3ème Chambre Commerciale
ARRÊT N°263
N° RG 21/05041 - N° Portalis DBVL-V-B7F-R5DV
S.A.R.L. GROUPE [U]
C/
S.A. BPIFRANCE
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me CHATELLIER
Me VERRANDO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 23 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Alexis CONTAMINE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Fabienne CLEMENT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Olivia JEORGER-LE GAC, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Lydie CHEVREL, lors des débats, et Madame Julie ROUET, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Mars 2023 devant Monsieur Alexis CONTAMINE, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 23 Mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A.R.L. GROUPE [U], immatriculée au RCS de RENNES sous le n°810 999 029, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Carine CHATELLIER de la SCP VIA AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
S.A. BPIFRANCE anciennement dénommée BPIFRANCE FINANCEMENT, immatriculée au RCS de CRETEIL sous le n°320 252 489, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Sylvie EX-IGNOTIS de la SCP SCP FOUCHE-EX IGNOTIS, Plaidant, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE
FAITS ET PROCÉDURE :
Le 9 juillet 2018, la société [U] Habitat a souscrit auprès de la société Bpifrance Financement devenue la société Bpifrance (Bpifrance) une ouverture de ligne de crédit en vue de son financement par cession de créances professionnelles limitée au montant de 350.000 euros sur la période du 10 juillet 2018 au 10 juillet 2019.
Le 10 juillet 2018, la société Groupe [U] s'est portée caution solidaire de toutes les sommes qui seraient dues par la société [U] Habitat à Bpifrance au titre du financement de ses créances professionnelles, dans la limite de 350.000 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 10 ans.
Le même jour, M. [Z] [U], gérant de la société [U] Habitat, et M. [B] [U], gérant de la société Groupe [U], se sont portés cautions solidaires au titre de toutes les sommes qui seraient dues par la société [U] Habitat à Bpifrance au titre du financement de ses créances professionnelles dans la limite de 175.000 euros chacun couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée de 10 ans.
Le 6 mai 2019, le montant de la ligne de crédit a été rétroactivement modifiée par les parties et portée à 650.000 euros sur la période du 12 décembre 2018 au 10 juillet 2019.
Le 27 mai 2019, la société [U] Habitat a été placée en redressement judiciaire.
Le 1er juillet 2019, BPI France Financement a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire.
Le 10 juillet 2019, la société [U] Habitat a été placée en liquidation judiciaire.
Le 25 juillet 2019, Bpifrance a mis en demeure la société Groupe [U] et MM. [U] d'honorer leurs engagements de caution.
Le 16 octobre 2019, BPI France Financement a assigné la société Groupe [U], M. [Z] [U] et M. [B] [U] en paiement.
Par jugement du 8 juillet 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :
- Condamné la société Groupe [U] à payer à la société Bpifrance la somme de 350.000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement,
- Débouté la société Bpifrance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [Z] [U],
- Débouté la société Bpifrance de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de M. [B] [U],
- Débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné la société Groupe [U] aux entiers dépens,
- Ordonné l'exécution provisoire du jugement.
La société Groupe [U] a interjeté appel le 4 août 2021.
Les dernières conclusions au fond de la société Groupe [U] sont en date du 4 novembre 2021. Les dernières conclusions de Bpifrance sont en date du 31 janvier 2022.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023.
PRÉTENTIONS ET MOYENS :
La société Groupe [U] demande à la cour de :
- Réformer en toutes ses dispositions la décision déférée,
Statuant à nouveau :
A titre principal :
- Prononcer la nullité de l'acte de cautionnement en date du 10 juillet 2018,
- A tout le moins, dire et juger que ledit acte inopposable à la société Groupe [U],
Par voie de conséquence :
- Débouter à ce titre Bpifrance de l'ensemble de ses demandes formulées au titre du cautionnement en date du 10 juillet 2018,
A titre subsidiaire :
- Prononcer la nullité de l'acte de cautionnement en date du 10 juillet 201 au regard de la nullité des actes de cautionnement souscrits par MM. [Z] et [B] [U],
- Débouter à ce titre la société Bpifrance de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause et avant dire droit :
- Condamner la société Bpifrance à communiquer à la société Groupe [U] :
- l'ensemble des relevés de compte (1 à 21) concernant le crédit accordé à la société [U] Habitat,
- l'ensemble des cessions de créances professionnelles consenties par la société Bpifrance dans le cadre du crédit accordé à la société [U] Habitat, et ce dans un délai de 1 mois à compter du prononcé de la décision à intervenir et passé ce délai sous astreinte de 150 euros par jour de retard,
- Se réserver la liquidation de l'astreinte,
En toutes hypothèses :
- Débouter Bpifrance de toutes ses autres demandes plus amples ou contraires,
- Condamner la Bpifrance à verser à la société Groupe [U] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la Bpifrance aux entiers dépens.
Bpifrance demande à la cour de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il :
- Condamne la société Groupe [U] à payer à la société Bpifrance (aujourd'hui dénommée Bpifrance) la somme de 350.000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,
- Condamne la société Groupe [U] aux entiers dépens,
- Débouter en conséquence la société Groupe [U] de ses demandes, fins et conclusions,
- Condamner la société Groupe [U] à payer à Bpifrance la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure
civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions visées supra.
DISCUSSION :
Sur la nullité ou l'inopposabilité de l'engagement de caution fondées sur la contrariété à l'objet social, sur la contrariété à l'intérêt social et sur l'absence de pouvoir du co-gérant alléguées :
La société Groupe [U] qui s'est portée caution solidaire de la société [U] Habitat est une société à responsabilité limitée.
L'article 223-18 du code de commerce, applicable à la société Groupe [U] dispose :
'La société à responsabilité limitée est gérée par une ou plusieurs personnes physiques. [...]
Dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés. La société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve.
Les clauses statutaires limitant les pouvoirs des gérants qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers.
En cas de pluralité de gérants, ceux-ci détiennent séparément les pouvoirs prévus au présent article. L'opposition formée par un gérant aux actes d'un autre gérant est sans effet à l'égard des tiers, à moins qu'il ne soit établi qu'ils en ont eu connaissance. [...]'
La contrariété à l'intérêt social ne constitue pas, par elle-même, une cause de nullité des engagements souscrits par le gérant d'une société à responsabilité limitée à l'égard des tiers.
Un créancier, même ayant pris connaissance des statuts, n'a pas à vérifier si le gérant a bien le pouvoir d'engager la société. L'engagement pris par le gérant au nom d'une société sans autorisation des associés contrairement aux stipulations statutaires est donc opposable à ladite société.
La société Groupe [U] a pour objet social :
- 'L'animation, la coordination, la direction opérationelle et générale des sociétés auxquelles elle est intéressée, notamment par l'accomplissement de tous mandats de gestion, de direction, contrôle et plus spécialement de services commerciaux, administratifs, techniques, informatiques et autres à ses filiales,
- le conseil et l'assistance pour la direction d'entreprises, dans les domaines notamment, de la gestion et de la finance, de l'ingénierie technique, du marketing, dans le domaine commercial, ou les ressources humaines,
- la prise de participation ou d'intérêts, directe ou indirecte, dans toutes sociétés et entreprises commerciales, industrielles, financières, mobilières ou immobilières et sou quelque forme que ce soit, par voie d'apport, souscription ou achat d'actions, obligations ou autres titres, création de sociétés nouvelles, fusions,
- la gestion de ses participations d'intérêts,
- et plus généralement, toutes opérations industrielles, commerciales et financières, mobilières et immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l'objet social et à tous objets similaires ou connexes pouvant favoriser son, extension ou son développement. »
L'engagement de la société Groupe [U] comme caution solidaire de la société [U] Habitat, dont elle est l'actionnaire unique et responsable de son financement, est conforme à son objet social et à son intérêt social. La société Groupe [U] a un intérêt à favoriser le financement de la société cautionnée, laquelle pourrait ainsi participer à son propre développement.
M. [B] [U], co-gérant de la société Groupe [U], était investi tant par la loi que par les statuts sociaux du pouvoir de garantir la ligne de crédit de la société [U] Habitat par la société Groupe [U].
Contrairement à ce qu'affirme la société Groupe [U], Bpifrance n'a pas à justifier qu'il existait une communauté d'intérêts entre les sociétés Groupe [U] et [U] Habitat au jour du cautionnement et que l'accord de l'assemblée générale ou de l'unanimité des associés était requis pour souscrire cet engagement.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le Groupe [U] de sa demande de nullité et d'inopposabilité de son engagement de caution du 10 juillet 2018.
Sur la nullité de l'engagement de caution fondée sur l'erreur :
L'article 1132 du code civil dispose :
L'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.
En cas de pluralité de cautions, dont l'une vient à disparaître ultérieurement, les autres cautions peuvent invoquer la nullité de leur engagement pour erreur sur l'étendue des garanties fournies au créancier en démontrant qu'elles avaient fait du maintien de la totalité des cautions la condition déterminante de leur propre engagement.
Il s'agit d'une erreur sur la nature ou l'étendue de la prestation due, qui rentre dans la catégorie des erreurs sur les qualités essentielles. L'erreur ne pourra être admise que si la caution qui l'allègue établit la preuve de son erreur et celle de son caractère déterminant.
En l'espèce, la société Groupe [U] s'est portée caution solidaire de la société [U] Habitat à hauteur de 350.000 euros, simultanément aux cautionnements de M. [Z] [U] et de M. [B] [U] dans la limite de 175.000 euros chacun.
La société Groupe [U] fait valoir que la nature du risque de son engagement de caution n'est pas la même en raison de l'inopposabilité des cautionnements de MM. [U]. Elle affirme que l'intention des associés d'une société de partager les risques est une condition déterminante des cautionnements souscrits à leur profit.
Sur l'erreur relative à l'étendue de la garantie donnée :
Il résulte de l'inopposabilité des engagements de caution de MM. [U] constatée par les premiers juges que la société Groupe [U] est devenue la seule caution susceptible de rembourser la dette de la société [U] Habitat.
L'inopposabilité de l'engagement de caution de MM. [U] a donc bien modifié l'étendue de l'engagement de la société Groupe [U].
L'erreur sur l'étendue du cautionnement de la société Groupe [U] est donc constituée.
Sur le caractère déterminant de l'erreur :
M. [B] [U], signataire de l'acte de cautionnement en sa qualité de gérant de la société Groupe [U], avait nécessairement connaissance de ses capacités de paiement personnelles et de leur insuffisance en cas de défaut de la société [U] Habitat.
En tout état de cause, la société Groupe [U] ne produit aucun contrat ou communication faisait état du caractère déterminant du maintien des cautionnements de MM. [U] pour son propre engagement. Elle ne verse aucune pièce comptable permettant de justifier qu'en cas de défaut de la société [U] Habitat elle n'aurait pas été en mesure d'assumer seule le remboursement de ses dettes, en cas d'inopposabilité des engagements de caution de MM. [U].
La société Groupe [U] ne rapporte pas la preuve que les engagements de MM. [U] constituaient financièrement une nécessité telle que la société Groupe [U] doive en faire une condition déterminante pour consentir au sien. Il apparait ainsi qu'il n'est pas établi que le consentement de la société Groupe [U] ait été vicié.
Partant, il y a lieu de considérer que la société Groupe [U] n'a commis aucune erreur déterminante de sa décision de s'engager comme caution le 10 juillet 2018. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de communication de pièces et de subrogation :
Bpifrance a communiqué les relevés de compte de la ligne de crédit de la société [U] Habitat ainsi que l'information relative auxdites créances, conformément à sa demande. Il résulte de ces pièces que le montant de la créance dont elle se prévaut est jutifié.
La société Groupe [U] n'indique pas en quoi ces pièces ne correspondraient pas à celles dont elle demande la production.
La caution peut être déchargée de son engagement en cas de manquement du créancier à son obligation de conserver et de se prévaloir des droits et privilèges qu'il peut lui même détenir en vertu de l'article 2314 du code civil dans sa version antérieure au 1er janvier 2022 qui dispose :
La caution est déchargée, lorsque la subrogation aux droits, hypothèques et privilèges du créancier, ne peut plus, par le fait de ce créancier, s'opérer en faveur de la caution. Toute clause contraire est réputée non écrite.
Auquel cas, il incombe à la caution de démontrer la perte, par le fait exclusif du créancier, du droit dans lequel elle pouvait être subrogée.
L'article 2314 du code civil n'est applicable qu'en présence de droits qui comportent un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance et qu'est ainsi qualifié tout droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance ou une véritable position privilégiée. Une caution qui invoque la perte du bénéfice de la subrogation dans les droits du créancier, bénéficiaire d'une cession de créance, ne justifie pas de la perte d'un tel droit préférentiel, puisque le créancier ne dispose pas d'un droit qui lui permette d'éviter le concours avec les autres créanciers chirographaires.
La société Groupe [U] demande à Bpifrance de justifier des poursuites judiciaires engagées pour recouvrer les créances cédées aux fins de bénéficer de la subrogation. Cependant, la subrogation ne s'applique pas aux créances professionneles cédées à Bpifrance. Les conditions générales du crédit Avance Plus prévoient en conséquence en leur article 13 que le bénéficiaire s'engage à faire toutes démarches nécessaires pour obtenir, dans les meilleurs délais, l'exécution par les débiteurs cédés de leurs obligations. La poursuite des débiteurs cédés incombe donc à la société [U] Habitat et non à Bpifrance.
La société Groupe [U] ne peut invoquer le bénéfice de subrogation.
Sur les frais et dépens :
Il y a lieu de condamner la société Groupe [U], partie succombante, aux dépens d'appel et de rejeter les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
- Confirme le jugement,
- Condamne la société Groupe [U] aux entiers dépens,
- Déboute les parties de leurs autres demandes.
LE GREFFIER LE PRESIDENT