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16/06/2022 | FRANCE | N°19/03806

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 16 juin 2022, 19/03806


N° RG 19/03806 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IJNA





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 16 JUIN 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 03 Septembre 2019





APPELANT :





Monsieur [Z] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



présent



représenté par Me Vincent MESNILDREY de la SCP MESNILDREY LEPRETRE, avocat au barreau

de l'EURE substituée par Me Emmanuelle DUVAL, avocat au barreau de LISIEUX









INTIMEE :





SAS CHECKPORT SECURITE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au ...

N° RG 19/03806 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IJNA

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 16 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 03 Septembre 2019

APPELANT :

Monsieur [Z] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

présent

représenté par Me Vincent MESNILDREY de la SCP MESNILDREY LEPRETRE, avocat au barreau de l'EURE substituée par Me Emmanuelle DUVAL, avocat au barreau de LISIEUX

INTIMEE :

SAS CHECKPORT SECURITE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Emmanuel BOUTTIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Mai 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 10 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 Juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 16 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [Z] [J] a été engagé en qualité d'agent de sécurité par la société Norgest, assurant des missions dans le secteur de la sécurité, aux droits de laquelle vient la SAS Checkport Sécurité, par contrat du 1er juin 2015, affecté sur l'île du Loc'h dans l'archipel des Glénan en Bretagne.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité.

Le 6 janvier 2017, M. [Z] [J] a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Par requête reçue le 2 janvier 2019, M. [Z] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Bernay afin que la rupture de son contrat de travail soit dite aux torts de son employeur, ainsi qu'en paiement d'indemnités et de rappels de salaire.

Par jugement du 3 septembre 2019, le conseil a :

-dit que la requête est recevable car conforme à l'article 58 du code de procédure civile,

-ordonné la jonction de l'assignation sur et aux fins du 12 mars 2019 à la requête enregistrée le 2 janvier 2019,

-dit que M. [Z] [J] est recevable en ses demandes car non prescrites,

-dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest à verser à M. [Z] [J] les sommes suivantes :

indemnité légale de licenciement : 1 162,25 euros net,

indemnité compensatrice de préavis : 2 942,42 euros brut,

congés payés afférents : 294,24 euros brut,

indemnité au titre des 45 jours de congés payés dus et non réglés : 5 296,36 euros brut,

-dit que la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest devra remettre à M. [Z] [J] les documents de fin de contrat rectifiés et notamment une attestation Pôle emploi, un reçu pour solde de tout compte et un bulletin de salaire,

-dit que les condamnations financières porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, débouté M. [Z] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison de circonstances brusques et vexatoires de la rupture,

-débouté M. [Z] [J] de sa demande de rappels de salaires,

-condamné la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest à verser à M. [Z] [J] la somme de 1 915 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-dit que les rémunérations et indemnités mentionnés à l'article R. 1454-14 du code du travail dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire sont de droit exécutoires en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des douze derniers mois de salaires s'élevant à 2 942,42 euros brut,

-ordonné le remboursement par la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest, aux organismes concernés, des indemnités de chômage payées à M. [Z] [J] du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de six mois,

-ordonné l'exécution provisoire du jugement,

-mis les dépens à la charge de la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest.

M. [Z] [J] a interjeté appel le 27 septembre 2019.

Par conclusions remises le 9 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [Z] [J] demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral en raison des circonstances brusques et vexatoires de la rupture, de sa demande de rappels de salaires, et condamné la SAS Checkport Sécurité à lui verser la somme de 1 915 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

-condamner la SAS Checkport Sécurité à lui verser les sommes suivantes :

dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral en raison des circonstances brusques et vexatoires de la rupture du contrat de travail : 8.827,26 euros,

rappels de salaires pour les années de travail 2015 et 2016 : 121 520,38 euros brut,

rappels de congés payés depuis le 1 er juin 2015 : 5 157,60 euros brut,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance : 10 000 euros,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel : 3 600 euros,

-condamner la SAS Checkport Sécurité au paiement des entiers dépens en cause d'appel, débouter la SAS Checkport Sécurité de toute demande plus ample ou contraire, ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt.

Par conclusions remises le 11 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS Checkport Sécurité demande à la cour de :

-annuler le jugement du 3 septembre 2019,

-annuler et infirmer le jugement du 3 septembre 2019 en ce qu'il a dit que M. [Z] [J] est recevable en ses demandes car non prescrites, dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail s'analyse en licenciement de M. [Z] [J] sans cause réelle et sérieuse aux torts exclusifs de l'employeur, l'a condamnée à verser à M. [Z] [J] :

indemnité légale de licenciement : 1 162,25 euros net,

indemnité compensatrice de préavis : 2 942,42 euros brut,

congés payés afférents : 294,24 euros brut,

indemnité au titre des 45 jours de congés payés dus et non réglés : 5 296,36 euros brut,

-dit que la société devra remettre à M. [Z] [J] les documents de fin de contrat rectifiés et notamment une attestation pôle emploi, un reçu pour solde de tout compte et un bulletin de salaire, dit que les condamnations financières porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, condamné la société à verser à M. [Z] [J] la somme de 1 915 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, débouté la société de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dit que les rémunérations et indemnités mentionnés à l'article R. 1454-14 du code du travail dans la limite de 9 mois de salaire calculés sur la moyenne des 3 derniers mois de salaire sont de droit exécutoires en application de l'article R. 1454-28 du code du travail, la moyenne des douze derniers mois de salaires s'élevant à 2 942,42 euros brut, ordonné le remboursement aux organismes concernés, des indemnités de chômage payées à M. [Z] [J] du jour de son licenciement au jour du présent jugement, dans la limite de six mois, ordonné l'exécution provisoire du jugement, mis les dépens à la charge de la SAS Checkport Sécurité venant aux droits de la société Norgest,

Statuant à nouveau,

-déclarer nul l'acte de saisine de M. [Z] [J] en date du 2 janvier 2019 et par conséquent annuler le jugement du 3 septembre 2019,

-dire M. [Z] [J] irrecevable car prescrit en ses demandes tant au titre du contrat de travail, que des droits financiers et enfin du solde de tout compte,

-débouter M. [Z] [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

-condamner M. [Z] [J] à payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens de la première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de la requête introductive d'instance

La SAS Checkport Securité soulève in limine litis la nullité de la requête du 2 janvier 2019 par laquelle M. [Z] [J] a saisi le conseil des prud'hommes de Bernay, laquelle visait la SARL Norgest, société n'ayant plus la personnalité juridique à compter du 10 janvier 2018 en raison d'une opération de dissolution sans liquidation de la société, de sorte que la requête était entachée d'une irrégularité de fond, non susceptible de régularisation, en ce qu'elle a été émise contre une personne dépourvue de la personnalité juridique, peu important que soit intervenue une transmission universelle du patrimoine vers la SAS Checkport Sécurité en raison d'une fusion absorption, la seule alternative consistant en la désignation d'un mandataire ad'hoc au nom de la société dissoute ou l'assignation de la société absorbante.

M. [Z] [J] s'oppose au moyen tiré de la nullité de la requête aux motifs qu'en présence d'une opération de fusion, et d'une dissolution sans liquidation, en application des dispositions de l'article 1844-1 du code civil entraînant une transmission universelle du patrimoine au profit de la SAS Checkport Sécurité et donc la poursuite de la personnalité morale au travers et par l'activité de cette société, la radiation du RCS de la SARL Norgest n'a aucune conséquence sur la validité de la procédure engagée initialement devant le conseil de prud'hommes de Bernay.

Aux termes de l'article 32 du code de procédure civile, est irrecevable tout prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir. Cette situation n'est pas susceptible d'être régularisée lorsque la prétention est émise par ou contre une partie dépourvue de personnalité juridique.

L'article 117 du même code précise que constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte :

- le défaut de capacité d'ester en justice ;

- le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

- le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice.

Il ressort des pièces produites par les parties que M. [Z] [J] a été engagé par la SARL Norgest par contrat conclu le 1er juin 2015.

La SARL Norgest avait pour activité la 'sécurité, surveillance, gardiennage et protection de tous biens meubles ou immeubles'.

Le 6 janvier 2017, M. [Z] [J] a adressé un courrier informant la SARL Norgest de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail en raison de manquements qu'il lui impute.

Le 30 juin 2017, l'ensemble des associés de la SARL Norgest a convenu de la cession de l'intégralité de leurs parts sociales au profit de la SAS Checkport Sécurité, qui, en exécution de cet acte de cession, est devenue l'associée unique de la SARL Norgest.

Préalablement à cette opération de cession, le capital social de la SARL Norgest était réparti de la manière suivante :

- Mme. [R] [E] - 1 part sociale ;

- M. [F] [E] - 1 part sociale ;

- M. [N] [E] - 1 part sociale ;

- SAS Checkport sécurité - 2497 parts sociales.

Les statuts de la SARL Norgest, mis à jour à la suite de l'acte de cession, mentionnent désormais la SAS Checkport Sécurité comme l'associé unique de la SARL Norgest.

Par une résolution d'assemblée générale du 21 novembre 2017, la SAS Checkport Sécurité a décidé la dissolution sans liquidation de la SARL Norgest en exécution des dispositions de l'article 1844-5 du code civil.

Aux termes de l'article 1844-5 alinéa 3 du code civil, en cas de dissolution, celle-ci entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation, les créanciers de la société peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de 30 jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes. La transmission du patrimoine n'est réalisée et il n'y a disparition de la personne morale qu'à l'issue du délai d'opposition ou, le cas échéant, lorsque l'opposition a été rejetée en première instance ou que le remboursement des créances a été effectué ou les garanties constituées.

En l'espèce, la résolution relative à la dissolution de la SARL Norgest a été publiée au journal les Echos le 29 novembre 2017. La transmission universelle du patrimoine a été réalisée le 2 janvier 2018 et une mention relative à la radiation de la SARL Norgest a été portée au registre du commerce et des sociétés le 10 janvier 2018.

Dès lors, en exécution des dispositions de l'article 1844-5 du code civil, la SARL Norgest se trouvait dépourvue de la personnalité morale à la date à laquelle s'opérait la transmission universelle de son patrimoine au profit de la SAS Checkport Sécurité.

Même s'il est acquis que s'agissant d'une société qui a fait l'objet d'une fusion absorption, au regard du droit des sociétés, elle est dissoute sans liquidation et par l'effet de la transmission universelle de son patrimoine à l'absorbante, les droits et obligations de l'absorbée sont transmises à l'absorbante, cet effet est sans incidence sur l'existence ou non de la personnalité juridique de la société absorbée, dès lors que la publicité de l'opération a été régulièrement faite.

Aussi, la requête, reçue le 2 janvier 2019 saisissant le conseil de prud'hommes de Bernay visant la seule SARL Norgest alors que celle-ci n'avait plus la personnalité juridique, peu important que M. [N] [E], ancien gérant de la SARL Norgest soit intervenu volontairement à l'instance, et que M. [Z] [J] ait fait délivrer une assignation le 12 mars 2019, sur et aux fins, à l'encontre de la SAS Checkport Sécurité devant le conseil de prud'hommes, est atteinte d'une nullité de fond, non régularisable.

Aussi, infirmant le jugement déféré, la cour prononce la nullité de la requête introductive d'instance du 2 janvier 2019.

En revanche, l'assignation délivrée le 12 mars 2019 permet de saisir régulièrement la juridiction prud'homale de demandes dirigées à l'encontre de la SAS Checkport Sécurité.

Sur la prescription des demandes

La SAS Checkport Sécurité soulève la prescription des demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail conformément aux dispositions de l'article L.1471-1 du code du travail sans que le salarié ne puisse invoquer un quelconque empêchement pour faire valoir ses droits.

M. [Z] [J] s'oppose au moyen tiré de la prescription aux motifs qu'avant le 30 novembre 2017, date à laquelle le service paie du cabinet d'expertise comptable Tacher Acogex a rendu son rapport, duquel il ressort qu'un rappel de salaire et diverses primes lui seraient dû, il ne pouvait connaître les faits lui permettant d'exercer son action, faute d'avoir disposé d'un contrat de travail écrit.

Selon l'article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

Cet article s'applique aux prescriptions en cours à compter de la date de la promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Si la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure comme le prévoit l'article 2234 du code civil, en l'espèce, l'absence d'un contrat de travail écrit comme l'attente d'un rapport d'un cabinet comptable pour déterminer les droits du salarié au titre de rappels de salaire et primes, ne sont pas des empêchements mettant le salarié dans l'impossibilité d'agir, étant précisé que dès sa prise d'acte du 6 janvier 2017, le salarié évoquait notamment le non paiement de la totalité des heures supplémentaires, ce qui établit qu'il avait connaissance de la problématique à ce titre, le recours à son initiative à la mesure d'investigation n'ayant pour effet que de quantifier les droits éventuellement éludés.

En l'espèce, en considération de la saisine du conseil de prud'hommes par l'assignation du 12 mars 2019 et dès lors que la rupture est intervenue par la prise d'acte du 6 janvier 2017 reçue par l'employeur le 9 janvier 2017, les demandes de M. [Z] [J] au titre tant de l'exécution du contrat de travail que de sa rupture sont prescrites.

Concernant les demandes au titre des salaires, aux termes de l'article L. 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Cette disposition applicable depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 comporte deux mentions relatives au temps :

- la première mention fixe un délai pour agir, c'est-à-dire pour saisir le tribunal,

- la seconde mention n'est pas un délai de prescription mais une limite dans le temps imposée par le législateur à l'assiette de la créance d'arriérés de salaires, celle-ci, bien qu'étant d'une durée égale en valeur absolue, pouvant être circonscrite, selon les cas, à une période différente de la période gouvernant la recevabilité de l'action.

Aussi, conformément à l'application des dispositions de l'article L. 3242-1 et L. 3141-22 du code du travail, le délai de prescription de l'action en rappels de salaires courant à compter de chaque date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, soit pour les salariés payés au mois comme M. [Z] [J], à compter de la date habituelle du paiement des salaires mensuels, toutes les demandes correspondant à un rappel de salaires exigibles antérieur au 12 mars 2016, soit trois ans avant la date de saisine du conseil des prud'hommes, sont prescrites.

Sur l'effet du solde de tout compte

La SAS Checkport Sécurité invoque l'effet libératoire du solde de tout compte à défaut de toute contestation dans le délai de six mois, soit au plus tard le 6 juillet 2017.

Conformément à l'article L.1234-20 du code du travail, le solde de tout compte établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

Le reçu de solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées.

En l'espèce, le reçu de solde de tout compte daté du 9 janvier 2017 mentionne que le salarié reconnaît avoir reçu son bulletin de salaire du 1er au 9 janvier 2017, son certificat de travail et l'attestation destinée à Pôle emploi, sans faire un inventaire de quelconques sommes, de sorte qu'il ne produit aucun effet libératoire quant aux rappels de salaire sollicités.

Sur les demandes non prescrites

I - congés payés dus à la rupture du contrat de travail

M. [Z] [J] sollicite le paiement des congés payés qu'il a acquis à hauteur de 45 jours au 30 novembre 2016, sans que l'employeur ne puisse invoquer qu'il aurait demandé un congé sans solde.

Il résulte de l'examen de son bulletin de salaire de novembre 2016 que M. [Z] [J] avait acquis 30 jours de congés pour l'année N-1 et 15 jours pour l'année en cours.

C'est à la suite de la tentative non aboutie de rupture conventionnelle entre les parties que l'employeur évoque dans un écrit du 28 décembre 2016 son accord pour que le salarié bénéficie d'un congé sans solde du 1er au 31 décembre 2016 inclus, à la suite d'une demande du salarié, ce que celui-ci conteste et ne résulte que de ce document établi par l'employeur.

En décembre 2016, son compte de congés payés a été mis à zéro sans pour autant avoir été rémunéré ce même mois des congés acquis, comme pas davantage au moment de la rupture du contrat de travail .

Dès lors, il reste dû au salarié les 45 jours de congés payés acquis pour un montant non discuté de 5 296,36 euros.

II - heures supplémentaires

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte des articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [Z] [J], engagé en qualité d'agent de sécurité, affecté sur l'île du Loc'h dans l'archipel des Glénan, explique qu'il faisait des cycles de travail de 15 jours par mois sans aucune interruption, en équipe de deux personnes avec un renfort pendant la période estivale, puis bénéficiait d'un temps de repos de quinze jours, qu'il se voyait remettre ses plannings de service sous format papier, voire oralement. Il considère que durant son temps de présence sur l'île, il se trouvait à la disposition permanente de l'employeur 24 heures sur 24, sa présence constante devant être considérée comme du temps effectif de travail, comme pouvant être amené à assurer son travail de sécurité en pleine nuit lors de la survenance d'incidents, et ne pouvant vaquer à aucune obligation personnelle en raison de l'isolement de l'île.

Aussi, il décompte un temps de travail de 168 heures par semaine de sept jours, auquel il ajoute un temps de préparation avant chaque départ sur l'île de quatre heures et un temps de déplacement jusqu'à l'île de sept heures.

A l'appui de ses prétentions, M. [Z] [J] verse au débat des rapports d'activités décrivant l'ensemble des événements survenus à partir de l'ouverture du site entre 6h00 et 8h00 et une fin d'activité entre 20h30 et 3h30, la justification de ses déplacements vers l'île, des plannings de travail, éléments suffisants pour permettre à l'employeur d'y répondre utilement.

La SAS Checkport Sécurité remet en cause les éléments apportés par le salarié et fait valoir que M. [Z] [J] ne se trouvait pas à sa disposition permanente 24 heures sur 24, puisqu'il bénéficiait de période de repos.

Selon l'article L.3121-4 du code du travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif.

Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière. Cette contrepartie est déterminée par convention ou accord collectif de travail, ou, à défaut, par décision unilatérale de l'employeur après consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, s'il en existe. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.

Dès lors, le salarié n'est pas fondé à solliciter le paiement d'heures supplémentaires au titre, tant de la préparation de son déplacement, que du déplacement lui-même pour se rendre sur son lieu de travail.

L'article L.3121-1 du code du travail prévoit que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

Le travail effectif se distingue de l'astreinte définie par l'article L.3121-5 du code du travail qui précise qu'il s'agit d'une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, à l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

Trois conditions doivent être réunies pour que le temps de travail effectif soit constitué :

-le salarié doit être à la disposition de l'employeur, ce qui n'implique pas qu'il exerce en permanence une activité productive .Il suffit que l'employeur puisse à tout moment lui demander d'intervenir,

-le salarié doit se conformer aux directives de l'employeur, ce qui implique que le salarié effectue son travail à la demande explicite ou implicite de l'employeur,

-le salarié ne doit pas pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, ce qui signifie qu'il ne doit pas être délié de toute obligation professionnelle.

Tout le temps passé par le salarié dans les locaux de l'entreprise dans le cadre de ses obligations professionnelles est présumé comme étant du temps de travail effectif.

Dés lors que le salarié est contraint de demeurer sur le site de travail et d'exécuter certaines tâches spécifiques, il participe à l'activité de l'entreprise, ce qui constitue un temps de travail effectif et il est peu important que les permanences s'effectuent à partir d'un local laissé sur le site à la disposition du salarié dont la nature est sans incidence, dés lors que le salarié reste à la disposition immédiate et permanente des besoins de l'entreprise et doit répondre sans délai à ceux-ci.

Il n'est pas discuté que M. [Z] [J] travaillait par cycle de deux semaines, suivies de deux semaines de repos, pour assurer des missions de surveillance sur une île en restant sur place au cours de ses cycles de travail.

S'il était affecté de manière permanente avec un autre salarié, néanmoins l'employeur n'apporte aucun élément pour établir l'organisation du travail entre eux notamment entre l'horaire de fermeture en fin de journée et d'ouverture du site le matin et si les rapports d'activité n'étaient pas rédigés par M. [Z] [J], néanmoins, il n'y est pas précisé l'identité de l'intervenant et il résulte des quelques rapports d'activité produits par le salarié, étant observé que l'employeur n'en justifie pas d'autres qui viendraient contredire l'amplitude des interventions, une irrégularité dans les horaires d'intervention, établissant que les salariés affectés se trouvaient à la disposition permanente de l'employeur pour y faire face.

Aussi, sur ses temps de vacation sur l'île, le salarié se trouvait à la disposition permanente de l'employeur.

Par conséquent, déduction faite des temps de préparation de déplacement et de déplacement, sur la période non prescrite au titre des salaires exigibles à compter de mars 2016 et jusqu'en novembre 2016, déduction faite des heures supplémentaires déjà rémunérées, et après application des majorations dues au titre des heures supplémentaires, pour heures de nuit et pour repos compensateur au delà du contingent annuel et de la récupération pendant deux semaines accordée après un cycle de travail, la cour a la conviction que M. [Z] [J] a accompli des heures supplémentaires non rémunérées et condamne la SAS Checkport Sécurité à lui payer la somme totale de 34 841,79 euros, intégrant l'ensemble des droits résultant de l'accomplissement des heures supplémentaires et les congés payés afférents.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie principalement succombante, la SAS Checkport Sécurité est condamnée aux entiers dépens et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer à M. [Z] [J], qui justifie avoir réglé la somme de 1 080 euros au cabinet comptable ayant fait le décompte des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires en plus de ses frais d'avocat, la somme de 2 000 euros en cause d'appel, en sus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a statué sur le rappel de congés payés acquis, l'indemnité au titre de l'article 700 et les dépens ;

L'infirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau,

Déclare recevable l'exception de nullité relative à la requête introductive d'instance opposée par la SAS Checkport sécurité ;

Annule la requête du 2 janvier 2019 par laquelle M. [Z] [J] a saisi le conseil des prud'hommes ;

Dit prescrites les demandes de M. [Z] [J] au titre de l'exécution du contrat de travail et de la rupture du contrat de travail ;

En conséquence, déclare irrecevables les demandes au titre de la rupture du contrat de travail et de l'exécution du contrat de travail ;

Condamne la SAS Checkport Sécurité à payer à M. [Z] [J] les sommes suivantes :

rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et droits en découlant : 34 841,79 euros

congés payés afférents : 3 484,17 euros

Y ajoutant,

Condamne la SAS Checkport Sécurité à payer à M. [Z] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la SAS Checkport Sécurité de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Condamne la SAS Checkport Sécurité aux entiers dépens de première d'instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03806
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;19.03806 ?
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