04 OCTOBRE 2022
Arrêt n°
ChR/NB/NS
Dossier N° RG 16/01459 - N° Portalis DBVU-V-B7A-ESEH
Association NATIONALE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES - AFPA
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[U] [H]
Arrêt rendu ce QUATRE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Karine VALLEE, Conseiller
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé, de Mme Manon MONEDIERES greffier stagiaire lors des débats
ENTRE :
Association NATIONALE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES - AFPA
[Adresse 5]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean ROUX, avocat suppléant Me Antoine PORTAL de la SARL TRUNO & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
M. [U] [H]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Laetitia PEYRARD, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIME
Après avoir entendu M. RUIN, Président en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 27 Juin 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur [U] [H], né le 19 juin 1957, a été embauché, en qualité de formateur stagiaire, par l'ASSOCIATION NATIONALE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE DES ADULTES, ci-après dénommée l'AFPA, selon contrat de travail à durée déterminée pour la période du 7 février 2000 au 30 avril 2000, puis selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 9 mai 2000.
Monsieur [H] a été convoqué, par courrier en date du 17 juin 2014, à un entretien préalable fixé au 27 juin suivant. Une mise à pied disciplinaire de trois jours lui a été notifiée par courrier du 2 juillet 2014.
Monsieur [H] a été convoqué à un entretien préalable en vue de sanction disciplinaire le 18 juillet 2014 par courrier en date du 8 juillet 2014. L'AFPA lui a notifié une mise à pied d'une journée par courrier en date du 23 juillet 2014.
Contestant la légitimité des sanctions disciplinaires prises à son encontre, Monsieur [H] a saisi, les 15 juillet et 28 août 2014, le conseil de prud'hommes du PUY-EN-VELAY.
Une nouvelle mise à pied de trois jours a été notifiée à Monsieur [H] par courrier daté du 19 décembre 2014.
Par courrier daté du 16 janvier 2015, Monsieur [H] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Le 6 mars 2015, l'AFPA a saisi l'inspection du travail d'une demande d'autorisation de licenciement à raison de la qualité de salarié protégé de Monsieur [H], membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Une décision de refus d'autorisation de licenciement a été prise par l'inspecteur du travail le 7 mai 2015. L'association AFPA a saisi le ministre du travail d'un recours hiérarchique contre la décision implicite de rejet le 30 juin 2015. Par décision du ministre du travail en date du 31 décembre 2015, la décision de rejet du recours hiérarchique a été confirmée.
Saisi d'un recours par l'AFPA, le tribunal administratif de CLERMONT-FERRAND a, par jugement du 5 juin 2018, annulé les décisions de refus d'autorisation administrative de licenciement de l'inspecteur du travail et du Ministre du Travail. Monsieur [H] a saisi la cour administrative d'appel de LYON pour contester ce jugement ; son recours a été rejeté par arrêt du 6 juillet 2020. Sur pourvoi de Monsieur [H], le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel par arrêt du 14 mars 2022, et renvoyé l'affaire devant la même cour.
Le 17 décembre 2015, Monsieur [H] a saisi le conseil de prud'hommes du PUY-EN-VELAY aux fins notamment de voir annuler ses mises à pied disciplinaires, de voir ordonner sa réintégration dans son poste de travail initial outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire et de rappel de salaire.
Les parties ont été convoquées directement devant le bureau de jugement par lettre recommandée avec avis de réception et lettre simple le 12 janvier 2016.
Par jugement contradictoire en date du 27 mai 2016 (audience du 26 février 2016), le conseil de prud'hommes du PUY-EN-VELAY a :
- dit que les mises à pied disciplinaires prononcées les 2 juillet 2014, 23 juillet 2014 et 19 décembre 2014 à l'encontre de Monsieur [H] sont injustifiées et annulées ;
- dit que la mise en demeure du 13 mai 2015 est justifiée et que Monsieur [H] n'a pas subi de préjudice professionnel ;
- dit que Monsieur [H] est déjà intégré dans son poste de travail initial ;
- dit que la situation de harcèlement moral au travail de Monsieur [H] est caractérisée ;
En conséquence :
- condamné l'AFPA à payer à Monsieur [H] les sommes suivantes :
* 498 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied disciplinaire du 02 juillet 2014 annulée,
* 166 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 23 juillet 2014 annulée,
* 498 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied du 19 décembre 2014 annulée,
* 15.000 euros titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral au travail;
- condamné l'Association AFPA à délivrer à Monsieur [H] les bulletins de salaire rectifiés correspondants aux mises à pied disciplinaires susdites annulées ;
- débouté Monsieur [H] de ses autres demandes ;
- condamné l'Association AFPA à payer à Monsieur [H] la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté l'Association AFPA de sa demande reconventionnelle ;
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de 1.162 euros.
Le 10 juin 2016, l'AFPA a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 31 mai 2016.
L'affaire a été appelée à l'audience du 20 novembre 2017 de la chambre sociale de la cour d'appel de Riom.
En cause d'appel, Monsieur [H] a présenté une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul.
Par arrêt rendu le 9 janvier 2018, la chambre sociale de la cour d'appel de RIOM a :
- réformé le jugement en ce qu'il a dit que la mise à pied disciplinaire prononcée le 2 juillet 2014 à l'encontre de Monsieur [H] était injustifiée et annulée ;
- réformé le jugement en ce qu'il a condamné l'Association AFPA à payer à Monsieur [H] les sommes suivantes : 498 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied disciplinaire du 2 juillet 2014, 15.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le harcèlement moral au travail ;
- statuant à nouveau de ces chefs, débouté Monsieur [H] de ses demandes d'annulation de la mise à pied du 2 juillet 2014 et de paiement des salaires durant la mise à pied ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
- confirmé le jugement en ses autres dispositions ;
- y ajoutant, sursis à statuer sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [H] dans l'attente de la décision définitive de la juridiction administrative relative à la demande d'autorisation de licenciement ;
- débouté l'Association AFPA et Monsieur [H] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné le retrait de l' affaire du rang des affaires en cours;
- dit qu'elle sera réinscrite à la diligence des parties au vu de conclusions déposées au greffe et notifiées préalablement aux parties adverses ;
- laissé à chacune des parties la charge de ses dépens d'appel.
Monsieur [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Riom mais celui a été rejeté par la Cour de cassation selon arrêt du 5 juin 2019.
Suite à une nouvelle saisine de l'AFPA, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement disciplinaire de Monsieur [H] selon décision rendue le 16 octobre 2018.
Par lettre datée du 29 octobre 2018, postée le 31 octobre, Monsieur [H] a été licencié pour faute grave sur le fondement de l'autorisation administrative du 16 octobre 2018.
Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :
' Monsieur,
Une sanction majeure pouvant aller jusqu'au licenciement a été envisagée à votre encontre.
A cet effet, une Commission Paritaire Nationale de Discipline (CPND) s'est réunie le 19 février 2015 au Siège Sociale de l'Agence, conformément au Règlement Intérieur national de l'AFPA. Vous vous y êtes présenté, accompagné de Madame [P] [L] (de la CGT), laquelle vous avait assisté lors de votre entretien préalable.
La commission a délibéré et a voté à raison de trois votes en faveur de votre licenciement et trois votes contre.
Puis, compte tenu du mandat de membre du CHSCT que vous déteniez alors, l'inspection du travail a été saisie d'une demande de licenciement qui a été refusée par décision du 7 mai 2015 et confirmée par le Ministre chargé du travail le 31 décembre 2015.
L'annulation de ces deux décisions ayant été prononcée par jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en date du 5 juin 2018, l'inspection du travail a de nouveau été saisie et, par décision du 16 octobre 2018, a autorisé votre licenciement.
Après examen des éléments en cause, et au vu de la présente autorisation, je vous informe que j'ai décidé de prononcer votre licenciement.
Il vous est reproché d'avoir adopté depuis plusieurs années un comportement d'insubordination notoire, lequel s'est caractérisé :
- Par vos refus successifs de dispenser des actions de formation qui relevaient pourtant de votre emploi de formateur conducteur routier et qui ne constituaient qu'un simple changement de vos conditions de travail ;
- Par votre refus de ne pas donner suite au bilan que votre hiérarchie avait programmé précisément pour s'assurer de la nécessité de mettre ou non en place une actualisation de vos connaissances. Votre opposition systématique était d'autant moins compréhensible que vous aviez vous-même argué d'un défaut de compétences pour dispenser l'action de formation CTRMTV.
A aucun moment vous n'avez tenu compte des remarques qui vous ont été faites par votre hiérarchie.
Vous n'avez eu de cesse à cet égard d'adopter une attitude d'opposition récurrente aux décisions qu'elle a été amenée à prendre dans l'exercice normal de son pouvoir de direction ainsi qu'à remettre en cause leur légitimité et leur pertinence.
Une telle attitude est inacceptable. Elle est révélatrice d'un dysfonctionnement général d'ordre professionnel qui a conduit à une impasse totale que vous avez créée en voulant imposer le contenu de votre activité et les conditions de son exercice.
Votre licenciement est donc prononcé pour faute grave, laquelle est privative de préavis et de l'indemnité de licenciement. Vous serez radié des effectifs à compter de la date d'envoi du présent courrier.
Le solde des sommes vous restant éventuellement dû à titre de salaire et de congés vous sera par ailleurs réglé et un certificat de travail ainsi qu'une attestation Pôle Emploi vous seront transmis.
Pour votre information, ce courrier recommandé avec accusé réception est doublé d'un envoi simple.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.'.
Monsieur [H] a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2019.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 22 juin 2022 par l'association AFPA,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 23 juin 2022 par Monsieur [H].
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, l'AFPA demande à la cour de :
Sur la demande de résiliation judiciaire,
- Prendre acte de ce que Monsieur [H] renonce à ses demandes relatives à la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
- Par conséquent, débouter Monsieur [U] [H] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail ;
Sur la demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail,
- Débouter Monsieur [U] [H] de sa demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, irrecevable, prescrite et injustifiée ;
En toute hypothèse,
- Débouter Monsieur [U] [H] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
- Condamner Monsieur [U] [H] au paiement d'une somme de 3.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens.
L'AFPA soutient que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [H] est sans objet, tout comme les demandes afférentes, puisque le salarié a depuis fait valoir ses droits à la retraite. Elle ajoute que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est irrecevable puisque l'inspecteur du travail a délivré une autorisation administrative de licenciement en octobre 2018 et que le juge judiciaire ne saurait violer le principe de séparation des pouvoirs en examinant des points sur lesquels l'autorité administrative a nécessairement statué.
L'AFPA fait valoir que la demande de dommages-intérêts présentée désormais par Monsieur [H], en lieu et place de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, est une demande nouvelle irrecevable, se heurtant en outre à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 9 janvier 2018 par la chambre sociale de la cour d'appel de Riom. Elle ajoute que cette demande de dommages-intérêts est prescrite alors que l'interruption du cours de la prescription a cessé avec l'arrêt rendu en date du 5 juin 2019 par la Cour de cassation.
A titre infiniment subsidiaire, l'AFP affirme l'absence de manquement grave de sa part. Elle soutient que le salarié n'a jamais été placardisé, ainsi qu'en a jugé le conseil de prud'hommes et la chambre sociale de la cour d'appel de Riom. Elle affirme que si l'activité du salarié s'est réduite, cette diminution est la conséquence de son refus persistant d'accomplir d'autres tâches que celles de TMD, alors même que les activités de formateur CTRMP relevaient bien des tâches de formateur conducteur routier prévues à son contrat de travail et non d'une volonté de l'employeur de le déposséder de ses attributions, ainsi qu'en a jugé la cour d'appel de RIOM dans son arrêt du 9 janvier 2018. Elle fait valoir que Monsieur [H] a bien été réintégré dans ses fonctions ainsi que son habilitation TMD.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [H] demande à la cour de :
- constater les manquements de l'AFPA dans l'exécution de son contrat de travail ;
- condamner l'AFPA à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ;
- condamner l'AFPA à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Monsieur [H] reconnaît que sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail est désormais sans objet puisque son licenciement lui a été notifié le 29 octobre 2018 sur la base d'une autorisation administrative de licenciement de l'inspecteur du travail et qu'il a fait valoir ses droits à la retraite. Il soutient toutefois qu'il est toujours recevable à voir juger par la cour les manquements de l'employeur allégués dans le cadre de l'exécution du contrat de travail, autres que ceux sur lesquels la chambre sociale de la cour d'appel de Riom a statué dans son arrêt du 9 janvier 2018, et à obtenir des dommages-intérêts en conséquence, vu le principe de l'unicité de l'instance applicable en l'espèce et l'absence de prescription.
Monsieur [H] expose qu'il disposait d'une habilitation spécifique lui permettant d'assurer au sein de l'AFPA des formations en transport de matières dangereuses (TMD), que par la suite l'employeur lui a notifié des sanctions disciplinaires injustifiées en juillet 2014 et l'a évincé de la formation TMD, ce qui a entraîné la perte de son habilitation et l'a empêché d'exercer le métier qui était le sien depuis 2004. Il soutient que l'employeur a fait un usage injustifié de son pouvoir disciplinaire, à titre de représailles en raison d'un différend sur l'organisation des examens. Il ajoute que le changement de ses attributions, décidée en septembre 2014, constituait une modification de son contrat de travail, peu important les stipulations du contrat de travail initial ou le maintien de son coefficient et de sa rémunération. Il précise qu'il s'agissait d'un déclassement humiliant, se traduisant par un retour en arrière de plusieurs années sur le plan professionnel. Au regard de ces éléments, il sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme à titre de dommages et intérêts réparant son préjudice subi du fait des manquements de son employeur à l'exécution loyale du contrat de travail.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
- Sur la demande de dommages-intérêts pour manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail -
Monsieur [U] [H] a présenté devant la cour une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail dans le cadre de l'appel interjeté le 10 juin 2016 à l'encontre du jugement du 27 mai 2016. Au cours de la procédure d'appel, il a fait l'objet d'un licenciement disciplinaire le 29 octobre 2018 à la suite de l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail le 16 octobre 2018 (autorisation annulée par le tribunal administratif le 10 juillet 2020).
Il a ensuite fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er juin 2019.
Les deux parties s'accordent pour admettre que Monsieur [U] [H] ne peut plus demander la résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de son licenciement prononcé postérieurement à sa demande et de son départ à la retraite par application des principes jurisprudentiels selon lesquels :
- Lorsque, au moment où le juge statue sur une action du salarié tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, le contrat de travail a pris fin par la mise ou le départ à la retraite du salarié, sa demande de résiliation devient sans objet. Il a seulement la faculté, si les griefs qu'il faisait valoir à l'encontre de l'employeur sont justifiés, de demander la réparation du préjudice en résultant ;
- Le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de séparation des pouvoirs se prononcer sur une demande de résiliation judiciaire postérieurement au prononcé du licenciement notifié sur le fondement d'une autorisation administrative de licenciement accordée à l'employeur, même si la saisine du conseil des prud'hommes était antérieure à la rupture, et il lui appartient, le cas échéant, de faire droit aux demandes de dommages-intérêts au titre des fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement lorsque les manquements invoqués par le salarié n'ont pas été pris en considération par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure d'autorisation.
Il sera donc donné acte à Monsieur [U] [H] de ce qu'il renonce à sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ainsi qu'à ses demandes relatives aux indemnités de rupture et aux dommages-intérêts consécutifs à la rupture. Monsieur [U] [H] fait valoir, à juste titre, contrairement à ce que soutient l'employeur, que les principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus l'autorisent à solliciter réparation du préjudice qu'il estime avoir subi au cours de l'exécution du contrat de travail.
Il s'ensuit que la cour ne se trouve plus saisie que de la demande de dommages-intérêts présentée par Monsieur [U] [H] se plaignant d'une exécution fautive du contrat de travail par l'employeur.
L'employeur n'est pas fondé à soutenir que la demande serait irrecevable comme nouvelle en se référant aux dispositions de l'article 954 du code de procédure civile. Si ce texte interdit aux parties 'à peine d'irrecevabilité', de 'soumettre à la cour de nouvelles prétentions', ces dispositions ne sont applicables en matière prud'homale que depuis le 1er août 2016 (article 46 du décret n°2016-660 du 20 mai 2016). En l'espèce, sont applicables les dispositions de l'article R. 1452-7 du code du travail aux termes desquelles 'les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel' (principe de l'unicité de l'instance).
L'employeur n'est pas davantage fondé à reprocher au salarié de ne pas avoir respecté les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile. Les dispositions de ce texte, qui impose aux parties de présenter, dès leurs premières conclusions en appel, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond à peine d'irrecevabilité, sont issues du décret n°2017-891 du 6 mai 2017 et ne sont applicables que pour les appels formés à compter du 1er septembre 2017.
Enfin, la prescription biennale prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail ne peut pas non plus être utilement invoquée. Aux termes de ce texte, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Mais il doit être tenu compte de ce que la saisine du conseil de prud'hommes interrompt la prescription à l'égard de toutes les demandes du salarié relatives au même contrat de travail. Or, Monsieur [U] [H] se plaint de manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail survenus à partir de l'année 2014. Monsieur [U] [H] ayant saisi la juridiction prud'homale le 17 décembre 2015, la prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail ne peut lui être opposée. L'employeur ne peut valablement soutenir que l'arrêt de la cour de cassation du 5 juin 2019 aurait dessaisi le juge et fait cesser l'interruption de la prescription, la cour de cassation n'ayant statué que sur les points jugés par l'arrêt de la présente cour en date du 9 janvier 2018 de sorte que cette dernière restait saisie de la demande de résiliation judiciaire sur laquelle l'arrêt du 9 janvier 2018 avait sursis à statuer.
La demande de dommages-intérêts pour manquement contractuel de l'employeur, afférente à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail devenue sans objet, doit en conséquence être déclarée recevable.
En application des principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus, cette demande ne peut prospérer que si le salarié justifie de manquements commis par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement non pris en considération par l'autorité administrative dans le cadre de la procédure d'autorisation.
De plus, dans la mesure où une partie des prétentions du salarié a fait l'objet d'une décision de la présente cour d'appel dans son arrêt du 9 janvier 2018 qui n'a sursis à statuer que sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la demande de dommages-intérêts doit être examinée en considération de l'autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt.
Monsieur [U] [H] expose qu'il a obtenu, en 2004, une habilitation lui permettant de dispenser des formations en Transports de Matières Dangereuses (TMD) et que, depuis 2009, il effectuait exclusivement des formations TMD. Il précise qu'il s'agit de formations théoriques et non de conduite effective et qu'il s'agit d'une compétence spécifique concrétisant une évolution de carrière.
Monsieur [U] [H] se plaint d'une dégradation des relations de travail à partir de 2014 à la suite d'un différent sur les conditions d'organisation des examens et qu'il a fait l'objet de deux sanctions disciplinaires successives, les 2 juillet 2014 et 23 juillet 2014, la première pour avoir refusé d'exécuter une action de formation TMD, la seconde pour avoir refusé de faire réaliser par des stagiaires l'épreuve de fin de formation TMD. Il précise qu'il a alors interpellé l'employeur tant sur la discrimination ou le harcèlement dont il estimait faire l'objet que sur les dysfonctionnements concernant la formation TMD et que, dès le 24 juillet 2014, il a été informé d'un changement d'affectation, devant prendre en charge, à compter du 18 août suivant le groupe CTRMP (Conducteur du Transport Routier de Marchandises sur Porteur).
Monsieur [U] [H] estime que cette décision constitue une mesure de rétorsion et un déclassement le ramenant aux fonctions qu'il occupait avant sa spécialisation, que cette éviction n'était pas justifiée par une nécessité de service et que, contrairement à ce qu'à soutenu l'employeur, les besoins en formation TMD n'avaient pas connu de baisse.
Monsieur [U] [H] ajoute qu'après son arrêt de travail pour maladie (du 18 août 2014 au 29 septembre 2014 pour troubles anxieux), il a été affecté à des formations de conducteurs routiers tous véhicules alors qu'il ne disposait plus des autorisations administratives requises et plus spécialement des formations FIMO (formation initiale minimale obligatoire) et FCOS (formation continue obligatoire à la sécurité) qui étaient périmées.
Monsieur [U] [H] rapporte qu'il a alors exercé son droit de retrait, que l'employeur l'a convoqué pour un bilan professionnel le 7 octobre 2014 puis le 24 novembre 2014, convocations auxquelles il a refusé de se rendre, ce qui a donné lieu à une mise à pied notifiée le 19 décembre 2014. L'employeur a, en mars 2015, sollicité l'autorisation de l'inspecteur du travail de le licencier au motif d'avoir refusé d'effectuer un bilan professionnel et d'avoir refusé de dispenser des formations 'conducteur routier de marchandises tous véhicules'.
Monsieur [U] [H] précise que s'il a pu obtenir sa carte d'habilitation TMD en 2015 grâce à quelques heures de formation effectuées, son habilitation n'a pas été renouvelée en 2016, ne pouvant justifier de 400 heures de formation TMD dans l'année écoulée.
Monsieur [U] [H] considère que ces circonstances caractérisent des manquements de l'employeur à l'exécution loyale du contrat de travail consistant d'abord en un usage injustifié du pouvoir disciplinaire. Il souligne que 2 des 3 sanctions disciplinaires infligées ont été annulées judiciairement et que la demande d'autorisation de licenciement présentée en 2015 a été refusée.
Monsieur [U] [H] ajoute que le changement d'attribution décidé en septembre 2014 constitue une modification du contrat de travail qui ne pouvait lui être imposée et en outre, qu'il s'agit d'un déclassement humiliant qui lui a fait perdre son habilitation aux formations TMD.
Cependant, il y a lieu de relever que Monsieur [U] [H] a fait l'objet d'un licenciement disciplinaire notifié le 29 octobre 2018 pour, d'une part, avoir refusé de dispenser des actions de formation relevant de son emploi de formateur et ne constituant qu'un changement de ses conditions de travail et, d'autre part, avoir refusé de donner suite au bilan organisé pour s'assurer de la nécessité d'une actualisation de ses connaissances. Ce licenciement a été prononcé sur l'autorisation donnée par l'inspecteur du travail le 16 octobre 2018. Dans sa décision d'autorisation, l'inspecteur du travail a estimé, en se référant au jugement du tribunal administratif du 5 juin 2018 rendu sur contestation d'une précédente décision de l'inspectrice du travail, que le refus opposé par Monsieur [U] [H] de dispenser des formations conducteur routier de marchandises tous véhicules constitue un refus du salarié à un changement de ses conditions de travail et qu'en considérant comme non fautif le refus initial opposé par Monsieur [U] [H] au changement de ses conditions de travail, l'inspectrice du travail avait entaché sa décision d'une erreur dans la qualification des faits.
Il est vrai que la décision du 16 octobre 2018 a été annulée par jugement du 10 juillet 2020 lequel n'a pas fait l'objet d'un appel et que le jugement du 5 juin 2018 a été annulé par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 juillet 2020, mais le Conseil d'Etat, par son arrêt du 14 mars 2022, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel et renvoyé l'affaire devant la même cour en considérant qu'il appartenait à cette juridiction, pour apprécier si M Monsieur [U] [H] avait commis une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, de prendre en compte la nature du changement envisagé, ses modalités de mise en oeuvre, ses effets, tant au regard de la situation personnelle de ce salarié, que des conditions d'exercice de son mandat.
Il ressort de ces décisions successives que l'autorité et les juridictions administratives sont saisies, d'une part, de la question de savoir si le changement d'affectation de Monsieur [U] [H] constitue une modification de son contrat de travail ou un simple changement de ses conditions de travail et, d'autre part, de l'appréciation du caractère fautif du refus opposé par le salarié et du degré de gravité des fautes reprochées.
Ces questions relevant de la compétence de la juridiction administrative, la présente cour ne peut les connaître sans violer le principe de la séparation des pouvoirs.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la présente cour, dans son arrêt du 9 janvier 2018, s'agissant des prétentions de Monsieur [U] [H] au titre d'un harcèlement moral, avait déjà relevé que le salarié, qui estimait avoir été 'placardisé' depuis juillet 2014 et s'être vu refusé sa réintégration au poste de formateur TMD, a suivi un perfectionnement TMD du 3 au 6 novembre 2016, qu'il a assuré des formations du 1er au 10 décembre 2014 et bénéficié de l'habilitation TMD en 2015, exerçant diverses formations TMD au cours de l'année 2015.
La cour a retenu dans ce cadre les éléments suivants :
'(...) S'il est indéniable que le volume de formation TMD s'est trouvé réduit entre 2014 et 2016 cette réduction est liée à la conjoncture économique et à la mise en place d'un dispositif interrégional et non plus local et est exclusive de toute intention de harcèlement moral de la part de l' employeur.
C'est d'ailleurs l'insuffisance de cette activité qui a entraîné la perte de l'habilitation TMD pour 2016 de M. [H] faute d'un nombre d'heures de formation suffisant en 2015. Cette situation a également conduit l'employeur à proposer à ce salarié de l'inscrire sur une plate-forme de mobilité nationale afin de dispenser des formations TMD partout en France et de réaliser d'autres interventions en CTRMP en sollicitant son accord ,en raison de sa qualité de salarié protégé, par courrier du 30 novembre 2015 ce que M. [H] a refusé par courrier du 13 janvier 2016. En tous les cas, il est démontré qu'aucune modification de ses conditions de travail n'a été imposée à ce salarié protégé.
En définitive, s'il apparaît effectivement qu'au fil des années, l'activité de M. [H] s'est réduite, cette diminution est la conséquence de son refus persistant d'accomplir d'autres tâches que celles de TMD, alors même que les activités de formateur CTRMP relevaient bien des tâches de formateur conducteur routier prévues à son contrat de travail et non d'une volonté de l' employeur de le déposséder de ses attributions (...)'.
La cour a considéré, en conséquence, qu'au vu des éléments versés aux débats, l'existence d'un harcèlement moral ne pouvait être retenu mais il en ressort aussi qu'aucun comportement fautif n'est caractérisé à l'encontre de l'employeur en ce qui concerne le changement d'affectation du salarié et la perte de l'habilitation TMD. Or, l'autorité de la chose jugée attachée cet arrêt interdit qu'il soit procédé à une nouvelle appréciation de ces faits.
Il est vrai que l'arrêt du 9 janvier 2018 a annulé la mise à pied du 24 juillet 2014 et celle du 19 décembre 2014 (mais non celle du 2 juillet 2014) en estimant, pour la première, que les faits n'étaient pas établis et que la directrice du centre du Puy avait paru admettre le refus du salarié de faire passer un examen en préconisant que le formateur ne soit pas en contact avec les candidats et, pour la seconde, que le refus de Monsieur [U] [H] de faire un bilan professionnel ne pouvait être considéré comme fautif. Toutefois, rien ne permet de vérifier que Monsieur [U] [H] aurait subi, en raison de ces sanctions jugées injustifiées, un préjudice qui ne serait pas réparé par le paiement des jours de mise à pied.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que Monsieur [U] [H] ne justifie d'aucun fait qui n'aurait pas déjà été pris en considération par les juridictions précédemment saisies et qui pourrait permettre de caractériser une exécution fautive du contrat de travail par l'employeur susceptible de justifier indemnisation.
Monsieur [U] [H] sera, en conséquence, débouté de sa demande afin de voir condamner l'AFPA à lui verser la somme de 30.000 euros, à titre de dommages-intérêts, pour le préjudice subi du fait des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail.
- Sur les dépens et frais irrépétibles -
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.
Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel. En équité, il n'y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu l'arrêt rendu le 9 janvier 2018 par la chambre sociale de la cour d'appel de RIOM,
- Déboute Monsieur [U] [H] de sa demande afin de voir condamner l'AFPA à lui verser des dommages-intérêts du fait des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ;
- Confirme le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et frais irrépétibles de première instance ;
- Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN