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25/05/2022 | FRANCE | N°19/03018

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 25 mai 2022, 19/03018


N° RG 19/03018 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IHY4





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 25 MAI 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 01 Juillet 2019





APPELANT :





Monsieur [W] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée p

ar Me Aurélia DOUTEAUX, avocat au barreau de ROUEN











INTIMEE :





S.A.R.L. K.H. RESTAURATION

[Adresse 2]

[Localité 3]



n'ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée le 18/09/2019


















...

N° RG 19/03018 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IHY4

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 25 MAI 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 01 Juillet 2019

APPELANT :

Monsieur [W] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Karim BERBRA de la SELARL BAUDEU & ASSOCIES AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Aurélia DOUTEAUX, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.R.L. K.H. RESTAURATION

[Adresse 2]

[Localité 3]

n'ayant pas constitué avocat

régulièrement assignée le 18/09/2019

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur POUPET, Président

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 07 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 25 Mai 2022

ARRET :

REPUTE CONTRADICTOIRE

Prononcé le 25 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Monsieur POUPET, Président et par M. CABRELLI, Greffier.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 27 février 2012, M. [W] [F] a été engagé en qualité de commis de comptoir et d'entretien par la société Commerciale Négoce et Services (la société CNS) selon contrat à durée indéterminée, soumis à la convention collective nationale de la restauration rapide du 18 mars 1988.

Le 5 avril 2016, la société Kh Restauration (la société) a acquis le fonds de commerce de la société CNS, spécialisée dans le fast-food de type "kebab".

A compter du 21 octobre 2016, M. [F] a été placé en arrêt de travail pour maladie, régulièrement renouvelé.

La société lui a notifié deux avertissements :

-le 28 octobre 2016, pour des menaces et un harcèlement à l'égard de ses collègues de travail,

-le 9 novembre 2016, pour son absence injustifiée.

Le 19 janvier 2018, le salarié, toujours en arrêt de travail, a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen afin, notamment, de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur.

Par jugement du 1er juillet 2019, le conseil a :

-annulé les avertissements des 28 octobre et 9 novembre 2016,

-condamné la société au paiement des sommes suivantes :

200 euros dommages et intérêts pour non information sur l'adhésion à la mutuelle santé de l'entreprise,

100 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de suivi médical,

307,44 euros au titre des majorations de nuit, outre 30,74 euros de congés payés y afférents,

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- débouté M. [F] du surplus de ses demandes,

-ordonné l'exécution provisoire,

-débouté la société de toutes ses demandes,

-dit n'y avoir lieu à dépens.

Le 24 juillet 2019, M. [F] a relevé appel limité du jugement.

Par conclusions remises le 17 juillet 2019, M. [F] demande à la cour de :

-infirmer le jugement rendu uniquement en ce qu'il a limité la condamnation de la société au titre des dommages et intérêts pour défaut de suivi médical et concernant l'adhésion à la mutuelle santé entreprise, ainsi qu'en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes,

- confirmer pour le surplus le jugement,

-fixer son salaire mensuel à 1 838,24 euros bruts,

-dire que la résiliation judiciaire est imputable aux manquements de l'employeur et lui faire produire les effets d'un licenciement nul à titre principal, ou sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

-condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

750 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la notification de sanctions injustifiées,

1 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du défaut de suivi médical régulier,

1 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect des temps de repos conventionnels,

7 000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices physique et moral subis du fait du harcèlement moral, ou à tout le moins du fait du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de "résultat",

289,40 euros bruts au titre de la prime annuelle conventionnelle, outre 28,94 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

425,54 euros bruts au titre de l'indemnité de blanchissage, outre 42,55 euros bruts de congés payés y afférents,

750,98 euros bruts à titre d'indemnité complémentaire versée par l'employeur pour l'arrêt maladie ayant débuté le 21 octobre 2016, outre 75,09 euros bruts au titre des congés y afférents,

2 000 euros nets de dommages et intérêts visant à réparer le préjudice subi du fait de l'absence de bénéfice de complément d'indemnités en cas d'arrêt maladie,

2 000 euros nets de dommages et intérêts en réparation du défaut d'adhésion à un régime obligatoire de remboursement des frais de santé,

3 676,48 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 10 % au titre des congés payés, soit 367,64 euros bruts,

3 676,48 euros nets (somme à parfaire à la date de rupture du contrat) à titre d'indemnité de licenciement,

3 382,22 euros nets à titre d'indemnité de congés payés (à parfaire),

30 000 euros nets de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

3 000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- faire produire aux condamnations des intérêts au taux légal,

- ordonner la remise des documents de fin de contrat (attestation pôle Emploi, reçu pour solde de toute compte, certificat de travail) conformes à la décision, et ce, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard.

-condamner la société aux dépens.

Il est renvoyé aux écritures de l'appelant pour le détail de son argumentation.

La société KH Restauration n'a pas constitué avocat.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'annulation des avertissements

L'appelant ne remet pas en cause l'annulation des deux avertissements prononcée par les premiers juges, mais l'absence d'indemnisation de son préjudice moral.

Toutefois, s'il est exact que les sanctions ont été considérées comme injustifiées, aucun élément ne vient démontrer l'existence d'un préjudice moral résultant de leur notification.

Le jugement entrepris est par conséquent confirmé sur ce point.

Sur l'absence de suivi médical régulier

Il a été établi que l'employeur a fait passer la visite d'embauche à son salarié plus de deux ans après le début de son contrat de travail et, au surplus, que ce dernier n'a bénéficié ni de visite médicale périodique, ni des visites de reprise obligatoires après deux arrêts de travail de plus de 30 jours.

Alors que le salarié a dénoncé à son employeur une dégradation de ses conditions de travail, la carence de ce dernier ne lui a pas permis d'évoquer ce point avec le médecin du travail lors des visites de reprise qui s'imposaient, ce qui lui cause un préjudice que la cour indemnise à hauteur de 500 euros.

La décision déférée est infirmée sur ce dernier point.

Sur le non-respect des temps de repos conventionnels

Les articles 30 et 34 de la convention collective applicable prévoient que :

-le temps de repos entre deux jours de travail est de 11 heures consécutives et de 12 heures pour les salariés quittant leur poste après 22 heures,

-le repos hebdomadaire est de deux jours consécutifs pour les établissements de restauration rapide.

Il ressort des deux plannings hebdomadaires produits que le salarié n'a pas bénéficié de deux jours de repos consécutifs les semaines considérées, et, une fois, n'a pas disposé d'un temps de repos de 12 heures entre deux jours travaillés, malgré le fait qu'il avait travaillé au-delà de 22 heures.

En revanche, il ne peut être déduit de ces deux seuls documents que les manquements aux temps de repos conventionnels ont existé tout au long de la relation contractuelle, d'autant qu'il est manifeste que les horaires de travail du salarié étaient modifiés chaque semaine, de même que son jour de repos, contrairement à ce qu'il soutient.

Quand bien même les manquements considérés ont été limités, ceux-ci ont nécessairement eu un l'impact négatif sur la santé du salarié qui n'a pas bénéficié d'un temps de repos suffisant, si bien que la cour lui alloue la somme de 100 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

La cour infirme le jugement entrepris sur ce chef.

Sur la prime annuelle conventionnelle

L'article 5 de l'avenant n° 43 du 24 janvier 2011 a créé une prime annuelle conventionnelle prévue à l'article 44-1 de la convention collective applicable, pour tous les salariés, quels que soient leur contrat et leur statut sous réserve de satisfaire à la double condition de justifier d'un an d'ancienneté continue dans l'entreprise et d'être inscrit à l'effectif. Cette double condition s'apprécie au jour du versement de ladite prime.

Il est également prévu une proratisation de la prime en cas de temps partiel et d'absences pour maladie, étant rappelé que l'appelant a été en arrêt de travail en 2016 (93 jours) et n'a pas repris son emploi depuis le 21 octobre 2016.

Dès lors M. [F] est fondé à obtenir à ce titre la somme de 289,40 euros bruts au titre de ladite prime pour la période de 2014 à 2016, laquelle n'ouvre pas droit aux congés payés, eu égard aux dispositions conventionnelles de l'article 44.1.

La décision déférée est infirmée sur ce chef.

Sur la prime pour vêtements de travail

Il résulte de l'article 41 de la convention collective applicable que si l'employeur impose un modèle particulier de vêtement de travail, il doit en assurer la fourniture et le blanchissage, le salarié percevant alors pour chaque heure travaillée une indemnité.

Si le salarié forme une telle prétention, il ne précise ni la tenue exigée par son employeur, ni ne justifie de l'obligation qui lui était faite à ce titre. En effet, la photographie qu'il produit ne permet ni de savoir si l'homme qui y figure est l'intéressé, ni si la tenue qu'il porte, dépourvue de caractéristique, est une tenue de travail, de sorte qu'elle est totalement dénuée d'effet probant.

Aussi, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette demande.

Sur l'indemnisation de la maladie

En application de l'article 19 B de la convention collective, après 3 ans d'ancienneté dans l'entreprise, en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de maladie dûment constatée par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, les salariés bénéficieront des dispositions suivantes à condition :

- d'avoir justifié dans les 48 heures de leur incapacité ;

- d'être pris en charge par la sécurité sociale ;

- d'être soignés sur le territoire français ou dans l'un des autres pays de la Communauté économique européenne.

Pendant 30 jours ils recevront 90 % de la rémunération brute qu'ils auraient gagnée s'ils avaient continué à travailler.

Pendant les 30 jours suivants, ils recevront 70 % de leur rémunération.

Les temps d'indemnisation seront augmentés de 10 jours par période entière de 5 ans d'ancienneté en sus de celle requise à l'alinéa 1er sans que chacun d'eux puisse dépasser 90 jours.

Lors de chaque arrêt de travail, les délais d'indemnisation commenceront à courir à compter du 11e jour d'absence.

Pour le calcul des indemnités dues au titre d'une période de paye, il sera tenu compte des indemnités déjà perçues par l'intéressé durant les 12 mois antérieurs, de telle sorte que, si plusieurs absences pour maladie ou accident ont été indemnisées au cours de ces 12 mois, la durée totale d'indemnisation ne dépasse pas celle applicable en vertu des alinéas précédents.

Les garanties ci-dessus accordées s'entendent déduction faite des allocations que l'intéressé perçoit de la sécurité sociale et des régimes complémentaires de prévoyance, mais en ne retenant, dans ce dernier cas, que la part des prestations résultant des versements de l'employeur. Lorsque les indemnités de la sécurité sociale sont réduites du fait, par exemple, de l'hospitalisation ou d'une sanction de la caisse pour non-respect de son règlement intérieur, elles sont réputées être servies intégralement (').

Le salarié est en arrêt de travail depuis le 21 octobre 2016 et justifie, par ses bulletins de salaire de ce qu'il n'a perçu, en décembre 2016, que la somme de 615,81 euros au titre de l'indemnisation de la maladie.

Or, eu égard aux dispositions conventionnelles ci-dessus et à son salaire de référence, il lui était dû la somme de 1 366,79 euros, après déduction des indemnités journalières de la sécurité sociale.

Par conséquent, il est fondé à obtenir la somme de 750,98 euros bruts (1 366,79-615,81) à ce titre.

Aussi, la cour infirme la décision déférée ayant débouté le salarié de sa demande d'indemnisation de la maladie.

En revanche, il résulte de l'article L. 3141-5 du code du travail, qui est d'interprétation restrictive, que les périodes d'arrêts maladie ne sont pas considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé et la convention collective applicable n'opère pas davantage cette assimilation.

Dès lors l'appelant n'est pas fondé à former une demande au titre des congés payés sur l'indemnité précédemment accordée.

Enfin, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts complémentaire formée à ce titre, faute de preuve d'un préjudice distinct qui n'aurait pas été réparé par l'octroi de la somme ci-dessus.

Sur le défaut d'adhésion à un régime complémentaire de remboursement des frais de santé

A compter de l'accord du 3 février 2012 relatif au régime complémentaire des frais de santé, étendu par arrêté du 27 novembre suivant, l'employeur avait l'obligation de mettre en place un régime collectif et obligatoire complémentaire pour le remboursement des frais de santé.

Il ressort des bulletins de salaire de M. [F] que son employeur a prélevé sur son salaire, à différentes périodes de la relation contractuelle, une cotisation au titre de la mutuelle et pour la dernière fois, en mars 2016. Il n'est pas justifié de ce que le salarié n'aurait pas bénéficié pour les périodes cotisées de l'avantage considéré, de sorte qu'il ne peut alléguer d'un préjudice financier.

Par ailleurs, il est établi qu'à compter d'avril 2016, il n'y a plus eu de prélèvements sur son salaire au titre de la mutuelle d'entreprise et ses droits n'ont été rouverts qu'à compter de décembre 2016, jusqu'en décembre 2017, comme cela résulte des mentions portées sur la carte de mutuelle, de sorte que la souscription à une autre mutuelle pour cette période est justifiée, eu égard au manquement avéré de l'employeur.

Dans ces conditions, à défaut d'avoir fait bénéficier de manière continue son salarié d'une telle assurance, l'employeur est tenu de réparer le préjudice en résultant, lequel a été justement indemnisé par la somme allouée par les premiers juges.

Dès lors la décision déférée est confirmée sur ce chef.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.


L'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable à la date des premiers faits invoqués, prévoit qu'en cas de litige, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. S'agissant des faits postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, qui a modifié cet article, le salarié doit présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si l'appelant considère que l'usage du verbe "présenter" assouplit la charge probatoire par rapport à la précédente formulation de l'article L. 1154-1, il n'en est rien car la deuxième partie de cet article présuppose que les éléments de fait présentés par le salarié soient des faits établis puisqu'il n'est pas offert à l'employeur de les contester mais seulement de démontrer qu'ils étaient justifiés.

En l'espèce, M. [F] soutient avoir subi, dès le début de la relation contractuelle, des difficultés ci-dessus évoquées dans l'exécution de son contrat de travail, puis que ses conditions de travail se sont dégradées du fait du comportement de M. [C] [E], le gérant de la société, qui souhaitait "le forcer à démissionner". Ainsi, il invoque des violences morales, des pressions, des brutalités et des insultes, ainsi que des menaces de mort de la part de ce dernier. Il ajoute avoir fait l'objet d'avertissements injustifiés et avoir dénoncé ses conditions de travail qu'il qualifie "d'indignes".

Pour établir ces faits, le salarié produit :

-son courrier du 27 octobre 2016 adressé à son employeur, par lequel il dénonce ses conditions de travail et le harcèlement qu'il estime subir, mais également les propos de M. [C] [E] à son encontre : "la Loi, c'est moi ici !... travaille et ferme...",

-son dépôt de plainte contre celui-ci pour des faits de violences volontaires du 2 novembre 2016,

-le dépôt de plainte d'un de ses collègues, M. [T], pour ces mêmes faits, lequel témoigne que ce jour-là, M. [C] [E], avec qui les salariés étaient en conflit à propos de leurs conditions de travail, les a suivis à ce sujet dans un centre commercial puis les a insultés ("bâtard, fils de pute"), menacés de mort, provoqués pour "régler le problème par la violence" et que M. [F] s'est interposé lorsque leur employeur lui a donné des coups de pied, étant relevé que ce témoignage corrobore les déclarations de ce dernier,

-un certificat médical établi sur réquisition du ministère public, document qui retient 5 jours d'ITT au préjudice de M. [F].

Par ailleurs, la cour a confirmé la décision déférée en ce qu'elle a considéré que les deux avertissements adressés au salarié, les 28 octobre et 9 novembre 2016, soit dans un temps très limité, n'étaient aucunement justifiés, de sorte que ce fait est également établi. De même, les développements précédents, ainsi que la décision déférée, ont rapporté la preuve que l'employeur ne respectait pas nombre de dispositions légales et conventionnelles régissant l'exécution du contrat de travail, sans qu'il autorise son salarié à s'en prévaloir.

Enfin, il ressort des différentes pièces médicales que le salarié a été en arrêt de travail pour un syndrome dépressif avec des insomnies, des troubles du comportement et une anxiété majeure à la suite d'une situation conflictuelle avec son employeur et qu'il a bénéficié d'un traitement médicamenteux ainsi que de suivis psychologique et psychiatrique.

Ainsi, les pièces produites permettent d'établir l'existence de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre du salarié. Faute de s'être constitué, l'employeur ne développe aucun argumentaire pouvant éventuellement justifier ses agissements par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, il convient d'accorder à M. [F] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral subi.

La décision déférée est infirmée sur ce chef.

Sur la résiliation judiciaire

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être prononcée si les manquements reprochés à l'employeur sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail et la juridiction qui a caractérisé des manquements de l'employeur antérieurs à l'introduction de l'instance peut tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement pour en apprécier la gravité.

Il s'infère des précédents développements et de la décision déférée que sont établis à l'encontre de l'employeur les manquements suivants : avertissements injustifiés, absence de suivi médical régulier, non-respect des temps de repos conventionnel durant deux semaines, défaut d'adhésion, à certaines périodes de la relation contractuelle, à un régime complémentaire de remboursement des frais de santé, non paiement de la prime annuelle, des majorations pour heures de nuit et de l'indemnité complémentaire en cas d'arrêt maladie.

Enfin, et surtout, il est établi que M. [F] a été victime d'un harcèlement moral, si bien que ces différents manquements imputables à l'employeur sont suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifier le prononcé, à la date de l'arrêt, de la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle produira les effets d'un licenciement nul.

En application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail et en considération du salaire brut de M. [F] et des circonstances de la rupture du contrat de travail, il y a lieu de lui accorder la somme de 14 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Il convient également de lui accorder les sommes suivantes :

3 676,48 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 367,65 euros bruts au titre des congés payés afférents,

3 676,48 euros nets à titre d'indemnité de licenciement.

Enfin, il n'y a pas lieu à application de l'article L.1235-4 du code du travail dès lors que la rupture du contrat de travail est prononcée à la date de l'arrêt.

Il appartiendra à l'employeur de remettre au salarié ses documents de fin de contrat (attestation pôle Emploi, reçu pour solde de toute compte, certificat de travail), conformes à la décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

La décision déférée est infirmée sur ces chefs.

Sur le paiement de jours de congés payés

Se référant à son bulletin de salaire d'octobre 2017, le salarié sollicite le paiement de 38,50 jours au titre des congés payés non pris.

Toutefois, en octobre 2016, mois où le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie à la suite duquel il n'a jamais repris son travail, son bulletin de salaire mentionne un solde négatif de 4 jours au titre des congés de l'année (34 jours pris pour 30 jours acquis), ainsi que 12,50 jours en cours d'acquisition.

Dès lors le nombre de jours de congés payés précisés sur la fiche de paie d'octobre 2017 est nécessairement erroné puisque le salarié n'a pu continuer d'acquérir des congés alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, eu égard aux dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-5.

L'erreur n'étant pas créatrice de droit, M. [F] n'est pas fondé à obtenir le paiement de 38,50 jours mais uniquement celui de 8,5 jours de congés payés (12,5-4), car du fait de son arrêt pour maladie et de la résiliation judiciaire de son contrat de travail prononcée en raison des torts de son employeur, il est dans l'impossibilité de prendre les congés considérés.

Par conséquent, il lui est accordé la somme de 721,14 euros bruts à ce titre.

La décision déférée est également infirmée sur ce point.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement déféré en ses dispositions relatives aux avertissements, à la prime de blanchissage, aux majorations pour heure de nuit, à la non adhésion à un régime obligatoire de remboursement des frais de santé, aux dommages et intérêts pour absence de bénéfice du complément d'indemnité en cas d'arrêt maladie et aux frais irrépétibles,

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau dans cette limite,

Dit que M. [F] a été victime d'un harcèlement moral ;

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F] et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement nul ;

Condamne la société KH Restauration à payer à M. [W] [F] les sommes suivantes :

500 euros à titre de dommages et intérêts pour l'absence de suivi médical régulier,

100 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos conventionnels,

289,40 euros bruts de prime annuelle conventionnelle,

750,98 euros bruts au titre de l'indemnisation complémentaire de la période de maladie,

3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

14 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

3 676,48 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 367,65 euros bruts titre des congés payés afférents,

3 676,48 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

721,14 euros bruts au titre des congés payés non pris,

2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que les intérêts au taux légal courent à compter du 29 août 2016 sur les sommes de nature salariale, de la date du jugement sur les sommes de nature indemnitaire confirmées et du présent arrêt sur les sommes de nature indemnitaire résultant de celui-ci ;

Ordonne à l'employeur de remettre à M. [F] ses documents de fin de contrat (attestation pôle Emploi, reçu pour solde de toute compte, certificat de travail), conformes à la décision,

Déboute M. [F] de ses autres demandes ;

Dit qu'il n'y a pas lieu à remboursement par la société aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [F] ;

Condamne la société Kh Restauration aux dépens de première instance et d'appel.

Le greffierLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03018
Date de la décision : 25/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-25;19.03018 ?
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