08 NOVEMBRE 2022
Arrêt n°
FD/NB/NS
Dossier N° RG 20/00429 - N° Portalis DBVU-V-B7E-FMD4
S.A.R.L. MATRONE
/
[J] [Y]
Arrêt rendu ce HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d'Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Sophie NOIR, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et de Mme Nadia BELAROUI greffier du prononcé
ENTRE :
S.A.R.L. MATRONE
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Me Anne LAURENT-FLEURAT de la SELARL AUVERJURIS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
M. [J] [Y]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Patrick THEROND-LAPEYRE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIME
Après avoir entendu Mme DALLE, Conseiller en son rapport, les représentants des parties à l'audience publique du 05 Septembre 2022, la Cour a mis l'affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l'arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 du code de procédure civile.
Par contrat du 25 septembre 2013, Monsieur [J] [Y] a été embauché par la SARL MATRONE, en qualité de maçon, coefficient 150, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, contrat d'avenir, à temps complet.
Après évocation d'une rupture conventionnelle entre les parties, la société a finalement convoqué le salarié à un entretien préalable le 10 novembre 2015.
La société MATRONE a notifié à Monsieur [Y] le 3 décembre 2015 son licenciement pour faute grave.
Le 27 juillet 2016, par requête expédiée en recommandé, Monsieur [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment de voir juger son licenciement abusif outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire.
L'audience devant le bureau de conciliation et d'orientation s'est tenue en date du 23 novembre 2016 et, comme suite au constat de l'absence de conciliation (convocation notifiée au défendeur le 1er août 2016), l'affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.
Par jugement contradictoire en date du 14 décembre 2017 (audience du 19 octobre 2017), le conseil de prud'hommes de CLERMONT-FERRAND a :
- dit et jugé les demandes de Monsieur [Y] recevables et bien fondées ;
- dit et jugé le licenciement de Monsieur [Y] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- dit et jugé que la société MATRONE a eu un comportement vexatoire envers Monsieur [Y] ;
- condamné en conséquence la société MATRONE, pris en la personne de son représentant légal à lui payer et porter les sommes de :
* 3 114,00 euros à titre d'indemnité de préavis outre 311,40 euros au titre des congés payés correspondants,
* 778,85 euros à titre d'indemnité de licenciement,
* 1 653,47 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre, 165,34 euros au titre des congés payés afférents,
* 1 557,72 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
* 1 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement vexatoire,
* 800,00 euros sur le fondement de l'Article 700 du code de procédure civile ;
- débouté Monsieur [Y] du surplus de ses demandes ;
- ordonné à la société MATRONE de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Monsieur [Y] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent jugement dans la limite de 3 mois ;
- débouté la société MATRONE de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne aux entiers dépens ;
- ordonné à la société MATRONE de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Monsieur [Y] du jour de son licenciement au jour du prononcé du présent jugement dans la limite de trois mois d'indemnités de chômage ;
- débouté la société MATRONE de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.
Le 18 janvier 2018, la société MATRONE a interjeté appel de ce jugement.
Le 3 mars 2020, la chambre sociale de la cour d'appel de RIOM a ordonné la radiation de l'instance du rang des affaires en cours. Cette affaire a ensuite été réinscrite le 5 mars 2020 sur demande de la société MATRONE.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 4 mars 2020 par la société MATRONE,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 17 juillet 2018 par Monsieur [Y],
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 8 août 2022.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, la société MATRONE demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris ;
- dire et juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [Y] est fondé sur une faute grave ;
- débouter Monsieur [Y] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Monsieur [Y] à lui porter et payer une somme de 1.500 euros à sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
A titre subsidiaire,
- si par impossible la cour devait confirmer le jugement entrepris, confirmer les montants des condamnations prononcées par le conseil de prud'hommes ;
- condamner Monsieur [Y] à lui porter et payer une somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
La société MATRONE soutient que l'insubordination délibérée de Monsieur [Y] justifie le licenciement pour faute grave qui a été notifié.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [Y] conclut à la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le surplus et demande à la cour, y ajoutant, de:
- réformer pour le surplus le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 14 décembre 2017 ;
Ainsi,
- débouter la société MATRONE de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires
aux présentes ;
- condamner la société MATRONE à la somme de 2 500,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société MATRONE aux entiers dépens.
Monsieur [Y] soutient que l'employeur ne démontre jamais les faits reprochés et ne justifie pas de la nécessité immédiate de la rupture du contrat de travail. Il affirme que la société MATRONE n'apporte pas la preuve de la réalité d'une faute grave. Il ajoute que les faits reprochés sont frappés par la prescription.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
- Sur la rupture du contrat de travail -
Si l'employeur peut sanctionner par un licenciement un acte ou une attitude du salarié qu'il considère comme fautif, il doit s'agir d'un comportement volontaire (action ou omission). À défaut, l'employeur ne peut pas se placer sur le terrain disciplinaire. La faute du salarié correspond en général à un manquement aux obligations découlant du contrat de travail. Elle ne doit pas être prescrite, ni avoir déjà été sanctionnée.
Le code du travail ne donne aucune définition de la faute grave. Selon la jurisprudence, la faute grave se définit comme étant celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, constituant une violation des obligations qui résultent du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et la poursuite du contrat de travail.
La faute grave suppose une action délibérée ou une impéritie grave, la simple erreur d'appréciation ou l'insuffisance professionnelle ne pouvant ouvrir droit à une sanction disciplinaire. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail sans préavis, en tout cas une rupture immédiate du contrat de travail avec dispense d'exécution du préavis.
Il incombe à l'employeur d'apporter la preuve de la faute grave qu'il invoque. Le doute doit profiter au salarié.
En cas de faute grave, la mise en oeuvre de la procédure de licenciement doit intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs, mais le maintien du salarié dans l'entreprise est possible pendant le temps nécessaire pour apprécier le degré de gravité des fautes commises.
Le licenciement pour faute grave entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement. Elle peut justifier une mise à pied conservatoire, mais le prononcé d'une telle mesure n'est pas obligatoire.
En l'espèce, par contrat en date du 25 septembre 2013, Monsieur [J] [Y] a été embauché par la SARL MATRONE, en qualité de maçon, coefficient 150, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, contrat d'avenir, à temps complet.
Après évocation d'une rupture conventionnelle entre les parties, la société a finalement convoqué le salarié à un entretien préalable le 10 novembre 2015.
La société MATRONE a notifié à Monsieur [Y] le 3 décembre 2015 son licenciement pour faute grave.
Le courrier de notification est ainsi libellé :
' Monsieur,
Lors de notre entretien au cours duquel vous étiez assisté par Monsieur [K], Délégué syndical, nous vous avons cité les incidents récents qui ne font que confirmer votre volonté de ne pas respecter nos mises en garde verbales et écrites des dernières semaines.
En effet, cela fait maintenant plusieurs semaines que nous nous sommes rencontrés en présence de Madame [R] appartenant à la mission locale de POLE EMPLOI, rencontre au cours de laquelle vous avez reconnu votre désintérêt total pour votre métier, ce qui avait engendré des problèmes à répartition sur les chantiers. Il est certain qu'attendre 24 mois pour aboutir à cette conclusion ne relève pas pour nous d'un comportement sain.
Quoiqu'il en soit, lors de cette réunion, nous étions arrivés à la conclusion avec l'aval de Madame [R], qu'une rupture conventionnelle permettait de solutionner ce problème, qui ne pouvait que dégénérer dès que vous ne faisiez aucun effort.
En toute logique, vous nous avez demandé de vous transmettre une copie des documents signés dans le cadre d'une rupture conventionnelle et qui correspondaient à la situation décrit.
N'ayant pas eu de réponse de votre part après plusieurs semaines, ni de votre mère derrière laquelle vous vous êtes retranché, vous avez préféré malgré notre mise en demeure, créer des incidents à répétition, plus débiles les uns que les autres :
-Oubli de la localisation du chantier à [Localité 5] sur lequel vous vous étiez rendu huit jours avant.
-Oubli d'emporter des planches alors que nous vous avions demandé des planches et de la ferraille chez des fournisseurs situés dans la même zone.
-Pause cigarette à répétition devant tout le monde.
Bien évidemment, pour montrer votre « force » et votre « faculté » de bafouer notre autorité, vous avez engendré ces incidents ostensiblement devant vos collègues !!!
En revanche, ce qui est risible, c'est que lors de l'entretien préalable, Monsieur [K] nous a demandé de vous accorder une rupture conventionnelle, ce qui à l'origine, était une solution intelligente et simple pour régler un problème de mauvaise orientation professionnelle.
Malheureusement, à cette date, vous avez dépassé les bornes par vos actes délibérés visant à nous ridiculiser devant vos collègues.
De plus, si nous avons compris la démarche de votre conseiller, nous attendons toujours de votre part, à minima des regrets, voire des excuses, ce qui serait plus logique.
En conclusion, compte tenu de votre comportement inadmissible au cours de ces dernières semaines et de votre absence complète de remords, nous sommes obligés de prononcer votre licenciement immédiat pour faute grave.
Votre solde vous sera adressé sous pli séparé dans les prochains jours.
Nous vous relevons en outre de toute obligation de non-concurrence qui aurait pu vous être imposée ;
Pour bénéficier le cas échéant du maintien de votre couverture de prévoyance, il vous appartient de contacter notre organisme de prévoyance (OBTP : [Adresse 4] [XXXXXXXX01]) dans les 30 jours suivant la rupture de votre contrat pour obtenir tout information et formaliser votre adhésion.'
Il résulte ainsi de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que l'employeur reproche au salarié des actes d'insubordination réitérés et une absence d'intérêt pour son travail.
- Sur la prescription -
Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail, 'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'
Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois décompté selon les règles données et courant à compter du jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Si un fait fautif ne peut plus donner 'à lui seul' à une sanction au-delà du délai de 2 mois, l'employeur peut invoquer une faute prescrite lorsqu'un nouveau fait fautif est constaté, à conditions toutefois que les deux fautes procèdent d'un comportement identique. Par ailleurs, l'employeur peut prendre en compte un fait antérieur à 2 mois, dans la mesure où le comportement du salarié a persisté dans ce délai.
Monsieur [Y] demande à la cour, dans le dispositif de ses dernières conclusions écrites, de juger que les faits reprochés par l'employeur sont prescrits, cette demande n'étant nullement motivée dans le corps desdites conclusions.
La SARL MATRONE ne répond aucunement dans ses conclusions écrites sur ce point.
En l'absence de tout autre élément d'appréciation soumis par les parties, il convient de relever que la lettre de licenciement précise que les faits reprochés seraient réitérés et dateraient de 'plusieurs semaines', en tout état de cause depuis les démarches entreprises pour mettre en place une rupture conventionnelle du contrat de travail, soit courant septembre et octobre 2015 alors que le licenciement est intervenu le 3 décembre 2015.
Au vu de ces éléments et en l'absence de toute autre motivation de la demande présentée par Monsieur [Y], il convient d'écarter le moyen tiré de la prescription.
- Sur le bien fondé du licenciement -
L'employeur verse comme seules pièces à l'appui du licenciement pour faute grave de Monsieur [Y]:
- le contrat de travail à durée indéterminée ;
- la convocation à l'entretien préalable ;
- la lettre de licenciement ;
- les documents relatifs à la rupture conventionnelle proposée.
Ces seuls éléments sont largement insuffisants pour étayer les griefs contenus dans la lettre de licenciement, la seule faute imputée au salarié étant à l'évidence le fait qu'il n'ait pas voulu homologuer la rupture conventionnelle du contrat proposée par l'employeur, ce qui ne saurait aucunement justifier un licenciement pour faute grave.
Il y a dès lors lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement de Monsieur [J] [Y] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail -
Au moment du licenciement, Monsieur [Y] était âgé de 22 ans, avait acquis une ancienneté de deux ans et deux mois et percevait un salaire de référence de 1.770,11 euros.
Au vu des éléments d'appréciation dont la cour dispose, les premiers juges ont justement apprécié les circonstances de la cause ainsi que les droits et obligations des parties en condamnant la SARL MATRONE à payer à Monsieur [J] [Y] les sommes de 3.114 euros à titre d'indemnité de préavis ainsi que de 311,40 euros au titre des congés payés afférents, de 778,85 euros au titre de l'indemnité de licenciement, de 1.653,47 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 165,34 euros au titre des congés payés afférents, ainsi que de 1.557,72 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Le jugement déféré sera confirmé sur l'ensemble de ces dispositions.
- Sur la demande à titre de dommages et intérêts pour comportement vexatoire de l'employeur -
Comme les premiers juges l'ont relevé, il résulte des termes mêmes de la lettre de licenciement, laquelle mentionne notamment le fait que le salarié se retrancherait derrière sa mère et serait à l'origine d'incidents 'à répétition, plus débiles les uns que les autres', que l'employeur a bien eu un comportement vexatoire à l'encontre du salarié.
Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a condamné la SARL MATRONE à payer à Monsieur [J] [Y] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour comportement vexatoire.
- Sur les frais irrépétibles et les dépens -
Il y a lieu de confirmer les dispositions du jugement déféré relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
En équité, il convient de condamner la SARL MATRONE à payer à Monsieur [J] [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SARL MATRONE sera également condamnée au paiement des dépens en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
- Condamne la SARL MATRONE à payer à Monsieur [J] [Y] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne la SARL MATRONE au paiement des dépens en cause d'appel ;
- Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le greffier, Le Président,
N. BELAROUI C. RUIN