13 SEPTEMBRE 2022
Arrêt n°
CV/SB/NS
Dossier N° RG 20/00266 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FLV7
ADAPEI
Association
Départementale d'Amis, de Parents et de personnes handicapées mentales du Puy de Dôme
/
[U] [FI]
Arrêt rendu ce TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Claude VICARD, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
ADAPEI Association Départementale d'Amis, de Parents et de personnes handicapées mentales du Puy de Dôme
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Laurent KOLENDA, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et par Me Sophie LACQUIT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
Mme [U] [FI]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Nadia LEBOEUF, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND suppléant Me Sophie GIRAUD de la SCP GIRAUD-NURY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/005348 du 06/11/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
INTIMEE
Après avoir entendu Mme VICARD, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 16 Mai 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE:
L'Association Départementale d'Amis, de Parents et de Personnes Handicapées Mentales du Puy-de-Dôme, ci- après dénommée ADAPEI 63, est une association créée en 1959, dont la vocation est de défendre les intérêts des personnes handicapées et de leur famille.
Employant plus de 1.000 salariés au sein de 67 établissements, elle fait application de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
Mme [U] [FI] a été engagée par l'ADAPEI 63 tout d'abord en qualité de monitrice adjointe à compter du 05 mars 2002, puis en qualité d'aide médico- psychologique à compter du 1er mars 2004, sous contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
Mme [FI] exerçait ses fonctions au sein de l'institut médico- éducatif '[5]' à [Localité 4].
Le 15 février 2019, Mme [FI] s'est vue notifier une mise à pied disciplinaire d'un jour.
Par courrier recommandé du 07 mars 2019, elle a été licenciée pour faute grave, des actes de maltraitance sur plusieurs enfants lui étant reprochés.
Le 11 mars 2019, Mme [FI] a saisi le conseil de prud'hommes de Riom en annulation de la mise à pied disciplinaire du 15 février 2019, en contestation de son licenciement et paiement de diverses sommes à titre indemnitaire.
Par jugement du 24 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Riom a :
- jugé que la mise à pied disciplinaire d'un jour était justifiée;
- jugé que le licenciement ne reposait par sur une cause réelle et sérieuse ;
- condamné en conséquence l'ADAPEI 63 à payer à Mme [FI] les sommes suivantes :
* 27.139,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif;
* 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère vexatoire du licenciement;
* 9.369,51 euros à titre d'indemnité légale de licenciement;
* 3.877,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 387,70 euros au titre des congés payés afférents;
* 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté Mme [FI] du surplus de ses demandes ;
- débouté l'ADAPEI 63 de ses demandes et condamné cette dernière aux dépens.
Le 11 février 2020, l'ADAPEI 63 a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 27 janvier 2020.
Par ordonnance d'incident du 08 septembre 2020, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par l'ADAPEI 63 dans l'attente de l'issue de la procédure pénale engagée à la suite de son signalement.
Par jugement du 07 juillet 2021, le tribunal correctionnel de Clermont- Ferrand a relaxé Mme [FI] des chefs de poursuite, à savoir des violences volontaires sur deux enfants particulièrement vulnérables en raison de leur état mental.
La procédure d'appel a été clôturée le 19 avril 2022 et l'affaire appelée à l'audience de la chambre sociale du 16 mai 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 06 avril 2022, l'Association ADAPEI 63 demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé fondée la mise à pied disciplinaire d'un jour et débouté Mme [FI] de sa demande en paiement de dommages et intérêts;
- infirmer le jugement déféré pour le surplus et statuant à nouveau:
- juger que le licenciement de Mme [FI] repose sur une faute grave;
- débouter en conséquence Mme [FI] de toutes ses demandes découlant de la rupture du contrat de travail et en indemnisation de ses frais irrépétibles;
- à titre infiniment subsidiaire, dans le cas où la cour ne retiendrait pas la faute grave, ramener le montant des dommages et intérêts à la somme de 5.815.56 euros aux lieu et place des 27.139.28 euros alloués par les premiers juges et débouter Mme [FI] de sa demande indemnitaire pour procédure vexatoire ;
- condamner Mme [FI] à payer une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'association ADAPEI 63 soutient, s'agissant du bien fondé de la mise à pied disciplinaire du 15 février 2019, que les griefs évoqués dans le courrier de notification sont démontrés par diverses attestations et par les procès- verbaux d'audition recueillis dans le cadre de la procédure pénale; que le comportement inapproprié de la salariée justifiait la sanction disciplinaire prononcée à son encontre.
Elle fait ensuite valoir, s'agissant de la matérialité de la faute grave, que la salariée s'est rendue coupable de gestes maltraitants sur des enfants handicapés; que les faits reprochés ne sont en rien prescrits pour être constants et pour certains d'entre eux, récents; que la salariée travaillait en lien avec de jeunes enfants ayant des difficultés, les rendant fragiles et vulnérables.
Elle souligne qu'elle ne pouvait dès lors maintenir Mme [FI] au sein de l'établissement en raison de son comportement brutal portant atteinte à la dignité et la sécurité physique et mentale des résidents; qu'elle a procédé à deux signalements, auprès du Procureur de la République et de l'ARS; que la faute grave, au regard de ces éléments, est parfaitement caractérisée.
A titre subsidiaire, si la cour ne devait pas retenir l'existence d'une faute grave, elle demande la diminution à de plus justes proportions du montant des dommages et intérêts accordés à Mme [FI]. Elle objecte que le conseil de prud'hommes a alloué à la salariée une somme égale à 14 mois de salaire, ce qui correspond à l'indemnité maximale; que l'intéressée n'apporte toutefois aucune preuve de la réalité d'un préjudice justifiant de retenir l'indemnité légale maximale; que son âge n'est en rien rédhibitoire pour retrouver un emploi, qui plus est dans son secteur d'activité; qu'en outre, elle ne démontre aucunement avoir recherché activement un emploi ni n'a précisé sa situation actuelle.
Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 13 avril 2022, Mme [FI] conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en annulation de la mise à pied disciplinaire infligée le 15 février 2019.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau, d'annuler cette sanction et de condamner l'ADAPEI 63 à lui payer la somme de 800 euros à titre de dommages intérêts, outre celle de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et ce, en sus des entiers dépens.
La salariée rétorque que la preuve des faits reprochés au soutien de la sanction disciplinaire n'est pas rapportée et sollicite l'octroi de dommages et intérêts, motifs pris des conditions traumatisantes dans lesquelles elle a été invitée à quitter l'établissement.
Sur le licenciement, elle fait valoir que les faits visés dans la lettre de notification sont imprécis pour ne mentionner aucune date ni même le nom des enfants concernés; qu'ils ne sont ainsi pas vérifiables; qu'en outre, les faits allégués datant de 2016 et 2017 sont prescrits.
Elle souligne que les attestations d'anciennes collègues de travail produites aux débats démontrent au contraire son professionnalisme et l'absence de tout comportement inadapté; que le tribunal correctionnel, après enquête approfondie, l'a d'ailleurs relaxée.
Elle argue en outre que les faits reprochés ont déjà été sanctionnés par le biais de la sanction disciplinaire du 15 février 2019; que l'ADAPEI 63 avait ainsi épuisé son pouvoir disciplinaire de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°- Sur la demande en annulation de la mise à pied disciplinaire du 15 février 2019:
Aux termes de l'article L. 1331- 1 du code du travail, 'constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération'.
La loi ne définit pas la faute de nature à déboucher sur une sanction disciplinaire. Elle se borne à autoriser l'employeur à sanctionner 'tout agissement considéré par lui comme fautif'. De manière générale, la faute résulte du non- respect de la discipline par le salarié ou de l'exécution volontairement défectueuse de son travail.
Ainsi, une mauvaise exécution des tâches confiées, dès lors qu'elle n'est pas répétée ou régulière et ne procède pas d'une volonté délibérée de mal faire, ne saurait être qualifiée de faute.
Il entre dans l'office du juge de vérifier, au vu des données de l'espèce, que la sanction est justifiée et proportionnée à la gravité de la faute reprochée au salarié, à défaut de quoi l'article L. 1333-2 du code du travail lui confère le pouvoir de prononcer l'annulation de la sanction infligée par l'employeur.
L'article L.1333-1 du même code précise que 'l'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.'
Enfin, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au- delà d'un délai de deux mois courant à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Néanmoins, si un fait fautif ne peut plus donner lieu à lui seul à une sanction au- delà du délai de deux mois, l'employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à condition toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique.
En l'espèce, par courrier recommandé du 15 février 2019, l'ADAPEI 63 a notifié à Mme [FI] une mise à pied disciplinaire d'une durée d'un jour.
Elle lui a reproché d'avoir, le 22 janvier 2019, adopté un comportement non professionnel à l'égard d'un enfant en ces termes : '(...). Il apparaît (attestations et témoignages sous Cerfa à l'appui) qu'en date du 22 janvier 2019, vers 16 heures, vous avez (envers un des enfants que nous accueillons), 'crié sur [L]: toi, tu n'iras pas à l'internat, tu files dans l'unité'. Face au refus d'[L], elle (en parlant de vous) l'attrape par le col, tire ses vêtements et le pousse sur une quinzaine de mètres. Une fois arrivés dans la salle, elle sort, ferme la porte de l'unité et maintient la poignée pour qu'il ne ressorte pas.' L'enfant concerné par vos agissements a été retrouvé le 22 janvier 2019, soit le jour même, vers 16h 10, 'en position foetale, prostré', indiquant 'elle a pas le droit de me toucher [U], elle a pas le droit, je veux plus la voir, je veux partir, plus revenir'. L'enfant a également verbalisé les propos suivants: '[U] n'a pas le droit de toucher à mon corps'.
L'employeur produit aux débats les attestations concordantes et circonstanciées de Mmes [P] [B] et [J] [A], collègues de travail de Mme [FI] qui ont assisté à la scène décrite dans la lettre de notification de la mise à pied.
Ces attestations sont corroborées par celles de Mme [H] [Z], mère de l'enfant [L], ainsi que de Mmes [UF] [W] et [V] [K], respectivement aide médico- psychologique et cadre de proximité à l'IME, toutes trois n'ayant pas assisté aux faits mais rapportant en des termes identiques l'émoi de l'enfant, très perturbé par l'attitude de Mme [FI] à son égard.
Enfin, l'équipe AGEVAL a signalé l'incident le 23 janvier 2019 en des termes identiques.
L'ensemble de ces éléments établit suffisamment la matérialité des faits incriminés qui, ainsi que l'ont pertinemment relevé les premiers juges, révèlent un comportement brutal et à tout le moins inadapté à l'égard d'un enfant souffrant d'autisme, pris en charge au sein d'un établissement spécialisé.
Cette attitude, ne correspondant pas à celle qui peut être légitimement attendue d'un professionnel expérimenté de l'enfance handicapée, constitue indubitablement une faute qui, eu égard à l'émoi provoqué chez l'enfant rudoyé et au sein de l'institut médico- éducatif, n'a pas été sanctionnée de manière disproportionnée par le prononcé d'une mise à pied disciplinaire d'une durée d'un jour ouvré.
Aussi, la cour, par confirmation du jugement entrepris, rejette la demande en annulation de cette sanction disciplinaire et celle subséquente en paiement de dommages et intérêts.
2°- Sur la rupture du contrat de travail :
Aux termes des dispositions combinées des articles L. 1232-1 et L. 1235- 1 du code du travail, l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif. Le licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire être fondé sur des faits exacts, précis, objectifs et revêtant une certaine gravité.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité et de la pertinence des griefs invoqués au soutien du licenciement prononcé pour faute grave. En application de l'article L.1235-1 du code du travail, si un doute subsiste, il profite au salarié.
Lorsque que les faits sont établis mais qu'aucune faute grave n'est caractérisée, le juge du fond doit vérifier si les faits initialement qualifiés de faute grave par l'employeur constituent ou non une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées de l'article 12 de la convention collective et des articles L. 1111-1 et L. 7221-2 du code du travail que le bien-fondé du licenciement du salarié d'un particulier employeur pour une cause réelle et sérieuse n'est soumis qu'aux dispositions de la convention collective, laquelle prévoit que le contrat de travail peut être rompu par l'employeur pour tout motif constituant une cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute grave, notifiée à Mme [FI] le 07 mars 2019, est libellée comme suit :
'Madame,
Pour faire suite à l'entretien que nous avons eu le lundi 04 Mars 2019, au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur [G] [E], nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, sans préavis ni indemnité.
Cette décision se justifie par les motifs exposés lors de cet entretien, à savoir votre comportement non professionnel lié à des actes graves survenus au cours de l'exercice de votre mission et vos profonds manquements répétés auprès de nos personnes accueillies : des enfants.
En effet, en votre qualité de d'aide médico- psychologique au sein de notre Association, embauchée sous un contrat de travail à durée indéterminée, dûment diplômée en qualité d'aide médico- psychologique, vous vous deviez de respecter l'ensemble des règles professionnelles et de discipline applicables au sein de notre structure, ces dernières ayant été édictées afin d'assurer son bon fonctionnement.
Ainsi, conformément aux dispositions de l'article L.311-3 du code de l'action sociale et des familles issues de la loi du 2 janvier 2002, vous deviez respecter pour chaque personne prise en charge au sein de nos établissements sa dignité, son intégrité, sa vie privée, son intimité et sa sécurité.
Dans ce cadre, il vous appartenait de réaliser votre mission de prise en charge avec diligence et conscience professionnelle, ce qui supposait en premier lieu d'apporter tout le soin et le respect qui s'impose aux jeunes résidents en situation de handicap dont vous aviez la responsabilité.
Or, des faits particulièrement graves et inacceptables ont récemment été portés à notre connaissance par nombre de professionnels, mais également de la part de familles des enfants pris en charge, ce que nous avons pu vérifier, lesquels faits montrent que vous avez:
1- Eu de manière répétée des comportements violents, brusques et inappropriés :
A titre d'exemple, il nous a été signalé que vous avez, à l'encontre de jeunes enfants dont vous aviez la responsabilité, et ce a plusieurs reprises :
'Craché au visage d'un enfant';
'Mordu un enfant';
'Tiré les cheveux d'un enfant';
'Enfermé un enfant dans une pièce, seul, en maintenant la porte fermée', l'enfant étant en pleurs et en cris;
'Déshabillé devant tout monde un enfant, en criant tu pues, non mais qu'est-ce que tu pues, mais qu'est-ce qu'il sent mauvais celui-là';
'Enlevé le T- shirt d'un enfant devant tout monde afin de pouvoir l'asperger de déodorant';
'Tirant brusquement un enfant lors d'une sortie, en lui disant : tu vas avancer, en l'attrapant par derrière et en le tirant, ça commence à bien faire cette comédie';
En sus, il apparaît que vous avez incité d'autres professionnels à adopter ces pratiques : '[U] [FI] me demande à plusieurs reprises de cracher moi aussi sur l'enfant. Je refuse en lui expliquant que je ne ferai jamais cela'.
2- Tenu de manière répétée des propos totalement déplacés, irrespectueux et dénigrants auprès de nos résidents ou à leur sujet devant des tiers (résident, collègues de travail et/ou devant leur famille) :
A titre d'exemple, nous apprenons ainsi que :
'[U] [FI] nous parle mal';
'[U] [FI] nous crie dessus';
'[U] [FI] me punit alors que je n'ai rien fait';
Devant plusieurs personnes et la jeune fille prise en charge : 'Ta culotte, elle est dégueulasse. Ta mère elle la lave pas, faut y arrêter. Au lieu d'écrire sur le cahier, elle ferait mieux de s'occuper de toi';
Dire devant un enfant pris en charge et sa mère : 'tu te calmes sinon je t'abandonne sur le bord de la route, et maman ne viendra pas te chercher car elle ne saura pas où tu es';
Nous apprenons même que vous avez tenté de faire pression sur certains enfants dont vous aviez la responsabilité, dans l'objectif qu'ils puissent 'aller se plaindre auprès de la direction de l'établissement et du chef de service pour leur dire que (prénom de l'enfant) leur fait peur et qu'ils ne veulent plus le voir'.
De manière globale, votre accompagnement des personnes en situation de handicap au quotidien se fait de manière bâclée, brutale et sans tenir compte des particularités de chacun et de toute l'attention attendue au regard de la grande fragilité du public accueilli dans l'établissement. Ainsi, des attestations ont été produites par des salariés, des collègues de travail, mais également par des familles, à votre encontre, d'attitudes et de faits pouvant être qualifiés de maltraitance.
Ces faits sont constitutifs d'un manquement grave à vos obligations professionnelles et contractuelles que nous ne pouvons tolérer et d'autant plus compte-tenu de la nature même de notre activité et votre emploi, ainsi que de la vulnérabilité extrême des personnes dont nous avons la charge.
Un tel comportement porte gravement atteinte à la sécurité et au bien-être des personnes accueillies et viole par conséquence les dispositions du code de la santé publique et les valeurs de l'Association.
Pour rappel, votre fiche de fonction elle-même rappelle, entre autres, que vous devez assurer le bien-être, le confort et la sécurité des résidents et exercer, dans un cadre éthique, une fonction d'accompagnement dans la vie quotidienne.
Les bonnes pratiques que vous n'avez pas suivies sont d'ailleurs dans le règlement intérieur des établissements :
* article 13.1 : 'Le personnel est tenu au respect et à la correction vis-à-vis des personnes handicapées, de leur famille et de tout autre public';
* article 13.2 : 'Tout acte de maltraitance est prohibé'.
Vous êtes à ce titre, aussi, le garant de l'image de l'établissement mais aussi de manière plus globale de l'Adapei 63.
Votre diplôme d'aide médico- psychologique vous a donné les bases d'un accompagnement de qualité et respectueux des personnes accueillies.
Vos agissements nous ont conduits, dès que nous en avons eu connaissance, à procéder à deux signalements : le premier à Monsieur le Procureur de la République et le deuxième à notre autorité administrative, l'Agence Régionale de Santé (ARS).
L'entretien préalable ne nous a pas permis de modifier notre appréciation de la situation.
Les motifs exposés ci-dessus rendent donc impossible votre maintien au sein de notre association et ce, même durant une quelconque période de préavis.
Ce licenciement est effectif immédiatement et vous cessez, dès ce jour, de faire partie de nos effectifs.(...)'
Il ressort des énonciations de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que sont reprochés à Mme [FI] des actes de maltraitance à l'égard d'enfants souffrant d'un handicap mental, se caractérisant par:
- des comportements violents, brusques et inappropriés
- des propos déplacés, irrespectueux et dénigrants.
Pour étayer ces griefs non précisément datés, l'employeur produit aux débats les attestations de plusieurs collègues de travail de Mme [FI], dont certains ont été entendus dans le cadre de l'enquête pénale ouverte à son encontre.
La cour relève tout d'abord que plusieurs attestations (pièces n° 14, 15, 16, 17 et 18) portent exclusivement sur les faits du 22 janvier 2019 concernant l'enfant [L] et ayant déjà été sanctionnés par la mise à pied disciplinaire du 15 février 2019. Ces attestations ne présentent donc aucun caractère probant pour les griefs énoncés dans la lettre de licenciement.
Force est ensuite de constater que les comportements et propos brutaux prêtés à Mme [FI] sont tous antérieurs à la sanction disciplinaire du 15 février 2019, puisque l'intéressée, mise à pied à titre conservatoire le 24 janvier 2019, soit deux jours après les faits concernant [L], et ensuite placée en arrêt maladie, n'a jamais repris le travail jusqu'à son licenciement.
Les attestations de Mmes [P] [B], [UF] [W] et [M] [Y] confirment d'ailleurs que les actes et propos reprochés à Mme [FI], dont elles ont été le témoin direct ou qui leur ont été rapportés, étaient anciens pour dater, pour la majorité d'entre eux, de plus de deux ans. Il ressort aussi de ces attestations que plusieurs de ces faits ont été portés à la connaissance du directeur et/ ou de la hiérarchie de l'époque.
Ainsi, Mme [B] relate dans son attestation, avoir parlé en réunion 'pendant l'année 2016- 2017", des actes de morsure, crachats, humiliation (aspersion de déodorant, enfermement dans une pièce..) imputés à Mme [FI] qui, précise t'elle, a été, à la suite de cette réunion, changée d'unité en septembre 2017.
Elle explique avoir ensuite continué à relayer à la direction les plaintes d'enfants lui ayant de nouveau fait part de l'attitude autoritaire et cassante de l'intimée en ajoutant: 'Le directeur m'explique qu'il connaît pertinemment ses actes et qu'il reprendra avec elle la notion de bienveillance.'
Entendue au cours de l'enquête de gendarmerie, Mme [T] [X], psychomotricienne à l'IME de [Localité 4] depuis 2013, relate le comportement brutal de Mme [FI] personnellement constaté en début d'année 2016 à l'encontre d'un enfant prénommé [S] et ajoute : 'Dès que j'ai vu les faits, je me suis directement dirigée vers le bureau du directeur de l'IME, soit M. [O].'
Mme [D] [C], éducatrice spécialisée à l'IME depuis septembre 2010 a pour sa part indiqué aux gendarmes, que la mère d'un enfant prénommé [R] s'était plainte auprès d'elle en 2012 de ce que Mme [FI] tirait les cheveux de son fils. Elle ajoute, elle aussi, qu'elle a 'informé le directeur du moment, M. [O], qui ne m'a fait remplir aucun papier. Il a pris contact avec la maman et a retiré l'enfant des groupes d'activité que Mme [FI] gérait'.
Mme [V] [K], chef de service à l'IME depuis le mois de septembre 2018, également entendue par les gendarmes, explique que suite à la mise à pied de Mme [FI], 'les langues se sont déliées et nous avons appris qu'il y avait des antécédents. En résumé, nous avons su qu'elle avait ce comportement depuis plusieurs années. (...) Certains disaient qu'ils avaient déjà signalé les faits mais qu'il n'y avait jamais eu de retour'.
Mme [M] [I], également entendue par les gendarmes, indique avoir été témoin d'un geste inadapté de l'intimée au cours d'une sortie: 'Nous étions en train de marcher. J'accompagnais une petite qui avait des problèmes de motricité et visuel. Elle avait du mal à avancer. Mme [FI] est venue derrière elle, l'a attrapée par les vêtements dans le dos et l'a poussée en avant pour la forcer à avancer plus vite. Elle lui a dit une phrase du style 'maintenant ça suffit la comédie, tu avances'. J'ai trouvé ce comportement complètement inadapté à la situation de handicap de la petite. Je me souviens qu'elle portait des chaussures orthopédiques.'
Elle ajoute en avoir parlé au directeur de l'époque, M. [O]: 'Il m'a dit que ce n'était pas la première fois qu'il avait des échos sur le comportement inapproprié de [U] [FI]. Il avait déjà eu des feuilles d'incident établies à son encontre. Je me souviens qu'il m'avait dit qu'elle était suivie pour la thyroïde et qu'elle pouvait avoir des sautes d'humeur et alterner les phases de calme et d'excitation.'
Auditionné par les gendarmes en sa qualité d'ancien directeur de l'IME de [Localité 4] jusqu'en février 2018, M. [O] a soutenu n'avoir jamais été témoin des agissements particuliers de Mme [FI] mais a reconnu avoir eu des remarques de ses collègues en ces termes: ' J'ai déjà eu des remarques, qui étaient d'ordre général, on avait une petite équipe et forcément le caractère de [U] se faisait remarquer et je sentais parfois une tension palpable au sein des employés. Parfois j'intervenais, je demandais à Mme [FI] de venir dans mon bureau pour essayer de recadrer son comportement. Elle savait lever la voix, elle avait le timbre fort en plus, donc quand elle était pas contente, on l'entendait. (...). Mais bien sûr son comportement pouvait être interprété comme 'inadapté' hors de son contexte. Pour certains, le fait de parler déjà fort face à des enfants autistes était une bonne raison pour dire que son comportement n'était pas adapté, tout est une affaire de positionnement.'
Enfin, il est constant que les parents de [F] [N] se sont plaints de l'attitude verbalement agressive et cassante de Mme [FI] à l'égard de leur fils par courrier électronique du 04 décembre 2018, soit des faits portés à la connaissance de l'ADAPEI 63 plus de deux mois avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement.
De tout ce qui précède, il s'évince que l'ADAPEI 63 ne peut sérieusement soutenir n'avoir eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à Mme [FI] que le 15 février 2019, après le prononcé de la mise à pied disciplinaire de l'intéressée.
En choisissant, bien qu'informée depuis plusieurs années des brimades et brutalités physiques et verbales prêtées à la salariée, de lui notifier une mise à pied disciplinaire seulement pour certains de ces faits, l'appelante a épuisé son pouvoir disciplinaire et ne pouvait prononcer un licenciement pour des faits antérieurs à la sanction prononcée, de sorte que le licenciement de Mme [FI] doit être considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré mérite en conséquence confirmation sur ce point.
3°- Sur les conséquences financières de la rupture du contrat de travail :
La juridiction prud'homale a condamné l'ADAPEI 63 à payer à Mme [FI] les sommes suivantes:
- 9.369,51 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
- 3.877,04 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 387,70 euros au titre des congés payés afférents
- 27.139,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
La cour relève que les sommes allouées au titre de l'indemnité légale de licenciement et de l'indemnité compensatrice de préavis, majorée des congés payés afférents, n'ont fait l'objet d'aucune critique des parties. Ces chefs de jugement seront dans ces conditions purement et simplement confirmés.
S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'article L. 1235-3 du code du travail prévoit, pour ces licenciements notifiés à compter du 24 septembre 2017, que si l'une ou l'autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l'entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés (barème Macron).
Le nouvel article L. 1235-3 du code du travail définit des montant minimaux et maximaux d'indemnité de licenciement calculés en mois de salaire, en fonction de l'ancienneté et du nombre de salariés dans l'entreprise. Ainsi, dans les entreprises de 11 salariés ou plus, l'article L. 1235-3 prévoit que l'indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l'ancienneté dans l'entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.
En l'espèce, Mme [U] [FI], âgée de 47 ans au moment de son licenciement, comptait 17 ans d'ancienneté au sein de l'ADAPEI 63et percevait un salaire mensuel moyen brut de 1.938,52 euros.
Il n'est pas discuté que l'ADAPEI 63 employait plus de dix salariés au moment du licenciement.
En application de l'article L. 1235-3 du code du travail et au regard de son ancienneté, Mme [FI] peut prétendre à une indemnité de licenciement dont le montant est compris entre 3 et 14 mois de salaire mensuel brut, soit entre 5.815,56 et 27.139,28 euros bruts.
Au regard de son âge et de son ancienneté au moment de son licenciement, la cour, ne disposant d'aucun élément d'information sur la situation professionnelle et économique actuelle de Mme [FI], évalue à la somme de 22.000 euros bruts le préjudice occasionné par la perte injustifiée de son emploi.
Le jugement déféré sera en conséquence infirmé sur le quantum alloué.
La cour constate par ailleurs que Mme [FI] n'explicite pas en quoi le licenciement présenterait un caractère vexatoire, lequel ne saurait se déduire du seul fait qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Aussi, par infirmation du jugement entrepris, la salariée sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts dont la preuve du bien fondé est insuffisamment rapportée tant dans son principe que dans son quantum.
4°- Sur les frais irrépétibles et dépens :
Les dispositions du jugement querellé relatives aux frais irrépétibles et dépens seront confirmées.
L'ADAPEI 63, partie qui succombe au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera déboutée de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles et condamnée à payer à Mme [FI] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code précité et ce, en sus de la charge des entiers dépens d'appel qui pourront être recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné l'ADAPEI 63 à payer à Mme [U] [FI] les sommes suivantes:
- 27.139,28 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire;
Statuant à nouveau sur les chefs de jugement infirmés,
Condamne l'ADAPEI 63 à payer à Mme [U] [FI] la somme de 22.000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Déboute Mme [FI] de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire;
Y ajoutant,
Déboute l'ADAPEI 63 de sa demande en indemnisation de ses frais irrépétibles;
Condamne l'ADAPEI 63 à payer à Mme [U] [FI] la somme de 1.200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne l'ADAPEI 63 aux entiers dépens d'appel, qui pourront être recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
S. BOUDRY C. RUIN