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16/06/2022 | FRANCE | N°19/03855

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 16 juin 2022, 19/03855


N° RG 19/03855 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IJQE





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 16 JUIN 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 06 Septembre 2019





APPELANTE :





Madame [Y] [D] épouse [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Carine DESROLLES de la SCP BRULARD - LAFONT - DESROLLES, avocat au barreau de

l'EURE









INTIMEE :





SAS LOPAM

[Adresse 4]

[Localité 2]



représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence BONUTTO-VALLOIS, avocat au barreau de ROUEN...

N° RG 19/03855 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IJQE

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 16 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BERNAY du 06 Septembre 2019

APPELANTE :

Madame [Y] [D] épouse [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Carine DESROLLES de la SCP BRULARD - LAFONT - DESROLLES, avocat au barreau de l'EURE

INTIMEE :

SAS LOPAM

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence BONUTTO-VALLOIS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Mai 2022 sans opposition des parties devant Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 10 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 16 Juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 16 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [Y] [D] épouse [F] a été engagée par la SAS LOPAM qui exploite un magasin hypermarché sous l'enseigne Intermarché en qualité d'employée commerciale par contrat de travail à durée déterminée du 1er mars au 30 juin 2004, puis par contrat de travail à durée indéterminée du 1er juillet 2004.

En dernier lieu, la salariée occupait le poste de responsable frais niveau VI.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Déclarée inapte à son poste le 4 décembre 2017 et après autorisation donnée par l'inspection du travail le 25 avril 2018, compte tenu du statut de salariée protégée, le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été notifié à la salariée le 4 mai 2018.

Par requête du 18 septembre 2018, Mme [Y] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Bernay en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.

Par jugement du 6 septembre 2019, le conseil a :

-donné acte à la SAS LOPAM de ce qu'elle s'est engagée à verser à Mme [Y] [F] les sommes suivantes :

rappel de salaire du 4 mai 2015 au 4 mai 2018 : 1 346,40 euros,

congés payés afférents : 134,64 euros,

rappel au titre du temps de pause : 124,94 euros,

indemnité compensatrice de congés payés : 133,09 euros,

indemnité de licenciement : 7,67 euros,

-dit que si la SAS LOPAM ne respectait pas son engagement, le conseil l'a condamnée à verser les dites sommes,

-condamné la SAS LOPAM à verser à Mme [Y] [F] la somme de 27,58 euros au titre du rappel de salaire lié aux interventions en cas d'astreintes,

-débouté Mme [Y] [F] de toutes ses autres demandes en paiement des heures de délégation, d'une indemnité compensatrice de repos compensateur, de dommages et intérêts pour travail dissimulé, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

-mis les dépens à la charge de la SAS LOPAM.

Mme [Y] [F] a interjeté appel le 3 octobre 2019.

Par conclusions remises le 31 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme [Y] [F] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il lui a alloué les sommes suivantes :

rappel d'indemnité compensatrice de congés payés :133,09 euros,

rappel d'indemnité de licenciement : 7,67 euros,

et condamner la SAS LOPAM à les payer,

-l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, condamner la SAS LOPAM à lui verser les sommes suivantes :

indemnité pour les temps d'astreinte : 48 593,35 euros,

heures de délégation : 9 558 euros,

indemnité compensatrice de repos compensateur : 7 752,60 euros,

dommages et intérêts pour travail dissimulé : 12 .984,18 euros,

dommages et intérêts pour harcèlement moral : 30 000 euros,

rappel de salaire pour la période du 4 mai 2015 au 4 mai 2018 : 2 595,28 euros,

congés payés y afférent : 259,53 euros,

heures de pause : 29,77 euros,

indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,

-ordonner à la SAS LOPAM de lui remettre des bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes aux dispositions de l'arrêt sous astreinte journalière de 75 euros par document à compter du 15ème jour suivant la notification de l'arrêt et condamner la SAS LOPAM aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 11 mars 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la SAS LOPAM demande à la cour de la recevoir en ses écritures d'intimée et la déclarer bien fondée, confirmer le jugement entrepris, débouter Mme [Y] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions, la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux éventuels dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 28 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription des créances salariales

Les parties s'accordent pour admettre que la salariée est recevable à présenter des demandes de rappel de salaire à compter du 4 mai 2015 dès lors que la rupture du contrat de travail est intervenue le 4 mai 2018.

L'article L.3245-1 du code du travail prévoit que l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat de travail.

En l'espèce, Mme [Y] [F] ayant saisi le conseil de prud'hommes le 4 mai 2018, elle peut solliciter des créances salariales exigibles postérieures au 4 mai 2015.

Sur les astreintes

Mme [Y] [F] expose, qu'ayant été promue responsable frais à compter du 4 mars 2013, elle a assuré des astreintes une semaine par mois et deux semaines en juillet et août pour lesquelles elle n'a jamais bénéficié de contrepartie, soit en étant rémunérée, soit en repos, les primes sur objectifs et la prime annuelle qu'elle a perçues n'étant pas destinées à les compenser, précisant qu'elle pouvait également être dérangée lorsqu'elle n'était pas d'astreinte et que ses collègues d'astreinte ne répondaient pas au téléphone, de sorte qu'elle en sollicite la rémunération à compter du 4 mai 2015 sur la base du nombre d'heures d'astreinte réalisées à raison de 24 heures par jour, et 7 jours par semaine dont elle déduit le temps de travail qui lui a été rémunéré,.

La SAS LOPAM s'y oppose en faisant valoir que si Mme [Y] [F] a été soumise à des astreintes à compter du 1er janvier 2015, outre qu'elle n'était pas systématiquement appelée pour gérer les alarmes, les temps d'appel étaient généralement inférieurs à une minute ainsi que cela résulte des récapitulatifs journaliers établis par la société de télésurveillance Artel, de sorte que la salariée ne peut solliciter une indemnisation à hauteur de 4 118 heures de travail effectif, qu'en tout état de cause, elle percevait une prime périodique destinée à rémunérer les managers soumis à astreintes et objectifs, outre une prime annuelle d'environ 2 000 euros bruts.

Pour la période antérieure au 10 août 2016, l'article L.3121-5 du code du travail, une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

L'article L.3121-7 du même code précisait que les astreintes sont mises en place par convention ou accord collectif de travail étendu ou par accord d'entreprise ou d'établissement, qui en fixe le mode d'organisation ainsi que la compensation financière ou sous forme de repos à laquelle elles donnent lieu. A défaut de conclusion d'une convention ou d'un accord, les conditions dans lesquelles les astreintes sont organisées et les compensations financières ou en repos auxquelles elles donnent lieu sont fixées par l'employeur après information et consultation du comité d'entreprise ou, en l'absence de comité d'entreprise, des délégués du personnel s'il en existe, et après information de l'inspecteur du travail.

L'article L.3121-9 du code du travail dans sa version applicable depuis le 10 août 2016 prévoit qu'une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

La période d'astreinte fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Les salariés concernés par des périodes d'astreinte sont informés de leur programmation individuelle dans un délai raisonnable.

Il s'en déduit que, quelque soit la période considérée, il convient de distinguer l'intervention effective au cours d'une période d'astreinte laquelle donne lieu à paiement du temps effectif de travail, de la période au cours de laquelle le salarié est tenu de rester à la disposition permanente de l'employeur afin d'être en mesure d'accomplir un travail au service de l'entreprise.

En l'espèce, il n'est pas discuté que Mme [Y] [F] était d'astreinte, comme elle l'indique, une semaine par mois, voire deux semaines en juillet et août, situation qui se trouve corroborée par l'examen des récapitulatifs journaliers établis par la société de télésurveillance Artel dont il ressort que la salariée a été régulièrement appelée dans le cadre de ses astreintes, de sorte que ses heures d'astreinte doivent donner lieu à contrepartie.

Son avenant la nommant aux fonctions de responsable frais n'apporte aucune précision quant aux conditions des astreintes notamment en terme de contrepartie et il n'est ni invoqué, ni produit un accord sur ces mêmes conditions au sein de l'entreprise.

Sans plus d'éléments le précisant, il ne peut être retenu que les primes sur objectif spécifique ou la prime annuelle avaient pour objet de compenser la sujétion liée aux astreintes.

Lorsque la rémunération de l'astreinte n'est pas définie par des dispositions contractuelles ou conventionnelles, les juges de fond en apprécient souverainement le montant.

En, l'espèce, alors qu'il n'est pas discuté que Mme [Y] [F] a été d'astreinte habituellement une semaine par mois à compter de mai 2015, et deux semaines les mois de juillet et août de chaque année, sauf dès lors qu'elle a été en arrêt de travail à compter du 10 juillet 2017, que la contrepartie d'une astreinte ne peut être assimilée à du temps effectif de travail dès lors que le salarié n'intervient pas effectivement au cours de son astreinte, la cour fixe la contrepartie quotidienne à 50 euros soit 350 euros par mois, sauf juillet et août pour lesquels la contrepartie est fixée à 700 euros.

Aussi, à compter de mai 2015, la cour lui accorde la somme totale de 10 850 euros en contrepartie des astreintes, infirmant ainsi le jugement entrepris.

Sur les heures de délégation

Mme [Y] [F], qui a été membre du comité d'entreprise et déléguée du personnel à compter du 19 septembre 2011, réélue le 19 octobre 2015 et membre du chsct de 2011 à 2015, expose n'avoir jamais pu bénéficier des heures de délégation afférentes à ses mandats, contrainte de les prendre en dehors de ses horaires de travail, rédigeant les comptes rendus à son domicile depuis son ordinateur personnel, de sorte qu'elle sollicite le paiement de 18 heures de délégation par mois, soit 216 heures par an pendant trois ans.

La SAS LOPAM s'y oppose aux motifs que la salariée ne justifie pas ses dires, qu'elle n'a jamais évoqué une difficulté à ce titre au cours de l'exécution du contrat de travail, ni auprès de l'entreprise, ni auprès de l'inspection du travail, que les heures de délégation donnent lieu à paiement que si elles sont effectivement utilisées et lorsqu'elles sont utilisées en dehors du temps de travail, il faut justifier que cette organisation résulte des nécessités du mandat.

L'employeur doit laisser au représentant du personnel titulaire le temps nécessaire à l'exercice de ses fonctions dans la limite du crédit d'heures.

Le crédit d'heures est le nombre maximal pouvant être utilisé chaque mois pour l'exercice du mandat.

Selon l'article L.2143-17 du code du travail, les heures de délégation sont de plein droit considérées comme temps de travail et payées à l'échéance normale.

Il est admis que lorsqu'elles sont prises en dehors du temps de travail en raison des nécessités du mandat, ces heures doivent être payées comme heures supplémentaires.

La SAS LOPAM verse au débat les procès-verbaux de réunion du chsct depuis janvier 2013 établissant la participation régulière de Mme [Y] [F] jusqu'en 2015 sans en être la secrétaire, ainsi que les procès-verbaux de réunion des délégués du personnel et membres du CE dont l'examen permet de relever qu'elle en était régulièrement la secrétaire et donc chargée à ce titre de leur rédaction.

Pour justifier de la nécessité de prendre du temps en dehors de son temps de travail, Mme [Y] [F] verse au débat les attestations de :

-son époux qui relate qu'elle rédigeait ses comptes rendus à leur domicile sur son temps personnel avec son ordinateur et imprimante personnels,

-Mmes [U] [G] et [K] [N], salariées expliquant que Mme [Y] [F] et d'autres membres du CE n'ont jamais pu prendre leurs heures de délégation par manque de personnel et refus de la direction, ce que confirment Mmes [A] [L] et [M] [I] et M. [X] [E] dans des écrits non accompagnés de la copie de leur pièce d'identité.

L'employeur communique les attestations de M. [J] [R], membre du CE et du chsct depuis le 5 octobre 2015 qui explique avoir fait ses démarches pour le CE et le CHSCT sur son temps de travail, sans ne s'être vu opposé de refus et Mme [V] [S], membre du CE depuis le 19 septembre 2011 qui indique n'avoir jamais pris d'heures de délégation en dehors de son temps de travail, avoir effectué ses démarches pour le CE sur son temps de travail, sans que cela ne lui ait jamais été refusé.

Alors que les heures de délégation prises en dehors du temps habituel de travail ne peuvent être payées que si les nécessités du mandat le justifient, que l'allégation selon laquelle la salariée ne pouvait utiliser ses heures de délégation sont contredites par des attestations de représentants du personnel ayant autant de valeur probante que celles versées par la salariée disant le contraire, et pour certaines irrégulières en la forme, Mme [Y] [F] n'établit pas l'impossibilité de rédiger les comptes rendus sur son temps de travail, de sorte qu'elle ne peut prétendre aux heures de délégation qu'elle aurait consacrées à accomplir des tâches relevant de ses mandats en dehors de son temps habituel de travail.

Aussi, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande de rappel de salaire à ce titre.

Sur le repos compensateur

Mme [Y] [F] sollicite une indemnité compensatrice de repos compensateur pour les heures accomplies au delà du contingent annuel d'heures supplémentaires fixé à 220 heures atteint au bout de six mois par cumul des heures de délégation mensuelle effectuées en dehors de ses heures de travail avec ses heures supplémentaires à hauteur de 18,5 heures mensuelles sur une période de trois ans.

Pour les motifs sus développés, il n'est pas retenu d'heures supplémentaires au titre des heures de délégation accomplies en dehors du temps de travail.

La salariée accomplissait 18h57 heures supplémentaires chaque mois, lesquelles ont été rémunérées, de sorte qu'en cumul sur l'année elle accomplissait 222,84 heures supplémentaires, soit 2,84 heures au-delà du contingent annuel non discuté de 220 heures, ouvrant droit à une indemnisation au titre du repos compensateur, sur la base d'un taux horaire de 11,80 euros de 33,51 euros par année, soit un total de 100,53 euros.

La cour infirme le jugement entrepris ayant rejeté cette demande.

Sur le travail dissimulé

Mme [Y] [F] soutenant que l'employeur s'est soustrait intentionnellement au paiement des heures d'astreinte, des heures de délégation, du repos compensateur et à l'obligation de mention des heures de délégation en annexe du bulletin de paie, il s'est rendu coupable du délit de travail dissimulé et sollicite en conséquence une indemnité de 12 984,18 euros.

La SAS LOPAM s'y oppose considérant n'avoir manqué à aucune de ses obligations et en tout état de cause, conteste tout aspect intentionnel.

Il résulte de l'article L. 8221-5 du Code du travail qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Selon l'article L. 8223-1, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

Il résulte des éléments du débat que l'employeur a payé et mentionné sur les bulletins de paie l'ensemble des heures de travail effectif accomplies par la salariée, l'infraction de travail dissimulé n'étant pas constituée lorsque le temps non mentionné correspond à un temps durant lequel le salarié reste à la disposition de l'employeur sans constituer néanmoins du temps effectif de travail comme le sont les astreintes.

De plus, s'agissant du repos compensateur, même à supposer qu'il doive figurer sur le bulletin de paie sous peine de constituer l'élément matériel du travail dissimulé, la modicité du nombre d'heures en cause en l'espèce, en l'absence de toute réclamation de la salariée avant la présente instance, ne permet pas de retenir la caractérisation de l'élément intentionnel.

Aussi, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté cette demande.

Sur le rappel de salaire au titre de la majoration des heures supplémentaires

Mme [Y] [F] soutient que la SAS LOPAM n'a pas respecté la majoration due pour les heures supplémentaires et que son taux horaire était inférieur au taux conventionnel pour son poste de responsable frais niveau VI, de sorte qu'il lui est dû un rappel de salaire depuis mai 2015 d'un montant total de 3 941,68 euros selon décompte précis établi et non contesté par l'employeur.

Néanmoins, la SAS LOPAM sollicite la compensation avec la somme totale de 2 595,28 euros au titre d'un indu, estimant que la salariée ne peut prétendre au paiement des heures supplémentaires lorsque son contrat de travail est suspendu à compter du 10 juillet 2017.

Toutefois, cet argument est inopérant dès lors que les heures supplémentaires ont été contractuellement fixées, de sorte que la suspension du contrat de travail est sans incidence sur ces heures supplémentaires intégrées à la rémunération de base de la salariée.

Aussi, par arrêt infirmatif, après déduction de la somme de 1 346,40 euros versée en exécution du jugement déféré, la cour condamne la SAS LOPAM à payer à Mme [Y] [F] la somme de 2 595,28 euros et les congés payés afférents.

Sur le rappel au titre des heures de pause

Mme [Y] [F] sollicite un reliquat au titre des heures de pause à hauteur de 29,77 euros en considération du salaire minimum conventionnel dû à compter du 1er juillet 2015 et de son évolution, avantage qui doit continuer à être versé au cours des périodes pendant lesquels le salarié est en arrêt maladie comme n'étant pas lié à l'exécution d'une tâche particulière.

L'employeur reconnaît être redevable à ce titre de la somme de 124,94 euros qu'elle a réglée comme l'admet la salariée dans ses écritures, considérant que le surplus n'est pas dû dès lors que le contrat de travail est suspendu.

Dès lors que la rémunération des heures de pause est contractuellement fixée et qu'elle est incluse dans le salaire de référence servant au calcul de la rémunération brute à maintenir en cas de suspension du contrat de travail, il n'y a pas lieu de soustraire des demandes de la salariée le rappel de salaire sollicité à ce titre pour la période au cours de laquelle son contrat de travail a été suspendu en raison de son arrêt maladie.

Aussi, par arrêt infirmatif, la cour condamne la SAS LOPAM à payer à Mme [Y] [F] la somme de 29,77 euros à ce titre.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [Y] [F] soutient qu'elle a été victime de multiples brimades, remarques vexatoires de la part de son employeur, lequel l'a contrainte à mettre en oeuvre une procédure de rupture conventionnelle qui n'a pu aboutir suite au refus de l'inspectrice du travail qui avait constaté des irrégularités, que jusqu'au 31 juillet 2015, elle a réalisé des heures supplémentaires sans majoration, qu'alors qu'elle avait été promue responsable frais niveau VI à compter du 4 mars 2013, elle a été rétrogradée à compter du 1er août 2015 au niveau V, qu'elle ne pouvait disposer de ses heures de délégation sur son temps de travail et n'a pas été payée des heures accomplies en dehors de son temps de travail, que ses difficultés se sont accrues dès lors qu'elle a présenté des difficultés de santé à compter de mars 2017, étant alors insultée de fainéante par le PDG, M. [W], et objet de remarques et brimades, employeur qui alors voulait mettre un terme au contrat de travail par le biais d'une rupture conventionnelle, ce qui l'a conduite à être en arrêt maladie à compter du 10 juillet 2017 et à se maintenir en arrêt de travail en raison des pressions subies avant la déclaration d'inaptitude du 4 décembre 2017 faisant obstacle à tout reclassement dans l'entreprise, puis à son licenciement pour inaptitude.

La SAS LOPAM s'y oppose aux motifs que Mme [Y] [F] n'apporte pas d'éléments de nature à établir une présomption de harcèlement moral, que la procédure de rupture conventionnelle constitue un mode de rupture classique concernant laquelle la salariée n'a émis aucune réserve et a donné lieu à un accord sur l'indemnité de rupture, le refus d'homologation ne mettant en exergue aucun manquement de l'employeur, que la procédure de licenciement est régulière et a été autorisée, faisant remarquer que la salariée qui était membre de la DUP et du chsct n'a jamais alerté quiconque, que la première procédure de licenciement n'a pas abouti en raison uniquement de l'absence de qualité pour agir du signataire de la demande d'autorisation, que la rétrogradation invoquée résulte d'une erreur de saisie informatique sans incidence sur l'emploi, le statut et la rémunération de la salariée, l'altération de l'état de santé de la salariée résultant d'une cause extérieure non imputable à la société en lien avec un diabète ayant nécessité de porter une pompe à insuline.

La salariée n'apporte aucun élément au soutien de son allégation selon laquelle elle a subi des brimades et injures dès lors qu'elle a présenté des difficultés de santé en mars 2017 et pour les motifs sus développés, Mme [Y] [F] n'a pas été contrainte d'utiliser ses heures de délégation en dehors de son temps de travail.

S'il résulte des bulletins de paie qu'à compter d'août 2015, est mentionné le niveau 5 au lieu du niveau 6 avec baisse corrélative de son taux horaire, néanmoins, la réalité de son poste et de ses responsabilités n'a pas connu de modification, de sorte que cette situation résultait d'une erreur de saisie informatique à un moment où l'employeur a changé de logiciel de paie comme cela se déduit de la modification de présentation des bulletins de paie à la même date, erreur qui n'a pas été signalée avant l'engagement de la présente procédure. Ainsi, si cette situation a eu une incidence sur la rémunération de la salariée, néanmoins, les faits matériellement présentés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Concernant la procédure de rupture conventionnelle, les circonstances relatives à son initiative ne sont pas formellement établies, la salariée versant au débat un courrier écrit de sa main le 8 juillet 2017 sollicitant une telle procédure, alors qu'elle en impute l'initiative à l'employeur.

Si plusieurs convocations ont été nécessaires les 21, 24 juillet et 8 août 2017, c'est en raison de la discussion entre les parties pour la détermination de l'indemnité spécifique de rupture, ayant abouti à l'élaboration d'un protocole de rupture conventionnelle d'un salarié protégé qui a été soumis à l'inspection du travail, laquelle a organisé une enquête contradictoire à l'issue de laquelle la rupture conventionnelle du contrat de travail a été refusée aux motifs que :

-la garantie de liberté de consentement des parties n'a pas été respectée en ce que lors de l'entretien du 28 juillet 2017 Mme [Y] [F] s'est présentée seule alors que l'employer était représenté par M. [O] superviseur, assisté de la comptable, Mme [P] au mépris des dispositions de l'article L.1237-12 du code du travail,

-la consultation du comité d'entreprise du 8 août 2017 avait été suivie d'un vote à main levée, ce qui ne garantissait pas la liberté de consentement des parties,

-la négociation a été engagée et menée pendant une période d'arrêt de travail de Mme [Y] [F] et il existe un doute quant au libre consentement de la salariée.

La cour observe que l'arrêt de travail du 10 juillet 2017 n'est pas produit au débat, ce qui ne permet pas d'établir un lien avec la procédure de rupture conventionnelle débutée le 8 juillet.

Il n'est pas caractérisé un acharnement anormal de l'employeur dans le cadre de la mise en oeuvre de cette procédure quand bien même les discussions ont eu lieu alors que la salariée était en arrêt de travail pour un motif non connu de la cour, les entretiens pour y parvenir pouvant être multiples au regard des négociations relatives aux conséquences financières de la rupture.

Sur la procédure de licenciement, en suite de l'avis d'inaptitude émis le 4 décembre 2017, le 15 décembre 2017, Mme [Y] [F] a été convoquée en entretien préalable au licenciement pour le 28 décembre 2017 et la consultation du CE était fixée au 29 décembre 2017.

Aux termes de son enquête contradictoire relative à la demande d'autorisation de licenciement, l'autorisation a été refusée en raison du défaut de qualité du signataire de la demande d'autorisation la rendant irrecevable, de sorte que face à un avis d'inaptitude, l'employeur n'avait d'autre choix que d'initier une nouvelle procédure de licenciement cette fois régulière et qui a abouti à la rupture du contrat de travail, laquelle n'a pas été contestée par la salariée.

S'agissant de l'état de santé de la salariée, il est établi que Mme [Y] [F] a été hospitalisée le 20 mars 2017 afin qu'il soit procédé à la pose d'une pompe à insuline.

Le 30 octobre 2017, son médecin traitant, Mme [H] [B] a attesté que son état de santé la rendait inapte à reprendre le travail à cause d'une dépression de plus en plus forte débutée fin août aggravée dans le contexte de la maladie de son fils et du harcèlement physique à son travail. Il est également produit une prescription de somnifère du 1er décembre 2017 alors qu'elle est en arrêt de travail depuis plusieurs mois.

Selon l'avis émis le 4 décembre 2017, le médecin du travail a déclaré Mme [Y] [F] inapte à la reprise de son poste d'agent de maîtrise rayon frais, étant précisé que son état de santé fait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise.

Il ne se déduit pas de ces éléments médicaux que l'état de santé ayant conduit à l'inaptitude de Mme [Y] [F] trouve sa cause, même partiellement dans ses conditions dégradées de travail, les déclarations du médecin traitant quant à un harcèlement physique au travail ne pouvant résulter de ses propres constatations et n'étant corroborées par aucun autre élément.

Aussi, au vu de l'ensemble de ces éléments, outre qu'il n'est pas présenté la matérialité d'éléments précis et concordants qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, en tout état de cause, les éléments présentés sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Ainsi, la cour confirme le jugement entrepris ayant rejeté la demande au titre du harcèlement moral.

Sur les autres points

Les dispositions du jugement déféré relatives au rappel de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement non remises en cause par les parties sont confirmées.

La SAS LOPAM est condamnée à remettre à Mme [Y] [F] un bulletin de paie récapitulatif des sommes salariales dues et les documents de fin de contrat rectifiés, sans que les circonstances exigent d'y adjoindre une astreinte.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie partiellement succombante, la SAS LOPAM est condamnée aux entiers dépens, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à Mme [Y] [F] la somme de 3 000 euros en cause d'appel pour les frais générés par l'instance et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes de rappel de salaire au titre des heures de délégation, du travail dissimulé, de dommages et intérêts pour harcèlement moral, a statué sur au rappel de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement ;

L'infirme en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS LOPAM à payer à Mme [Y] [F] les sommes suivantes :

contrepartie des astreintes : 10 850,00 euros

repos compensateur : 100,53 euros

rappel de salaire au titre du salaire

conventionnel et des majorations pour heures

supplémentaires : 2 595,28 euros

congés payés afférents : 259,52 euros

rappel au titre des temps de pause : 29,77 euros

Ordonne la remise par la SAS LOPAM à Mme [Y] [F] d'un bulletin de paie récapitulatif des sommes salariales dues et les documents de fin de contrat rectifiés ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamne la SAS LOPAM à payer à Mme [Y] [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Déboute la SAS LOPAM de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel ;

Condamne la SAS LOPAM aux entiers dépens de première d'instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03855
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;19.03855 ?
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