitée ni qu'elle se soit présentée auprès de la banque sous l'identité d'une personne habilitée, la pièce n° 11 produite par la société Etablissements Castel démontrant au contraire que, parallèlement à sa télécopie, la salariée a adressé au Crédit Agricole, sous sa propre identité («'V. [V], SAS Castel'»), un courriel pour l'informer qu'elle venait de lui transmettre un ordre de virement.
Dans ces conditions, il était aisé pour la banque de vérifier si Mme [V] faisait partie des personnes habilitées à utiliser la plate-forme 'EBICS' et, au vu de l'absence d'habilitation de celle-ci, de refuser d'exécuter l'ordre de virement.
A tout le moins, la banque aurait dû surseoir à l'opération pendant le temps nécessaire au règlement de la difficulté.
C'est justement parce que la banque n'a pas effectué sa mission de contrôle, que le virement a pu aboutir.
En effet, c'est précisément pour éviter qu'une opération puisse être réalisée sur la plate-forme 'EBICS' par une personne dépourvue du droit d'y procéder, qu'a été instituée la formalité complémentaire de la télécopie confirmant l'opération, la banque étant alors tenue de vérifier qui en est l'auteur et s'il est habilité à utiliser la plate-forme.
Quant à l'habilitation de Mme [V] pour utiliser cette plate-forme, dont il est constant qu'elle n'a pas été prévue dans le contrat du 20 avril 2011 ni par aucun avenant postérieur, le Crédit Agricole ne saurait la déduire :
- ni de l'habilitation de l'intéressée pour utiliser le service 'CAEL', étant encore rappelé qu'il est sans rapport avec le service 'EBICS', lequel utilise une autre plate-forme électronique et qui obéit à ses propres règles définies par le contrat du 20 avril 2011,
- ni du 'pouvoir' accordé le 9 décembre 2015 par le dirigeant de la société Etablissements Castel à la nouvelle salariée, s'agissant en effet d'un simple mandat bancaire autorisant Mme [V] à effectuer, au nom de la société, «'toutes les opérations sur les comptes ouverts au Crédit Agricole [...]'», par là même sans rapport avec l'utilisation d'une plate-forme spécifique -'EBICS'- obéissant à ses propres règles d'utilisation définies par une convention distincte.
Il en résulte que la banque a commis une faute engageant sa responsabilité civile contractuelle, et ce pour ne pas avoir respecté les obligations auxquelles elle était tenue envers sa cliente dans le cadre du contrat 'EBICS' conclu le 20 avril 2011.
S'agissant du préjudice subi par la société Etablissements Castel par suite de cette faute, il est amplement démontré, étant encore rappelé' :
- qu'il est constant que la société a définitivement perdu la somme de 243.256, 24 € virée, par la faute du Crédit Agricole, sur un compte que les escrocs se sont empressés de débiter, alors par ailleurs que la banque n'est pas parvenue à récupérer la somme correspondante auprès de son homologue britannique' ;
- que cette perte est bien la conséquence d'une défaillance de la banque à assurer sa mission contractuelle de vérification de l'habilitation des utilisateurs du système 'EBICS', et non d'une faute de la société Etablissements Castel, elle-même victime d'une escroquerie qui n'aurait pas pu prospérer si la banque avait respecté ses propres obligations.
Il s'ensuit que le Crédit Agricole est seul responsable de ce préjudice et qu'il ne saurait dès lors, même à titre subsidiaire, se prévaloir d'un partage de responsabilité.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné le Crédit Agricole à payer à la société Etablissements Castel la somme de 243.256, 24 €, la cour précisant, par ajout à la décision entreprise, que cette somme lui est allouée à titre de dommages-intérêts.
S'agissant d'une condamnation indemnitaire, elle produira intérêts au taux légal, non pas à compter de l'assignation comme le tribunal l'a décidé, mais à compter du prononcé du jugement confirmé, et ce conformément au principe prévu à l'article 1153-1 ancien du code civil.
Sur les autres demandes ':
La capitalisation, étant demandée, est de droit. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a ordonnée aux conditions de l'article 1154 ancien du code civil.
Faute pour la société Etablissements Castel de démontrer en quoi le Crédit Agricole aurait tenté de lui 'nuire' ainsi qu'elle le prétend, ou encore en quoi la banque aurait fait preuve d'une résistance abusive à son égard, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la banque à lui payer une somme de 3.000 € à titre de dommages-intérêts complémentaires.
Partie perdante, le Crédit Agricole sera condamné au paiement d'une somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés par son adversaire en cause d'appel, cette condamnation s'ajoutant à celle de même montant allouée par le tribunal au titre des frais irrépétibles exposés par la société Etablissements Castel en première instance.
Enfin, le Crédit Agricole supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour' :
- confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère à payer à la société Etablissements Castel la somme de 243.256, 24 €, en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts par année entière, en ce qu'il a condamné la banque au paiement d'une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, enfin en ce qu'il l'a condamnée aux entiers dépens de première instance ';
- l'infirmant pour le surplus de ses dispositions, statuant à nouveau et y ajoutant' :
* juge que la somme de 243.256,24 € est allouée à la société Etablissements Castel à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par elle du fait du manquement de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère à ses obligations contractuelles ;
* dit que les condamnations précitées produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement confirmé' ;
* condamne la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère à payer à la société Etablissements Castel une somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel' ;
* déboute les parties du surplus de leurs demandes ';
* condamne la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Finistère aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Le greffierLe président