N° RG 19/04710 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILG7
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 11 MAI 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 17 Octobre 2019
APPELANTE :
Madame [E] [N] épouse [O]
98 bvd du 11 novembre
76140 LE PETIT QUEVILLY
représentée par Me Jessy LEVY de la SELARL JESSY LEVY AVOCAT, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE ROUEN - ELBEUF - DIEPPE
50, avenue de Bretagne
76039 ROUEN CEDEX 1
représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 23 Mars 2022 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur POUPET, Président
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 23 Mars 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 Mai 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 11 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Monsieur POUPET, Président et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [E] [N] épouse [O] a été victime d'un accident du travail, le 13 octobre 2015, pris en charge comme tel par la caisse primaire d'assurance-maladie de Rouen (la caisse) qui a déclaré son état de santé consolidé au 28 mai 2018 et a évalué son incapacité permanente partielle à 20 %, suivant décision notifiée le 20 novembre 2018.
L'intéressée a saisi le tribunal du contentieux de l'incapacité de Rouen d'un recours. Le dossier a été transmis au tribunal de grande instance de Rouen, par application de la loi du 18 novembre 2016.
Celui-ci, par jugement du 17 octobre 2019, a rejeté le recours.
Mme [O] a relevé appel de cette décision et, par conclusions remises le 17 février 2022, soutenues oralement à l'audience, demande à la cour de :
- infirmer celle-ci,
- majorer son taux d'IPP à hauteur de 40 % dont 10 % au titre du taux professionnel,
- à titre subsidiaire, désigner un médecin expert afin d'évaluer ses séquelles et fixer son taux d'IPP,
- condamner la caisse aux dépens qui comprendront les éventuels frais d'expertise et au paiement d'une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'elle travaillait pour la société Siemens, suivant contrat à durée indéterminée depuis février 2006 ; qu'à la suite d'un malaise, elle a été arrêtée à compter d'octobre 2015, pour état dépressif avec signes anxieux importants et prescription d'antidépresseurs et d'anxiolytiques ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 19 septembre 2018. Elle soutient que son taux d'IPP a été sous-évalué au regard de l'aspect anatomique compte tenu du guide barème des accidents du travail mais également de l'aspect professionnel ; que le docteur [B] s'est apparemment fondé sur le barème indicatif d'évaluation des taux d'incapacité de droit commun ; qu'elle a subi une incidence professionnelle du fait de son accident du travail, en perdant une chance de faire carrière au sein de la société Siemens et ses droits attachés à son ancienneté ; qu'elle a fait une rechute anxiodépressive chez son nouvel employeur.
Par conclusions remises le 9 décembre 2021, la caisse demande à la cour de confirmer le jugement.
Elle fait valoir que le taux d'IPP a été fixé après avis d'un sapiteur, le docteur [B], médecin psychiatre, en conformité avec le barème d'invalidité des accidents du travail et que ce taux a été confirmé par le médecin désigné par le tribunal, le docteur [Z]. S'agissant du taux professionnel, elle soutient qu'il n'a pas pour objectif de constituer un revenu de remplacement et indique que l'assurée a retrouvé un travail en contrat à durée indéterminée un mois après son licenciement, à un poste similaire d'assistante.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
En application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
L'incapacité permanente est appréciée à la date de la consolidation de l'état de la victime.
Une majoration du taux dénommée coefficient professionnel, tenant compte des conséquences de l'accident ou de la maladie sur la carrière professionnelle de la victime, peut lui être attribué, notamment au regard du risque de licenciement consécutif à l'impossibilité de la reclasser, de difficultés de reclassement, de déclassement professionnel, de retard à l'avancement ou de perte de gain.
En revanche, il n'y a pas lieu d'appliquer un coefficient professionnel en cas de changement d'emploi sans déclassement professionnel, avec maintien de la rémunération et de la qualification antérieure à la maladie professionnelle.
Mme [O] avait 41 ans à la date de consolidation de son état de santé. Elle travaillait au sein de la société Siemens comme assistante en gestion.
Le médecin-conseil de la caisse a retenu un taux d'IPP de 20 % au regard des séquelles d'un état anxiodépressif allégué réactionnel à une souffrance au travail consistant en « un trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse et dépressive d'intensité importante ayant évolué en dysthymie ».
Dans son rapport médical, il indique que Mme [O] est suivie par un psychologue du centre hospitalier, que son médecin traitant lui prescrit un antidépresseur et un anxiolytique, que lors de l'examen effectué le 13 juin 2017, les doléances sont les suivantes : une fatigue permanente intense vers 14 heures et le soir, une tristesse de l'humeur avec des pleurs faciles, une importante anxiété avec hyper émotivité, un meilleur sommeil grâce au traitement, une impossibilité de se projeter dans l'avenir, une régression des idées noires. Le médecin relève également des troubles de la concentration pour les tâches administratives. Il considère qu'un retentissement professionnel est certain.
Le docteur [B], qui l'a rencontrée le 14 novembre 2017, relève la persistance d'une humeur triste, des moments de stress, des ruminations anxieuses, des crises d'angoisse, des troubles de la concentration et de la mémoire, des troubles du sommeil. Il indique qu'elle est également suivie par un psychiatre.
Ce médecin a également rencontré l'assurée le 28 mai 2018, dans le cadre d'une contestation de la date de consolidation initialement fixée au 31 juillet 2017. Il constate à la date de l'examen que la situation ne s'est pas améliorée depuis son dernier entretien, avec des moments de fluctuation. Sur cette base, la caisse a retenu comme date de consolidation la date de l'expertise.
Le médecin désigné par le tribunal dans le cadre d'une consultation relève que l'assurée fait état d'angoisse permanente dans les relations de travail et dans sa vie personnelle et considère, au vu des éléments du dossier, que l'évaluation de l'incapacité permanente partielle à hauteur de 20 % est justifiée au regard du barème et qu'il existe un retentissement professionnel.
Suivant le barème indicatif d'invalidité des accidents du travail (4.2.1.11), le syndrome névrotique anxieux, hypocondriaque, cénesthopatique, obsessionnel, caractérisé, s'accompagnant d'un retentissement plus ou moins important sur l'activité professionnelle de l'intéressé est évalué à hauteur de 20 à 40 %.
Le médecin traitant de l'appelante indique en septembre 2019 que son état de santé nécessite toujours des soins consistant en un suivi psychologique mensuel et un traitement à base d'antidépresseur qui a été repris à la suite de sa nouvelle embauche, laquelle a généré une rechute anxiodépressive.
Si cet élément est postérieur à la date de consolidation, il confirme l'existence d'un retentissement important des séquelles de l'accident du travail sur l'activité professionnelle de la salariée, déjà constaté au moment de la consolidation. L'importance des séquelles justifie de porter le taux d'IPP, dit anatomique, à 30 %.
S'agissant du taux professionnel, l'appelante qui a été embauchée en tant qu'assistante en novembre 2018 après avoir été licenciée pour inaptitude le 19 septembre, ne justifie pas d'un déclassement professionnel ou d'une perte de gain après son licenciement, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal n'a pas fait droit à sa demande de coefficient professionnel.
Au regard de la décision, la caisse doit être condamnée aux dépens et à payer à Mme [O] une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau :
Fixe le taux d'IPP de Mme [O] résultant de son accident du travail du 13 octobre 2015 à 30 % ;
Condamne la caisse à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la caisse aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier Le Président