3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°262
N° RG 21/04672 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R3V3
M. [O] [R]
C/
Me [E] [H]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Dominique TOUSSAINT
Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre, rapporteur
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Lydie CHEVREL, lors des débats et Madame Julie ROUET lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 14 Mars 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [O] [R]
né le [Date naissance 3] 1973 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Dominique TOUSSAINT de la SELARL TOUSSAINT DOMINIQUE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉ :
Maître [E] [H], mandataire judiciaire
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 4]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représenté par Me Amélie AMOYEL-VICQUELIN de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Yves-marie LE CORFF de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
FAITS ET PROCEDURE :
Le 26 décembre 1994, M. [R] a été engagé par la société d'étude et de réalisation de montage et de constructions industriels (la SERMCI).
Les fonctions de M. [R] ont évolué. Nommé président du directoire le 28 février 2011, il a continué à être rémunéré en qualité de salarié, ses bulletins de salaires mentionnant le poste de conducteur de travaux chargé d'affaires, puis à compter du 1 juillet 2012 en qualité de directeur.
La SERMI a été placée en redressement judiciaire le 1er juillet 2015, M. [H] étant désigné mandataire judiciaire.
Elle a été placée en liquidation judiciaire le 16 décembre 2015, M. [H] étant désigné liquidateur. La cessation de l'activité de la SERMI a été ordonnée avec cession au profit de la société ERM.
Le dernier bulletin de salaire de l'année 2015 de M. [O] [R] s'arrête au 16 décembre 2015.
Par jugement du 15 novembre 2018, la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actifs.
Estimant que M. [H] avait commis une faute en ne procédant pas à son licenciement, M. [R] l'a assigné en paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 2 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Rennes a :
- Déclaré M. [R] recevable mais mal fondé en sa demande,
- Débouté M. [R] de sa demande indemnitaire à l'encontre de M. [H],
- Condamné M. [R] à verser à M. [H] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné M. [R] aux entiers dépens.
M. [R] a interjeté appel le 22 juillet 2021.
Les dernières conclusions de M. [R] sont en date du 8 février 2022. Les dernières conclusions de M. [H] sont en date du 29 novembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.
PRETENTIONS ET MOYENS :
M. [R] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement,
- Déclarer M. [R] recevable et bien fondé en ses demandes,
- Dire que M. [H], liquidateur judicaire, a commis une faute en ne procédant pas au licenciement de M. [R] dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation de la SERMCI,
En conséquence :
- Condamner M. [H] à régler à M. [R] la somme de 123.255 euros à titre de dommages et intérêts,
- Condamner M. [H] à régler à M. [R] une indemnité de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner le même aux entiers dépens.
M. [H] demande à la cour de :
- Réformer le jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à la fin de non recevoir de M. [H],
Statuant à nouveau :
- Rejeter comme irrecevables les demandes formées par M. [R] à l'encontre de M. [H].
A titre subsidiaire :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande indemnitaire à l'encontre de M. [H] et l'a condamné à régler une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause :
- Dire que M. [R] ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par M. [H] dans l'exercice de sa mission, non plus d'un lien de causalité entre les deux précédents éléments,
En conséquence :
- Débouter M. [R] de l'ensemble de ses conclusions, fins et moyens,
- Condamner M. [R] à régler une somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner M. [R] à régler les entiers dépens qui sont recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la responsabilité de M. [H] :
M. [R] fait valoir qu'il était salarié de la SERMCI à la date de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, son contrat étant suspendu du fait de l'exercice des fonctions de président du directoire. Selon lui, M. [H], liquidateur, aurait du procéder à son licenciement dans les 15 jours de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire.
Par jugement du 16 décembre 2015, le tribunal de commerce de Nantes a, notamment, retenu l'offre de reprise d'une partie de l'activité reprise par la société ERM et maintenu la mission de M [T], administrateur, afin de procéder au licenciement des personnels non repris, le jugement valant autorisation de notifier le licenciement des 9 salariés non repris dans le mois du jugement. Le jugement a précisé que ces 9 salariés étaient un secrétaire comptable, un agent d'entretien, un directeur des travaux, un chargé d'affaires, un monteur, un dessinateur, deux serruriers-métalliers et un métallier.
La liste des salariés dont le licenciement était confié à l'administrateur était limitée et il n'est pas justifié que M. [R] ait été concerné par la mission de l'administrateur pour ce qui concerne son éventuel licenciement.
En l'absence de poursuite d'activité de l'entreprise, le liquidateur doit procéder aux licenciement des salariés non repris dans le cadre d'un plan de cession :
Article L641-4 du code de commerce (Rédaction en vigueur du 1er juillet 2014 au 1er octobre 2021) :
Le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu'à la vérification des créances. Il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire.
Il n'est pas procédé à la vérification des créances chirographaires s'il apparaît que le produit de la réalisation de l'actif sera entièrement absorbé par les frais de justice et les créances privilégiées, à moins que, s'agissant d'une personne morale ou d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, il n'y ait lieu de mettre à la charge des dirigeants sociaux de droit ou de fait ou de cet entrepreneur tout ou partie du passif conformément à l'article L. 651-2.
Lorsqu'il apparaît nécessaire de reprendre la vérification des créances, le juge-commissaire fixe pour y procéder un délai supplémentaire qui ne peut excéder six mois. La fixation de ce délai supplémentaire a les mêmes conséquences que celle du délai prévu à l'article L. 624-1.
Le liquidateur exerce les missions dévolues à l'administrateur et au mandataire judiciaire par les articles L. 622-6, L. 622-20, L. 622-22, L. 622-23, L. 625-3, L. 625-4 et L. 625-8.
Les licenciements auxquels procède le liquidateur en application de la décision ouvrant ou prononçant la liquidation, le cas échéant au terme du maintien provisoire de l'activité autorisé par le tribunal, sont soumis aux dispositions de l'article L. 1233-58 du code du travail. L'avis du comité d'entreprise et, le cas échéant, celui du comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail et de l'instance de coordination sont rendus au plus tard dans les douze jours de la décision prononçant la liquidation, ou, si le maintien provisoire de l'activité a été autorisé par le tribunal, dans les douze jours suivant le terme de cette autorisation. L'absence de remise du rapport de l'expert mentionné aux articles L. 1233-34, L. 1233-35, L. 2325-35 ou L. 4614-12-1 du code du travail ne peut avoir pour effet de reporter ce délai.
Pour permettre aux salariés de bénéficier de la garantie offerte par l'AGS, il doit procéder à ce licenciement dans les 15 jours du jugement prononçant la liquidation judiciaire.
Sa responsabilité peut être engagée en cas de manquement à cette obligation, mais uniquement dans la mesure des sommes résultant de la perte de garantie imputable à sa faute. La garantie offerte par l'AGS vise, pour l'essentiel, les rémunérations dues aux salariés et apprentis, les indemnités compensatrices de préavis, les indemnités compensatrices de congés payés, les indemnités de licenciement, les contributions financières dues par l'employeur en cas d'adhésion au CSP.
M. [H] fait valoir que M. [R] aurait du faire valider l'existence d'un contrat de travail par le conseil de prud'hommes et qu'en l'absence d'une telle décision ses demandes seraient irrecevables.
M. [R] fait valoir en réponse qu'il ne demande que la perte d'une chance d'avoir été reconnu comme salarié par une juridiction prud'homale.
S'agissant de l'appréciation d'une perte de chance de se voir reconnaître la qualité de salarié, la cour, même statuant en matière de responsabilité du liquidateur, est compétente pour apprécier la consistance d'une telle chance. La saisine préalable d'une juridiction prud'homale n'est pas une condition de recevabilité d'une telle demande.
Les demandes formées devant la cour visent la mise en cause de la responsabilité du liquidateur. Elles sont donc soumises aux règles de prescription de la mise en cause de cette responsabilité. L'éventuelle prescription d'une action prud'homale est sans incidence sur la solution du présent litige.
La fin de non recevoir soulevée par M. [H] sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
Il est justifié que M. [R] était salarié de la société SEMCI depuis 1994.
Le 28 février 2011, M. [R] a été nommé membre du directoire de la société SEMCI pour un mandat s'achevant le 16 décembre 2012.
Il résulte de l'avenant à son contrat de travail en date du 1er juillet 2012 qu'il a continué à bénéficier de son ancienneté acquise depuis le 26 décembre 1994.
Il justifie avoir perçu un rémunération, les bulletins de paie mentionnant jusqu'à novembre 2015 inclus un emploi de directeur, qualification cadre et une entrée au 26 décembre 1994.
M. [H], désigné mandataire judiciaire depuis juillet 2015, avait la possibilité de rechercher utilement quelle était le statut de M. [R] qui percevait une rémunération accompagnée de bulletin de paye. Il aurait du s'enquérir de la possibilité que ce dernier soit lié par un contrat de travail.
Au vu des pièces produites devant la cour, il est très probable que l'existence du contrat de travail liant M. [R] à la SEMCI aurait été reconnu par une juridiction prud'homale. Cependant, en fonction de la nature des fonctions exercées et de l'étendue des pouvoirs conférés par son mandat social, ce contrat aurait pu être considéré comme suspendu pendant la durée du mandat social de M. [R]. Le fait que M. [R] ait pu être soumis à un contrôle du conseil de surveillance ne permet pas d'avoir de certitude quant à la suspension ou non du contrat de travail.
Il est à noter en ce sens que le procès verbal des délibérations du conseil de surveillances du 28 février 2011 a précisé que ce n'était que sous réserve de l'accord de Pôle Emploi reconnaissant un véritable lien de subordination de M. [R] qu'il cumulera ses fonctions de président du directoire avec celles de conducteur de travaux.
En tout état de cause, à supposer même que le contrat ait été suspendu, M. [H] aurait du procéder au licenciement de M. [R] dans les 15 jours de l'ouverture de la procédure collective.
Les errements de M. [R], l'ayant notamment conduit à demander des subsides au liquidateur et à ne pas se prévaloir de sa qualité de salarié, n'ont pas été de nature à exonérer M. [H] de s'enquérir avec précision de la situation de M. [R] qui percevait une rémunération accompagnée de bulletins de paie.
Par des calculs précis et motivés, M. [R] fait valoir que l'indemnité compensatrice de préavis aurait été de 11.503,74 euros, outre 1.150,37 euros au titre des congés payés, le solde de congés payés de 13.094,55 euros, et l'indemnité de licenciement de 37.578,88 euros.
Comme le fait valoir à juste titre M. [H], M. [R] n'aurait cependant perçu qu'une somme en net au titre du préavis, soit 7.691,40 euros outre 769,14 euros au titre des congés payés correspondants.
M. [R] ne justifie pas du montant des sommes dues au titre des congés payés, somme contestées par M. [H]. La demande de M. [R] formée à ce titre sera rejetée.
M. [H] conteste le calcul de l'ancienneté à prendre en compte au titre de l'indemnité de licenciement.
Il apparaît qu'il n'est pas justifié si M. [R] a continué à exercer des fonctions techniques en sus de son mandat social. La cour ne peut donc déterminer avec certitude si l'ancienneté à prendre en compte aurait été calculée depuis le 26 décembre 1994 jusqu'à la liquidation judiciaire ou depuis le 26 décembre 1994 jusqu'à la date de sa désignation comme membre et président du directoire.
La prise en compte de sa seule ancienneté antérieure conduirait à fixer l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 5.368,41 euros.
La perte de chance de percevoir la totalité de la somme demandée par M. [R] au titre de l'indemnité de licenciement doit ainsi prendre en compte l'aléa résultant de la possibilité ou non de prendre en compte toute ou partie de son ancienneté.
Les sommes dues au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité de licenciement auraient été susceptibles d'être prises en charges par l'AGS si M. [R] avait fait l'objet d'un licenciement dans les 15 jours du prononcé de la liquidation judiciaire.
Comme il a été vu supra, la responsabilité du liquidateur en la matière se limite à la perte d'une chance de bénéficier de la garantie des AGS.
La pièce produite par M. [H] notant un refus de prise en charge par l'AGS pour la somme de 3.575,83 euros n'est pas pertinente dans la mesure où elle émane de M. [H] lui même et où la cour ne peut pas apprécier au vu de quelles pièces l'AGS aurait pu émettre un tel refus.
Il résulte toutefois de cette pièce qu'en juillet 2015 M. [H] a interrogé l'AGS sur la prise en charge du salaire dû à M. [R], et avait donc connaissance de la possibilité de l'existence d'un contrat de travail concernant ce dernier.
La perte d'une chance de pouvoir bénéficier d'allocations chômage est sans lien avec les manquements du liquidateur à son obligation de licencier dans les 15 jours.
Il ne revenait pas au liquidateur d'établir l'existence d'un contrat de travail à l'égard des organismes en charge de l'indemnisation du chômage.
Les demandes formées par M. [R] au titre de l'absence de perception d'allocations chômage ou de retour à l'emploi sera rejetée.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de fixer le préjudice subi par M. [R] du fait de la perte de chance de bénéficier de la garantie des AGS à la somme de 20.000 euros. M. [H] sera condamné à lui payer cette somme.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner M. [H] aux dépens de première instance et d'appel et de rejeter les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré M. [R] recevable en sa demande,
- Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
- Condamne M. [H] à payer à M. [R] la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts,
- Rejette les autres demandes des parties,
- Condamne M. [H] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT