N° RG 19/04905 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILUC
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 09 JUIN 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 15 Novembre 2019
APPELANT :
Monsieur [J] [T]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Farid KACI de la SCP DPCMK, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEES :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE ROUEN
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Etienne LEJEUNE de la SCP SAGON LOEVENBRUCK LESIEUR LEJEUNE, avocat au barreau du HAVRE
Me Béatrice PASCUAL, mandataire liquidateur de la SAS D2FC et de la société DAPHNE HOLDING
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Me Yannick ENAULT de la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Nicolas CHATAIGNIER, avocat au barreau du HAVRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 27 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 27 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Juin 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 09 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [J] [T] a été engagé en qualité de responsable comptable et administratif par la société D2FC par contrat de travail à durée indéterminée du 1er octobre 2008, lequel contrat a été transféré en 2014 à la société Daphné holding à la suite de la transmission universelle de patrimoine de la société D2FC.
Après qu'une rupture conventionnelle a pris effet le 30 septembre 2017 entre la société Daphné holding et M. [T], ce dernier a été engagé par la société D2FC exerçant sous l'enseigne Energy valves le 16 octobre 2017 en qualité de directeur administratif et financier de la société et des sociétés Daphné holding, D2FC services, D-KTC Fluid control et SCI Hydresis et de toute nouvelle société qui viendrait à être détenue par Daphné holding.
Par jugement du 9 mars 2018, le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a placé les sociétés D2FC et Daphné holding en redressement judiciaire.
M. [T] a été licencié pour motif économique et suite à son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, son contrat a été rompu le 26 octobre 2018.
Cette procédure a été convertie le 28 décembre 2018 en liquidation judiciaire à l'égard de la société D2FC, puis le 15 mars 2019 pour la société Daphné holding, avec désignation de Mme Béatrice Pascual en qualité de mandataire liquidateur.
Par requête du 21 septembre 2018, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en paiement de rappels de salaire et indemnités et ce, tant à l'égard de la société D2FC qu'à l'égard de la société Daphné holding.
Par jugement du 15 novembre 2019, le conseil de prud'hommes a débouté M. [T] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser les sommes de 600 euros à Mme Béatrice Pascual en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS D2FC et en qualité de liquidateur judiciaire de la société Daphné Holding, a donné acte au CGEA de Rouen de sa qualité de représentant de l'AGS dans l'instance, dit le jugement opposable au CGEA de Rouen et condamné M. [T] aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.
M. [T] a interjeté appel de cette décision le 13 décembre 2019.
Par conclusions remises le 13 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [T] demande à la cour d'infirmer la décision entreprise, et statuant à nouveau, de :
- dire que son ancienneté s'entend de sa date d'embauche initiale, soit le 1er octobre 2008,
- requalifier ses fonctions de cadre dirigeant en cadre « au forfait » rétroactivement au 1er octobre 2017, date effective d'embauche,
- inscrire au passif de la liquidation de la société D2FC Energy Valves les créances suivantes :
reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement : 21 531,89 euros,
indemnité compensatrice : 14 500 euros,
rémunération variable : 14 500 euros,
indemnité pour travail dissimulé et rappel de salaire : 47 543,66 euros,
- à titre subsidiaire sur ce point, inscrire au passif de la liquidation de la société Daphné Holding la créance de 47 543,66 euros correspondant au travail dissimulé et au rappel de salaire,
- condamner Mme Pascual, ès qualités, au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers frais et dépens de l'instance,
- déclarer la décision commune et opposable au CGEA-AGS de Rouen.
Par conclusions remises le 27 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la société D2FC et de la société Daphné holding, demande à la cour de :
- dire M. [T] mal fondé en son appel et l'en débouter, confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire irrecevables et, à titre subsidiaire, mal fondées les demandes formées par M. [T], en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes formées par lui,
- à titre infiniment subsidiaire, si la cour faisait droit en tout ou partie à la demande en paiement d'un reliquat d'indemnité de licenciement dirigée à l'encontre de la société D2FC, ordonner à M. [T] de rembourser à Mme Pascual, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Daphné Holding, la somme de 50 000 euros nets versées le 31 octobre 2017 à titre d'indemnité de rupture conventionnelle,
- si la cour faisait droit à la demande au titre de la prétendue dissimulation d'emploi, ordonner à M. [T] de rembourser à Mme Pascual, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Daphné Holding, la somme de 50 000 euros nets versées le 31 octobre 2017 à titre d'indemnité de rupture conventionnelle,
- réduire à de plus justes proportions les prétentions du demandeur et en toute hypothèse, condamner M. [T] à verser à Mme Pascual en qualité de liquidateur judiciaire de la société D2FC, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, ainsi qu'au paiement des entiers dépens.
Par conclusions remises le 7 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, le CGEA demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes,
- lui donner acte de sa qualité de représentant de l'AGS dans l'instance et lui dire l'arrêt opposable,
-dire que la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D. 3253-5 du code du travail,
- dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail,
- dire que M. [T] ne peut se prévaloir de l'application de double plafond individuel de garantie au titre de chaque procédure collective, un seul plafond de garantie étant applicable.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 avril 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'ancienneté de M. [T]
Selon l'article 10 de la convention collective de la métallurgie des personnels ingénieurs et cadres, pour l'application des dispositions de la présente convention, on entend par présence le temps écoulé depuis la date d'entrée en fonction, en vertu du contrat de travail en cours, sans que soient exclues les périodes de suspension de ce contrat.
Pour la détermination de l'ancienneté, on tiendra compte non seulement de la présence au titre du contrat en cours, mais également de la durée des contrats de travail antérieurs dans la même entreprise, ainsi que de l'ancienneté dont bénéficiait l'intéressé en cas de mutation concertée à l'initiative de l'employeur, même dans une autre entreprise.
Pour la détermination de l'ancienneté, il sera également tenu compte de la durée des missions professionnelles effectuées par l'intéressé dans l'entreprise avant son recrutement par cette dernière. [...]
En outre, lorsqu'un ingénieur ou cadre passe, avec l'accord de son employeur, au service soit d'une filiale, soit d'une entreprise absorbée ou créée par lui, soit d'un groupement d'intérêt économique (GIE), ou inversement, les périodes d'ancienneté acquises dans l'entreprise quittée par l'intéressé sont prises en considération pour le bénéfice des avantages résultant de la présente convention et fondés sur l'ancienneté. L'intéressé devra en être averti par écrit.
En l'espèce, il résulte des pièces versées aux débats, et notamment des extraits Kbis, que M. [T] a été engagé le 1er octobre 2008 par une première société D2FC, devenue D2FC industries, laquelle a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 15 janvier 2015 suite à la transmission universelle de son patrimoine à l'associée unique, la société Daphné holding.
Ainsi, comme le conclut M. [T], son contrat a été repris par la société Daphné holding, avec laquelle une rupture conventionnelle a été signée à effet du 30 septembre 2017.
Suite à cette rupture, il a été embauché le 16 octobre 2017 par la nouvelle société D2FC exerçant sous le nom commercial Energy Valves, laquelle est une personne morale distincte de la société D2FC précédemment radiée.
Aussi, au regard de cette chronologie, il ne peut être considéré que le contrat de travail signé le 1er octobre 2008 l'aurait été avec la même entreprise que celui signé le 16 octobre 2017 dès lors que, comme vu précédemment, il s'agit de deux sociétés distinctes, quand bien même leur nom est identique, et ce, peu important qu'elles aient toutes deux été présidées par la société Daphné holding, sauf à rapporter la preuve par M. [T] qu'il s'agirait d'une fraude à ses droits, ce qu'il ne fait pas, se contentant d'indiquer qu'il s'agit d'une fiction juridique.
Surabondamment, il résulte de l'article 29 de la convention collective précitée que, par dérogation à l'article 10, la durée des contrats de travail antérieurs avec la même entreprise n'est pas prise en compte pour la détermination de l'ancienneté servant au calcul de l'indemnité de licenciement.
Par ailleurs, compte tenu de la rupture conventionnelle intervenue en septembre 2017, il ne peut davantage être retenu qu'il y aurait eu mutation, pas plus qu'il ne peut être considéré que M. [T] serait passé, avec l'accord de son employeur, au service soit d'une filiale, soit d'une entreprise absorbée ou créée par lui, soit d'un groupement d'intérêt économique.
A cet égard, la comparaison opérée par M. [T] avec les salariés transférés avec reprise d'ancienneté ou avec des salariés ayant signé une convention tendant à la novation de leur contrat de travail avec reprise d'ancienneté est sans intérêt dès lors que, pour sa part, il a signé une rupture conventionnelle pour laquelle il a d'ailleurs perçu une somme de 50 000 euros nets, très supérieure à l'indemnité conventionnelle de licenciement à laquelle il aurait pu prétendre à cette date.
Au vu de ces éléments, M. [T] ne répond à aucune des situations de l'article 10 de la convention collective précitée lui permettant de réclamer une reprise d'ancienneté au 1er octobre 2008 et il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de cette demande et du rappel d'indemnité conventionnelle subséquente.
Sur la demande formulée au titre du travail dissimulé
M. [T] explique qu'après la rupture du contrat de travail le 30 septembre 2017, il a immédiatement travaillé pour la société D2FC, sans déclaration préalable à l'embauche, comme le prouvent les multiples échanges journaliers avec M. [I], directeur finance et M&A du groupe Valco, dont la teneur démontre qu'il a continué à exercer les fonctions de responsable comptable et administratif sous l'autorité de ce dernier, et ce, à temps plein. Il réclame en conséquence l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé mais aussi un rappel de salaire et les congés payés afférents pour la période du 1er au 15 octobre 2017.
Mme Pascual, ès qualités, soutient que M. [T] n'a pas travaillé à la demande de son ex-employeur, sachant qu'il avait simplement été prévu qu'il assure la passation des dossiers au moment de la rupture conventionnelle, et ce, jusqu'au 30 septembre, relevant d'ailleurs qu'il résulte des échanges versés aux débats par M. [T] qu'il était moteur des échanges et qu'il a poursuivi cette transmission d'informations postérieurement, d'initiative, basée sur l'entraide et la transmission dans une période particulièrement délicate pour le groupe, sachant que M. [I] avait été nouvellement nommé et a accueilli cette aide sans se poser de question, d'autant qu'était évoquée dans le même temps l'embauche de M. [T].
En tout état de cause, elle conteste toute preuve d'un lien de subordination et toute intention de dissimulation, sachant qu'elle lui a versé près de huit mois de salaire au moment de la rupture conventionnelle et qu'elle l'a réembauché dans des délais extrêmement brefs.
A titre liminaire, il convient d'indiquer que la demande de M. [T] à ce titre est parfaitement déterminable dans la mesure où il demande à titre principal une fixation de créance au passif de la société D2FC, et, à titre subsidiaire, au passif de la société Daphné holding, ce qui implique qu'il considère à titre principal que ce travail dissimulé est à reprocher à la société D2FC.
Il résulte des pièces produites par M. [T] qu'il est certain qu'il a réalisé des prestations de travail pour le compte de la société D2FC entre le 1er et le 15 octobre 2017, sans qu'il s'agisse d'une simple transmission de données comme permet de le constater un certain nombre de mails qui démontrent qu'il devait se tenir à la disposition de la société D2FC, quand bien même au regard de ses fonctions, il existe une liberté de ton et une autonomie certaine dans son organisation.
Ainsi, il en ressort qu'il transmettait des documents sur la demande de M. [I], qu'il lui fallait prendre connaissance de certains dossiers pour pouvoir rendre un avis, qu'il devait se rendre à certains rendez-vous, même s'il pouvait les décaler en fonction de ses contraintes personnelles.
Il convient en conséquence de retenir l'existence d'un contrat de travail du 1er au 15 octobre 2017 et d'allouer à M. [T] la somme de 3 627,76 euros à titre de rappel de salaire, outre 362,78 euros au titre des congés payés afférents.
Néanmoins, aucune intention de dissimulation d'activité ne peut être retenue au regard des sommes versées à M. [T] dans le cadre de la rupture conventionnelle ayant pris effet le 30 septembre 2017, à savoir 18 840 euros et 38 869 euros, soit des sommes très supérieures à l'indemnité conventionnelle de licenciement, mais aussi à une prestation de travail de quinze jours, avec une nouvelle embauche dès le 15 octobre 2017, et ce, pour un salaire de 7 255 euros, avantage en nature compris.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur la demande de rémunération variable
Rappelant les termes de son contrat de travail, l'absence de fixation de tout objectif en 2017, et une fixation tardive de ceux-ci en juillet 2018, il en sollicite le paiement en faisant par ailleurs valoir que ceux de 2018 ont été atteints puisqu'il justifie avoir envoyé la base de construction d'un reporting mensuel même si aucune suite n'a été donnée à ce mail et qu'il importe peu qu'il ait quitté l'entreprise antérieurement à la fin de l'année.
En réponse, Mme Pascual, ès qualités, fait valoir que, compte tenu de la date d'embauche de M. [T] en octobre 2017, il n'était pas envisageable de lui fixer des objectifs puisque ceux-ci devaient s'apprécier sur une année entière et que pour 2018, il n'y est pas éligible dès lors qu'il ne faisait plus partie des effectifs à la fin de l'exercice.
En outre, elle soutient que la tardiveté de la fixation des objectifs ne peut lui être reprochée au regard du contexte économique qu'elle traversait et qu'en tout état de cause, ceux-ci ressortaient du contrat de travail et ont été renouvelés moins d'un an après la signature de celui-ci, sans que M. [T] ne les atteigne.
Enfin, elle relève que la moitié de l'objectif dépendait des objectifs financiers du groupe, lesquels n'ont manifestement pas été atteints dès lors que la société D2FC et la société Daphné holding ont été placées en liquidation judiciaire.
Il résulte du contrat de travail de M. [T] qu'il percevrait une rémunération forfaitaire fixe annuelle brute de 83 978,40 euros, qu'il était éligible, en sus, à une rémunération variable sur des objectifs individuels fixés unilatéralement par la société chaque année, que la liste des objectifs fixés unilatéralement par la société serait communiquée chaque année à M. [T] à l'occasion d'un entretien annuel et qu'enfin elle serait plafonnée à 16 % de sa rémunération fixe annuelle brute, dont la moitié est liée aux objectifs financiers du groupe D2FC.
Il en ressort que la rémunération variable annuelle de M. [T] ne pouvait excéder 13 436,54 euros, soit 1 119,71 euros par mois.
Aussi, sur la période du 16 octobre 2017 au 14 novembre 2018, date de la rupture du contrat de travail résultant de l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle, M. [T] pouvait effectivement prétendre à la somme qu'il sollicite, soit 14 500 euros en cas d'atteinte totale des objectifs.
Néanmoins, et alors que la moitié des objectifs ainsi fixés sont liés aux objectifs financiers du groupe et qu'il résulte des liasses fiscales des sociétés D2CF et Daphné holding qu'elle ont respectivement présenté un résultat négatif sur l'exercice 2017 de 2 962 751 euros et de 4 697 707 euros, puis que le tribunal de commerce de terre et de mer du Havre a retenu une date de cessation de paiement aux 19 et 25 janvier 2018 pour chacune d'elles avec ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 9 mars 2018 convertie en liquidation judiciaire les 28 décembre 2018 et 15 mars 2019, il y a lieu de dire que la rémunération variable maximum pouvant être perçue par M. [T] est de 7 250 euros.
A cet égard, à défaut pour la société D2CF de lui avoir remis de quelconques objectifs à atteindre pour l'année 2017, lesquels ne résultent nullement du contrat de travail qui ne fait que préciser les missions de M. [T], et de ne lui avoir fixé pour l'année 2018 des objectifs qu'en juillet 2018, soit très tardivement alors qu'il était prévu la fixation d'objectifs annuels, il convient d'allouer à M. [T] cette somme, sans que la société D2FC ne puisse se retrancher derrière son placement en redressement judiciaire dès lors qu'il n'est nullement apporté la preuve d'une réorganisation de la société qui aurait rendu impossible cette démarche.
Par ailleurs, le départ des effectifs de M. [T] antérieurement à fin décembre 2018 ne peut davantage lui être opposé dès lors qu'aucune clause particulière du contrat ne subordonnait le versement de la prime à sa présence dans les effectifs à cette date.
Enfin, il ne saurait être reproché à M. [T] une non atteinte des objectifs alors même qu'il était prévu, compte tenu de la tardiveté de la fixation des objectifs, qu'il organise un reporting financier mensuel avec un délai d'évaluation fixé à la fin du quatrième quadrimestre.
Reste l'objectif d'une prévision de trésorerie hebdomadaire à huit semaines dont il était prévu un délai d'action au troisième quadrimestre, soit à compter même de la date à laquelle l'objectif lui était fixé, aussi, en transmettant aussi tardivement cet objectif, la société D2FC n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail et mis en mesure M. [T] de percevoir la prime, sachant qu'il a quitté les effectifs le 26 octobre 2018.
Il convient en conséquence de lui allouer la somme de 7 250 euros à titre de rémunération variable sur prime d'objectifs.
Sur la qualité de cadre dirigeant
M. [T] conteste sa large autonomie, considérant au contraire qu'il était soumis à un contrôle permanent de son supérieur hiérarchique comme le démontrent son contrat de travail, mais aussi l'entretien annuel d'évaluation et les instructions qui lui étaient données avec obligation de rendre des comptes chaque semaine ou encore de faire valider ses ordres de mission pour ses déplacements professionnels. Par ailleurs, s'il ne nie pas avoir une des rémunérations les plus élevées de la société, il rappelle que cela doit être mis en lien avec l'ancienneté qu'il avait, contrairement aux autres cadres. Enfin, il note que le simple fait d'être membre du Codir ne saurait suffire à caractériser la notion de cadres dirigeants, de nombreux cadres au forfait en étant également membres.
Mme Pascual, ès qualités, rappelle que la qualité de cadre dirigeant n'est pas exclusive de la soumission à des impératifs d'objectifs et à un lien de subordination, et qu'en l'espèce, M. [T] avait incontestablement ce statut en ce qu'il bénéficiait de délégation de signatures sur des sujets engageant les sociétés, qu'il organisait son emploi du temps de manière indépendante et participait à la direction de l'entreprise.
Selon l'article L. 3111-2 du code du travail, les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres II et III. Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.
En l'espèce, il résulte du contrat de travail de M. [T] qu'il avait pour fonction de piloter l'activité financière du groupe D2FC et en particulier, de consolider les données financières en vue d'une aide à la décision de la direction générale et du groupe Valco, de mettre en place un reporting financier mensuel, de développer et animer les bonnes pratiques financières du groupe D2FC, et notamment la bonne tenue de la comptabilité, le pilotage de la trésorerie, le contrôle des marges par affaire, la gestion des aspects administratifs, déclaratifs, juridiques et fiscaux, ainsi que le suivi des relations avec les banques et établissements de crédit du groupe D2FC, de venir en support du directeur commercial et des directeurs de zone du groupe Valco sur les dossiers commerciaux complexes nécessitant des présentations de chiffres, des garanties bancaires et une autorisation de signature compte tenu du montant engagé.
Il était par ailleurs précisé que M. [T] se trouvait sous l'autorité du président de Daphné holding, la société Newvales représentée par M. [H] et qu'il était par ailleurs rattaché hiérarchiquement d'un point de vue fonctionnel au directeur Finance et M&A du groupe Valco, M. [I].
Au-delà des fonctions qui lui étaient ainsi dévolues et des responsabilités en découlant, il résulte du contrat de travail et des bulletins de salaire de M. [T] qu'il bénéficiait d'une rémunération de base de 6 998 euros, outre un avantage en nature de 257,50 euros lié au véhicule de fonction dont il disposait, ce qui le plaçait parmi les salaires les plus élevés de la société, sans qu'il ne puisse utilement arguer de son ancienneté pour expliquer cette différence avec d'autres cadres au forfait alors même qu'il résulte des bulletins de salaire produits par la société D2FC qu'il percevait a minima 1 000 euros de plus que d'autres cadres engagés en 2006 ou 2004 et 3 000 euros de plus que M. [B], engagé en 2013,
Il est encore acquis que M. [T] participait aux réunions du Codir, ce qui, sans être déterminant, corrobore sa qualité de cadre dirigeant, sachant qu'il résulte par ailleurs d'un certain nombre de mails qu'il avait autorité pour signer un préfinancement CICE, que le ton utilisé avec M. [I] était très libre et qu'il organisait son travail comme il le souhaitait, ainsi pouvait-il indiquer à M. [I] ne pas être favorable à un travail rapide et souhaiter continuer à faire un travail approfondi comme il l'avait toujours fait, mettant l'ensemble des personnes concernées par cette question en copie de cet échange.
De même, les mails du 20 novembre 2017 relatifs aux rencontres organisées entre MM. [I] et [T] ne démontrent aucunement qu'il ne bénéficiait pas d'une grande indépendance pour gérer son emploi du temps, puisqu'au contraire, ils échangent entre eux sur le moment le plus opportun pour les deux pour organiser des points hebdomadaires.
En outre, M. [T] transmet un certain nombre de mails qui correspondent à de simples interrogations, et à la nécessité entre collaborateurs d'organiser un travail sur des bases communes, ce qui implique, quand bien même ce collaborateur a un statut de cadre dirigeant de pouvoir proposer parfois des méthodes de travail et il convient à cet égard d'observer que M. [I] lui-même sollicite l'avis de collaborateurs pour avoir leur avis sur ses propositions.
Il ne saurait davantage être tiré argument de ce qu'il devait faire valider ses ordres de missions ou de ce qu'il lui était demandé de respecter ses missions, lesquelles comprenaient la transmission de reportings financiers mensuels, le statut de cadre dirigeant n'étant pas exclusif d'un lien de subordination, sachant que lui-même avait des salariés sous sa responsabilité et devaient valider les ordres de mission de trois autres cadres.
Enfin, et s'il est exact qu'il ressort d'un échange de mails de novembre 2017 que M. [T] sollicite l'aval de M. [I] à propos d'une salariée sous sa responsabilité pour la sanctionner et que les réponses de ce dernier s'apparentent davantage à des préconisations impératives qu'à un simple avis, cet échange est néanmoins isolé et fait suite à une demande de M. [T] lui-même, sachant que son manque d'autonomie lui a été reproché à l'occasion de l'entretien d'évaluation lors duquel il lui a été demandé d'améliorer son autonomie et ses prises d'initiatives, avec un mail en novembre 2017 lui rappelant qu'il avait autorité pour prendre un certain nombre de décisions.
Il convient en conséquence de débouter M. [T] de sa demande tendant à voir requalifier ses fonctions de cadre dirigeant en 'cadre au forfait', étant surabondamment relevé que M. [T] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice dès lors que, si les conventions de forfait sont plus encadrées en termes de respect du temps de travail et de compatibilité avec la vie personnelle, elles permettent néanmoins l'accomplissement d'heures au-delà de la durée légale du travail et, en l'occurrence, M. [T] se contente d'invoquer, sans plus d'explications et de pièces, que son temps de travail mensuel dépassait largement celui d'un cadre au forfait.
Aussi, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande 'd'indemnité compensatrice' correspondant à deux mois de salaire brut.
Sur la garantie de l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Rouen
Compte tenu de la nature des sommes allouées, l'AGS CGEA doit sa garantie dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, étant précisé que les créances n'ont été fixées qu'au seul passif de la société D2FC.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la société D2FC aux entiers dépens, y compris ceux de première instance et de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile tant en sa qualité de mandataire liquidateur de la société D2FC qu'en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Daphné holding.
Par ailleurs, s'il convient de la condamner, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société D2FC, à payer à M. [T] la somme de 2 500 euros sur ce même fondement, il y a lieu au contraire de débouter M. [T] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de Mme Pascual en qualité de mandataire liquidateur de la société Daphné holding.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [J] [T] de sa demande de rappel d'ancienneté, de reliquat d'indemnité conventionnelle, de travail dissimulé, de reconnaissance du statut de cadre au forfait et d'indemnité compensatrice ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Fixe au passif de la société D2FC la créance de M. [J] [T] aux sommes suivantes :
rappel de salaire pour la période du 1er au 15 octobre 2017 : 3 627,76 euros
congés payés afférents : 362,78 euros
rappel de rémunération variable : 7 250 euros
Déclare l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Rouen tenue à garantie pour ces sommes dans les termes des articles L. 3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles;
Déboute M. [J] [T] de sa demande subsidiaire à l'égard de la SAS Daphné holding ;
Condamne Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la SAS D2FC, à payer à M. [J] [T] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute M. [J] [T] de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Daphné holding.
Déboute Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la SAS D2FC, de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la SAS Daphné holding, de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme Pascual, en qualité de mandataire liquidateur de la SAS D2FC, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffièreLa présidente