La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/10/2022 | FRANCE | N°19/03539

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 octobre 2022, 19/03539


N° RG 19/03539 - N° Portalis DBV2-V-B7D-II3Q





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 09 Août 2019





APPELANTE :





S.A.S. FRAZZI

[Adresse 1]

[Localité 3]



représentée par Me Franck GOMOND de la SELARL GOMOND AVOCATS D'AFFAIRES, avocat au barreau de ROUEN substituée

par Me Pierre MORTIER, avocat au barreau de ROUEN









INTIME :





Monsieur [L] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]



représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON CELINE BART AVOCATS ASSO...

N° RG 19/03539 - N° Portalis DBV2-V-B7D-II3Q

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 09 Août 2019

APPELANTE :

S.A.S. FRAZZI

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Franck GOMOND de la SELARL GOMOND AVOCATS D'AFFAIRES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pierre MORTIER, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [L] [I]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON CELINE BART AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Valentina PORCILE, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 07 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame DUPONT, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 07 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCEDURE

M. [L] [I] a été engagé par la société par actions simplifiée (SAS) Frazzi en qualité de magasinier cariste, niveau 2 échelon A, coefficient 170, à compter du 6 septembre 2004, suivant contrat à durée indéterminée, moyennant un salaire brut moyen mensuel qui était en dernier lieu de 1535,96 euros.

 

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du négoce des matériaux de construction.

 

La société Frazzi employait habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

 

M. [I] a fait l'objet de plusieurs avertissements les 22 février 2011, 9 juillet 2015 et 3 juillet 2017.

 

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 octobre 2017, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 7 novembre 2017 et par lettre du 15 novembre 2017, adressée sous la même forme, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse.

 

Contestant son licenciement et estimant ne pas avoir été rempli de ses droits, M. [I] a saisi la juridiction prud'homale, afin d'obtenir diverses sommes tant en exécution qu'au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement rendu le 9 août 2019, le conseil de prud'hommes du Havre, en sa formation de départage, a :

- dit que la société Frazzi a violé les dispositions conventionnelles applicables en matière de salaire,

En conséquence,

-condamné la société Frazzi à verser à M. [I] la somme de 2 156,34 euros à titre de rappel de salaire pour les trois dernières années de travail, soit du 17 janvier 2015 au 16 janvier 2018, outre 215,63 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

-dit que la société Frazzi n'a pas eu un comportement constitutif de harcèlement moral à l'égard de M. [I],

-rejeté la demande de dommages et intérêts pour le préjudice moral et professionnel et la dégradation des conditions de travail et de l'état de santé subis du fait du harcèlement moral et d'une violation de l'obligation de sécurité de résultat,

-dit que le licenciement de M. [L] [I] n'est pas nul,

-rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- dit que le licenciement de M. [L] [I] est dénué de cause réelle et sérieuse,

-condamné la société Frazzi à verser à M. [L] [I] la somme de 8857,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,

-dit n'y avoir lieu à ordonner à la société Frazzi de communiquer les bilans des deux dernières années précédant le licenciement de M. [I] (bilan au 31 décembre 2016 et au 31 décembre 2017) et son registre du personnel complet,

-dit que la société Frazzi devra remettre à M. [I] un bulletin de salaire rectifié, un certificat de travail rectifié conformes au jugement, sous astreinte de 5 euros par jour de retard et par document, passé le délai de deux mois suivant la signification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

-condamné la société Frazzi à payer à M. [I] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté la société Frazzi de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société FRAZZ1 aux dépens de l'instance,

-fixé en application de l'article R. 1454-28 du code du travail la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [I] a la somme de 2214,46 euros,

-condamné en application de l'article L. 1235-4 du code du travail la société Frazzi à rembourser aux organismes intéressés les indemnités chômage versées à M. [I] dans la limite de trois mois d'indemnités,

-dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire pour les sommes pour laquelle elle n'est pas de droit.

 

La société Frazzi a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas critiquées.

 

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

 

Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 1er juillet 2022, la société Frazzi, appelante, demande à la cour de voir :

-infirmer le jugement rendu le 9 août 2019 par le conseil de prud'hommes du Havre en ce qu'il a :

1. dit que la société Frazzi a violé les dispositions applicables en matière de salaire et en conséquence condamné cette dernière à verser à M. [I] la somme de 2 156,34 euros à titre de rappel de salaires outre 215,63 euros au titre des congés payés afférents avec intérêts au taux légal à compter de la demande,

2. dit que le licenciement de M. [I] est dénué de cause réelle et sérieuse et en conséquence condamné la société Frazzi à verser à M.  [I] la somme de 8 857,84 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,

3. dit que la société Frazzi devra remettre à M. [I] un bulletin de salaire rectifié, un certificat de travail rectifié conforme au présent jugement sous astreinte de 5 euros par jour de retard et par document, passé le délai de deux mois suivant la signification du jugement,

4.condamné la société Frazzi à payer à M. [I] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

5. condamné la société Frazzi aux entiers dépens de la présente instance,

6. fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [I] à 2 214,46 euros,

7. condamné la société Frazzi à rembourser aux organismes intéressés les indemnités chômage versées à M. [I] dans la limite de trois mois d'indemnité,

-confirmer le jugement rendu le 9 août 2019 par le conseil de Prud'hommes du Havre en ce qu'il a :

8. dit que la société Frazzi n'a pas eu un comportement constitutif d'un harcèlement moral à l'égard de M. [I],

9. rejeté la demande de dommages et intérêts pour le préjudice moral et professionnel et la dégradation des conditions de travail et de l'état de santé subit du fait du harcèlement moral et d'une violation de l'obligation de sécurité et de résultat,

10. dit que le licenciement de M. [I] n'est pas nul,

11. rejeté la demande de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Statuant à nouveau, y ajoutant :

- débouter M. [I] de l'intégralité de ses demandes,

-condamner M. [I] à verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Aux termes de ses dernières écritures transmises par la voie électronique le 24 juin 2022, M. [I], intimé, demande à la cour de :

Sur les rappels de salaire

'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société Frazzi a violé les dispositions conventionnelles applicables en matière de salaire et donc condamné la société Frazzi à lui verser la somme de 2 156,34 euros à titre de rappel de salaire pour les trois dernières années de travail, soit du 16 janvier 2015 au 15 janvier 2018, outre 215,63 euros à titre de congés payés afférents.

Sur les dommages et intérêts pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité, 

'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société Frazzi n'a pas eu un comportement constitutif de harcèlement moral et qu'elle n'a pas manqué à son obligation de « sécurité de résultat »,

'le réformant, dire et juger que le comportement de la société Frazzi  est constitutif harcèlement moral et constater qu'elle a également méconnu son obligation de « sécurité de résultat » en matière de santé et sécurité. 

Statuant à nouveau,

-condamner la société Frazzi à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral et professionnel subi du fait de harcèlement moral et du manquement de son employeur à l'obligation de sécurité de résultat.

Sur le licenciement,

à titre principal,

-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande de nullité de son licenciement et statuant à nouveau, condamner la société Frazzi à lui verser la somme de 40 633,20 euros (18 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

à titre subsidiaire,

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,

statuant à nouveau sur le quantum,

-condamner la société Frazzi à lui payer la somme de 25 960,10 euros (11 mois et demi de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,

'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à ordonner à la société Frazzi de communiquer les bilans des deux dernières années précédant le licenciement de « MM. [I] et [W] » (à savoir les bilans au 31/12/2016 et au 31/12/2017)

Statuant à nouveau, la Cour ordonnera la communication de ces deux pièces essentielles pour la parfaite connaissance du litige,

'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Frazzi aux entiers dépens sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile,

'confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Frazzi à l'indemniser de ses frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civil mais statuant à nouveau sur le quantum, condamner la société Frazzi à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 juillet 2022.

 

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

1 - Sur la demande de revalorisation de la classification conventionnelle

 

Au soutien de ses prétentions, M. [I] fait valoir qu'il n'a connu aucune évolution au titre de la classification conventionnelle pendant près de treize ans et demi de carrière, alors qu'il a fait preuve d'une bonne maîtrise de ses fonctions et d'une certaine autonomie, ainsi que cela résulte des attestations rédigées par plusieurs clients fidèles et d'anciens salariés,

qu'il aurait dû bénéficier du niveau III, coefficient 210, à tout le moins sur les dernières années travaillées de 2015 à 2017.

 

La société Frazzi réplique que le salarié a toujours été positionné au niveau II, coefficient 170, de 2015 à 2017, et ne peut donc se prévaloir des salaires conventionnels correspondant au niveau III,

que son salaire se fixait à 1 535,96 euros de 2015 jusqu'à son licenciement, de sorte qu'il était supérieur au salaire de base minimum prévu par la convention collective,

que la classification d'un salarié ne peut être revue sur la simple production de témoignages de clients ou d'attestations peu objectives d'anciens salariés en litige avec l'employeur, alors que les pièces qu'elle verse aux débats tendent à démontrer le contraire,

que l'employeur n'a aucune obligation de faire évoluer un salarié qui, du reste, n'en manifeste pas le souhait,

que M. [I] ne justifie pas en outre avoir exercé les fonctions relatives au niveau III.

 

M. [I] a été engagé par la société Frazzi en qualité de magasinier cariste, niveau 2 échelon A, coefficient 170, à compter du 6 septembre 2004 et estime pouvoir prétendre au niveau III, coefficient 210. Il invoque les dispositions de l'article 2, 4, 3, 1, de la convention collective du négoce des matériaux de construction définissant le niveau III comme suit : « A partir d'instructions précises et détaillées sur le mode opératoire et connaissance prise des objectifs à atteindre, exécution d'activités variées, complexes qui supposent la maîtrise technique des travaux confiés. Les travaux exécutés s'accomplissent avec une certaine autonomie et impliquent la supervision, la coordination de collègues (sous l'autorité et la responsabilité d'un agent de maîtrise ou d'un cadre) et des responsabilités simples ».

 

A l'examen des pièces du dossier, il apparaît ainsi que justement relevé par les premiers juges qu'en plus de treize ans de carrière, la classification du salarié n'a pas évolué, que si son salaire se fixait en outre à 1 535,96 euros entre 2015 et 2017 et restait supérieur au minimum conventionnel, il était relativement proche de celui prévu pour le niveau III, sans que l'employeur ne puisse utilement justifier l'absence d'évolution de la classification, alors que le salarié produit des attestations de clients soulignant son professionnalisme et qu'aucun élément du dossier ne permet de douter qu'il bénéficiait de l'autonomie nécessaire à ses fonctions, ce à tout le moins jusqu'en 2015, date à laquelle le comportement du salarié a manifestement changé, donnant lieu à plusieurs avertissements, non utilement contestés, pour mauvaise exécution ou refus d'exécuter ses missions, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement d'un rappel de salaire à hauteur de 2 156,34 euros, outre les congés payés y afférents.

 

2 - Sur la demande au titre du harcèlement moral

 

En application des dispositions de l'article L1152-1 du code du travail, 'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

 

Aux termes du même article et de l'article L.1154-1 du code du travail, en sa rédaction applicable à la cause, lorsque le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Il revient à la présente cour de rechercher si M. [I] rapporte la preuve de faits qu'il dénonce au soutien de son allégation d'un harcèlement moral, si les faits qu'il présente, appréhendés dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral et dans l'affirmative, si l'employeur justifie que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

M. [I] expose que depuis plusieurs années, la direction de la société Frazzi a mis en place une politique de management de plus en plus stressante,

qu'il a été victime d'une situation de harcèlement moral caractérisée par des pressions constantes, notamment aux fins d'obtenir qu'il signe une rupture conventionnelle, des critiques et humiliations fréquentes,

qu'à compter de l'arrivée de M. [C] [T], nouveau chef d'agence, en juillet 2015, il a progressivement développé un sentiment de crainte profonde à l'encontre de ce dernier, se sentant de plus en plus épié,

que M. [T] a adopté un comportement très agressif envers ses subordonnés, se manifestant par des agressions verbales, des accès de colère, des provocations...,

qu'il s'est ainsi trouvé à l'origine de l'accident de travail de Mme [S] [Y], salariée enceinte,

que M. [T] a également fait preuve d'une hostilité grandissante à l'égard de son collègue, M. [W], lui demandant de « faire l'impasse » sur son entente avec ce dernier,

qu'il a fait l'objet de sanctions injustifiées en 2015 et en 2017, alors qu'il a toujours fourni des explications sur les faits qui lui étaient imputés,

qu'il a vainement dénoncé ces agissements tant à l'employeur qu'à la DIRRECTE et à la médecine du travail,

qu'en raison de l'ambiance de travail qui s'est progressivement dégradée, plusieurs salariés ont quitté l'entreprise.

 

Il ajoute que les agissements constitutifs d'un harcèlement moral  ayant eu un impact sur ses conditions de travail, sont caractérisés et que l'employeur ne démontre pas que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision de le licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

 

Au soutien de ses allégations, il produit :

- la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 17 juillet 2015 adressée à M. [Z] contestant l'avertissement infligé le 9 juillet 2015,

-la lettre recommandée du 3 juillet 2017 lui notifiant un second avertissement pour refus de charger la marchandise des clients dans leurs véhicules,

-la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 5 juillet 2017 adressée à M. [Z] contestant l'avertissement notifié le 3 juillet 2017,

-la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 26 octobre 2017 le convoquant à un entretien préalable,

-la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 31 octobre 2017 adressée à la DIRECCTE indiquant que son employeur est toujours dans une démarche de harcèlement moral et être convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement,

-le rapport établi à la suite de l'entretien du 7 novembre 2017 par Mme [O], déléguée du personnel, consignant ses explications et contestations,

-la lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 novembre 2017, adressée en réponse à la convocation, contestant les manquements qui lui sont imputés, dont copie à la médecine du travail et à la DIRECCTE,

-l'attestation rédigée par M. [W] confirmant qu'il subissait les brimades de M. [T], avoir été le témoin de provocations à son endroit, sans que le directeur, alerté, ne réagisse et que le chef d'agence l'avait convoqué le 26 juin 2017 au matin, pour lui demander de ne plus lui adresser la parole sous peine de représailles.

 

Il en résulte que le salarié ne produit que ses propres courriers de contestation des sanctions qui lui ont été infligées en 2015 et en 2017, ses courriers à la DIRECCTE en date du 31 octobre 2017, dénonçant une « démarche de harcèlement moral » à la suite de l'envoi d'une convocation à un entretien préalable au licenciement, puis à l'employeur le 14 novembre 2017, faisant état « d'agressions verbales, d'excès de colère, de hurlements et provocations » de la part de son chef d'agence à l'égard de ses subordonnés, également adressé en copie à l'inspection du travail et à la médecine du travail.

 

Ces éléments ne permettent pas d'établir l'existence de faits précis et concordants laissant supposer des agissements répétés de harcèlement moral de la part de l'employeur, qui auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail du salarié, l'attestation de M. [W], également mis en cause et en litige avec l'employeur, rédigée le 3 juillet 2017, soit dès la notification du second avertissement à son collègue, étant insuffisamment probante, le salarié ne faisant en outre état d'aucune conséquence sur son état de santé, alors que l'employeur justifie en tant que de besoin que les sanctions ont été prononcées dans le cadre limité de son pouvoir disciplinaire, le salarié admettant les faits, mais estimant la mesure disproportionnée (avertissement du 9 juillet 2015), ou lorsque les contestant, il apparaît qu'ils sont établis (avertissement du 3 juillet 2017),

qu'il justifie encore que l'intéressé avait adopté un comportement inadapté, poussant ainsi à la démission le 17 octobre 2017, M. [F], technico-commercial, embauché le 2 mai 2017, lequel a dénoncé un comportement harcelant de la part de MM. [I] et [W], vis-à-vis du personnel et en particulier du chef d'agence, d'autres salariés de l'entreprise, Mme [J] et M. [T] s'en étant également plaints, étant observé que les attestations produites par l'employeur ne doivent pas être d'emblée écartées au seul motif qu'elles émanent de personnes placées sous sa subordination sans éléments objectifs de nature à pouvoir suspecter leur sincérité.

 

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu que les faits présentés n'étaient pas suffisamment établis et ce, quand bien même ils seraient appréhendés dans leur ensemble, et en ce qu'il a débouté M. [I] de ses demandes en reconnaissance et indemnisation d'une situation de harcèlement moral et par voie de conséquence de sa demande de nullité du licenciement.

 

3 - Sur la demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité

 

M. [I] fait valoir qu'il a été victime d'agissements de harcèlement moral et qu'il a subi des conditions de travail rendues difficiles, l'employeur lui ayant imposé une surcharge importante de travail, qu'il a accompli de nombreuses heures supplémentaires,

que sa santé et sa sécurité ont été exposées à des risques importants, alors qu'il n'a pas été formé aux risques spécifiques de l'entreprise et qu'il ne disposait pas des équipements de protection adéquats,

que selon la fiche entreprise réalisée courant 2015, M. [P], médecin du travail, a observé que « plusieurs plaques d'amiante, utilisées de longue date comme isolant du toit, étaient brisées et maintenues en place par des grillages dans le local de stockage où travaillent trois caristes-manutentionnaires », équipe dont il faisait partie depuis 2004, cette exposition à l'amiante ayant été inscrite dans son dossier médical,

que la société Frazzi s'est abstenue de communiquer le diagnostic amiante réalisé le 29 septembre 2017, ainsi qu'elle y était invitée dans le cadre d'une note en délibéré du 31 décembre 2018,

que l'employeur a violé son obligation de sécurité en s'abstenant de prendre les mesures nécessaires aux fins de préserver sa santé lui causant un préjudice moral et professionnel qu'il y a lieu de réparer.

En application de l'article L 4121-1 du code du travail l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

 

Cette obligation, non seulement lui interdit de prendre, dans l'exercice de son pouvoir de direction, toutes mesures de nature à compromettre la santé physique et mentale des travailleurs mais lui impose de mener des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation, outre la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

 

Le harcèlement moral, non établi, ne saurait servir de fondement à la demande de dommages et intérêts du salarié. Le salarié ne saurait de prévaloir d'un manquement à l'obligation de prévention de tels agissements, pour les avoir dénoncés postérieurement à l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement et mis l'employeur dans l'impossibilité de réagir relativement aux faits le concernant.

Il ne justifie pas non plus d'une dégradation de ses conditions de travail ayant eu des répercussions sur sa santé et si des traces d'amiante ont pu être détectées sur des plaques et des panneaux structurels en fibres-ciment lors de la visite du local de stockage le 29 septembre 2017, il n'a pas été préconisé la réalisation de travaux spécifiques et aucun risque pour la santé des salariés n'a été mis en évidence.

 

En tout état de cause, le salarié ne démontre pas le préjudice qu'il aurait subi du fait de cette exposition à l'amiante constatée par le médecin du travail ni du fait de l'accomplissement d'heures supplémentaires qu'il a acceptées d'effectuer et qui lui ont été réglées, de sorte qu'il sera débouté de sa demande de dommages et intérêts, le jugement étant confirmé sur ce point.

 

4 - Sur le licenciement

 

Suivant lettre du 15 novembre 2017, M. [I] a été licencié pour cause réelle et sérieuse dont les termes sont repris au jugement déféré auquel il conviendra de se reporter.

 

En substance, il est reproché au salarié, le fait de ne pas s'investir dans ses fonctions et notamment de refuser d'exécuter certaines tâches,

de dénigrer l'entreprise et le personnel et de manquer de respect à sa hiérarchie et à ses collègues,

d'adopter un comportement harcelant à l'égard du chef d'agence l'ayant déterminé à être placé en arrêt de travail pour s'être trouvé à la limite du burn-out.

 

L'employeur fait grief aux premiers juges d'avoir considéré qu'il existait un doute sur la réalité et le sérieux des griefs. Il verse au soutien des faits visés dans la lettre de licenciement :

-un courriel de M. [T] adressé à l'employeur le 20 octobre 2017 attirant son attention sur les difficultés qu'il rencontrait à faire travailler MM. [I] et [W], faisant état d'une altercation qu'il a eue avec ce dernier en avril 2017, l'intéressé l'ayant agressé verbalement alors qu'il lui demandait simplement de baisser d'un ton car il hurlait dans le dépôt devant des clients, expliquant en outre avoir dû s'arrêter pendant une semaine car il était sur le point de faire un burn-out, ayant ressenti le besoin de se ressourcer,

-le rapport d'incident du 23 juin 2017 établi par M. [F] pour refus de charger la marchandise dans le véhicule d'un client et le courriel de M. [A], gérant de la société Le Havre carrelage l'informant qu'à plusieurs reprises un magasinier avait refusé de charger la marchandise, tout en indiquant que sa mission consistait seulement à préparer les commandes,

-la lettre de démission de M. [F] du 17 octobre 2017, libellée en ces termes « j'informe de ma décision de démissionner du poste d'attaché technico-commercial que j'occupe au sein de votre société depuis le 2 mai 2017 et ce pour les raisons qui suivent, une très mauvaise ambiance interne à celle-ci comme l'ayant remarqué depuis mon arrivée.

En effet, certaines personnes entre autres (M. [W] et M. [I]) se complaisent à dénigrer l'entreprise, à tel point que la clientèle m'en faisait souvent part.

Se complaisant tout autant dans leur façon de travailler qui n'est certes pas très virulente sans à aucun moment se remettre en question pour le bien-être de la clientèle, harcelant tout autant le chef d'équipe M. [T] [C], aussi que les filles du showroom par le biais de sourire narquois et de nonchalances à l'intérieur de l'entreprise tout en mettant celui-ci dans une situation très inconfortable et sans aucun pouvoir à cela »,

-le courriel adressé à l'employeur le 19 octobre 2017, par Mme [J] « attirant son attention sur le comportement et le manque d'implication dans l'entreprise d'une certaine catégorie du personnel...et de trois personnes en particulier, [K] [R] [W], [L] [I] et dans une moindre mesure [G] [H]...voulant absolument monter l'ensemble de l'équipe contre [C] [T]..., le départ du commercial [N] [F] étant donc une sorte de victoire pour eux car ce dernier ne voulait pas rentrer dans leur jeu... »,

-le témoignage de Mme [J] du 19 juillet 2018 attestant d'un manque de sérieux à l'origine du mécontentement des clients, d'usage immodéré du téléphone personnel sur le lieu du travail et plus généralement d'un manque d'investissement, 

-le témoignage de M. [T] certifiant que « M. [I] passait son temps à se cacher derrière la benne à déchets à l'extérieur, les mains dans les poches ou au fond du dépôt, qu'il ne venait pas lorsqu'il était appelé ou lorsqu'un client venait pour un enlèvement, qu'il disait le plus souvent que son travail ne consistait pas à faire autre chose que du magasinage », ajoutant avoir dû « s'interposer entre lui et des clients en raison d'un comportement extrêmement dédaigneux » et « s'interposer entre lui et le client Le Havre carrelage, parce qu'il ne voulait pas lui charger de la colle dans sa fourgonnette » et précisant qu'il était « conforté dans cette attitude par son collègue M. [W] ...magasinier à l'agence du Havre ».

 

M. [I] soutient avoir toujours contesté les sanctions qui lui ont été infligées, réfutant les griefs allégués par l'employeur, qu'il considère infondés et non démontrés,

que les faits de harcèlement dénoncés et les courriers de plainte de clients sont fabriqués de toutes pièces par l'employeur, ce dernier produisant des éléments nullement probants, dont notamment un courriel isolé du gérant de la société Le Havre carrelage, contenant une plainte à l'encontre d'un « magasinier » de la société Frazzi,

qu'il est invraisemblable qu'il ait été responsable d'un quelconque manquement ayant contraint M. [F] à démissionner,

que son licenciement est en réalité fondé sur des motifs économiques, alors que la société Frazzi rencontre des difficultés financières et qu'il n'a du reste pas été remplacé.

 

Il verse aux débats plusieurs attestations de clients de la société Frazzi témoignant de son professionnalisme.

 

Aux termes de l'article L1235-1 du code du travail le juge a pour mission d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

 

La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement. Ils doivent par ailleurs être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article L1232-1 du code du travail à la date du licenciement, l'employeur devant fournir au juge les éléments permettant à celui-ci de constater les caractères réel et sérieux du licenciement.

 

Le comportement harcelant du salarié à l'égard du personnel, et en particulier de M. [T], n'apparaît pas établi à l'examen des pièces soumises à la cour. Il n'est pas non plus rapporté la preuve de faits de dénigrement, les témoins cités procédant par affirmation sans même s'attarder sur les propos tenus (M. [T], M. [F], Mme [J]).

 

Le grief tenant à la mauvaise exécution des missions assignées est toutefois caractérisé au vu du rapport d'incident du 23 juin 2017 et des témoignages circonstanciés produits par l'employeur, quand bien même, celui de Mme [J], établie le 19 juillet 2018, qui ne permet pas d'identifier le salarié mis en cause, serait écarté, étant observé que celle-ci fait état de l'usage du téléphone portable sur le lieu du travail, fait déjà reproché à M. [I] et ayant donné lieu à un avertissement le 22 février 2011, sans que ses propres attestations ne puissent modifier l'opinion de la cour, en ce qu'elles émanent d'anciens salariés qui ont initié des procédures à l'encontre de l'employeur, étant relevé que le salarié avait fait l'objet de sanctions disciplinaires pour des faits similaires, la mauvaise ambiance au travail, dont l'imputabilité n'est pas clairement déterminée, ne permettant pas de justifier son comportement, en particulier, vis-à-vis de la clientèle, n'étant pas par ailleurs établi que cette mesure est justifiée en réalité par des motifs économiques.

 

Il se déduit de ces motifs que le licenciement a exactement été prononcé pour cause réelle et sérieuse.

 

En conséquence, M. [I] sera débouté de sa demande de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes subséquentes par voie d'infirmation du jugement déféré.

 

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit n'y avoir lieu d'ordonner à la société Frazzi de communiquer les bilans des deux dernières années précédant le licenciement de M. [I] (à savoir les bilans au 31/12/2016 et au 31/12/2017), outre le registre du personnel.

 

5 - Sur la remise des documents sociaux

 

La cour ordonnera à la société Frazzi de remettre à M. [I] un bulletin de salaire conforme à la présente décision.

 

Il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

 

6 - Sur l'application des dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail

 

Il n'y a pas lieu, au regard de l'issue du litige, d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités chômage payées à M. [I] du jour du licenciement au jour de la décision.

 

7 - Sur les dépens et les frais non-répétibles

 

M. [I] qui succombe dans la présente instance, doit supporter les dépens et il y a lieu de le condamner à payer à la société Frazzi une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 300 euros.

 

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [I] est dénué de cause réelle et sérieuse et a condamné la société Frazzi à lui payer la somme de 8 857,84 euros à titre de dommages et intérêts,

 

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

 

Dit que le licenciement de M. [I] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

 

Déboute M. [I] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

 

Ordonne à la société Frazzi de remettre à M. [I] d'un bulletin de salaire rectifié conforme au présent arrêt,

 

Dit n'y avoir lieu de prononcer une astreinte,

 

Y ajoutant,

 

Condamne M. [I] à payer à la société Frazzi une somme de 300 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

 

Condamne M. [I] aux dépens,

 

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/03539
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;19.03539 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award