5ème Chambre
ARRÊT N°-107
N° RG 21/02868 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RTWH
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
S.A.S. S.L.R.
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 18 Janvier 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Emilie BUTTIER de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉE :
S.A.S. S.L.R. Société par actions simplifiée au capital de 100 000,00 €, immatriculée au RCS de RENNES sous le n° 402 934 038 prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Bruno CRESSARD de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
La société SLR exploite le restaurant 'La Taverne' situé à [Adresse 3].
Elle a souscrit le 20 mai 2019 avec effet au 1er mai 2019, un contrat d'assurance multirisque professionnelle auprès de la société Axa France Iard.
A la suite de la crise sanitaire dite 'Covid 19", la société SLR, arguant d'une fermeture administrative, a déclaré un sinistre à son assureur, la société Axa, afin d'être indemnisée de ses pertes d'exploitation.
Les parties ne s'accordant pas, la société SLR a décidé de saisir le tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement en date du 16 mars 2021, ce tribunal :
- a constaté que la fermeture du restaurant 'La Taverne' appartenant à la société demanderesse, est bien une fermeture administrative qui trouve son origine dans une décision imposée par les services de police ou d'hygiène et sécurité.
- a dit que les conditions relatives à la 'Garantie Pertes d'Exploitation' consécutives à la fermeture administrative du restaurant 'La Taverne' appartenant à la société demanderesse lui sont acquises,
- a condamné la société Axa France Iard à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant 'La Taverne', exploité par la société demanderesse, dans les conditions prévues au contrat,
- a ordonné le versement par la société Axa France Iard à la société demanderesse, à titre de provision, de la somme de 345 814 euros sous astreinte provisoire de 500 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement et ce, pour une période de 60 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,
- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'article 491 du code de procédure civile,
- ordonné une expertise judiciaire, aux frais avancés exclusivement par la demanderesse,
- a désigné Mme [Z] [N], [Adresse 2], avec pour mission de :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, (notamment l'estimation effectuée par la demanderesse et/ou son expert-comptable) accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation 2019-2020.
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations.
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance.
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées.
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,
* rédiger un pré-rapport et le soumettre aux parties,
* répondre aux dires des parties,
* rédiger un rapport définitif.
- dit qu'avant d'accepter sa mission, l'expert désigné pourra consulter au greffe du Tribunal les documents qui lui sont nécessaires par application de l'article 268 du code de procédure civile.
- dit qu'en cas de refus de la mission, il sera procédé à la désignation d'un autre expert par le juge en charge du suivi du présent dossier.
- dit qu'en cas de carence des parties à fournir tous moyens à l'Expert d'accomplir sa mission, ce dernier informera le juge chargé du suivi du dossier conformément aux dispositions de l'article 275 du Code de procédure civile.
- dit que I'expert pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées et pourra s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité distincte de la sienne par application de l'article 278 du code de procédure civile,
- fixé la provision sur honoraires de l'expert à la somme de 3 000 euros que la demanderesse devra consigner au greffe de ce tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la date de la présente ordonnance.
- dit que l'expert devra commencer ses opérations à compter du jour où il aura reçu notification par le greffe de la consignation de la provision fixée ci-dessus, et ce, conformément à l'article 267 alinéa 2 du code de procédure civile.
- dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, le juge chargé du suivi du dossier constatera la caducité de la mesure sauf par l'une des parties à agir conformément à l'article 271 du code de procédure civile.
- dit que l'expert fera connaître à la société demanderesse le montant de ses frais et honoraires dans le mois suivant la première réunion,
- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif en deux exemplaires au greffe du tribunal de commerce de Rennes dans un délai de 4 mois à compter du jour de la consignation de la provision au greffe du tribunal,
- dit que dans le cas ou les parties viendraient à se concilier, elles en informeront l'expert, lequel devra constater que sa mission est devenue sans objet et en faire rapport au juge chargé du suivi du dossier après que les parties aient convenu du mode de règlement de ses honoraires et débours,
- dit que M. [C] Président de chambre de ce tribunal, aura en charge le suivi du présent dossier,
- autorisé messieurs les greffiers à remettre leurs dossiers aux parties ou à leurs conseils,
- a sursis à statuer sur la liquidation définitive de l'indemnisation pour pertes d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert.
- a condamné la société Axa France Iard, qui succombe, à payer à la société demanderesse la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- a débouté la société demanderesse du surplus de ses demandes,
- a condamné la compagnie Axa France Iard aux entiers dépens,
- a liquidé les frais de greffe à la somme de 94,34 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile.
Le 10 mai 2021, la société Axa France Iard a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 17 janvier 2023, elle demande à la cour de :
A titre principal,
- réformer le jugement rendu le 16 mars 2021 en ce qu'il a constaté que la fermeture du restaurant 'La Taverne' appartenant à la société SLR est une fermeture administrative qui trouve son origine dans une décision imposée par les services de police ou d'hygiène et sécurité,
Et statuant à nouveau,
- juger que les conditions d'application de la garantie « Perte d'exploitation et frais supplémentaires » ne sont pas réunies du fait de l'absence de fermeture administrative,
En conséquence :
- débouter la société SLR de sa demande de condamnation formulée à son encontre,
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour estimait que sa garantie était mobilisable en l'espèce :
- réformer le jugement en ce qu'il a ordonné le versement par elle d'une provision de 345 814 euros, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le 15ème jour suivant la signification du jugement,
Et statuant à nouveau,
- juger que la preuve du montant des pertes d'exploitation correspondant à l'indemnité sollicitée n'est pas rapportée,
En conséquence :
- débouter la société SLR de sa demande de condamnation formulée à son encontre,
En tout état de cause,
- réformer le jugement entrepris ayant assorti la condamnation au paiement de l'indemnité provisionnelle d'une astreinte de 500 euros par jour de retard,
- rejeter le demande au titre de la résistance abusive,
- condamner la société SLR à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2023, la société SLR demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu le 16 mars 2021 en ce qu'il a :
* jugé que la fermeture du restaurant 'La Taverne ' qu'elle exploite est bien une fermeture administrative qui trouve son origine dans une décision imposée par les services, de police ou d'hygiène et sécurité et qu'ainsi, les conditions relatives à la garantie Pertes d'exploitation sont acquises,
* condamné la société Axa France Iard garantir les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative du restaurant exploité par la société SLR., dans les conditions prévues au contrat,
* ordonné le versement par la société Axa France Iard de la somme de
345 814 euros à titre de provision, sous astreinte de 500 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement et ce pour une période de 60 jours,
* ordonné une expertise judiciaire,
* condamné la société Axa France Iard à payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,
* condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens.
- condamner la société Axa à lui verser, à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices, les sommes de :
* 465 174 euros pour la période du 15 mars au 15 septembre 2020, sous déduction des sommes déjà mises à sa charge par le jugement du tribunal de commerce de Rennes du 16 mars 2021,
* 710 972 euros pour la période du 29 octobre 2020 au 29 avril 2021,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté la demande d'indemnisation de la société SLR au titre de la perte d'usage,
- par conséquent, condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 31 785 euros au titre de la perte d'usage,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de la demande d'indemnisation au titre des frais supplémentaires d'exploitation,
- par conséquent, condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 4 201,40 au titre des frais supplémentaires d'exploitation,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de la demande d'indemnisation à hauteur de 50 000 euros de dommages-intérêts au titre de la résistance abusive de la société Axa France Iard,
- par conséquent, condamner la société Axa France Iard à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts pour résistance abusive,
- assortir ces condamnations d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la signification de l'arrêt, outre les intérêts légaux calculés à compter de la date du 21 avril 2020,
- rejeter toutes les demandes, fins et conclusions contraires de la société Axa France Iard,
- condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
- condamner la société Axa France Iard aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
-sur la garantie pertes exploitation et frais supplémentaires
Au soutien de son appel, la société Axa France Iard conteste devoir garantir la société SLR.
Elle relève que :
- les conditions générales prévoient en leur article 2.1 une garantie des pertes d'exploitation dont l'application est circonscrite à des événements limitativement énumérés et ne contenant aucune disposition susceptible de mobiliser la garantie à la suite d'une fermeture administrative, ces conditions prévoyant que les pertes garanties sont celles consécutives à un dommage matériel causé par un événement garanti,
- les conditions particulières 'Restaurant' établies par le courtier Satec prévoient que les pertes couvertes sont celles consécutives à un événement garanti figurant dans une liste, cette liste étendant les événements garantis et notamment à la fermeture de l'établissement sur ordre des autorités,
- les conventions spéciales prévoient que les pertes d'exploitation sont couvertes uniquement lorsqu'elles sont la conséquence directe d'un dommage matériel causé par un événement garanti et que l'interdiction de recevoir du public ne peut être assimilée à un événement garanti et n'a pas davantage causé un dommage matériel à l'établissement,
- ces conventions spéciales contiennent une extension de la garantie pertes d'exploitation à la fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité.
En l'espèce, elle relève que la société SLR a réalisé sur la période du 1er mars 2020 au 30 juin 3020 un chiffre d'affaires de 366 648 euros ; elle estime que l'établissement exploité n'a pas fait l'objet d'une fermeture administrative, car l'interdiction prononcée étant celle d'accueillir du public, les restaurateurs pouvaient poursuivre leur activité de vente à emporter ou de livraison.
Elle ajoute que ni l'arrêté du 14 mars 2020 ni les décrets du 23 mars 2020 et 14 avril 2020 n'ont ordonné de fermeture administrative et n'ont imposé aux restaurateurs de fermer leurs établissements, de sorte que la fermeture résulte d'une décision délibérée du dirigeant, et il n'a jamais été consenti une garantie des pertes d'exploitation consécutives à une décision unilatérale et non contrainte de l'assuré de fermer son restaurant, a fortiori en raison d'une pandémie.
Selon elle, les décisions de fermeture administrative sont des décisions prononcées à titre individuel ayant pour objet de fermer l'établissement consécutivement à un fait trouvant son origine dans les locaux assurés (non-respect des normes d'hygiène, des règles de sécurité..), prises par les services localement compétents, à l'issue d'une procédure contradictoire, en considération de faits propres à un établissement et tel n'est pas le cas en l'espèce.
Elle indique que la démarche transactionnelle au terme de laquelle elle a formulé une proposition financière à l'assurée ne caractérise pas une reconnaissance de responsabilité, précisant avoir notifié son refus de garantie de manière constante dès le 4 mai 2020.
En réponse, la société SLR soutient que la garantie fermeture administrative qu'elle sollicite ne suppose pas la démonstration d'un dommage matériel aux biens de l'assuré, et rappelle que cette garantie est prévue au sein des 'conventions spéciales restaurants' au titre de l'article 9.2 pertes d'exploitation et frais supplémentaires.
Elle relève que l'assureur avait présenté une proposition d'indemnisation.
Selon elle, il ne ressort pas des documents contractuels (les conditions particulières restaurants, les conditions spéciales restaurants, les conditions particulières et les conditions générales 690200Q), que les déclarations et conventions des 'conventions spéciales restaurants' se rattachent directement à la garantie principale, observant que la référence au sinistre est absente dans la garantie fermeture administrative.
S'il devait être considéré que tel est le cas, elle objecte que les conditions générales 690200Q visent non seulement les pertes liées à un dommage matériel mais aussi celles liées à une impossibilité ou une difficulté d'accès, ces deux dernières causes ne supposant pas la démonstration d'un dommage matériel.
Elle soutient avoir fait l'objet d'une fermeture administrative au sens du contrat, relevant que ce terme n'est pas défini et peut donc s'entendre comme une décision de fermeture décidée par une autorité administrative en vertu d'un acte administratif.
S'agissant de notions de ' services de police ou d'hygiène ou de sécurité', elle estime que le Ministre de la santé et des solidarités, le Premier Ministre et la Préfète d'Ille-et-Vilaine, doivent être considérés comme de tels services, disposant d'un pouvoir de police administrative générale et/ou spéciale et ayant compétence pour assurer le respect de l'ordre public dont les composantes sont la sécurité et la salubrité publique.
Elle considère que la fermeture peut être partielle ou totale de sorte que l'interdiction de recevoir du public est bien une décision de fermeture administrative.
Elle indique que le montant de son chiffre d'affaires n'est pas significatif, ayant été réalisé durant une période non concernée par l'interdiction de recevoir du public et qu'il ne peut lui être opposé une possibilité de réaliser de la vente à emporter, alors que cette activité n'est d'une part, pas déclarée dans le contrat d'assurance et est d'autre part, sans incidence sur l'application de la garantie.
Elle fait valoir que l'extension de garantie pour fermeture administrative par ordre des autorités est exclue dans la seule hypothèse d'une violation volontaire de la réglementation, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant de mesures imposées ayant pour cause la pandémie de Covid-19. Elle s'estime en conséquence fondée à bénéficier de la mise en jeu de la garantie 'pertes exploitation et frais supplémentaires' souscrite auprès de la société Axa France Iard.
Selon l'article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 1104 de ce même code prévoit que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. En application de ce texte, il appartient à l'assuré de démontrer que les conditions d'application de la garantie sont remplies.
Il est constaté tout d'abord que la société SLR a effectué une déclaration de sinistre le 21 avril 2020 invoquant la fermeture de son établissement depuis le 15 mars 2020 et sollicitant de son assureur une prise en charge au titre de la garantie 'pertes d'exploitation et frais supplémentaires'.
La société Axa France Iard, par mail du 4 mai 2020 a immédiatement contesté l'application de la garantie en l'espèce, considérant que la décision d'interdiction générale faite aux restaurants d'accueillir du public tout en autorisant la vente à emporter ou la livraison ne correspondait pas des mesures de fermeture visées par la garantie.
Il est évoqué dans un courrier du conseil de l'intimée une proposition d'indemnisation présentée le 6 août 2020 par la société Axa France Iard.
L'engagement par l'assureur d'un processus transactionnel avec son assuré, pouvant résulter de divers motifs, ne peut valoir, dans ces circonstances, reconnaissance par l'assureur de la garantie due à son assuré en application du contrat. Ce moyen est écarté.
Le contrat d'assurance souscrit par la société SLR le 20 mai 2019 mentionne Ces conditions particulières jointes aux conditions générales n° 690200 Q 012019, et à l'intercalaire du cabinet Satec, constituent le contrat d'assurance.
Il n'est pas discuté que l'intercalaire du cabinet Satec comporte des 'conditions particulières restaurant' et des 'conventions spéciales restaurant'.
Les conditions générales contiennent un article 9.2 'pertes d'exploitation, perte de revenus ' libellé comme suit :
Événement concerné :
L'interruption ou la réduction temporaire de votre activité professionnelle assurée, résultant directement :
- soit d'un dommage matériel garanti au titre des garanties suivantes :
* incendie, explosions et risques annexes,
* tempêtes, grêle, poids de la neige sur les toitures,
* vandalisme,
* attentats, émeutes, grèves, mouvements populaires,
* actes de terrorisme,
* événements climatiques,
* dégâts des eaux,
* catastrophes naturelles,
- soit d'une impossibilité d'accès à vos locaux professionnels, notamment en cas d'interdiction par les autorités compétentes, consécutives à un des événements suivants survenus dans le voisinage :
* incendie, explosion et risques divers,
* événement climatique de la nature de ceux décrits dans la garantie,
* catastrophe naturelle,
- soit d'une impossibilité d'accès à vos locaux professionnels suite à la fermeture du centre commercial dans lesquels ils sont situés. Cette dernière doit être étendue à l'un des événements garantis. Il n'est pas nécessaire sur vos propres locaux soient atteints directement
- soit d'une baisse de fréquentation de la clientèle du centre commercial dans lequel sont situés vos locaux professionnels par suite d'un dommage couvert au titre de l'une de garanties suivantes :
* incendie, explosion et risques divers,
* événements climatiques,
* catastrophes naturelles,
* effondrement,
ayant entraîné la fermeture du principal magasin du centre commercial, à la condition que ce magasin réalise plus de 50% du chiffre d'affaires total du centre commercial, et que ce dernier ne soit pas le vôtre,
- soit d'une impossibilité d'accès à vos locaux professionnels dû à un arrêté de police consécutif à l'un des événements suivants :
* suicide,
* alerte à colis suspect.
Ces conditions générales ne prévoient pas la garantie pertes exploitation en raison d'une fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité, ici sollicitée, et qui a été convenue contractuellement dans les conventions spéciales restaurants sous l'intitulé ' déclarations et conventions' et les conditions particulières du contrat au titre d''extensions'. Ces conditions générales, qui n'évoquent nullement cette garantie étendue sont donc inopérantes pour déterminer si les conditions de la garantie sont réunies.
Les conditions particulières du contrat d'assurance prévoient ainsi à l'article 9.2 la garantie suivante :
pertes d'exploitation et frais supplémentaires
( franchise néant)
- incendie, explosions et risques annexes,
- tempêtes, grêle, poids de la neige sur les toitures,
- vandalisme,
- attentats, émeutes, grèves, mouvements populaires,
- actes de terrorisme,
- événements climatiques,
- dégâts des eaux,
- catastrophes naturelles
montant réel de la perte, de la marge brute et des frais supplémentaires d'exploitation à dire d'expert
Période d'indemnisation 24 mois
Extensions:
- dommages aux appareils électriques et électroniques,
- effondrement total ou partiel du bâtiment,
- meurtres ou suicides dans l'établissement,
- carence des fournisseurs,
- impossibilité d'accès,
- intérim,
- fermeture de l'établissement sur ordre des autorités,
- bris de machines
montant réel de la perte, de la marge brute et des frais supplémentaires d'exploitation à dire d'expert
Période d'indemnisation 6 mois
période d'indemnisation 3 mois
frais supplémentaires additionnels
20% du montant du chiffre d'affaires
La garantie fermeture de l'établissement sur ordre des autorités est prévue par les parties comme une extension de garantie.
Les conventions spéciales restaurants contiennent pour leur part des 'déclarations et conventions ' comprenant la garantie suivante :
La garantie est étendue à la fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité. La garantie est exclue lorsque la fermeture est la conséquence d'une violation volontaire de la réglementation.
Si ces conventions spéciales restaurants prévoient, s'agissant des événements garantis, que l'assureur garantit la perte d'exploitation résultant de la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité de l'entreprise, conséquence directe des dommages matériels causés par les événements garantis dans les locaux de l'assuré, ces stipulations sont indifférentes, la garantie mobilisable ici ne résultant pas des événements garantis, mais d'une extension de garantie.
La société SLR doit donc démontrer, pour prétendre à garantie de ce chef, avoir fait l'objet d'une fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité.
Elle soutient avoir fait l'objet d'une fermeture totale du 15 mars 2020 au 1er juin 2020 et à compter du 30 octobre 2020. Elle estime avoir subi également une fermeture partielle du 2 juin 2020 au 29 octobre 2020, dans la mesure où le respect des normes sanitaires prescrites a significativement réduit la capacité d'accueil du restaurant, et que des heures de fermeture anticipés lui ont été imposées.
Elle indique que ces fermetures résultent des mesures suivantes :
- l'arrêté du 14 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé interdisant l'accueil du public à certains ERP (établissements recevant du public) non indispensables à la vie de la Nation dont les établissements de catégorie N (restaurants et débits de boissons),
- le décret du Premier Ministre n° 2020-293 du 23 mars 2020 (article 4) puis le décret du Premier Ministre n° 2020-423 du 14 avril 2020 et le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 confirmant et prolongeant ces mesures,
- le décret du Premier Ministre n°2020-663 du 31 mai 2020 autorisant à rouvrir partiellement mais imposant des mesures sanitaires lourdes qui ont réduit la capacité d'accueil de son établissement,
- le décret n° 2020-1262 du Premier Ministre du 16 octobre 2020 et l'arrêté de la préfète d'Ille-et-Vilaine du 24 octobre 2020 lui imposant de fermer son établissement entre 21 heures et 6 heures,
- le décret du Premier Ministre n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 faisant interdiction aux établissements de type N (restaurants et débits de boissons), d'accueillir du public.
Le moyen soulevé par la société Axa France Iard pour contester l'existence d'une 'fermeture' de l'établissement, tiré de la réalisation d'un chiffre d'affaires de 366 648 euros pendant la période du 1er mars 2020 au 30 juin 2020 est écarté, cette période couvrant celle du 1er au 15 mars 2020 et le mois de juin 2020 durant lesquels la société SLR ne prétend à aucune 'fermeture'.
Les mesures invoquées par la société SLR sont des mesures générales prises par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de covid-19, consécutivement à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national ; elle ne sont pas de mesures individuelles relatives à la société SLR.
Il est justement souligné par l'appelante que ni l'arrêté du 14 mars 2020 ni les décrets des 23 mars et 14 avril 2020 ou du 29 octobre 2020 n'imposent une 'fermeture' des restaurants. En effet, ces textes prévoient pour les établissements de la catégorie N restaurants et débits de boissons, dont fait partie la société SLR, une 'interdiction d'accueillir du public', ajoutant que ces établissements sont 'autorisés à maintenir leurs activités de vente à emporter et de livraison'. Il s'agit là, textuellement, de restrictions et non de 'fermeture' emportant cessation d'activité. Tel est également le cas des mesures prévoyant des limitations quant à la capacité d'accueil du restaurant ou aux heures d'ouverture au public.
L'analyse de l'assureur consistant à considérer que l'interdiction de recevoir du public ainsi circonscrite, ne correspond pas à une fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité est confortée par les termes du décret du 11 mai 2030 n°2020-548 qui, rappelant l'interdiction d'accueillir du public affectant les ERP et plus particulièrement les restaurants et débits de boissons, dont les activités de livraison et de vente à emporter sont maintenues, prévoit que les établissements ne respectant pas ces obligations peuvent faire l'objet d'une mesure de fermeture prise par le préfet (article 10 VII alinéa 2 du décret). L'existence même d'une sanction de fermeture administrative par le préfet pour les établissements ne mettant pas en oeuvre les obligations qui leur sont applicables en application du décret, induit de fait que ces établissements ne font pas l'objet, du seul fait de cette interdiction de recevoir du public, d'une mesure de fermeture.
Si la société SLR fait valoir qu'elle n'a pas eu recours à des services de vente à emporter ou de livraison, car elle ne disposait pas des ressources matérielles et humaines pour s'y adonner, et qu'une telle activité n'avait pas été déclarée au contrat d'assurance, ces circonstances ne permettent pas pour autant d'établir que l'interdiction de recevoir du public l'affectant, seule mesure édictée, est une fermeture administrative, ce que contredisent les termes mêmes des textes invoqués.
La cour retient donc que l'interdiction pour ces établissements d'accueillir du public autrement que pour les services de livraison et de vente à emporter, ou les autres restrictions afférentes aux capacités d'accueil ou aux heures d'ouverture, décidées au terme des arrêtés ministériels et décrets précités, ne s'analysent pas en une fermeture administrative imposée par les services de police ou d'hygiène ou de sécurité.
Les conditions de la garantie 'pertes exploitation et frais supplémentaires' ne sont pas réunies, de sorte que l'extension de garantie prévue aux conditions particulières et conventions spéciales restaurant n'est pas mobilisable en l'espèce.
La cour déboute la société SLR de ses demandes à ce titre. Le jugement est donc infirmé en qu'il alloue une provision à valoir sur ses pertes d'exploitations et ordonne une expertise.
Toute demande de provision complémentaire est donc également rejetée.
- sur la garantie perte d'usage
La société SLR fait grief au tribunal d'avoir rejeté cette demande et sollicite, en invoquant l'interdiction de recevoir du public au sein de son établissement, une provision de 31 785 euros au titre de la perte d'usage pour la période du 15 mars 2020 au 1er juin 2020. Pour justifier du montant de sa demande, elle entend rappeler que les loyers ont été fixés à 37 151,59 euros par trimestre.
La société Axa France Iard ne critique pas le jugement de ce chef.
La garantie perte d'usage est prévue par l'article 4 des conventions particulières ' frais et pertes' et par l'article 4 les conventions spéciales restaurant 'garanties des frais et pertes'.
La perte d'usage est définie comme l'indemnisation destinée à compenser la privation de jouissance pour le souscripteur de tout ou partie des biens utilisés ou occupés par l'assuré en cas d'impossibilité temporaire de les utiliser ou de les occuper.
À juste titre, le tribunal relève que :
- d'une part que cette garantie, selon les termes de l'article 4 des conventions spéciales, couvre les préjudices complémentaires résultant d'un sinistre et que cette notion de sinistre est définie dans les conventions spéciales comme suit : Pour les assurances de choses ou dommages aux biens, c'est l'ensemble des dommages susceptibles d'entraîner la garantie des assureurs en exécution du contrat et résultant d'un même événement garanti,
- d'autre part que cet article 4 est compris dans le chapitre 1 portant sur les garanties de dommages matériels aux biens de l'assuré.
C'est donc par une exacte appréciation de l'espèce, qu'à défaut de tout dommage aux biens de l'assuré, le tribunal a écarté la mobilisation de la garantie dont s'agit. La cour confirme le jugement de ce chef.
- sur les frais supplémentaires d'exploitation
La société SLR conclut à l'infirmation du jugement qui rejette ses demandes et sollicite de ce chef une somme de 4 201,40 euros.
Cette garantie 'frais supplémentaires d'exploitation' est prévue aux conventions particulières et aux conventions spéciales restaurant (article 9.2 des deux conventions).
Il est prévu par les dommages sont constitués de tous les frais exposés par l'assuré, ou pour son compte, d'un commun accord entre les parties, en vue d'éviter ou de limiter, durant la période d'indemnisation, la perte de marge brute à la réduction du chiffre d'affaire imputable au sinistre.
L'absence d'accord entre les parties est indéniable. Le tribunal a justement rejeté toute demande en paiement à ce titre. Le jugement est confirmé sur ce point.
- sur les dommages et intérêts
Aucune résistance abusive de l'assureur n'est démontrée. La cour confirme le rejet de cette prétention.
- sur les frais irrépétibles et les dépens.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en l'espèce.
La société SLR qui succombe supporte les dépens de première instance et d'appel.
Les dispositions du jugement à ce titre sont infirmées.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Confirme le jugement déféré en ce qu'il déboute la société demanderesse du surplus de ses demandes, et en ce qu'il liquide les frais de greffe à la somme de 94,34 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du code de procédure civile ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Déboute la société SLR de l'intégralité de ses demandes au titre de la garantie perte d'exploitation pour fermeture administrative ;
Déboute la société SLR de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Condamne la société SLR aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier La Présidente