Chambre des Baux Ruraux
ARRÊT N°15
N° RG 23/02554
N° RG 23/05667
(Réf 1ère instance : 51-22-0005)
(Réf 1ère instance : 51-23-0006)
M. [R] [S]
C/
M. [U] [B]
Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Dervillers
Me Dubreil
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 04 JUILLET 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président, rapporteur
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame OMNES, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 04 Avril 2024
ARRÊT :
contradictoire, prononcé publiquement le 04 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [R] [S]
né le 31 mai 1972, de nationalité française, agriculteur
[Adresse 4]
[Localité 12]
comparant en personne, assisté de Me Julien DERVILLERS de la SELARL PROXIMA, avocat au barreau de RENNES
INTIME :
Monsieur [U] [B]
né le 1er avril 1970 à [Localité 19], de nationalité française, ingénieur,
[Adresse 20]
[Localité 12]
comparant en personne, assisté de Me Cyril DUBREIL de la SCP OUEST AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de NANTES
EXPOSÉ DU LITIGE
1. Par acte sous seing privé du 26 septembre 1996, Monsieur [Z] [B] et son épouse, Madame [E] [B], ont donné à bail rural au profit de M. [R] [S] des parcelles de terre situées sur la commune de [Localité 12] au [Adresse 20], à savoir :
- parcelle cadastrée section L numéro [Cadastre 6]
- parcelle cadastrée section L numéro [Cadastre 2]
- parcelle cadastrée section L numéro [Cadastre 3]
- parcelle cadastrée section L numéro [Cadastre 11]
- parcelle cadastrée section ZL numéro [Cadastre 18]
- parcelle cadastrée ZL numéro [Cadastre 15]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 1]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 8]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 10]
- parcelle cadastrée ZL numéro [Cadastre 16]
- parcelle cadastrée ZL numéro [Cadastre 13]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 7]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 9]
- parcelle cadastrée L numéro [Cadastre 5]
- parcelle cadastrée ZL numéro [Cadastre 17]
- parcelle cadastrée ZL numéro [Cadastre 14]
pour un total de 22 ha 83 ares.
2. Par acte du 8 décembre 2000, les époux [B] ont consenti au profit de leur fils, M. [U] [B], une donation comprenant la pleine propriété des parcelles objet du bail rural.
3. Par acte d'huissier du 25 mars 2022, M. [B] a fait délivrer congé à M. [S] des parcelles objet du bail rural aux fins de reprise pour exploitation personnelle, pour le 25 septembre 2023.
4. Par requête reçue au greffe le 8 juin 2022, M. [S] a contesté le congé devant le tribunal paritaire des baux ruraux de Lorient.
5. Par jugement du 6 avril 2023, le tribunal a :
- débouté M. [S] de sa demande de nullité fondée sur le non respect du délai de préavis,
- constaté que M. [B] justifie du respect des conditions de reprise des parcelles objet du bail rural à l'exception de l'autorisation d'exploiter au titre du contrôle des structures des exploitations agricoles,
- prononcé le sursis à statuer jusqu'à la décision définitive de l'administration sur la demande d'autorisation d'exploiter déposée par M. [B] dans le cadre du contrôle des structures des exploitations agricoles,
- ordonné le retrait du rôle de l'instance,
- dit que l'affaire sera réinscrite au rôle à la demande de la partie la plus diligente ou à l'initiative du juge.
6. Pour statuer ainsi, le jugement retient que, si le congé comporte une date de fin de bail erronée, le délai de 18 mois a toutefois été respecté dès lors qu'est prise en compte la date de prise d'effet réel du bail rural. Selon le tribunal, M. [B], titulaire de diplômes et propriétaire de plusieurs bâtiments d'exploitation, justifie des qualités pour exploiter, rien ne permettant de considérer que ses autres activités constitueraient un empêchement. Par ailleurs, il n'appartient pas au tribunal ni de procéder à une analyse de la viabilité économique du projet agricole du reprenant ni de contrôler les éventuelles répercussions économiques défavorables sur le preneur en place, sauf à ce qu'il soit justifié d'une autorisation administrative d'exploiter.
7. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 27 avril 2023, M. [S] a interjeté appel de cette décision (RG n° 23/2554).
8. Par jugement du 21 septembre 2023, le tribunal a :
- validé le congé délivré par M. [B] à M. [S] le 25 mars 2022,
- jugé en conséquence que M. [S] sera occupant sans droit ni titre à compter du 30 septembre 2023,
- dit que l'expulsion de M. [S] et de tous occupants de son chef pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique à compter de la date précitée,
- condamné M. [S] à payer à M. [B] la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [S] aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.
9. Pour statuer ainsi, le tribunal retient qu'il a rendu une décision mixte ayant permis à M. [S] de faire appel mais que le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge pour autant et que M. [B] bénéficie d'une autorisation préfectorale d'exploiter les terres litigieuses, contre laquelle il n'est justifié d'aucun recours.
10. Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Rennes du 2 octobre 2023, M. [S] a interjeté appel de cette décision (RG n° 23/5667).
* * * * *
11. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 29 mars 2024 et soutenues à l'audience, M. [S] demande à la cour de :
- ordonner la jonction des instances n° 23/2554 et n° 23/5667,
- infirmer les jugements entrepris,
- statuant de nouveau,
- ordonner le sursis à statuer dans l'attente de connaître le sort de la demande d'autorisation d'exploiter de M. [B],
- juger que M. [B] ne justifie pas des conditions d'exploitation personnelle, des ressources et des moyens pour diriger, de manière permanente, une exploitation d'élevage en agriculture biologique,
- juger nul et de nul effet le congé délivré le 25 mars 2022 par la SCP Grand-Delaunay-Baril, huissiers de justice à Auray, portant sur les parcelles qui lui ont été données à bail,
- condamner M. [B] à lui verser la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.
12. À l'appui de ses prétentions, M. [S] fait en effet valoir :
- que l'acte délivré par l'huissier instrumentaire est en date du 25 mars 2022 pour prendre effet le 25 septembre 2023, de sorte que le délai de rigueur de 18 mois n'a pas été respecté,
- que, par requête du 28 novembre 2023, il a sollicité du tribunal administratif de Rennes l'annulation de la décision du préfet de la région Bretagne en date du 18 juillet 2023 et de la décision implicite de refus du recours gracieux en date du 13 novembre 2023, en ce qu'elles ont autorisé M. [B] à exploiter les parcelles,
- qu'il relève du rang de priorité n° 1 du schéma directeur régional des exploitations agricoles dans la mesure où l'opération litigieuse est de nature à lui retirer du parcellaire de parcours et de proximité situé à moins d'un kilomètre des bâtiments et installations d'élevage du GAEC Flaval et aura pour effet de retirer une surface totale de 28 hectares 97 ares et 96 centiares audit GAEC, de telle sorte que cette surface est supérieure à 1/5ème de sa surface agricole utile, moyens sérieux justifiant un sursis à statuer,
- qu'en toute hypothèse sur le fond, M. [B], qui avait au départ proposé amiablement une résiliation partielle sur 6 ha, n'a jamais eu de réel projet d'installation, dès lors qu'il veut simplement planter du bois,
- que M. [B], qui ne peut pas prétendre avoir obtenu le soutien et le concours de la chambre d'agriculture, ne justifie pas des conditions de capacité et d'expérience professionnelle pour pouvoir valider son congé,
- qu'aux termes du prévisionnel économique produit, l'équilibre économique sera atteint en 2040, date à laquelle M. [B] sera âgé de 70 ans, avec cette précision que les bâtiments y indiqués n'existent pas ou sont inutilisables,
- qu'en tant que dirigeant de deux sociétés commerciales, M. [B] ne pourra pas d'exploiter personnellement, effectivement et en permanence les terres.
* * * * *
13. Dans ses dernières conclusions régulièrement notifiées déposées au greffe via RPVA le 19 mars 2024 et soutenues à l'audience, M. [B] demande à la cour de :
- débouter M. [S] de sa demande de jonction comme étant irrecevable et mal fondée,
- débouter M. [S] de sa demande de sursis à statuer comme étant irrecevable et mal fondée,
- confirmer purement et simplement les jugements entrepris dans toutes leurs dispositions,
- y ajoutant,
- condamner M. [S] à lui verser la somme de 6.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ,
- condamner M. [S] aux entiers dépens.
14. À l'appui de ses prétentions, M. [B] fait en effet valoir :
- que la cour d'appel ne peut user de sa faculté d'évocation pour juger un point ayant fait l'objet d'un sursis à statuer, d'autant que la nouvelle demande de sursis à statuer de M. [S] n'a plus d'objet puisqu'il a obtenu du préfet l'autorisation d'exploiter,
- que le contrat s'est renouvelé par tacite reconduction le 29 septembre 2014 pour se terminer le 28 septembre 2023 à minuit, de sorte que le congé délivré le 25 mars prend effet à la date du 25 septembre (à minuit) et a donc été délivré plus de 18 mois à l'avance, peu important la date erronée de prise d'effet du congé,
- qu'il dispose d'une autorisation d'exploiter accordée après le jugement dont appel et la cour n'a pas à vérifier comme le lui demande l'appelant qu'il satisfait aux conditions exigées par l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime,
- qu'il dispose des diplômes et des compétences professionnelles requis, si bien qu'il n'a pas à justifier d'une expérience dans le domaine,
- qu'il n'appartient pas à la juridiction de calculer les impacts économiques de la reprise tant pour le locataire que pour le repreneur,
- que les moyens financiers dont il dispose sont largement suffisants pour financer son projet, la cour n'ayant pas à apprécier la viabilité de son projet,
- que l'exploitation reprise est une ancienne exploitation familiale laitière qui comprend des terres et des bâtiments et est parfaitement adaptée à l'élevage bovin de race 'angus' qui constitue son projet.
* * * * *
15. Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la jonction
16. L'article 367 du code de procédure civile dispose en son 1er alinéa que 'le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble'.
17. En l'espèce, il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de joindre la première procédure d'appel (n° 23/2554), qui portait sur le jugement du 6 avril 2023 ayant notamment débouté M. [S] de sa demande de nullité fondée sur le non respect du délai de préavis et prononcé le sursis à statuer jusqu'à la décision définitive de l'administration sur la demande d'autorisation d'exploiter déposée par M. [B] dans le cadre du contrôle des structures des exploitations agricoles avec la seconde procédure (n° 23/5667), qui portait sur le jugement du 21 septembre 2023 qui en est la suite et qui a notamment validé le congé délivré par M. [B] à M. [S] le 25 mars 2022 et jugé en conséquence que M. [S] sera occupant sans droit ni titre à compter du 30 septembre 2023.
18. Il sera donc fait droit à la demande de jonction sollicitée par M. [S].
Sur la validation du congé du 25 mars 2022
1 - la forme du congé :
19. Aux termes de l'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime, 'le propriétaire qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l'expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
À peine de nullité, le congé doit :
- mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;
- indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d'empêchement, d'un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l'habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris ;
- reproduire les termes de l'alinéa premier de l'article L. 411-54.
La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l'omission ou l'inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur'.
20. En l'espèce, M. [B] a, par acte d'huissier du 25 mars 2022, fait délivrer congé à M. [S], à effet au 25 septembre 2023, des parcelles objet du bail rural que lui avaient consenti ses parents le 26 septembre 1996, aux fins de reprise pour exploitation personnelle.
21. Il ressort du jugement du 6 avril 2023 que M. [S] avait soulevé le fait que le délai de 18 mois avant l'expiration du bail se calcule de quantième à quantième en excluant le jour de la notification, que le mode de computation du délai ne comprend pas le jour de la notification, qu'il apparaît que l'acte délivré par l'huissier instrumentaire est du 25 mars 2022 pour prendre effet le 25 septembre 2023 et que le délai de rigueur de 18 mois n'est donc pas respecté.
22. En cause d'appel, M. [S] a déclaré s'en rapporter à la décision de la cour sur ce point, considérant 'que cette erreur sur la date d'effet du congé serait sans incidence sur sa validité dès lors que la date des faits doit être reconstituée à la date réelle du bail' (page 6 de ses conclusions).
23. Ainsi que l'ont considéré les premiers juges, le bail initial signé le 26 septembre 1996 stipule une prise d'effet du bail au 29 septembre 1996, de sorte qu'il s'est renouvelé après chaque période de neuf ans à cette dernière date en 2005 et 2014.
24. Si le congé comporte manifestement une date de fin de bail erronée (25 septembre 2023 au lieu du 29 septembre 2023), le délai de 18 mois a quant à lui été respecté dès lors qu'est prise en compte la date de prise d'effet réel du bail rural.
25. Le jugement du 6 avril 2023 sera confirmé en ce qu'il a débouté M. [S] de sa demande de nullité fondée sur le non respect du délai de préavis.
2 - le sursis à statuer :
26. L'article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime dispose que 'le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s'il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit de son conjoint, du partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou d'un descendant majeur ou mineur émancipé.
Toutefois, le preneur peut s'opposer à la reprise lorsque lui-même ou, en cas de copreneurs, l'un d'entre eux se trouve soit à moins de cinq ans de l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, soit à moins de cinq ans de l'âge lui permettant de bénéficier de la retraite à taux plein. Dans chacun de ces cas, le bail est prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au preneur ou à l'un des copreneurs d'atteindre l'âge correspondant. Un même bail ne peut être prorogé qu'une seule fois. Pendant cette période aucune cession du bail n'est possible. Le preneur doit, dans les quatre mois du congé qu'il a reçu, notifier au propriétaire, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, sa décision de s'opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire en contestation de congé.
Si la reprise est subordonnée à une autorisation en application des dispositions du titre III du livre III relatives au contrôle des structures des exploitations agricoles, le tribunal paritaire peut, à la demande d'une des parties ou d'office, surseoir à statuer dans l'attente de l'obtention d'une autorisation définitive.
Toutefois, le sursis à statuer est de droit si l'autorisation a été suspendue dans le cadre d'une procédure de référé.
Lorsque le sursis à statuer a été ordonné, le bail en cours est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale pendant laquelle l'autorisation devient définitive. Si celle-ci intervient dans les deux derniers mois de l'année culturale en cours, le bail est prorogé de plein droit jusqu'à la fin de l'année culturale suivante.
Lorsque les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d'une société et si l'opération est soumise à autorisation, celle-ci doit être obtenue par la société.
Lorsque le bien loué a été aliéné moyennant le versement d'une rente viagère servie pour totalité ou pour l'essentiel sous forme de prestations de services personnels le droit de reprise ne peut être exercé sur le bien dans les neuf premières années suivant la date d'acquisition'.
27. En l'espèce, le jugement du 6 avril 2023 a prononcé le sursis à statuer jusqu'à la décision définitive de l'administration sur la demande d'autorisation d'exploiter déposée par M. [B] dans le cadre du contrôle des structures des exploitations agricoles.
28. L'appel de M. [S] est sur ce point devenu sans objet depuis que, dans son jugement postérieur du 21 septembre 2023, le tribunal a validé le congé délivré le 25 mars 2022 au motif que M. [B] bénéficie d'une autorisation préfectorale d'exploiter les terres litigieuses, contre laquelle il n'était à ce moment-là justifié d'aucun recours.
29. M. [S] sollicite de la cour qu'elle ordonne le sursis à statuer dans l'attente de connaître le sort définitif de la demande d'autorisation d'exploiter de M. [B], dorénavant soumise à l'appréciation du tribunal administratif de Rennes suivant requête du 28 novembre 2023 en annulation de la décision d'autorisation préfectorale du 18 juillet 2023 et de la décision de rejet implicite du recours gracieux du 12 novembre 2023.
30. Il convient de rappeler que, pour valider le congé pour reprise personnelle, le tribunal a considéré que, par décision notifiée le 18 juillet 2023, le préfet de la région Bretagne avait autorisé M. [B] à exploiter les parcelles litigieuses objet du bail rural consenti à M. [S], que cette décision pouvait être contestée dans les deux mois de sa notification et qu'il n'était pas rapporté la preuve d'un recours gracieux ou contentieux déposé à l'encontre de cette décision, qui était donc exécutoire, de sorte que la condition, objet du sursis à statuer, était satisfaite, M. [B] justifiant remplir l'ensemble des conditions de reprise des parcelles louées.
31. La saisine du tribunal administratif par M. [S] à l'encontre de la décision préfectorale portant autorisation d'exploiter est un élément nouveau qui n'existait pas quand le tribunal paritaire des baux ruraux a statué.
32. M. [S] n'a pour autant pas sollicité la suspension par référé de l'autorisation d'exploiter délivrée par le préfet à M. [B], si bien que la cour n'a, depuis la nouvelle rédaction de l'article L. 411-58 alinéa 5 du code rural et de la pêche maritime issue de l'ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, que la faculté d'ordonner un sursis à statuer. Ce sursis à statuer spécifique est la manifestation des liens tissés par le législateur entre statut du fermage et contrôle des structures.
33. La juridiction, que ce soit le tribunal paritaire des baux ruraux ou la cour d'appel, doit veiller à ce que la demande de sursis à statuer ne constitue pas une manoeuvre dilatoire, par exemple à la faveur d'un recours devant le tribunal administratif manifestement irrecevable.
34. Il n'y a d'ailleurs pas lieu de distinguer selon qu'il s'agit d'une décision d'autorisation ou d'une décision de refus. Par 'autorisation définitive', l'article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime, dans sa nouvelle version, vise la décision irrévocable, c'est-à-dire celle qui ne peut plus être remise en cause par aucune voie de recours de droit commun.
35. La Cour de cassation a ainsi approuvé une cour d'appel qui a refusé d'ordonner un sursis à statuer dans une affaire où la reprise, qui portait sur une parcelle d'une superficie inférieure à celle fixée par l'arrêté du préfet, n'était pas soumise à autorisation administrative préalable au titre du contrôle des structures (Cass. 3ème civ., 21 janv. 2009, n° 07-21-016). Elle a également déclaré irrecevable le pourvoi en cassation formé par le bailleur à l'encontre d'une décision de cour d'appel ordonnant un sursis à statuer procédure civile lorsque ce sursis a été prononcé, non pas en application d'une règle de droit, mais dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge en vue d'une bonne administration de la justice (Cass. 3ème civ., 19 déc. 2012, n° 11-28.918).
36. Il convient également de rappeler qu'en toute hypothèse, le preneur est contraint de quitter les lieux loués à la suite d'un jugement du tribunal paritaire déclarant le congé valable et prononçant l'exécution provisoire, de sorte que, si la cour d'appel ordonne un sursis à statuer jusqu'à la décision définitive de l'administration sur la demande d'autorisation d'exploiter du bénéficiaire de la reprise, le preneur évincé est fondé à exiger sa réintégration ainsi que la réparation du préjudice subi au titre de ses pertes d'exploitation (Cass. 3ème civ., 25 sept. 2002, n° 01-03.745).
37. En l'espèce, le tribunal, bien qu'ayant validé le congé, n'a pas prononcé l'exécution provisoire afin d'éviter le risque de réintégration compte tenu de l'instance pendante devant la cour d'appel de Rennes. Quoi qu'il en soit, M. [S], en cas de confirmation du jugement, disposerait encore d'un droit de contrôle a posteriori permettant sa réintégration ou son indemnisation, conformément aux dispositions de l'article L. 411-66 du code rural et de la pêche maritime.
38. La contestation de l'autorisation administrative portée par M. [S] devant le tribunal administratif porte sur quatre points :
- le retrait du parcellaire de parcours et de proximité du preneur en place
- le retrait d'une surface agricole utile de l'exploitation de plus du cinquième
- le retrait de plus de 10 % du plan d'épandage du GAEC Flaval qu'il exploite
- l'absence de projet d'installation sérieux de M. [B] au regard de l'UTA (unité de travail annuel) et de l'IDE (indicateur de dimension économique).
39. Or, pour délivrer son autorisation d'exploiter, le préfet a rappelé que le GAEC Flaval exploite 138,77 ha, 135 vaches laitières et 28,28 ha de grandes cultures, avec un IDE/UTA de 60.170,25 €, le projet d'installation de M. [B] ne compromettant pas la viabilité de l'exploitation du preneur en place.
40. Le préfet a également relevé que la situation du GAEC Flaval ne répond pas aux critères de priorité 1 (remise en cause du bon fonctionnement de l'exploitation) ni de priorité 2 (parcours de proximité) ni de priorité 3 (pas de perte de la superficie de son exploitation de plus des deux tiers) ni de priorité 4.1 (protection du conjoint collaborateur) et 4.2 (justification de la capacité professionnelle de M. [B]) du SDREA (schéma directeur régional des exploitations agricoles).
41. Il convient de relever l'âge de M. [B] (54 ans), dont le projet d'installation risque d'être anéanti par des recours dilatoires, alors que la situation de M. [S] a été examinée avec sérieux par le préfet. Le moindre inconvénient permet, entre l'enlisement du projet professionnel de M. [B] et la perte, après 28 années d'exploitation, de 15 % des terres exploitées par le GAEC Flaval, avec possibilité de les réintégrer pour M. [S] en cas de fraude ou d'annulation de l'autorisation d'exploiter, de privilégier la position de M. [B].
42. Dans ces conditions, il ne sera pas fait droit à la demande de sursis à statuer formée par M. [S], sauf la possibilité pour lui, le cas échéant, de solliciter sa réintégration dans le contrôle a posteriori qui lui est ouvert.
3 - la reprise personnelle :
43. L'article L. 411-59 fait obligation au 'bénéficiaire de la reprise' de 'se consacrer à l'exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe.
Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions'.
44. L'article R. 331-2 considère que 'satisfait aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées au 3° du I de l'article L. 331-2 le candidat à l'installation, à l'agrandissement ou à la réunion d'exploitations agricoles qui justifie, à la date de l'opération :
1° Soit de la possession d'un des diplômes ou certificats requis pour l'octroi des aides à l'installation visées aux articles D. 343-4 et D. 343-4-1 ;
2° Soit de cinq ans minimum d'expérience professionnelle acquise sur une surface égale au tiers de la surface agricole utile régionale moyenne, en qualité d'exploitant, d'aide familiale, d'associé exploitant, de salarié d'exploitation agricole ou de collaborateur d'exploitation au sens de l'article L. 321-5. La durée d'expérience professionnelle doit avoir été acquise au cours des quinze années précédant la date effective de l'opération en cause'.
45. Dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006, le 3ème alinéa de l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime prévoit que le bénéficiaire de la reprise doit justifier qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle visées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 du même code ou qu'il bénéficie d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions, si bien que la condition de capacité professionnelle ne fait l'objet d'une appréciation spéciale que si la reprise n'est pas subordonnée à l'obtention d'une autorisation administrative.
46. D'ailleurs, le préfet, dans son autorisation d'exploiter du 18 juillet 2023, relève que M. [B] 'justifie d'un diplôme, titre ou certificat enregistré au répertoire national des certifications professionnelles, de niveau égal ou supérieur au baccalauréat professionnel spécialisé 'conduite et gestion de l'exploitation agricole' ou au brevet professionnel option 'responsable d'exploitation agricole', procurant une qualification correspondant à l'exercice du métier de responsable d'exploitation agricole, a un 3P agréé, a effectué son stage 21h et a produit une étude de nature à justifier du sérieux, de la réalité et de la viabilité de son projet', qui consiste en un élevage de bovins de race Aberdeen Black Angus
47. En tant que de besoin, M. [B] produit de nouveau l'ensemble de ces documents devant la cour, outre un certificat médical d'aptitude physique du 8 décembre 2022 et l'effectivité de sa démission de ses fonctions de co-gérant de la société I.D.E.
48. Nanti d'une autorisation administrative en bonne et due forme, le projet de M. [B] apparaît légitime.
49. Le jugement du 21 septembre 2023 sera confirmé en ce qu'il a validé le congé délivré par M. [B] à M. [S] le 25 mars 2022 et jugé en conséquence que M. [S] sera occupant sans droit ni titre à compter du 30 septembre 2023, sauf à dire que l'expulsion de M. [S] et de tous occupants de son chef pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique à compter du 1er octobre 2024.
Sur les dépens
50. La disposition relative aux dépens de première instance sera confirmée. M. [S], partie perdante, sera condamné aux dépens d'appel.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
51. La disposition relative aux frais irrépétibles de première instance sera confirmée. L'équité commande de faire bénéficier M. [B] des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur de 2.000 €.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,
Ordonne la jonction des instances n° 23/2554 et n° 23/5667 sous le premier numéro,
Rejette la demande de sursis à statuer formée par M. [R] [S],
Confirme en toutes leurs dispositions les jugements du tribunal paritaire des baux ruraux de Lorient du 6 avril 2023 et du 21 septembre 2023, sauf à dire que l'expulsion de M. [S] et de tous occupants de son chef pourra être poursuivie, en tant que de besoin avec le concours de la force publique, à compter du 1er octobre 2024,
Y ajoutant,
Condamne M. [R] [S] aux dépens d'appel,
Condamne M. [R] [S] à payer à M. [U] [B] la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
Le greffier, Le président,