3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°365
N° RG 19/06891 - N° Portalis DBVL-V-B7D-QF42
M. [D] [L]
Société DISLAMER
C/
M. [M] [E]
Société SPARKLING BROKERAGE
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me BONTE
Me BOURGES
Me VERRANDO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 28 JUIN 2022
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, Rapporteur
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
Assesseur : Monsieur Dominique GARET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Frédérique HABARE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 17 Mai 2022
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Juin 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
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APPELANTS :
Monsieur [D] [L]
né le 11 Décembre 1965 à HAUMONT
[Adresse 6]
[Localité 4]
Comparant en personne à l'audience
Représenté par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Mathilde DE CASTRO substituant Me Isilde QUENAULT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
SARL DISLAMER, immatriculée au RCS de COUTANCES sous le n° 494.307.275 prise en la personne de ses representants legaux
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Mikaël BONTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Mathilde DE CASTRO substituant Me Isilde QUENAULT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Monsieur [M] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Luc BOURGES de la SELARL LUC BOURGES, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
SARL SPARKLING BROKERAGE, immatriculée au RCS de Saint-Malo sous le n° 339 478 539, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
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FAITS ET PROCÉDURE :
M. [L] et la société Dislamer, dont M. [L] est gérant, ont eu le projet, à la fin de l'année 2016, de créer ensemble une société en vue d'exploiter une activité de navigation de plaisance, dont ils seraient associés.
Un projet de statuts a été établi entre les deux futurs associés pour la création d'une société dénommée société Paradis.
Courant décembre 2016, M. [L], agissant pour le compte de la société Paradis en cours de formation, a signé, avec la société Sparkling Brookerage, à l'enseigne Sparkling Charter (la société Sparkling), à la suite de l'intervention de M. [E], courtier, un compromis de vente relatif à un catamaran de type LAGOON 500.
Ce compromis de vente a été conclu sous la condition suspensive de l'obtention de crédit.
Lors de la signature du compromis, un acompte de 42.500 euros a été versé par la société Dislamer à la société Sparkling, le prix du bateau étant de 425.000 euros HT.
Le compromis de vente prévoyait que acompte devait être séquestré entre les mains de M. [E], courtier en charge de la transaction.
Par lettre du 11 Mai 2017 la société Sparkling, invoquant le défaut de paiement du solde du prix à la date prévue, a fait connaître à M. [L] sa décision d'annuler les effets du compromis de vente.
Par lettre du 1er juin 2017, M. [L] a mis en demeure le vendeur d'avoir à lui restituer l'acompte, lui rappelant que la non réalisation de la condition suspensive entrainait l'obligation de restituer celui ci.
A défaut de paiement, M. [L] et la société Disiamer ont assigné la société Sparkling en paiement. M. [E] a été assigné en intervention forcée.
Par jugement du 3 septembre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Malo a:
- Dit et jugé que M. [L] et la société Dislamer ont, par leur manque de diligence, empêché l'accomplissement de la condition suspensive, attachée au compromis de vente signé le 1er décembre 2016, objet du présent litige,
-En conséquence, Débouté M. [L] et la société Dislamer de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
-Rejeté la demande reconventionnelle de la société Sparkling,
-Condamné M. [L] et la société Dislamer à payer à la société Sparkling la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté la société Sparkling du surplus de sa demande,
-Condamné M. [L] et la société Dislamer aux entiers dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
M. [L] et la société Dislamer ont interjeté appel le 17 octobre 2019.
Les dernières conclusions de M. [L] et la société Dislamer sont en date du 8 octobre 2020. Les dernières conclusions de M. [E] sont en date du 1er octobre 2020. Les dernières conclusions de la société Sparkling sont en date du 24 septembre 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 avril 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
M. [L] et la société Dislamer demandent à la cour de :
- Infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Sparkling,
Statuant à nouveau :
- Condamner la société Sparkling à payer à M. [L] et à la société Dislamer la somme de 42.500 euros au titre de la restitution de l'acompte versé, avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2017,
- Ordonner la libération de l'acompte, séquestré entre les mains du courtier M. [E], au profit de M. [L] et de la société Dislamer,
- Condamner la société Sparkling à payer à M. [L] et à la société Dislamer la somme de 10.000 euros, soit 5.000 euros à chacun, à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive.
- Condamner la société Sparkling au paiement de la somme de 10.000 euros, soit 5.000 euros à chacun des appelants en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
- Rejeter l'appel incident de la société Sparkling,
- Confirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Sparkling,
- Débouter la société Sparkling et M. [E] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
M. [E] demande à la cour de :
- Déclarer M. [L] et la société Dislamer mal fondés en leur appel,
En conséquence :
- Confirmer en son intégralité le jugement,
- Débouter M. [L] et la société Dislamer de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires,
A titre subsidiaire, si par impossible la cour fait droit à l'appel de M. [L] et de la société Dislamer :
- Limiter la garantie de M. [E] au profit de la société Sparkling à hauteur de sa commission fixée à la somme de 20.000 euros TTC,
- Condamner solidairement M. [L] et la société Dislamer à payer à M. [E] une somme de 5.000 euros de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner solidairement M. [L] et la société Dislamer aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La société Sparkling demande à la cour de :
- Déclarer le M. [L] irrecevable et en tout cas non fondé en son appel et l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions, l'en débouter,
- Confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté la société Sparkling de sa demande reconventionnelle,
Et statuant à nouveau :
- Débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions,
Subsidiairement :
- Condamner M. [E] à garantir la société Sparkling de toute condamnation à restitution à concurrence de la moitié de l'acompte versé en application des articles 29 et 33 du compromis de vente,
En toute hypothèse :
- Condamner M. [L] à verser à la société Sparkling la somme de11.849,60 euros au titre des frais et travaux de réfection,
- Condamner M. [L] à payer à la société Sparkling la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [L] au paiement des entiers dépens de la présente instance avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la restitution de l'acompte :
Le compromis de vente prévoyait une vente au plus tard le 28 février 2017 et une clause suspensive d'obtention de crédit :
(11) Date de la vente : au + tard le 28/02/2017
(...)
(13) Clause suspensive d'obtention de crédit
SOUS Réserve de l'attribution du prêt bancaire.
Cette clause faisait dépendre la conclusion du contrat de la décision d'un tiers, un établissement bancaire, et n'était donc pas potestative.
Il était également prévu qu'en cas de défaillance de l'acheteur, l'acompte serait conservé par le vendeur et le courtier :
(30) DEFAILLANCE DE L'acheteur
Si l'ACHETEUR ne règle pas le Solde au plus tard à la date prévue pour l'Accomplissement de la Vent (lause(11), le VENDEUR dispose du droit d'annuler les effets du présent Compromis et dans ce cas, l'Acompte est conservé par le VENDEUR et le COURTIER, puis partagé par parts égales après déduction des frais engagés à l'occasion de l'Essai et de l'Expertise. Si la somme ainsi dégagée ne couvre pas la perte du VENDEUR, il lui appartient de réclamer compensation à l'ACHETEUR défaillant sous astreinte d'un intérêt à 10% l'an.
La société Sparkling et M. [E] font valoir que la condition suspensive serait réputée accomplie, M. [L] n'ayant pas engagé les démarches nécessaires à l'obtention d'un prêt dans un délai raisonnable.
Article 1304-3 du code civil :
La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement.
La condition résolutoire est réputée défaillie si son accomplissement a été provoqué par la partie qui y avait intérêt.
Il apparaît que la clause suspensive était pour le moins imprécise, ne prévoyant ni montant du prêt, ni ses caractéristiques, ni aucun délai pour déposer une demande de prêt. L'article 35 du compromis renvoyait aux conditions générales courantes. Ces conditions générales ne sont cepandant pas produites et il n'est pas justifié qu'elles aient été plus précises sur le mécanisme de la clause suspensive en question.
Le compromis prévoyait le paiement du solde dû, soit 382.500 euros, au 28 février 2017. Il résulte cependant de la lettre de la société Sparkling en date du 11 mai 2017 qu'à la demande de M.[L] un délai supplémentaire lui avait été accordé par la société Sparkling pour réunir les fonds. Ce n'est que le 11 mai 2017 que la société Sparkling a entendu se prévaloir de l'expiration de la date impartie pour finaliser la vente.
De même, c'est le 24 mars 2017 que M. [E] a adressé à M. [L] l'acte de francisation. Un tel envoi implique que M. [E] considérait également qu'à cette date les démarches en vue de la vente se poursuivaient.
M. [L] justifie avoir déposé une demande de prêt le 25 février 2017. Même si cette date était trop proche de la date butoir du 28 février 2017 pour permettre raisonnablement l'obtention d'un prêt dans les délais requis, il apparaît que la société Sparkling avait accepté de repousser cette date. Il est en outre justifié que M. [L] a été victime d'un infarctus inférieur en décembre 2016.
M. [L] justifie avoir bénéficié d'un entretien avec les services du Crédit Mutuel le 14 mars 2017 aux fins d'obtenir un financement professionnel pour 361.320 euros correspondant à l'acquisition d'un catamaran Lagoon 500. Par lettre du 22 avril 2017, le Crédit Mutuel a confirmé que le dossier était en cours d'étude pour une demande de prêt de 361.320 euros et qu'il mettait tout en oeuvre pour donner réponse dans les meilleurs délais.
M. [L] justifie avoir relancé le Crédit Mutuel le 3 mai 2017 pour connaître sa réponse relative à la demande de prêt. Il lui a été répondu que le dossier avait de nouveau été transmis au service analyse de [Localité 7] le 25 avril 2017.
Il résulte de la lettre du CCM Carentan en date du 20 mai 2017, et l'attestation du Crédit Mutuel de Carentan du 11 juillet 2017, que la société Paradis a présenté une demande de prêt le 25 février 2017 pour la somme de 276.320 euros sur une durée de 180 mois et que cette demande a été rejetée. L'intitulé de la demande de prêt permet de vérifier que cette demande était bien en lien avec le projet d'acquisition du bateau en litige en l'espèce.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le Crédit Mutuel a traité la demande de prêt comme étant unique mais qu'après un premier montant de 361.320 euros, M. [L] a réduit la somme demandée à 276.320 euros pour que les services de la banque examinent de nouveau sa demande.
Il apparaît ainsi que si M. [L] a tardé à présenter une demande de prêt, il l'a fait alors que la société Sparkling avait accepté de repousser la date du 28 février 2017 pour signer la vente.
M. [L] justifie avoir engagé les démarches en vue de l'obtention d'un prêt, acceptant de fait de réduire le montant du prêt demandé pour augmenter ses chances d'obtenir l'accord de la banque. Il n'est pas établi que ces démarches aient été incomplètes ou insuffisante, les écrits du Crédit Mutuel produits aux débats ne faisant d'ailleurs pas état du caractère incomplet de la demande de prêt.
Il apparaît ainsi qu'il n'est pas établi que M. [L] ait empêché l'accomplissement de la condition.
Il apparaît que la condition prévue à la promesse de vente ne s'est pas réalisée, M. [L] n'ayant pas obtenu le prêt. La promesse est donc caduque, en toutes ses dispositions, y compris celles de l'article 30 invoquée par la société Sparkling et M. [E]. M. [L] a droit au remboursement de l'acompte.
La société [L] n'a pas été partie au contrat de promesse de vente. M. [L] y était présenté comme agissant pour le compte de la société en formation Paradis qui devait être détenue à 20% par M. [L] et à 80% par la société Dislamer.
A titre de restitution de l'acompte, il y a lieu de condamner la société Sparkling à payer à M. [L] et la société Dislamer la somme globale de 42.500 euros avec intérêts au taux légal à compter du 1er juin 2017, date de la mise en demeure.
Sur les factures de la société Sparkling :
La société Sparkling demande le paiement de factures correspondantes aux travaux qu'elle aurait engagés sur le bateau, à la demande de M. [L], en vue de la vente.
Il apparaît que ces travaux n'ont pu profiter qu'au navire dont la société Sparkling est restée propriétaire. La caducité du compromis de vente ne permet pas à la société Sparkling d'en invoquer les dispositions pour demander le paiement de travaux effectués sur le navire, eussent ils été réalisés pour répondre à des demandes de l'acquéreur potentiel dans le but de faciliter cette vente.
Les demandes de paiement formées par la société Sparkling seront rejetées et le jugement confirmé sur ce point.
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Sur la garantie de M. [E] :
Le compromis de vente prévoyait que l'acompte de 10% du prix de vente serait crédité au compte du courtier qui agissait à cet effet au titre de dépositaire séquestre dans le cadre du contrat.
Il en résulte que M. [E] était tenu de conserver l'acompte. C'est cependant la société Sparkling qui a perçu cet acompte. Il apparait que cette dernière a reversé la somme de 20.000 euros à M. [E] au titre de sa commission d'intermédiaire. Le compromis de vente étant devenu caduc, il y a lieu de condamner M. [E] à garantir la société Sparkling de sa condamnation à restitution à hauteur de la somme de 20.000 euros.
Sur la résistance abusive de la société Sparkling :
Il n'est pas justifié que la société Sparkling se soit opposée à la demande de remboursement de l'acompte pour des motifs autres que ceux de faire valoir ses droits en justice.
La demande de paiement de dommages-intérêts formée par M. [L] sera rejetée.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Sparkling et M. [E] aux dépens de première instance et d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande reconventionnelle de la société Sparkling Brokerage,
- Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Condamne la société Sparkling Brokerage à payer à M. [L] et la Société Dislamer la somme globale de 42.500 euros avec intérêt au taux légal à compter du 1er juin 2017,
- Condamne M.[E] à garantir la société Sparkling Brokerage de sa condamnation à hauteur de la somme de 20.000 euros,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne la société Sparkling Brokerage et M. [E] aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier, Le Président,