3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°271
N° RG 19/07994 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QKJT
SAS Y3G GESTION
SAS ALMA VIANDES
C/
M. [N] [H]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me MERCIER
Me LHERMITTE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 03 MAI 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller, Rapporteur
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 15 Mars 2022
ARRÊT :
Contradictoire prononcé publiquement le 03 Mai 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
APPELANTES :
Société Y3G GESTION, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 451 206 288, prise en la personne de son représentant légal agissant ès qualité au siège.
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX D'AFFAIRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Société ALMA VIANDES, immatriculée au RCS de [Localité 3] sous le numéro 719 200 867, prise en la personne de son représentant légal agissant ès qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Matthieu MERCIER de la SELARL CARCREFF CONTENTIEUX D'AFFAIRES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Monsieur [N] [H]
né le 04 Avril 1965 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Rachel CORILLION de la SELAS STRATÉYS CONTENTIEUX, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Christophe LHERMITTE de la SCP GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
*****
FAITS ET PROCÉDURE
La société Y3G Gestion (ci-après la société Y3G), holding de gestion, détient l'intégralité du capital de la société Alma Viandes (la société AV), elle-même propriétaire d'un fonds de commerce de restaurant exploité sous l'enseigne «'Le Continental'» dans les locaux du centre commercial Alma à [Localité 3].
Désireuse de revendre l'ensemble de ses titres, la société Y3G a confié à l'agence Blot Commerce, intermédiaire en transactions sur fonds de commerce, la mission de rechercher un acquéreur dans le cadre d'une cession de contrôle total.
Suivant acte du 1er juin 2018 qualifié «'offre d'achat'», M. [N] [H] s'engageait à acquérir 100 % des actions composant le capital de la société AV, et ce, aux conditions suivantes':
- l'acquisition était prévue «'moyennant un prix des actions qui [serait] déterminé ultérieurement par les conseils des deux parties et selon les méthodes usuelles en pareille matière (réévaluation des éléments incorporels et du matériel, plus les immobilisations financières, plus l'actif circulant moins le passif)'»';
- les parties s'entendaient sur une valeur «'immuable'» de l'actif immobilisé (soit le fonds de commerce et le matériel) pour une valeur de 1.530.000 euros';
- était ainsi détaillée comme suit, à titre d'exemple et d'information, la méthode de valorisation des actions sur la base du bilan arrêté au 30 juin 2017':
Valeur de l'actif immobilisé': 1.530.000 €
Immobilisations financières': + 13.081 €
Actif circulant': + 242.722 €
A déduire': dettes': - 706.457 €
Total': 1.079.346 €
- la cession n'était pas soumise à une condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire';
- il était prévu en revanche, à titre de condition suspensive, la réalisation d'une revue limitée comptable, juridique, fiscal et sociale dont les résultats devraient être jugés satisfaisants par l'acquéreur et ses conseils et qui ne devrait révéler aucun élément significatif susceptible de remettre en cause l'acquisition';
- le transfert de propriété et l'entrée en jouissance étaient prévus pour le 1er janvier 2019';
- il était également prévu, à titre de «'conditions habituelles'», notamment':
* l'engagement du vendeur à signer une garantie d'actif et de passif, adossée à une contre-garantie bancaire, dont les montants seraient évalués ultérieurement par les conseils des parties';
* le remboursement au vendeur du montant de son compte courant d'associé existant au jour de la signature de l'acte définitif de cession des titres, selon des modalités à définir entre les parties afin de ne pas mettre en péril la trésorerie de la société';
* un engagement de non-concurrence du vendeur suivant une durée et dans une zone restant à déterminer';
* l'accompagnement du vendeur à la prise en main de l'entreprise selon des modalités restant à définir entre les parties.
Enfin, il était précisé qu'en cas d'acceptation de l'offre, un protocole d'accord, qui serait rédigé par le conseil de l'acquéreur et dont le seul but serait de compléter et de préciser l'ensemble des engagements précités, devrait être signé par les parties au plus tard dans les 60 jours suivant la date d'acceptation de l'offre, ce délai de réitération n'étant pas extinctif, mais constitutif du point de départ à partir duquel l'une des parties pourrait obliger l'autre à s'exécuter.
Toutefois, la vente des titres n'allait jamais être réitérée.
Au demeurant, les conditions de cette vente, telles qu'elles avaient été fixées dans l'acte du 1er juin 2018, allaient continuer à évoluer, puisqu'en effet :
- d'une part, le candidat acquéreur obtenait du vendeur qu'il renégocie en sa faveur le bail commercial auprès du propriétaire des murs,
- d'autre part, M. [H] obtenait une baisse du prix, la société Y3G ainsi accepté de ramener la valeur du fonds de commerce, soit l'actif immobilisé servant de référence à la détermination du prix des actions, de 1.530.000 euros à 1.450.000 euros.
Le vendeur devait d'ailleurs prendre acte de ces évolutions puisqu'il informait ses conseils, par un message électronique du 25 janvier 2019, qu'il avait finalement convenu avec M. [H] «'de ne pas signer le protocole'» aux conditions initialement envisagées.
Les deux parties se plaçaient ainsi dans la perspective de la signature d'un protocole de cession à une nouvelle date restant à définir.
Un rendez-vous était finalement fixé au 11 mars 2019 pour signature du protocole de cession des titres ainsi que de la convention de garantie d'actif et de passif, tous documents dont les projets, rédigés en définitive par les conseils de la société Y3G et non par ceux de M. [H], étaient adressés à ce dernier quelques jours auparavant.
L'ensemble des interlocuteurs, assistés de leurs conseils respectifs, se réunissaient effectivement à la date convenue.
Toutefois, la réunion allait tourner court, les parties s'étant finalement séparées sans qu'aucun acte n'ait été signé.
Par assignation en date du 16 mai 2019, la société Y3G et la société AV faisaient citer M. [H] devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins de voir constater l'accord intervenu entre les parties sur la cession de contrôle de la société AV, condamner M. [H], sous astreinte, à signer le protocole d'accord ainsi que la garantie d'actif et de passif préparés par le cabinet Blot Commerce, enfin à voir condamner M. [H] au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société Y3G du fait de la rupture brutale des pourparlers.
Par jugement du 5 décembre 2019, le tribunal':
- déboutait la société Y3G et la société AV de l'ensemble de leurs demandes';
- condamnait la société Y3G à payer à M. [H] une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- condamnait la société Y3G aux entiers dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 12 décembre 2019, la société Y3G interjetait appel de cette décision.
L'appelante notifiait ses dernières conclusions le 24 avril 2020, l'intimé les siennes le 16 avril 2020.
La clôture de la mise en état intervenait par ordonnance du 24 février 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Y3G demande à la cour de :
Vu l'article1583 du code civil,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions';
- constater l'accord entre la société Y3G et M. [H] sur la cession de contrôle de la société AV';
- ordonner l'exécution de cet accord formalisé par l'offre d'achat en date du 1er juin 2018, en tenant compte d'une révision à la baisse du prix de vente sur la base d'une valorisation de l'actif immobilisé (fonds de commerce et matériel) à hauteur de 1.450.000 euros';
- condamner M. [H] à signer le protocole d'accord et la garantie d'actif et de passif préparés par le Cabinet Blot Commerce (pièces 5.1 et 5.2), actes qui seront complétés par ce Cabinet, et ce, dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir et, passé ce délai, sous astreinte de 1.500 euros par jour de retard';
- déclarer commun et opposable la décision à intervenir à la société AV';
A titre subsidiaire, si la cour ne faisait pas droit aux demandes d'exécution forcée,
- condamner M. [H] à régler à la société Y3G la somme de 145.000 euros à titre d'indemnité d'immobilisation';
En tout état de cause,
Vu les articles 1240 et 1112 du code civil,
- dire et juger que M. [H] a commis une faute en rompant brutalement les pourparlers en cours avec la société Y3G';
- condamner M. [H] à payer à la société Y3G la somme de 24.975 euros à raison des frais d'études et de conseils engagés par celle-ci';
- condamner M. [H] à payer à la société Y3G la somme de 15.000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- condamner M. [H] au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens';
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions de M. [H].
Au contraire, M. [H] demande à la cour de :
Vu l'article 1583 du code civil,
Vu les articles 1240 et 1112 du code civil,
Vu les articles 514 et suivants du code de procédure civile,
Vu l'article 1221 du code civil,
Vu l'article 1190 du code civil,
- confirmer purement et simplement le jugement en ce qu'il a :
* débouté les sociétés Y3G et AV de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
* condamné la société Y3G à payer à M. [H] la somme de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
* condamné la société Y3G aux entiers dépens ;
- condamner in solidum les sociétés AV et Y3G au paiement d'une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner in solidum aux entiers dépens de la présente instance.
Il est renvoyé à la lecture des conclusions précitées pour un plus ample exposé des demandes et moyens développés par les parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande tendant à l'exécution forcée de l'accord en date du 1er juin 2018':
A l'appui de cette demande, la société Y3G soutient que cet accord vaut vente des actions de la société AV dans la mesure où, par application de l'article 1583 du code civil, la vente est parfaite dès que les parties se sont accordées sur la chose et sur le prix, quoique le prix ne soit pas encore déterminé, pourvu seulement qu'il soit déterminable.
Elle explique ainsi, en substance, que les parties se sont mises d'accord, et ce, dès le 1er juin 2018, pour fixer le prix du fonds de commerce de la société AV à la somme de 1.530.000 euros et qu'il ne restait plus dès lors qu'à connaître le montant des immobilisations financières, de l'actif circulant ainsi que des dettes de la société, selon ce qui résulterait du bilan à venir, pour déterminer le prix définitif des actions.
Si elle admet que les négociations ont continué ensuite, et que M. [H] a ainsi pu obtenir une réduction de la valeur du fonds de commerce à 1.450.000 euros pour tenir compte de sa dépréciation consécutive aux événements dits des «'gilets jaunes'», pour autant elle maintient que l'intéressé demeurait tenu par son engagement d'acquérir aux conditions convenues, au demeurant non suspensives, suivant acte du 1er juin 2018, sous réserve seulement, pour la fixation du prix des actions, de la réduction finalement obtenue sur la valeur du fonds.
Cependant et ainsi que le tribunal l'a justement retenu, la vente des titres de la société AV n'était pas encore parfaite à cette date, dès lors en effet que sa confirmation demeurait subordonnée à la bonne fin des négociations restant à entreprendre pour parvenir à un accord sur certaines conditions prévues dans l'acte du 1er juin 2018, en particulier':
- sur les limites - plafond, seuil de déclenchement, durée - de la garantie d'actif et de passif exigée du vendeur, de même que sur l'ampleur de la contre-garantie bancaire qui devait être adossée à cette garantie, toutes conditions qui restaient à «'évaluer par les conseils des parties'»'; à cet égard, la société Y3G ne saurait soutenir qu'il s'agissait là d'une condition accessoire de l'accord des parties, alors au contraire que le projet de convention de garantie élaborée depuis par les conseils de la société l'ont qualifiée de «'condition essentielle et déterminante de la cession'»'; de même, si la société Y3G a effectivement offert, dans le cadre de ce projet, sa garantie ainsi que celle d'une banque, pour autant M. [H] n'était pas tenu, en l'absence d'autres précisions contenues dans l'acte du 1er juin 2018, d'accepter les conditions de la cédante, la cour observant notamment que la contre-garantie bancaire ainsi proposée par la société Y3G était très réduite au regard du plafond de la garantie elle-même': 50.000 euros contre 800.000 euros)'; en tout état de cause, M. [H] demeurait recevable à négocier les conditions et limites de ces garanties';
- sur les conditions du remboursement du compte courant créditeur de l'associée cédante'; en effet, si le projet de protocole présenté à M. [H] le 11 mars 2019 a certes précisé ces conditions (soit un remboursement «'à la date de transfert'»), pour autant l'acheteur n'était pas tenu de les accepter, alors en effet qu'il avait précédemment manifesté son souci, aux termes mêmes de l'acte du 1er juin 2018, que ce remboursement n'ait pas pour effet de «'mettre en péril la trésorerie de la société'» à acquérir';
- sur les conditions, dans le temps et dans l'espace, de l'engagement de non-concurrence exigé du vendeur, alors en effet que l'acte du 1er juin 2018 stipulait qu'elles restaient «'à déterminer'», ce qui impliquait encore que la négociation se poursuive entre les parties pour en déterminer les contours'; ici encore, M. [H] n'était pas tenu d'accepter la proposition du vendeur, figurant dans le projet de protocole, d'un engagement limité à cinq années, et surtout dans un rayon de 500 mètres seulement autour du fonds cédé, ce qui laissait augurer d'une possibilité de réinstallation de la cédante à proximité du centre commercial Alma';
- enfin sur les conditions d'accompagnement de l'acquéreur dans la «'prise en main de l'entreprise'» cédée, selon des modalités restant à définir entre les parties, alors qu'en réalité, le projet de protocole les précise si peu qu'on peut s'interroger sur l'effectivité d'une obligation qui, aux termes de l'article 11 du projet, se bornerait pour la cédante «'à tenir régulièrement informé le cessionnaire de l'évolution de la société, notamment de l'évolution de l'activité, de la situation salariale, à lui présenter la clientèle et les cocontractants et l'initier aux affaires de la société'», sans autres précisions quant à la durée ou la forme que pourrait prendre cette initiation.
En définitive et compte tenu des négociations qui restaient à finaliser entre les parties pour parvenir à un accord sur plusieurs conditions essentielles et déterminantes de la cession des titres, l'acte du 1er juin 2018 relevait davantage de la lettre d'intention que de l'engagement à acquérir.
En tout cas, cet acte ne valait pas vente au sens de l'article 1583 du code civil.
Le dirigeant de la société Y3G l'avait d'ailleurs bien compris qui, dans un message adressé à ses conseils le 25 janvier 2019, les a informés qu'il avait finalement convenu avec M. [H], à la suite de la renégociation du bail commercial, «'de ne pas signer le protocole'» aux conditions initialement envisagées.
En conséquence, la société est mal fondée à réclamée aujourd'hui l'exécution forcée de l'offre du 1er juin 2018, même après prise en compte de la baisse de la valeur du fonds telle que retenue d'un commun accord entre les parties.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.
Sur la demande subsidiaire tendant au paiement d'une indemnité d'immobilisation':
La société Y3G réclame ainsi, pour le cas où il ne serait pas fait droit à sa demande d'exécution forcée de l'accord prétendument intervenu suivant acte du 1er juin 2018, que M. [H] soit au moins condamné au paiement de l'indemnité d'immobilisation prévue dans le protocole à titre de «'clause pénale'» en cas de refus de réitérer la vente, d'un montant de 145.000 euros.
Ici encore, cette demande ne saurait prospérer, étant en effet observé':
- que M. [H] n'a jamais signé ce protocole, lequel est resté à l'état de simple projet, puisque c'est précisément de ce refus de signature qu'est né le litige à l'origine de la présente instance';
- que l'acte du 1er juin 2018 ne contenait quant à lui aucune clause pénale ni indemnité d'immobilisation à la charge des parties pour le cas où l'une ou l'autre refuserait de le réitérer.
Il s'en suit que la demande en paiement ne peut qu'être rejetée comme étant dépourvue de tout fondement contractuel.
Sur la demande indemnitaire formée au titre d'une rupture brutale de pourparlers':
A titre liminaire, il convient d'observer que cette demande, en ce qu'elle n'est pas formée à titre subsidiaire mais à titre additionnel, discrédite la demande tendant à l'exécution forcée de l'accord prétendument parfait du 1er juin 2018 puisque :
- soit l'accord était parfait (thèse défendue par l'appelante, mais que la cour vient d'écarter), et dans ce cas, les relations entre les parties avaient nécessairement dépassé le stade des pourparlers,
- soit les pourparlers étaient toujours en cours lorsque M. [H] y a (aurait) mis fin, et dans ce cas, il n'y a jamais eu d'accord entre les parties.
Pour s'en tenir à cette dernière éventualité, la société Y3G, qui se prévaut des dispositions des articles 1240 et 1112 du code civil, reproche à M. [H] d'avoir commis une faute délictuelle (extra-contractuelle) en mettant fin brutalement aux discussions entre les parties et, alors qu'elles s'étaient mises d'accord pour signer le protocole de cession ainsi que la convention de garantie d'actif et de passif lors d'un rendez-vous programmé pour le 11 mars 2019, d'avoir refusé au dernier moment de signer ces actes sans même faire connaître les raisons de son revirement.
La société Y3G réclame ainsi la condamnation de M. [H] à l'indemniser des préjudices qu'elle dit avoir subis du fait de cette attitude fautive, d'une part des frais d'études et de négociation qu'elle a exposés pour une somme totale de 24.975 € dans la perspective avortée de la vente de ses titres, d'autre part d'un préjudice moral qu'elle estime à 15.000 euros.
L'article 1240 du code civil dispose que «'tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'».
Quant à l'article 1112 du même code, il prévoit':
«'L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi.
En cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser ni la perte des avantages attendus du contrat non conclu, ni la perte de chance d'obtenir ces avantages'».
Le principe reste donc celui de la liberté pour toute partie de mettre fin aux négociations précontractuelles, pour peu seulement':
- d'une part que la partie qui négocie demeure loyale et de bonne foi, ce qui implique notamment qu'elle puisse justifier d'un motif légitime pour mettre fin à la négociation';
- d'autre part que la rupture soit exempte d'abus, quelle qu'en soit la forme, notamment exempte de brutalité.
Or, en l'espèce, il n'est pas même établi que ce soit M. [H] qui ait mis fin aux pourparlers.
En effet, il résulte du témoignage de l'expert-comptable qui assistait l'intéressé lors du rendez-vous du 11 mars 2019, que la rupture s'est déroulée dans le contexte suivant':
- les négociations n'avaient jamais cessé jusqu'alors, les projets de protocole et de GAP ayant fait l'objet de plusieurs versions successives dont la dernière avait été adressée à M. [H] trois jours avant le rendez-vous';
- ce rendez-vous avait effectivement été convenu pour le 11 mars 2019, afin de signer les actes définitifs';
- le vendeur était présent au rendez-vous, assisté de ses conseils (expert-comptable, avocats)';
- était également représenté le cabinet Blot Commerce, intermédiaire qui avait participé à l'entremise';
- l'acheteur était lui-même présent, sans avocat, mais assisté de son expert-comptable, témoin de la scène';
- à la demande de l'acheteur, l'expert-comptable avait d'abord pris la parole pour évoquer les difficultés d'obtention d'un financement, liées à des interrogations récemment relayées par l'une des banques sollicitées quant à la santé économique de la société AV';
- ensuite, M. [H] avait lui-même pris la parole pour exprimer le souhait de «'revoir au plan juridique les projets de GAP et de protocole'», regrettant en effet de ne pas avoir sollicité les conseils d'un avocat';
- finalement et après une suspension de séance demandée par le vendeur pour se concerter avec ses conseils, le représentant de l'agence Blot était revenu pour annoncer que «'face à ce nouveau report de signature et cette nouvelle demande, le processus de cession était purement et simplement stoppé'».
Il n'y a aucune raison de remettre en cause la validité de ce témoignage, le seul fait qu'il émane d'un conseil de M. [H] n'étant pas suffisant pour lui ôter son crédit, alors par ailleurs':
- qu'il est d'une très grande précision, sans d'ailleurs omettre certains détails qui ne sont pas favorables à l'acheteur, notamment la circonstance que le rendez-vous avait bien été fixé dans la perspective d'une signature définitive de l'acte de cession, ou encore le fait qu'aient été évoquées d'éventuelles difficultés de financement du projet, alors même que M. [H] n'en avait pas fait jusqu'alors une condition suspensive de son accord pour acquérir';
- que ce témoignage n'est contredit par aucun autre, la société Y3G se bornant à dénoncer une rupture brutale des pourparlers à l'initiative de M. [H], et à affirmer que celui-ci n'aurait même pas donné d'explications à son refus de signer les documents qui lui étaient présentés.
Au contraire, il résulte de ce témoignage circonstancié que si la rupture est certes la conséquence des nouvelles exigences exprimées par M. [H] au cours de ce rendez-vous, en revanche ce n'est pas lui qui a pris l'initiative de mettre fin aux négociations puisqu'au contraire, il a expressément réclamé qu'elles se poursuivent.
C'est donc bien la société Y3G qui, refusant de continuer à négocier, a rompu le processus de discussion.
Dès lors et de ce seul fait, le reproche fait à la société Y3G d'une rupture brutale de pourparlers n'est pas établi.
Pour autant, et bien qu'elle ne s'en prévale pas expressément, la réclamation de la société Y3G doit aussi être envisagée sous l'angle d'une négociation que M. [H] aurait menée de manière déloyale, ce qui aurait conduit la société Y3G, légitimement, à prendre acte de cette déloyauté en mettant fin à la discussion pour ne pas faire durer plus longtemps une négociation vouée à l'échec.
Mais ici encore, les preuves de cette déloyauté font défaut.
En effet, en premier lieu, la société Y3G ne justifie pas d'un accord intervenu entre les parties, avant même le rendez-vous du 11 mars 2019, sur l'ensemble des éléments de la vente ainsi que sur ses accessoires, notamment quant aux modalités et limites de la GAP, quant à l'étendue de l'engagement de non-concurrence, ou encore quant aux conditions de rachat du compte courant d'associé, accord déjà acquis antérieurement et que le rendez-vous aurait eu pour seul objet de formaliser.
Ainsi et par exemple, l'appelante ne produit pas de message électronique justifiant d'un accord donné par M. [H], antérieurement au rendez-vous, sur les projets d'actes qui lui ont été transmis au cours des jours précédents.
A cet égard, son message du 28 février 2019 ne fait que marquer son accord quant à la date du rendez-vous.
Au surplus, ce message a été expédié à une époque à laquelle l'intéressé n'avait pas encore reçu la dernière version des projets établis par les conseils de la cédante.
Dès lors et quand bien même le rendez-vous avait été fixé dans la perspective de la signature de ces documents, M. [H] n'en demeurait pas moins légitime à en discuter encore la teneur, ce d'autant plus qu'il n'était pas assisté d'un avocat dont les conseils pouvaient s'avérer utiles, voire indispensables, s'agissant d'une opération avoisinant le million d'euros.
Ainsi, la société Y3G n'est pas fondée à se prévaloir d'une rupture «'brutale'», encore moins inattendue, de la négociation, alors au contraire que M. [H] pouvait encore, légitimement, continuer à négocier.
De même, relève du procès d'intention l'allégation selon laquelle M. [H] aurait prolongé artificiellement la négociation dans le seul but de bloquer la vente du fonds dans l'attente de sa dépréciation, voire dans l'espoir de sa périclitation, au seul motif que l'intéressé dispose de participations dans un autre restaurant de la place, et qu'il pouvait ainsi former le projet de la disparition d'un concurrent.
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Relève encore du même procès d'intention l'allégation selon laquelle M. [H] n'aurait jamais eu les fonds nécessaires à l'acquisition, alors en effet que l'intéressé verse aux débats une attestation du CIC qui justifie d'un accord de financement donné par la banque dès le le 4 mars 2019, soit plusieurs jours avant le rendez-vous qui a consacré la rupture entre les parties.
Ainsi la société Y3G échoue-t-elle dans sa tentative de démonstration d'une rupture fautive des pourparlers incombant à M. [H], alors au contraire qu'il est établi que c'est elle qui a mis fin à ces pourparlers et ce, à une époque à laquelle M. [H], qui n'était pas encore définitivement engagé, restait en droit de poursuivre les discussions qu'il avait toujours menées jusqu'alors de manière loyale et de bonne foi.
En conséquence, le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a débouté la société Y3G de ses demandes indemnitaires.
Sur les autres demandes':
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Y3G au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par son adversaire en première instance.
Y ajoutant, la cour condamnera la société Y3G au paiement d'une somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par M. [H] en cause d'appel.
Partie perdante, la société Y3G supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Enfin, la société AV n'étant pas directement concernée par le litige, il n'y a pas lieu de la condamner in solidum au paiement des sommes précitées.
PAR CES MOTIFS,
La cour :
- confirme le jugement en toutes ses dispositions;
- y ajoutant :
* déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
* condamne la société Y3G Gestion à payer à M. [N] [H] une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel';
* condamne la société Y3G Gestion aux entiers dépens de la procédure d'appel.
Le greffierLe président