La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/2022 | FRANCE | N°19/04707

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 29 juin 2022, 19/04707


N° RG 19/04707 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILGV





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE





ARRET DU 29 JUIN 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :



Jugement du TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DU HAVRE du 04 Novembre 2019





APPELANT :



Monsieur [P] [W]

[Adresse 5]

[Localité 4]



représenté par Me Stanislas MOREL, avocat au barreau du HAVRE







INTIM

EES :



Société [6]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Jean-Jacques FOURNIER, avocat au barreau de LYON





CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU HAVRE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 2]



représentée par Me Vince...

N° RG 19/04707 - N° Portalis DBV2-V-B7D-ILGV

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 29 JUIN 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DU HAVRE du 04 Novembre 2019

APPELANT :

Monsieur [P] [W]

[Adresse 5]

[Localité 4]

représenté par Me Stanislas MOREL, avocat au barreau du HAVRE

INTIMEES :

Société [6]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Jean-Jacques FOURNIER, avocat au barreau de LYON

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU HAVRE

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 2]

représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 10 Mai 2022 sans opposition des parties devant Monsieur POUPET, Président, magistrat chargé d'instruire l'affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur POUPET, Président

Madame ROGER-MINNE, Conseillère

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Patrick Cabrelli

DEBATS :

A l'audience publique du 10 Mai 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 29 Juin 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 29 Juin 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Monsieur POUPET, Président et par M. CABRELLI, Greffier.

* * *

La société [6] a déclaré le 16 février 2016 à la caisse primaire d'assurance maladie du Havre, à la demande de M. [P] [W], son salarié, un accident du travail dont celui-ci disait avoir été victime le 16 octobre 2015 et a joint à sa déclaration un courrier de M. [W] avec un certificat médical initial du 4 janvier 2016 faisant état d'un «'état dépressif caractérisé d'intensité moyenne et réactionnel à un conflit avec une partie de ses collègues et son employeur de nature (...illisible) de crises d'angoisse presque quotidiennes'».

La caisse a refusé de prendre en charge l'accident déclaré au titre de la législation relative aux risques professionnels par une décision notifiée à l'intéressé le 1er juillet 2016 et confirmée le 6 mars 2017 par sa commission de recours amiable.

M. [W], ayant relevé appel d'un jugement du 4 novembre 2019 par lequel le tribunal de grande instance du Havre a rejeté son recours contre la décision de cette commission, demande à la cour, par des conclusions (n° 4) du 2 mai 2022, soutenues lors de l'audience :

- d'infirmer ce jugement ainsi que les décisions de rejet de la caisse et de la commission de recours amiable,

- de juger qu'il a été victime d'un accident du travail le 16 octobre 2015,

- de condamner la caisse «'à l'indemniser à hauteur de ce qui lui est dû compte tenu de la requalification de sa maladie en accident du travail'»,

- de la condamner également aux dépens et à lui payer 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

La caisse, par conclusions remises le 28 janvier 2022 et développées oralement lors de l'audience, soulève la péremption de l'instance et sollicite à titre subsidiaire la confirmation du jugement.

Par conclusions remises le 4 février 2022 et reprises oralement lors de l'audience, la [6], partie intervenante devant les premiers juges, soulève également la péremption de l'instance et demande subsidiairement la confirmation du jugement ainsi que la condamnation de l'appelant à lui verser 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la péremption alléguée de l'instance

Aux termes de l'article 2 du code de procédure civile, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent ; il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.

L'article 386 du même code dispose que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.

Il est constant que constitue une telle diligence toute action manifestant la volonté des parties de poursuivre l'instance et de faire avancer le procès.

Si en procédure orale, les parties n'ont pas l'obligation de conclure, il leur appartient à tout le moins de manifester leur intention de poursuivre l'instance, avant l'expiration du délai de péremption, en demandant la fixation de l'affaire à une audience.

En l'espèce, l'appel est du 4 décembre 2019 et les parties ont été convoquées à une audience par courrier du 28 juillet 2021, de sorte qu'il ne peut être reproché à M.'[W] de n'avoir pas effectué dans le délai de deux ans la seule diligence qui s'imposait à lui ; la péremption n'est pas acquise.

Sur le fond

Il résulte des dispositions de l'article L 411-1 du code de la sécurité sociale que l'accident du travail consiste en un fait précis qui, survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail, est à l'origine d'une lésion corporelle ou psychologique ; qu'un fait accidentel survenu sans conteste dans ces conditions bénéficie d'une présomption d'imputabilité au travail.

Mais il appartient, le cas échéant, à la victime d'établir, autrement que par ses propres affirmations, la matérialité de l'accident et sa survenue au lieu et au temps du travail.

M. [W] expose que lors d'une réunion extraordinaire du comité d'entreprise qui s'est tenue le 16 octobre 2015 en vertu d'une décision prise le 24 septembre précédent, et à l'ordre du jour de laquelle figurait sa révocation de ses fonctions de trésorier dudit comité, il s'est trouvé confronté à un flot d'accusations fantaisistes et infondées, présentées avec agressivité, sans avoir été mis en mesure de préparer sa défense, faute de communication des documents invoqués, que sa révocation est ainsi intervenue dans des conditions anormales, de manière injuste, soudaine et brutale, qu'il s'en est trouvé en état de choc, qu'il a, à compter de ce jour, développé les symptômes d'une névrose post-traumatique (troubles du sommeil, gastrite et spasmes intestinaux, palpitations, boule 'sophagienne, insomnie, cauchemars, etc.) ainsi que des troubles musculo-squelettiques ; que ce choc du 16 octobre 2015 constitue bien un accident du travail.

La CPAM fait valoir que la déclaration tardive de l'accident allégué, quatre mois après celui-ci, et le caractère également tardif du certificat médical initial, établi près de trois mois après, font perdre à M. [W] le bénéfice de la présomption d'imputabilité'; qu'il ressort de l'instruction du dossier que ce dernier imputait en réalité lui-même le syndrome dépressif dont il souffrait à plusieurs événements, qu'il était en conflit, de par son comportement, avec de nombreux membres du comité d'entreprise et de son organisation syndicale depuis plusieurs mois avant la réunion du 16 octobre 2015 ; que ladite réunion a donné lieu à sa révocation par 8 voix sur 10 sans échanges virulents et que cet événement, normal dans le cadre du fonctionnement du comité d'entreprise, ne saurait constituer un accident du travail.

La [6] fait valoir pour sa part que la dégradation de l'état psychique d'un salarié constitue en principe une maladie, qui peut éventuellement être reconnue comme professionnelle, et qu'elle ne peut constituer, par exception, un accident du travail qu'en cas de malaise d'origine psychique survenu sur le lieu de travail et pendant le temps de celui-ci ou en présence d'un syndrome dépressif réactionnel se situant dans la continuité immédiate d'un fait précis et suffisamment grave survenu sur le lieu et pendant le temps du travail ; que M. [W] ne se trouve dans aucune de ces situations dès lors qu'il n'a pas eu de malaise ni fait l'objet d'une agression sur son lieu de travail le 16 octobre 2015, que les problèmes de santé qu'il attribue à l'accident allégué ne sont pas apparus dans la continuité de celui-ci mais ont été constatés plusieurs semaines après et que la dégradation de son état de santé est davantage la conséquence d'une situation conflictuelle prolongée.

M. [W] verse aux débats les attestations de plusieurs personnes ayant participé à la réunion du 16 octobre 2015 et qui le présentent comme très affecté lors de celle-ci. M.'[X]'[K] évoque une attaque en règle, un lot d'accusations et de reproches et indique que M.'[W] n'intervenait plus, semblait prostré, résigné devant une débauche d'hostilités, qu'il a quitté la séance sans un mot en esquivant tout contact et montrait un visage stressé, inquiet et très marqué par ce qu'il venait de subir. M. [V] le décrit comme profondément affecté par les accusations portées contre lui au point de cesser d'intervenir et de rester prostré, puis quittant la salle sans un mot, visiblement inquiet, stressé et marqué par ce qu'il venait de vivre. Mme [L] [G] emploie des termes similaires. M. [O] décrit un déferlement de reproches et d'accusations, un règlement de comptes organisé et un M.'[W] surpris et affecté par la violence des propos dont il faisait l'objet. M. [D] déclare qu'il est allé à la rencontre de M. [W] au sortir de la réunion et l'a trouvé particulièrement affecté, livide 'KO debout' suite à ce qui venait de se passer, qu'il l'a accompagné à l'extérieur pour prendre l'air puis jusqu'à son véhicule car il avait besoin de s'allonger. L'épouse de l'intéressé mentionne une grande souffrance chez son mari avec de nombreux symptômes physiques et psychologiques ayant lourdement impacté leur vie familiale à la suite de la révocation de son poste le 16 octobre 2015.

Pourtant, le procès-verbal de cette réunion, sur la rédaction duquel l'appelant ne formule aucune observation, mentionne une discussion, en ouverture de séance, sur la régularité de l'inscription à l'ordre du jour de la révocation du trésorier et l'opportunité de son maintien puis, ce maintien ayant été décidé, un vote ayant abouti à la révocation de M.'[W] mais ne fait pas état d'un débat sur les raisons pour lesquelles cette décision était envisagée, de griefs formulés à l'encontre de ce dernier ni d'une quelconque agressivité à son égard.

Il semble ressortir des pièces versées aux débats et de la synthèse de son enquête rédigée par l'agent enquêteur de la caisse que cette réunion s'est effectivement déroulée sans éclats de voix ni invectives et que les griefs faits à M. [W] ont été en réalité formulés lors de la réunion du 24 septembre 2015 à l'issue de laquelle a été décidée la réunion extraordinaire du 16 octobre en vue de voter sur sa révocation.

Cette considération n'est pas suffisante pour exclure l'hypothèse d'un accident du travail car il n'est pas nécessaire qu'une réunion, un rendez-vous, un échange, un fait, ait été violent ou «'anormal'» pour causer un malaise, une lésion, en particulier une lésion psychologique.

Mais il ressort des explications de M. [W] lui-même que dès le mois de juin 2015, un différend l'a opposé à plusieurs membres du comité d'entreprise après qu'il eut refusé de passer certaines écritures comptables, qui ont été passées ensuite par d'autres pendant ses congés, et que cette situation a dégénéré en conflit. La réunion du 24 septembre 2015 apparaît comme étant celle qui a cristallisé ce conflit et donné lieu à des échanges «'musclés'», où tout s'est joué, et le 16 octobre comme une réunion d'entérinement. S'il a fait l'objet d'un arrêt de travail de droit commun de neuf jours le 9 novembre 2016, soit plus de trois semaines après la réunion litigieuse du 16 octobre, pour «'patho aiguë'» et d'un autre le 28 décembre 2015 pour «'sd dépressif, épicondylite coude dt'», le certificat médical initial «'accident du travail'», qui vise d'ailleurs un état dépressif réactionnel à un conflit avec une partie de ses collègues et non un fait précis, n'a été établi que le 4 janvier 2016. Et la déclaration d'accident du travail n'est intervenue, à sa demande, que le 16 février suivant. Enfin, M. [W] se plaît à écrire (par exemple page 11 de ses conclusions) que les problèmes psychologiques qu'il a rencontrés ont bien été causés «'par le fait du travail'». Dans ces conditions, si un lien entre son état de santé et le travail est indéniable, l'imputabilité de l'état de santé constaté le 4 janvier 2016 spécifiquement à la réunion du 16 octobre 2015, nonobstant la description d'une forte émotion ressentie par lui ce jour-là, ne peut être tenue pour acquise et c'est à bon droit qu'a été exclue la qualification d'accident du travail.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement.

Il appartient à l'appelant, partie perdante, de supporter la charge des dépens.

L'équité ne commande pas de faire application en l'espèce de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

rejette l'exception de péremption de l'instance,

confirme le jugement entrepris,

déboute M. [P] [W] et la [6] de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,

condamne M. [W] aux dépens.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/04707
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;19.04707 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award