6ème Chambre A
ARRÊT N°
N° RG 23/01803 - N° Portalis DBVL-V-B7H-TTVE
Appel contre le jugement rendu le 2 mars 2023 RG 20/01194 n°23/82- par le TJ de Nantes 8e ch.
M. [B] [N]
C/
M. PROCUREUR GÉNÉRAL PRÈS LA COUR D'APPEL DE RENNES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Stéphanie RODRIGUES-DEVESAS
MP
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 JUILLET 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Véronique CADORET, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère, rapporteure
GREFFIER :
Madame Morgane LIZEE, lors des débats, et Mme Léna ETIENNE, lors du prononcé,
MINISTERE PUBLIC :
Monsieur Laurent Fichot, avocat général, lors des débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 13 Mai 2024
devant Madame Aurélie GUEROULT, Présidente de chambre et Madame Sylvie ALAVOINE, Conseillère, audience en double-rapporteur, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe
****
APPELANT :
Monsieur [B] [N]
Né l e 4 juillet 2001 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire)
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Stéphanie RODRIGUES-DEVESAS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉ :
le MINISTERE PUBLIC en la personne du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté par Monsieur Laurent Fichot, avocat général, près la cour d'appel de Rennes
Le 13 juin 2019, M. [B] [N] a souscrit une déclaration de nationalité auprès du tribunal d'instance de Nantes en application de l'article 21-12 du code civil, en tant que mineur confié au service de l'aide sociale à l'enfance.
Le 30 août 2019, la directrice des services de greffe judiciaire du tribunal judiciaire de Nantes a refusé l'enregistrement de sa déclaration.
Par acte du 5 mars 2020, M. [N] a assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nantes devant le tribunal judiciaire de Nantes aux fins de contester cette décision.
Suivant un jugement du 2 mars 2023, le tribunal judiciaire de Nantes a :
- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;
- débouté M. [N] de ses demandes ;
- dit que [B] [N], se disant né le 4 juillet 2001 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire) n'est pas de nationalité française ;
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;
- condamné M. [N] aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 21 mars 2023, M. [N] a interjeté appel de toutes les dispositions de ce jugement, excepté celle relative au récépissé.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 novembre 2023, [N] demande à la cour de bien vouloir infirmer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de :
- ordonner l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite le 21 septembre 2016 ;
- dire que M. [B] [N], né le 4 juillet 2001 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire) est par conséquent de nationalité française ;
- ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil ;
- laisser les dépens à la charge du Trésor public.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises au greffe le 25 janvier 2024 par le RPVA, le ministère public demande à la cour de :
- dire que les conditions de l'article 1040 du code de procédure civile ont été respectées ;
- confirmer le jugement rendu le du 2 mars 2023 par le tribunal judiciaire de Nantes ;
- dire n'y avoir pas lieu d'ordonner l'enregistrement de la déclaration souscrite le 13 juin 2019 sur le fondement de l'article 21-12 du code civil par M. [B] [N], se disant née le 4 juillet 2001 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire) ;
- dire que M. [B] [N], se disant née le 4 juillet 2001 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire) n'est pas de nationalité française ;
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- Sur le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile
L'article 1040 du code de procédure civile applicable au cas d'espèce dispose que :
« Dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité ou sur le refus de délivrance d'un certificat de nationalité française, une copie de l'assignation ou de la requête ou, le cas échéant, une copie des conclusions soulevant la contestation sont déposées au ministère de la justice qui en délivre récépissé. Le dépôt des pièces peut être remplacé par l'envoi de ces pièces par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
La juridiction civile ne peut statuer sur la nationalité ou sur le refus de délivrance d'un certificat de nationalité française avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la délivrance du récépissé ou de l'avis de réception. Toutefois, ce délai est de dix jours lorsque la contestation sur la nationalité a fait l'objet d'une question préjudicielle devant une juridiction statuant en matière électorale.
L'acte introductif d'instance est caduc et les conclusions soulevant une question de nationalité irrecevables, s'il n'est pas justifié des diligences prévues aux alinéas qui précèdent.
Les dispositions du présent article sont applicables aux voies de recours.»
En l'espèce, est versé aux débats le récépissé de la copie de l'acte d'appel délivré par le ministère de la justice le 7 avril 2023. Les diligences de l'article 1040 du code de procédure civile ont ainsi été respectées.
- Sur les demandes au fond
Il sera rappelé à titre liminaire qu'en application des dispositions de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile les prétentions des parties à hauteur d'appel sont récapitulées sous forme de dispositif et que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Dans le cas d'espèce, la fin de non-recevoir développée par le procureur général dans le corps de ses conclusions n'étant pas reprise dans le dispositif de ces dernières, il ne sera pas statué sur ce point en application des dispositions précitées.
Au fond, M. [N] ne disposant pas d'un certificat de nationalité française, il lui appartient de faire la preuve de sa qualité de français conformément aux dispositions de l'article 30 du code civil selon lequel :
« La charge de la preuve, en matière de nationalité française incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.»
En application de l'article 21-12 alinéa 3 du code civil, « peut [...]réclamer la nationalité française : l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance.»
Par ailleurs, il résulte de l'article 16 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, que le déclarant doit fournir son acte de naissance et justifier d'un état civil certain s'agissant d'une déclaration fondée sur l'article 21-12 du code civil exclusivement réservée aux mineurs et dont la minorité doit être vérifiée à la date de la souscription.
En toute hypothèse, il convient de rappeler qu'en matière de nationalité, quelque soit le fondement de la demande, tout requérant qui aspire à la reconnaissance de sa nationalité doit justifier d'un état civil fiable par la production d'un acte d'état civil faisant foi en France notamment au regard de l'article 47 du code civil.
Selon cet article, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.
Il résulte de ces dispositions que les actes d'état civil répondant à ces exigences bénéficient d'une présomption de force probante.
Dans le cas d'espèce, pour justifier de son état civil tant devant les premiers juges que devant la cour, M. [N] verse aux débats un extrait du registre des actes de l'état civil pour l'année 2009, délivré le 29 janvier 2016, portant le numéro 1392 du 30-11-2009 du registre du centre principal de Daloa indiquant que le 4 juillet 2001 est né [B] à Daloa fils de [V] [N] et de [K] [T].
Cet extrait porte en marge la mention suivante : 'Vu l'attestation n°25/080354/0333 du 7/5/2009, de rétablissement d'un acte dont l'existence dans les registres disparus ou détruits, a été constaté. E-18 '
Il se déduit de cette mention que l'ensemble des registres dans lesquels figuraient l'acte de naissance de M. [B] [N] ont disparus ou ont été détruits de sorte qu'il a été procédé au rétablissement de l'acte de naissance de ce dernier.
Un tel rétablissement est réglementé par les articles 85 à 88 de la loi ivoirienne relative à l'état civil dans les hypothèses de destruction ou disparition d'un seul des registres (article 85 et 86), voire des deux (article 87). Dans ces deux hypothèses, il ressort des articles applicables que la reconstitution du ou des registres doit être validée par une décision de justice.
Quant à l'article 88, il prévoit que ' Les dispositions contenues à l'article précédents ne font pas obstacle au droit des parties de demander conformément aux dispositions de l'article 82, le rétablissement de l'acte les intéressant, qui figurait sur les registres détruits, détériorés ou disparus.'
L'article 82 est relatif aux jugements supplétifs d'actes de l'état civil qui permettent de suppléer par jugement un défaut d'acte de l'état civil. Selon l'article 84 de la même loi, le dispositif du jugement supplétif ou de l'arrêt est transmis au ministère public à l'officier ou à l'agent de l'état civil du lieu où s'est produit le fait qu'il constate ; la transcription en est effectuée sur les registres de l'année en cours et mention en est portée, en marge des registres, à la date du fait.
Ainsi, il ressort de l'ensemble de ces textes que seule une décision de justice doit avoir présidée au rétablissement de l'acte de naissance de M. [B] [N] dans l'hypothèse de la destruction, détérioration ou disparition des deux registres de l'état civil.
Or, l'extrait d'acte de naissance produit aux débats porte la mention d'une attestation laquelle ne peut être assimilée à une décision de justice requise par la législation ivoirienne pour la reconstitution des registres de l'état civil. En outre, M. [N] ne verse aux débats aucun jugement sur la base duquel aurait été établi l'acte de naissance produit aux débats.
Ainsi, l'extrait d'acte de naissance produit est irrégulier au regard de la législation ivoirienne et par conséquent dépourvu de force probante au sens de l'article 47 du code civil.
Comme l'ont indiqué à juste titre les premiers juges, le passeport produit par M. [N] ne constitue pas un acte d'état civil susceptible de faire la preuve de sa minorité, et ce d'autant moins qu'il n'est nullement établi qu'il ait été délivré par les autorités ivoiriennes sur le fondement d'un acte d'état civil probant au sens de l'article 47 du code civil. Il en est de même s'agissant du certificat de nationalité ivoirienne et de l'attestation administrative d'identité communiqués par M. [N] de sorte que l'ensemble de ces documents sont impropres à remédier à l'absence de production par ce dernier d'un acte d'état civil probant.
Il en résulte que M. [N] ne dispose pas à ce jour d'un état civil fiable et certain, préalable nécessaire à toute action en matière de nationalité et échoue donc à rapporter la preuve de sa minorité au moment de la déclaration de souscription de la nationalité française telle qu'exigée part l'article 21-12 du code civil. C'est donc à juste titre que les premiers juges l'ont débouté de sa demande. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens
Eu égard à l'issue et à la solution du litige, la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a condamné M. [N], partie succombante, aux dépens de première instance, et, ajoutant à cette décision, la cour mettra à la charge de ce dernier les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant dans les limites de l'appel principal,
Dit que les formalités prévues par l'article 1040 du code de procédure civile ont été accomplies ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [B] [N] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT