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20/10/2022 | FRANCE | N°20/00439

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 octobre 2022, 20/00439


N° RG 20/00439 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IMUE





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 19 Décembre 2019





APPELANTE :



SOCIETE CAUCHOISE DE PRESSE ET DE PUBLICITE - LE COURRIER CAUCHOIS

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE







INTIME :



Monsieur [S] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]



présent



représenté par Me Vianney FERAUD, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marie DE GRIVEL, avocat au barreau de PARIS


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N° RG 20/00439 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IMUE

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 19 Décembre 2019

APPELANTE :

SOCIETE CAUCHOISE DE PRESSE ET DE PUBLICITE - LE COURRIER CAUCHOIS

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Mathieu LECLERC, avocat au barreau du HAVRE

INTIME :

Monsieur [S] [K]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

présent

représenté par Me Vianney FERAUD, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Marie DE GRIVEL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 1er octobre 1988, M. [S] [K] (le salarié) a été embauché en qualité de journaliste polyvalent par la société Cauchoise de presse et de publicité (la société).

Le 20 décembre 2017, la société l'a informé de la prise de contrôle du journal par la 'Manche Libre' et de la possibilité de se prévaloir de la clause dite de cession. Toutefois, par courrier daté du 18 décembre, le salarié lui avait déjà fait part de sa volonté de quitter l'entreprise en bénéficiant de ce dispositif, de sorte que son contrat de travail a pris fin le 15 février 2018.

M. [K] a saisi la commission arbitrale prévue à l'article L.7 112-4 du code du travail afin qu'elle statue sur son indemnité définitive, ce qu'elle a fait le 17 juillet 2019, en fixant son montant à la somme de 85 000 euros.

Considérant que le salarié ne remplissait pas les conditions pour bénéficier du dispositif légal considéré, l'employeur a saisi, le 20 décembre 2018, le conseil de prud'hommes du Havre qui, par jugement du 19 décembre 2019, a :

-déclaré recevable l'intervention volontaire du syndicat national des journalistes (SNJ),

-débouté la société et le SNJ de leurs demandes,

-condamné la société à payer à M. [K] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le 20 janvier 2020, la société a interjeté appel limité de la décision.

Par des conclusions remises le 18 juin 2020, elle demande à la cour de :

-réformer le jugement entrepris,

à titre principal,

-juger que les dispositions combinées des articles L. 7112-5 1°, L. 7112-3 et L.7112-4 du code du travail, ainsi que de l'interprétation qu'en font les juridictions nationales françaises, n'est pas conforme au droit européen, notamment aux dispositions du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la Charte européenne pour la liberté de la presse, et en écarter l'application,

-juger en conséquence que la résiliation du contrat de travail de M. [K] doit produire les effets d'une démission,

-condamner M. [K] à lui restituer l'intégralité des sommes perçues en suite de la rupture de son contrat de travail, à l'exception de l'indemnité de congés payés,

alternativement,

-renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne le soin de statuer sur la question préjudicielle telle qu'elle est libellée dans le corps de la requête et surseoir à statuer sur ses demandes dans l'attente de cette décision,

subsidiairement,

-juger que M. [K] ne remplit pas les conditions posées par la loi pour bénéficier de la clause de cession et, en conséquence, que la résiliation de son contrat de travail doit produire les effets d'une démission,

-condamner le salarié à lui restituer l'intégralité des sommes perçues en suite de la rupture de son contrat de travail, à l'exception de l'indemnité de congés payés,

-débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes,

en tout état de cause,

-débouter le SNJ de toutes ses demandes,

-condamner in solidum le syndicat national des journalistes et M. [K] à lui payer à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance du 9 septembre 2021, le président de la chambre sociale chargé de la mise en état a déclaré irrecevables les demandes suivantes présentées par la société :

'Alternativement,

- renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne le soin de statuer sur la question préjudicielle telle qu'elle est libellée dans le corps de la requête,

- surseoir à statuer sur ses demandes dans l'attente de la décision de la Cour de justice

subsidiairement,

- juger que M. [K] ne remplit pas les conditions posées par la loi pour bénéficier de la clause de cession et, en conséquence,

- juger que la résiliation du contrat de travail de M. [K] doit produire les effets d'une démission,

- condamner M. [K] à lui restituer l'intégralité des sommes perçues en suite de la rupture de son contrat de travail, à l'exception de l'indemnité de congés payés.

- débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.'

Par des conclusions remises le 5 juillet 2022, M. [K] demande à la cour de :

à titre principal,

-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait jugé que les dispositions relatives à la clause de cession n'étaient pas applicables,

-dire que la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamner la société à lui payer les sommes suivantes :

39 552 euros à titre de provision sur l'indemnité de licenciement, correspondant aux 15 premières années d'ancienneté à charge pour la Commission arbitrale des journalistes de fixer le montant de l'indemnité due au titre des années supérieures,

5 273,60 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, « ainsi que celle de euros au titre des congés payés y afférents »,

52 736 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre plus subsidiaire, dans l'hypothèse où la rupture du contrat de travail serait requalifiée en démission,

-condamner la société à lui payer la somme de 94 924,80 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail,

-condamner également la société à lui rembourser le montant des indemnités journalières dont Pôle emploi lui demanderait la restitution suite à une telle requalification de la rupture du contrat de travail en une démission,

en toute hypothèse,

-condamner la société à lui payer la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 juillet 2022.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préliminaire, la cour constate que le SNJ n'est pas partie à l'instance d'appel, de sorte que les demandes formées à son encontre par l'appelante sont irrecevables.

Sur la rupture du contrat de travail

L'article L.7112-5 du code du travail prévoit que si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L.7112-3 et L. 7112-4 sont applicables lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes :

1° Cession du journal ou du périodique ;

2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;

3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2.

Il n'est pas discuté que par son courrier recommandé du 18 décembre 2017, adressé à son employeur, M. [K], journaliste professionnel, a manifesté sa volonté de mettre fin à son contrat de travail en raison de la modification de la structure du capital social de la société et en visant expressément les dispositions ci-dessus rappelées, plus connues sous le terme de "clause de cession".

Dès lors, les conditions d'application du texte susvisé sont acquises en l'espèce, étant observé, au surplus, que l'employeur avait informé son salarié de la possibilité d'en bénéficier et lui a, d'ailleurs, réglé un acompte sur l'indemnité de licenciement due au titre des quinze premières années (39 552 euros). Pour le surplus, conformément aux dispositions de l'article L. 7112-4 du code du travail, le salarié ayant plus de quinze ans d'ancienneté a saisi une commission arbitrale.

Aussi, l'employeur n'est pas fondé à soutenir que le salarié ne peut bénéficier du régime dérogatoire considéré faute de justifier de sa volonté de poursuivre une carrière de journaliste, puisque cela revient à ajouter une condition à la loi qui ne la prévoit pas.

Par conséquent, faute pour l'employeur de rapporter la preuve que la véritable cause de la rupture est étrangère à celle objective invoquée par le salarié, la décision déférée est confirmée en ce qu'elle a considéré que les conditions légales ci-dessus rappelées étaient réunies.

L'appelante soutient également que le dispositif légal relatif à la clause de cession porterait atteinte à la liberté d'établissement ainsi qu'au pluralisme de la presse garantis par le droit communautaire.

Toutefois, la société n'est pas fondée à critiquer le dispositif considéré à l'aune de l'article 49 du traité de fonctionnement de l'Union européenne, puisque celui-ci concerne le droit d'établissement des ressortissants, auxquels sont assimilées les sociétés, d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre, ce qui n'est pas la question en l'espèce. De plus, l'appelante ne soutient pas, pas plus qu'elle ne justifie, de que ce dispositif créerait une disparité entre les ressortissants des États membres qui lui aurait été préjudiciable.

Enfin, saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 7112-5, la Cour de cassation a rappelé que la disposition légale contestée, qui vise à garantir l'indépendance des journalistes, ne fait que traduire la volonté du législateur de prendre en compte les conditions particulières d'exercice de leur profession et ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

Quant à la prétendue atteinte au pluralisme de la presse, garanti par l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par la Charte européenne de la liberté de la presse du 25 mai 2009, la cour constate qu'aucun élément n'en rapporte la réalité mais surtout que ledit pluralisme, comme au demeurant la liberté de la presse, sont au contraire garantis par l'indépendance éditoriale dont bénéficient les journalistes, elle-même assurée, notamment, par le dispositif légal critiqué.

Pour l'ensemble de ces raisons, le moyen tiré de la non conformité des articles L. 7112-5, 1°, L. 7.112-3 et L. 7112-4 du code du travail au droit communautaire n'est pas pertinent et ne peut prospérer.

La décision déférée est par conséquent, confirmée en ce qu'elle a rejeté les prétentions de la société.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, la société est condamnée aux dépens de et déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Pour le même motif, elle est condamnée à payer à M. [K] la somme de 1800 euros sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Déclare irrecevables les demandes formées à l'encontre du SNJ,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes du Havre du 19 décembre 2019,

Y ajoutant,

Condamne la société Cauchoise de presse et de publicité à payer à M. [S] [K] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00439
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;20.00439 ?
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