5ème Chambre
ARRÊT N°-137
N° RG 22/04825 - N° Portalis DBVL-V-B7G-S732
S.C. ROUCHER
C/
Mme [H] [G] épouse [Z]
M. [D] [Z]
S.A.S.U. FR
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 05 AVRIL 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Catherine VILLENEUVE, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 08 Février 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 05 Avril 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.C. ROUCHER
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Mikaël BONTE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉS :
Madame [H] [G] épouse [Z]
née le 22 Mars 1985 à [Localité 7] - TUNISIE
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Flora PÉRONNET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
Monsieur [D] [Z]
né le 04 Décembre 1972 à [Localité 7] - TUNISIE
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par Me Flora PÉRONNET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
S.A.S.U. FR Représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Flora PÉRONNET, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
***********
Par acte authentique en date du 17 janvier 2020, la société Roucher a consenti un bail commercial au profit de la société FR portant sur un local
situé [Adresse 4], à destination de restauration rapide sur place ou à emporter, pour un loyer annuel de 7 400,04 euros HT payable mensuellement le premier de chaque mois. Par ce même acte, M. [D] [Z] et son épouse, Mme [H] [G], se sont portées cautions solidaires des engagements de la société locataire pour la durée du bail ainsi que pour celle qui résulterait de sa prorogation tacite ou de son renouvellement.
Par acte d'huissier en date du 6 octobre 2021, la bailleresse a fait délivrer à sa locataire un commandement de payer la somme en principal de 4 817,65 euros correspondant à des loyers et taxes restés impayés du 1er juillet 2020 au 30 septembre 2021. Ce commandement visant la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers, reproduisait les dispositions de l'article
L 145-41 du Code de commerce.
Par actes d'huissier des 8 et 15 février 2022, la société Roucher a ensuite fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes la société FR et ses cautions en constatation de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers et expulsion des lieux précités.
Par ordonnance en date du 17 juin 2022, le juge a :
- rejeté les demandes de la société civile Roucher, comme excédant les pouvoirs de la juridiction des référés, et l'a invitée à se pourvoir comme bon lui semblera ;
- condamné la société Roucher aux dépens ;
- rejeté toute autre demande, plus ample ou contraire.
Le 27 juillet 2022, la société Roucher a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 9 janvier 2023, elle demande à la cour de :
- prendre acte de ce que la société FR et les époux [Z] ne formulent pas d'autres demandes que la confirmation de l'ordonnance dans le dispositif de leurs écritures et juger en conséquence que la cour n'est saisie d'aucune autre demande de la part des intimés,
- déclarer la société Roucher recevable et bien fondée en son appel,
- infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau :
- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 6 novembre 2021,
- ordonner l'expulsion de la société FR ou tout autre occupant de leur chef, du local sis [Adresse 4],
- ordonner le transport des meubles et matériels garnissant le local dans un garde meuble désigné par le Bailleur en garantie des sommes dues,
- condamner la société FR solidairement avec les époux [Z], au paiement d'une indemnité d'occupation de 740 euros par mois, jusqu'à la libération des lieux,
- condamner la société FR solidairement avec les époux [Z], au paiement de la somme provisionnelle de 17 885,57 euros, augmentée des intérêts légaux au taux majoré de 5 points à compter de la date de l'assignation, à titre de provision à valoir sur l'arriéré des loyers et charges,
- condamner la société FR solidairement avec les époux [Z], au paiement de la somme provisionnelle de 977,85 euros au titre de la clause pénale,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- débouter la société FR solidairement avec les époux [Z] de leurs demandes au titre des frais et dépens de l'instance,
- condamner la société FR solidairement avec les époux [Z], au paiement de la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société FR solidairement avec les époux [Z], aux entiers dépens qui comprendront les frais du commandement de payer et ceux de la procédure d'expulsion et du recouvrement des créances.
Par dernières conclusions notifiées le 13 octobre 2022, la société FR et M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z], demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- débouter la société Roucher de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société Roucher à 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la résiliation
La société Roucher rappelle que sa créance de loyers et charges impayés est à ce jour de 17 885,57 euros.
Elle critique la décision qui écarte ses prétentions au motif d'un défaut prétendu de délivrance, alors qu'un tel moyen n'avait pas été soulevé en première instance et qu'un tel manquement du bailleur n'est nullement caractérisé.
Elle soutient que la société FR ne démontre pas avoir été dans l'impossibilité d'exploiter en raison de désordres imputables au bailleur.
Elle observe que manifestement la société locataire a mis en place un sous-locataire en contravention des clauses du bail, en y installant une société Delice Pizza.
Enfin, la bailleresse conteste toute mauvaise foi en l'absence de toute force majeure née de la crise sanitaire, et ajoute que la situation économique du locataire ne lui permet pas de s'affranchir du paiement du loyer.
Les intimés s'opposent à la demande tendant à constater la résiliation du bail au motif que le bailleur aurait manqué à son obligation de délivrance en n'installant pas une extraction dans le local commercial loué pour y exercer une activité de restaurant, de sorte qu'elle a dû faire les travaux électriques nécessaires, ce qui, outre les conséquences de la crise sanitaire, a retardé l'exploitation de son commerce.
Ils soutiennent également que le commandement a été délivré de mauvaise foi, dans la mesure où il l'a été en pleine période de pandémie et de crise économique.
Il ressort de l'article 834 du code de procédure civile que 'dans les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend'.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite.
L'article 1103 du code civil prévoit que les conventions doivent être exécutées de bonne foi.
Le bail du 17 janvier 2020 liant les parties mentionne une destination des lieux loués de 'restauration rapide sur place ou à emporter'. L'extrait Kbis de la société FR, preneur, révèle que cette société immatriculée le 12 octobre 2016 a pour nom commercial 'Marmara Kebab'.
Un commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 6 octobre 2021 à la société FR pour une dette locative couvrant la période de juillet 2020 à septembre 2021 d'un montant total de 4 817,65 euros.
La société FR représentée par M. [F] [S], à l'audience de première instance, n'a pas contesté le non-paiement de ces loyers et a effectivement sollicité la seule suspension des effets de la clause résolutoire par l'octroi de délais de paiement.
Le prétendu manquement de la bailleresse à son obligation de délivrer un local doté d'une installation électrique permettant son activité, est justifié par la société FR et les époux [Z] par les pièces suivantes :
- un courrier d'Enedis en date du 17 décembre 2021 adressé à la société 'Delice Pizza', [Adresse 4] répondant à une demande d'établir une proposition de modification du branchement au réseau électrique au prix de 1 969,92 euros TTC,
- la première page d'une facture (en contenant deux) émanant d'une société Alphaform du 17 mars 2023 au nom de M. [F] [S] portant sur une remise en état de l'installation électrique.
Le premier document vise une société 'Delize Pizza', distincte au regard des Kbis versés, de la société FR. Cette dernière société, immatriculée le 15 mai 2020 est également une société ayant pour activité la restauration rapide ; elle a pour nom commercial 'Delice Pizza' et a son siège social à la même adresse que les locaux donnés à bail à la société FR.
Aucune explication n'est donnée par la société FR sur ces incohérences et sur une sous-location non autorisée par la bailleresse évoquée de fait par cette dernière.
Le premier juge ne peut retenir que 'Delice Pizza' était l'enseigne de la société FR, au motif que l'huissier de la société Roucher, lui-même, a mentionné le 8 février 2022 'la société Delize Pizza', alors qu'il est établi par les Kbis de ces sociétés qu'il s'agit là de deux sociétés distinctes, que le nom commercial de la société FR est 'Marmara Kebab' et qu'à la date de ces constatations l'enseigne apposée sur le local était 'Delice Pizza' (cf article de presse du 9 janvier 2021 produit par la société Roucher annonçant : Un nouveau commerçant vient d'ouvrir ses portes à [Localité 6]. Delice Pizza propose une large gamme de pizzas et hamburgers, à livrer ou emporter, avec sur la photo de la devanture à l'enseigne Delize PizzaM. [F] [S] accompagné de ses employés dont M. [Y] [E]).
Les documents produits par la société FR qui ne sont pas au nom du preneur sont donc inopérants à justifier la réalisation par la société FR de quelconques travaux.
Aucune pièce ne permet de mettre en évidence l'existence d'un quelconque manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
La cour écarte également le moyen tiré de ce que le commandement a été délivré de mauvaise foi. Les mesures sanitaires prises fin 2021 pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ne caractérisent aucune force majeure permettant au locataire de s'exonérer du paiement de ses loyers dont il convient de rappeler qu'il constitue une de ses obligations principales. En outre, partie des impayés ne porte pas sur des périodes de confinement et la société FR ne démontre par aucune pièce avoir été dans l'impossibilité d'exploiter durant la période visée.
En conséquence en application de l'article L 145-41 du code de commerce et à défaut de toute contestation sérieuse la cour, infirmant l'ordonnance, constate l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 6 novembre 2021.
Si dans le corps de ses écritures, la société FR sollicite des délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire, force est de constater que le dispositif de ses conclusions ne reprend pas une telle prétention. En application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, la cour n'est donc pas saisie d'une telle demande.
En conséquence, il sera ordonné l'expulsion de la société FR tel que réclamé par la société Roucher.
- sur les demandes en paiement
La société Roucher sollicite paiement par la société FR solidairement avec M. et Mme [Z], en leurs qualités de caution :
- d'une indemnité d'occupation,
- d'une provision à valoir sur les loyers et charges impayés, augmentée des intérêts légaux au taux majoré de 5 points à compter de la date d'assignation,
- d'une provision à valoir sur la clause pénale.
S'agissant plus particulièrement de ses demandes dirigées contre les cautions, elle note qu'il ne s'agit pas d'un cautionnement souscrit à l'égard d'un professionnel, que les actes de cautionnement ont été reçus par acte authentique et que le notaire précise bien qu'il porte sur le montant des loyers, frais, intérêts et accessoires ; elle ajoute que les intimés ne fondent pas juridiquement leur demande.
Les intimés ne contestent pas les montants réclamés mais soutiennent qu'existe une contestation sérieuse s'agissant des demandes en ce qu'elles sont formées contre les cautions. Ils soutiennent que les actes de cautionnement ne seraient pas conformes et ne répondraient pas au formalisme dicté par la loi. Ils font observer qu'il n'y a aucune mention manuscrite, ni aucune limite de montant en principal et accessoires.
En application de l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution d'une obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le formalisme édicté au code de la consommation est inapplicable en cas de cautionnement par acte authentique, tel qu'en l'espèce.
Dès lors, les intimés ne caractérisent aucune contestation sérieuse quant à l'obligation des cautions résultant de cet acte.
La cour fait droit aux demandes en paiement, l'obligation contractuelle du locataire et de ses cautions étant incontestable.
- sur les frais irrépétibles et les dépens
La cour infirme l'ordonnance, condamne la société FR et M. et Mme [Z] aux dépens de première instance. Ces derniers supporteront les dépens d'appel.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Roucher.
La société FR et M. et Mme [Z] sont condamnés in solidum à lui payer une somme de 2 000 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et par mise à disposition au greffe :
Infirme l'ordonnance déférée ;
Statuant à nouveau,
Constate l'acquisition de la clause résolutoire du bail commercial à la date du 6 novembre 2021 ;
Ordonne l'expulsion de la société FR ou tout autre occupant de leur chef, du local sis [Adresse 4] ;
Ordonne le transport des meubles et matériels garnissant le local dans un garde meuble désigné par le Bailleur en garantie des sommes dues ;
Condamne la société FR solidairement avec M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z], au paiement d'une indemnité d'occupation de 740 euros par mois, jusqu'à la libération des lieux ;
Condamne la société FR solidairement avec M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z], au paiement de la somme provisionnelle de 17 885,57 euros, augmentée des intérêts légaux au taux majoré de 5 points à compter de la date de l'assignation, à titre de provision à valoir sur l'arriéré des loyers et charges ;
Condamne la société FR solidairement avec les époux [Z], au paiement de la somme provisionnelle de 977,85 euros au titre de la clause pénale ;
Ordonne la capitalisation des intérêts ;
Y ajoutant,
Condamne la société FR avec M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z] in solidum à payer à la société Roucher la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la société FR et M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z] de leurs demandes en paiement au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la société FR avec M. [D] [Z] et Mme [H] [G] épouse [Z], aux dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais du commandement de payer et ceux de la procédure d'expulsion et du recouvrement des créances.
Le Greffier La Présidente