R. G. : 08 / 01115
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU 18 NOVEMBRE 2008
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES D'EVREUX du 26 Septembre 2007
APPELANTE :
SOCIÉTÉ YABON SAS venant aux droits de la Société FRUIANDISE SAS
Zone Industrielle du Petit Mesnil
27130 VERNEUIL SUR AVRE
représentée par Me Guillaume KELLNER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Béatrice POLA, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES :
Mademoiselle Fabienne Y...
...
27580 BOURTH
comparante en personne,
assistée de Me David Z..., avocat au barreau d'EVREUX
Madame Virginie A...
...
28380 ST REMY SUR AVRE
comparante en personne,
assistée de Me David Z..., avocat au barreau d'EVREUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Octobre 2008 sans opposition des parties devant Madame PAMS-TATU, Président, magistrat chargé d'instruire seul l'affaire,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame PAMS-TATU, Président
Madame RAYNAL-BOUCHÉ, Conseiller
Monsieur MOUCHARD, Conseiller
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Monsieur CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 07 Octobre 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 Novembre 2008
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 18 Novembre 2008, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame PAMS-TATU, Président et par Monsieur CABRELLI, Greffier présent à cette audience.
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS DES PARTIES
Vu les conclusions déposées le 30 septembre et 7 octobre 2008.
La société FRUIANDISE a repris, le 31 janvier 2005, les actifs de la société NUTRIMAINE, notamment le site de Verneuil-sur-Avre. Elle appartient au groupe FRUITERROIR, qui comprend notamment la société VALADE. Le 14 avril 2006, elle a changé de dénomination sociale et est devenue la société YABON.
Mme Y... a été engagée par la société, le 10 décembre 2001. Elle exerçait les fonctions de planificateur moyennant une rémunération brute mensuelle de 1. 811, 04 €. Par courrier du 19 décembre 2005, elle a été licenciée pour motif économique.
Mme A... a été engagée par la société, le 25 mai 1992. Elle exerçait les fonctions de technicien de laboratoire moyennant une rémunération brute mensuelle de 1. 977, 09 €. Par courrier du 15 septembre 2005, elle a été licenciée pour motif économique.
Mmes Y... et A... ont saisi le conseil de prud'hommes d'Evreux lequel a, par jugement du 26 septembre 2007, ainsi statué :
- ordonne la jonction des affaires opposant Mesdames Y... et A... à la société YABON, ex-FRUIANDISE, enregistrées sous les no de RG F 06 / 00005 et F 06 / 00024 et dit que les affaires ainsi jointes ne seront plus connues que sous le no de RG F 06 / 00005 ;
- dit que le licenciement pour cause économique de Mmes Y... et A... est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamne la société YABON, ex-FRUIANDISE à payer, à titre de dommages-intérêts, à :
Mme Y... : 18. 100 €,
Mme A... : 29. 655 €,
- condamne la société YABON, ex-FRUIANDISE, à payer, au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à Mesdames Y... et A... la somme de 1. 200 € ;
- déboute la société YABON, ex-FRUIANDISE de sa demande reconventionnelle ;
- condamne la société YABON, ex-FRUIANDISE aux entiers dépens, y compris les frais et honoraires d'huissier de justice en cas d'exécution forcée du présent jugement, en application des dispositions de l'article R. 519-1 du Code du travail.
La société YABON a interjeté appel et soutient :
- que Mmes Y... et A... ayant accepté la convention de reclassement qui leur a été proposée, leur contrat de travail a été rompu d'un commun accord de sorte qu'elle ne peuvent plus contester la validité de la rupture ;
- que depuis plusieurs années, l'exploitation était confrontée à des difficultés économiques qui ne semblaient pas menacer à court terme la pérennité de l'entreprise ; que les difficultés se sont aggravées brutalement, postérieurement à la reprise du site ;
- que le marché des gâteaux aux céréales a connu une chute très importante et imprévisible ; que la concurrence de la marque Mont Blanc s'est intensifiée ; que la société YABON a perdu un client important, Intermarché ;
- que ces circonstances exceptionnelles se sont traduites par une dégradation significative de la situation financière de la société, laquelle a entraîné le déclenchement de la procédure d'alerte par le commissaire aux comptes ; que la société a été contrainte de mettre en place une réorganisation destinée à assurer la pérennité de l'entreprise ;
- que l'existence de circonstances exceptionnelles ont rendu inapplicable la clause de garantie d'emploi ; que la société UNILEVER, qui bénéficiait d'un engagement de ne pas procéder à des licenciements, a admis sans réserve la réalité des circonstances exceptionnelles ;
- que même si la cour considère que les difficultés économiques ne constituent pas des circonstances exceptionnelles, il n'en résulterait pas que les licenciements sont dépourvus de cause réelle et sérieuse, mais seulement un non-respect de l'obligation de maintien d'emploi ; que les salariées peuvent solliciter l'indemnisation du préjudice subi du fait du non-respect de l'obligation de maintien d'emploi, mais non des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L122-14-4 du Code du travail ;
- que l'obligation de reclassement est une obligation de moyens et non de résultat ; que la société a effectué une recherche de reclassement au sein de son groupe ; que dans le cadre du plan de sauvegarde, elle a prévu des aides à la mobilité géographique compte tenu de l'éloignement entre les sociétés YABON et VALADE ; que l'ensemble des postes disponibles ont été proposés aux salariées ;
- que les postes de Mmes Y... et A... ont bien été supprimés, peu important que les tâches qui leur étaient confiées aient été reprises par d'autres salariés ;
- que les salariées ont refusé l'ensemble des propositions de reclassement et bénéficié de mesures favorables telles qu'une majoration des indemnité de rupture et une priorité de réembauchage allongée ;
- que l'ordre des licenciements a été respecté.
L'employeur sollicite donc de voir :
à titre principal,
- dire que le licenciement de Mme Y... et celui A... repose sur une cause réelle et sérieuse ;
- les débouter de l'intégralité de leurs demandes ;
à titre infiniment subsidiaire,
- constater que l'absence de circonstances exceptionnelles et le non respect de l'engagement de maintien d'emploi n'ouvrent pas droit au versement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- limiter le montant des dommages-intérêts éventuellement octroyés au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 10. 866 € pour Mme Y... et de 11. 862 € pour Mme A... ;
- en toute hypothèse, limiter le montant des dommages-intérêts versés au titre des critères d'ordre des licenciements à Mme Y... et à Mme A... (à hauteur de 1 €).
Mmes Y... et A... répliquent :
- que la société FRUIANDISE a repris le site de Verneuil-sur-Avre en s'engageant à ne procéder à aucun licenciement jusqu'au 1er mai 2006, sauf circonstances exceptionnelles susceptibles de détériorer significativement la situation financière de l'activité cédée ; que les circonstances exceptionnelles visées ne peuvent s'entendre d'un manque de rentabilité du site, des tendances du marché ou des effets de la concurrence puisque ces difficultés constituent la raison même de la reprise ;
- que les résultats de l'entreprise étaient prévisibles et prévus ; que le repreneur avait parfaitement connaissance des difficultés de la société ; que les circonstances exceptionnelles invoquées par la société sont démenties par le rapport de l'expert comptable ;
- que la société a trompé le comité d'entreprise et mis en place une réorganisation qui était certainement décidée dès la reprise ; que le licenciement de Mmes Y... et A... s'inscrit dans la stratégie de réorganisation du groupe FRUITTEROIR ;
- que les difficultés économiques s'apprécient dans le cadre du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise ; que la société YABON appartient aujourd'hui au groupe FRUITERROIR et VALADE qui interviennent dans le même secteur et qui ne sont pas en difficulté ;
- que l'employeur ne démontre pas que les prétendues difficultés économiques ont eu pour conséquences la suppression des postes de Mmes Y... et A... ; que leurs postes n'ont pas été supprimés puisqu'ils sont actuellement occupés par d'autres salariées, Mmes B... et C... ; que Mmes Y... A... ont été mises en concurrence avec Mmes B... et C... qui n'étaient pas de la même catégorie professionnelle, ainsi qu'il résulte des fiches de description de poste ;
- que la société NUTRIMAINE a obtenu la condamnation de la société YABON pour manquement à son engagement de ne pas procéder à des licenciements, ce qui démontre l'absence de circonstances exceptionnelles ;
- qu'il résulte du rapport de l'expert-comptable relatif à l'analyse du plan de sauvegarde que l'employeur n'a pas pris de mesures de reclassement sérieuses et suffisantes ; que les différents postes visés dans la lettre de licenciement n'ont pas été proposés aux salariées dans des conditions leur permettant de les accepter ; que la présence de 11 temps pleins pourvus par des intérimaires démontre qu'il existait des possibilités de reclassement qui n'ont pas été exploitées ;
- que le projet de plan de sauvegarde de l'entreprise ne comportait aucun critère d'ordre des licenciements ; que la société n'a pas fait une juste application des critères d'ordre des licenciements.
Les salariées demandent donc de voir :
- condamner la société FRUIANDISE à payer, tout préjudice confondu :
à Mme Y... 70. 000 € à titre de dommages-intérêts, avec intérêts de droit à compter de la saisine du Conseil ;
à Mme A... 100. 000 € également à titre de dommages-intérêts, avec intérêts de droit à compter de la saisine du Conseil ;
à chacune 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement pour motif économique
Le projet de restructuration est intervenu moins de 5 mois après le rachat du site par le groupe FRUITERROIR.
Le rapport de l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise indique que ; que " la baisse du marché des DPAC n'est ni soudaine, ni nouvelle ; que l'arrêt de l'activité de gâteaux est une décision stratégique de l'entreprise ; que 40 % des volumes perdus sur l'exercice et 47 % de la marge perdue ne sont pas liés aux arguments économiques avancés pas la société ".
En outre, l'expert relève que la situation financière du groupe est saine au regard des exercices 2003 et 2004, que les comptes de la société VALADE présentent des soldes intermédiaires de gestion positifs et que la situation de cette société est très saine. Par ailleurs, la société ne verse pas aux débats les comptes sociaux des autres sociétés du groupe FRUITERROIR permettant d'apprécier les difficultés au niveau du secteur d'activité du groupe.
Si une procédure d'alerte a été déclenchée le 10 juin 2005, la situation financière de la société a été rétablie dès le 30 juin 2006 grâce à un abandon de créance consenti par une société du groupe (courrier du commissaire aux comptes du 27 novembre 2006).
Enfin, la société a eu recours à du personnel intérimaire début 2006, soit peu après le licenciement des salariées (état des intérimaires).
Dès lors, aucune cause économique au sens de l'article 321-1 ancien du Code de travail n'est établie et les licenciements sont sans cause réelle et sérieuse.
Les premiers juges ont fait une exacte évaluation du préjudice subi par les salariées compte tenu de leur ancienneté, de leur rémunération et des circonstances du licenciement.
Il est équitable d'allouer en appel à chacune des salariées une somme de 1. 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Dit que les sommes allouées dans le jugement porteront intérêts de droit à compter de celui-ci ;
Condamne la société YABON à payer à Mmes Y... et A... la somme de 1. 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la société YABON aux dépens.
Le greffier Le président