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20/10/2022 | FRANCE | N°20/00874

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 octobre 2022, 20/00874


N° RG 20/00874 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INOY





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 04 Février 2020





APPELANT :





Monsieur [L] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]



présent



représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de R

OUEN







INTIMEE :





Fondation LES NIDS

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN































COMPOSITION DE LA COUR  :





E...

N° RG 20/00874 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INOY

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 04 Février 2020

APPELANT :

Monsieur [L] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

présent

représenté par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Fondation LES NIDS

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame ALVARADE, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme DUBUC, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 15 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Du 1er septembre 1995 au 31 août 1996, M. [L] [H] (le salarié) a été embauché selon contrat à durée déterminée en qualité de moniteur d'éducation physique et sportive par l'Association Les Nids aux droits de laquelle vient la Fondation Les Nids (l'employeur).

A compter du 1er mars 1997, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée régi par la convention collective des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [H] était directeur adjoint du centre éducatif fermé (CEF) de [Localité 5], et ce, depuis le 11 mai 2015.

A la suite de l'entretien préalable du 13 juin 2018, son licenciement pour faute grave lui a été notifié par courrier du 21 juin.

Le contestant, il a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen qui, par jugement du 4 février 2020, a :

- dit que le licenciement pour faute grave était justifié,

- débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes,

-débouté l'employeur de sa demande de condamnation de M. [H] à lui rembourser des congés pris et non déclarés,

-condamné le salarié à payer à l'employeur la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi aux dépens

M. [H] a interjeté appel de cette décision le 19 février 2020.

Par des conclusions remises le 30 août 2022, il demande à la cour de :

-réformer le jugement entrepris,

-condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

12 717,60 euros à titre de contrepartie liée à l'astreinte permanente qu'il devait assumer,

37 063,24 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires.

3 706,32 euros au titre des congés payés y afférents,

18 500 euros à titre de repos compensateurs,

-constater que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

-condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

77 063,71 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

84 069,51 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

18 682,11 euros à titre de rappel d'indemnité de préavis, outre celle de 1 868,21 euros au titre des congés payés afférents,

subsidiairement,

-requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

-condamner l'employeur à lui payer les sommes suivantes :

84 069,51 euros à titre de rappel d'indemnité de licenciement,

18 682,11 euros à titre de rappel d'indemnité de préavis, outre celle de 1868,21 euros au titre des congés payés afférents,

en tout état de cause,

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 28 670,52 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé.

- condamner l'employeur à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-rappeler que les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la saisine conformément à l'article 1153 du code civil, sur les créances de nature salariale,

-faire courir les intérêts au taux légal sur les demandes indemnitaires à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, conformément à l'article 1153-1 du code civil,

-ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil, dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite,

-condamner l'employeur aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'exécution de la décision à intervenir.

Par des conclusions remises le 10 août 2022, l'employeur demande à la cour de :

-confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il l'a débouté de sa demande reconventionnelle en remboursement des congés payés pris et non déclarés,

à titre subsidiaire, si le licenciement devait être requalifié en licenciement pour cause réelle et sérieuse :

-juger que le salaire moyen mensuel de référence de M. [H] sur les trois derniers mois (mars à mai 2018) s'établit à 4 566,13 euros,

-juger que l'indemnité conventionnelle de licenciement s'élèverait alors à 54 793,56 euros,

-juger que l'indemnité compensatrice de préavis s'établirait à 18 264,52 euros, outre 1826,45 euros pour les congés payés y afférents,

à titre infiniment subsidiaire, si le licenciement devait être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse :

-juger que le salaire moyen mensuel de référence de M. [H] sur les trois derniers mois (mars à mai 2018) s'établit à 4 566,13 euros,

- juger que l'indemnité conventionnelle de licenciement s'élèverait alors à 54 793,56 euros,

-juger que l'indemnité compensatrice de préavis s'établirait à 18 264,52 euros, outre 1826,45 euros pour les congés payés y afférents,

-juger que les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne pourraient excéder 3 mois de salaire, soit 13 698,39 euros,

en tout état de cause,

-condamner M. [H] à lui rembourser la somme de 4 267,63 euros au titre des congés payés pris et non déclarés,

-le condamner à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 1er septembre 2022.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour le détail de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier au vu des éléments de preuve figurant au dossier si les faits reprochés au salarié aux termes de la lettre de licenciement fixant les limites du litige sont établis, et s'ils ont revêtu un caractère de gravité suffisant pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise.

La reconnaissance d'une faute grave d'un salarié n'est pas conditionnée par sa mise à pied à titre conservatoire.

Aux termes de la lettre datée du 21 juin 2018, M. [H] a été licencié pour les motifs suivants :

« Monsieur,

Vous êtes salarié de l'Association LES NIDS depuis le 1er septembre 1995. A ce jour, et depuis le 11 mai 2015, vous occupez un poste de Directeur adjoint au sein du Centre Educatif Fermé de [Localité 5] (CEF).

Le CEF de [Localité 5], alternative à l'incarcération, accueille des adolescentes délinquantes âgées de 13 à 18 ans. Ce CEF est le seul sur le territoire national à proposer une telle prise en charge ; cet établissement est financé par la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

En tant que Directeur adjoint, vous avez notamment la responsabilité de la mise en 'uvre du projet d'établissement, ainsi que des projets relatifs aux jeunes accueillies. Vous avez par ailleurs la responsabilité de l'organisation du travail au sein de l'établissement, en ce qui concerne par exemple la gestion des horaires de travail des salariés.

Par un courrier du 28 mai 2018, remis en mains propres contre décharge, l'association LES NIDS vous a convoqué à un entretien préalable en vue de votre éventuel licenciement.

Nous avons à vous reprocher les griefs suivants :

Le lundi 14 mai 2016, au cours d'une réunion de la Direction Générale de l'Association à laquelle vous participiez, Monsieur [T] [Z], Directeur Général de l'Association LES NIDS, a évoqué la volonté de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, d'ouvrir de nouveaux CEF sur le territoire national, et qu'elle souhaitait que l'Association LES NIDS puisse s'associer à ce projet.

La réunion de la direction générale réunit habituellement les directeurs et directeurs adjoints avec la direction générale de l'Association.

Le 22 mai suivant, le Directeur Territorial de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Monsieur [M], interlocuteur principal du territoire Normand, a contacté Monsieur [T] [Z] afin de lui faire part de son « étonnement » quant au mail que vous lui aviez envoyé le 16 mai.

En effet, dans ce mail, vous utilisez une information confidentielle qui vous a été délivrée lors d'une réunion de direction afin de mettre à profit votre « expertise » et « expérience » pour le projet d'ouverture d'un nouveau Centre Educatif Fermé.

Or, vous formulez cette proposition en votre « nom propre », en utilisant votre boîte mail professionnelle, « soit par le biais de l'Association LES NIDS » pour laquelle vous travaillez « actuellement », « mais aussi par le truchement d'une autre entité (une fondation ['] », entité distincte de l'Association, qui souhaiterait rencontrer Monsieur [M] « dans le cadre de porteur de projet ».

En outre, vous dénigrez l'Association en expliquant vouloir « offrir à ses jeunes filles la possibilité de pouvoir être accueillies dans de meilleures conditions que ce que nous proposons actuellement à [Localité 5] ».

De ce fait, votre comportement est caractérisé de concurrence déloyale puisqu'en effet, le projet d'ouvrir un CEF avait été proposé par l'Association et vous avez tenté de vous approprier ce projet.

Lors de l'entretien préalable au licenciement, vous avez affirmé que votre démarche n'avait aucun caractère de gravité, malgré l'importance de vos fonctions au sein de l'Association.

Vous avez également affirmé que vous ne dévalorisez pas l'Association dans vos propos, et que par conséquent, vous ne voyiez pas ce que l'on pourrait vous reprocher.

En outre, vous avez préféré ne rien dire sur la Fondation que vous évoquiez dans ledit mail, et avez tenté de faire croire que vous ne pensiez à aucune fondation en particulier.

Ainsi, vous avez outrepassé vos fonctions de directeur adjoint et les délégations qui sont les vôtres, en utilisant une information confidentielle et en démontrant un manque de loyauté envers l'Association.

Votre comportement a des conséquences néfastes en ce qu'il pourrait causer un préjudice économique important à l'Association car il compromet gravement le développement économique. En outre, il cause un préjudice partenarial puisque les relations avec le financeur des CEF, la Protection Judiciaire de la Jeunesse, sont altérées.

Par conséquent, les explications que vous nous avez fournies lors de l'entretien préalable ne permettant pas de modifier la perception des faits qui vous sont reprochés, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave, dans la mesure où votre comportement a brisé la confiance de l'Association.

Etant licencié pour faute grave, vous ne percevrez pas d'indemnité de licenciement et votre contrat de travail prendra fin sans préavis à la date de la première présentation de cette présente lettre ('). »

Il ressort dudit courrier qu'il est principalement reproché à M. [H] l'envoi et le contenu de son mail daté du 16 mai 2018, adressé au directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse, M. [M], lequel acte outrepasse, selon l'employeur, ses prérogatives et constitue un acte de concurrence déloyale et un manquement à son obligation de loyauté.

Il appartient à la cour de se prononcer sur ces seuls griefs repris dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut en examiner d'autres que ceux qu'elle énonce, et, notamment, ceux évoqués par l'employeur dans ses conclusions.

Le mail litigieux de l'appelant intitulé « lettre ouverte pour l'ouverture d'un CEF Fille », dont il ne conteste pas l'envoi à M. [M], est ainsi rédigé, la mise en forme étant reprise :

« Monsieur, J'ai choisi de vous interpeller, sur l'opportunité plutôt rare, d'être à l''uvre dans la mise en place d'un projet social, j'évoque là, l'ouverture de nouveaux CEF en France.

Notre expertise au CEF de [Localité 5], nous permet à ce jour de mieux cerner les besoins sur les jeunes filles (...).

Quand vous êtes venu au CEF, vous avez manifesté l'intérêt que vous portiez pour cette spécification de genre, dans le cadre de la délinquance. (...) Vous aviez été sensible à cela, comme Madame [R] lors de sa venue, c'est pourquoi aujourd'hui je me permets de vous interpeller, s'il y avait ouverture de CEF, de réfléchir à la possibilité de spécifier un de ces établissements.

Fort de l'expérience acquise au CEF de [Localité 5], nous souhaitons avec mes collègues, offrir à ses jeunes filles la possibilité de pouvoir être accueillies dans de meilleures conditions que ce que nous proposons actuellement à [Localité 5].

L'occasion de l'ouverture de nouveaux établissements permettrait d'optimiser la prise en charge de ses jeunes femmes qui nous tient tant à c'ur, notamment lors de la dernière phase de retour vers la vie ordinaire qui est un des points faibles des CEF (...).

Nous avons à ce jour des pistes de réflexion intéressante pour pérenniser les progrès considérables qui sont accomplis par ces jeunes (...).

La perfectibilité des CEF, qui peut être un outil extraordinaire, sera d'autant plus aisée sur une création, qui sera du coup exsangue des contraintes liées au frein d'un établissement déjà inscrit dans une culture moins aisée à faire évoluer.

Concernant l'organisation de ce nouveau CEF, nous nous calquerions sur un cadre de fonctionnement qui a déjà fait ses preuves à [Localité 5] en expurgeant les défauts de conception et les difficultés d'évolution (...) je pourrais proposer plusieurs hypothèses, une implantation sur le Vexin normand et l'Eure particulièrement, serait envisageable, pour répondre nationalement et qui travaillerait en partenariat avec le CEF de [Localité 5].

C'est pourquoi je vous propose de pouvoir mener une réflexion autour de cela, notre expertise et notre expérience du CEF de [Localité 5] pourrait être une plus-value, et je serais prêt à mettre mes compétences à votre disposition sur un nouveau projet.

Cette proposition, que je vous formule en mon nom propre, pourrait s'appuyer sur plusieurs formes :

' soit par le biais de l'association Les Nids pour laquelle je travaille actuellement,

' mais aussi, par le truchement d'une autre entité (une Fondation qui souhaite relever ce challenge et qui possède néanmoins une expertise dans ce domaine) qui souhaiterait d'ailleurs vous rencontrer, si vous le souhaitez, dans le cadre de porteur de projet. (') ».

En réponse, Monsieur [M] lui a fait part « de son étonnement quant à sa démarche simultanément personnelle et professionnelle » et a pris contact avec son employeur.

Aux termes de ses écritures, M. [H] reconnaît avoir commis « une maladresse » en envoyant ce mail « à l'insu de son employeur », mais conteste les manquements reprochés et le licenciement dont il a fait l'objet, eu égard à son ancienneté et à son absence de passé disciplinaire.

Il s'infère de sa fiche de poste de directeur adjoint que « s'il participe à l'élaboration de projets internes et transversaux, ainsi qu'à leur mise en 'uvre », il n'a ni le pouvoir, ni de délégation pour engager la Fondation sur un projet de création d'un CEF. Pourtant, ledit courriel est adressé par l'appelant de sa boîte professionnelle avec indication de son poste, ce qui a été, pour son interlocuteur, considéré comme une démarche professionnelle de nature à engager l'intimée, alors que le salarié n'avait pas eu de concertation préalable avec sa hiérarchie.

De plus, si l'appelant évoque avoir déjà procédé de la sorte par le passé, la cour relève qu'il n'en justifie pas mais, qu'au surplus, il précise l'avoir fait auprès de M. [Z], soit le directeur général de la Fondation intimée, de sorte que cela s'inscrit dans son rôle de force de propositions au sein de la structure et ne peut être comparé à la démarche litigieuse tournée vers un partenaire extérieur.

Par ailleurs, il ressort des pièces produites que si la création de nouveaux CEF, par principe mixtes, était effectivement envisagée par les pouvoirs publics, le compte-rendu de la réunion du 14 mai 2018 de l'intimée explicite ce projet en indiquant que la DIR Ile-de-France a « effectué une visite de deux CEF récemment, une commande va être passée concernant la création d'une vingtaine de CEF au niveau national » et, surtout, il est précisé que « l'association devrait être sollicitée et serait dans une logique de réponse positive ». Il ne peut être pertinemment discuté que la position de l'association concernant sa candidature sur un tel projet était bien une information confidentielle, de même que celle-ci ne s'était pas positionnée pour porter un projet de création d'un CEF Fille, comme le propose le salarié dans son mail litigieux.

Il s'évince également de ce document qu'il a formulé des critiques concernant la structure pour laquelle il travaillait en précisant que cela serait pour ces jeunes filles « la possibilité de pouvoir être accueillies dans de meilleures conditions que ce que nous proposons actuellement à [Localité 5] » ajoutant que si l'exemple serait celui de [Localité 5], il serait expurgé « des défauts de conception et difficultés d'évolution ».

Si le salarié soutient qu'il n'a commis aucune faute en exprimant seulement « des possibilités d'amélioration » et que cela n'est que la manifestation de son esprit d'initiative et de proposition, cet argument ne peut prospérer dès lors que les critiques considérées sont émises auprès d'un tiers qui est, au surplus et surtout, le financeur incontournable de l'intimée, de sorte que de tels propos pouvaient la fragiliser dans ses relations avec celui-ci.

Par conséquent, il est établi qu'en agissant ainsi, le salarié a outrepassé ses prérogatives et manqué à son obligation de loyauté.

Par ailleurs, il ne peut être sérieusement discuté que le salarié a également formulé une proposition à titre personnel, comme il l'a souligné dans ledit courriel et comme son interlocuteur l'a d'ailleurs compris. En effet, les termes employés sont explicites sur ce point, puisqu'il indique être prêt à mettre ses compétences personnelles à disposition de ce nouveau projet concernant un CEF Fille, par le truchement d'une autre entité (soulignée en gras) que son employeur pour lequel il travaille actuellement, allant jusqu'à proposer au directeur de la PJJ une rencontre avec celle-ci.

En se prévalant d'une information confidentielle dont il disposait mais aussi de l'expérience du CER de [Localité 5], à son profit, et en proposant que le projet de création soit porté par une autre structure que son employeur, le salarié a également commis un acte de concurrence déloyale.

Ainsi, les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont établis. Compte tenu de son statut de cadre, de son ancienneté et, par conséquent, de sa connaissance des procédures applicables et des enjeux financiers d'un tel projet pour la Fondation et son devenir, les griefs, peu important les qualités professionnelles de l'appelant mises en exergue dans les attestations produites, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifient son licenciement pour faute grave.

La décision déférée est confirmée sur ce chef.

Sur les astreintes

Se fondant sur les dispositions de l'article L. 3121-9 du code du travail, dans sa version issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'appelant fait valoir qu'il a assuré une mission complémentaire auprès d'un jeune de 17 ans au profil très psychiatrique l'obligeant à être de « permanence » toute l'année, sauf durant ses congés, et qu'il percevait pour cela une contrepartie mensuelle nette de 100 euros par mois. Il considère qu'il s'agissait d'une astreinte puisqu'il était appelé, notamment, à intervenir à n'importe quel moment, était obligé de mobiliser une équipe d'éducateurs, d'être en contact régulier avec le médecin psychiatre et d'organiser des réunions mensuelles (environ 3h), de sorte que la contrepartie versée était insuffisante puisque ce travail représentait, selon lui, « une quarantaine d'heures annuelles au titre de l'astreinte et une centaine d'heures pour couvrir la mission/an ». Aussi, il sollicite le paiement de 140 heures par an « sur trois années » sur la base d'un taux horaire moyen de 30,28 euros.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, l'astreinte était définie par l'article L.3121-5 du code du travail selon lequel une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise et la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif. Depuis le 10 août 2016, l'astreinte est définie par l'article L.3121-9 du code du travail selon lequel l'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise. La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

La période d'astreinte fait l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière, soit sous forme de repos.

Or, l'article 16 de l'annexe 6 de la convention collective applicable précise qu'en contrepartie des contraintes permanentes et de l'obligation de disponibilité en découlant, le directeur, ou le cadre ayant capacité à exercer cette responsabilité bénéficie d'une indemnité destinée à compenser les astreintes auxquelles il est tenu.

L'indemnité d'astreinte est fixée comme suit :

- 90 points par semaine complète d'astreinte y compris le dimanche,

- 12 points par journée d'astreinte en cas de semaine incomplète y compris le dimanche.

Il ne peut être effectué plus de 26 semaines d'astreintes dans l'année.

La cour rappelle que les rémunérations versées au salarié à l'occasion des astreintes constituent une partie du salaire normalement perçu par celui-ci, de sorte que la demande formée à ce titre est soumise à la prescription triennale de l'article L.3245-1 et non à celle biennale, comme le soutient à tort l'employeur.

Il ressort des bulletins de salaire de l'appelant que celui-ci a toujours bénéficié d'une indemnité d'astreinte sur la période qu'il évoque, puisqu'il percevait entre 120 et 180 points mensuels à ce titre, en sus de l'indemnité nette de 100 euros pour l'accueil spécifique qu'il évoque, laquelle correspond à un supplément d'environ 26 points par mois que le salarié n'a jamais considéré comme insuffisant.

Or, la cour constate que sa prétention au titre de la contrepartie du temps d'astreinte ne porte que sur 40 heures par an (page 14 de ses conclusions), les autres heures étant, éventuellement, du temps de travail effectif qui relèvent de l'examen de sa demande au titre des heures supplémentaires.

Dès lors, eu égard aux dispositions conventionnelles applicables, à la contrepartie allouée pour la mission spécifique et à la durée évaluée des astreintes, il convient de considérer que le salarié a été rempli de ses droits à ce titre, la décision déférée est confirmée sur ce chef.

Par ailleurs, si le salarié indique que la situation qu'il décrit « pose problème au regard du droit au repos », la cour constate qu'il ne forme aucune prétention à ce titre.

Sur les heures supplémentaires et les repos compensateurs

Aux termes de L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

En l'espèce, il n'est pas contesté que le salarié était soumis à la durée légale du travail.

Après avoir rappelé sa mission de directeur adjoint, celle complémentaire de prise en charge d'un jeune au profil particulier ci-dessus rappelé et le fait qu'il a remplacé temporairement le directeur moyennant une prime de 200 euros bruts mensuels, M. [H] verse aux débats les éléments suivants :

-un décompte des heures supplémentaires prétendument accomplies chaque semaine du mois d'août 2015 au mois de juin 2018,

-des copies des pages de ses agendas de juillet 2015 à juin 2018 précisant les heures de début et de fin de travail, le nombre d'heures de travail quotidien et hebdomadaire,

-de multiples mails envoyés entre 2015 et 2018 dont quelques-uns à des heures matinales ou tardives (pièces 31 à 34 et 64 à 65),

-des attestations faisant part de son engagement professionnel et notamment, pour l'une, du fait qu'il « ne comptait pas ses heures, restait très tard pour s'assurer que les jeunes comme les salariés se sentent en sécurité » et pour une autre, qu'il pouvait « intervenir à tout moment »,

un agenda électronique indiquant des heures de rendez-vous,

des SMS du 29 juin 2018 (de 7h02 à 10h08) relatifs à la nécessité d'une autorisation médicale concernant le jeune dont il assurait la prise en charge,

des relevés de trajet domicile-travail et un parcours alternatif à l'autoroute.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.

Ce dernier fait valoir qu'il n'enregistre pas les horaires de ses cadres qui bénéficient d'une liberté d'organisation, en application de l'article 3.1 de l'annexe 6 relative aux cadres de la convention applicable. Toutefois, la Fondation ne peut se prévaloir de cette disposition pour se dédouaner de son obligation de contrôle du temps de travail.

Il y a lieu de constater que si elle conteste les allégations de M. [H] et remet en cause la valeur probante des éléments communiqués, elle ne produit pas les éléments de nature à justifier les horaires précis effectivement réalisés par celui-ci.

Par ailleurs, si la Fondation indique qu'aucun temps de pause n'est précisé sur les relevés du salarié, ce constat est inopérant faute pour elle de démontrer que le salarié bénéficiait du temps considéré.

En revanche, se fondant sur diverses pièces (détail des communications du 16 août 2017 au 15 juin 2018, liste des numéros reconnus, synthèses des sms émis, tickets de péages, emails, tableau synthétique des incohérences dans les déclarations des heures supplémentaires'), l'intimée relève, sans que cela soit discuté pertinemment, que :

-la plupart des mails produits sont sibyllins, consistent à des transferts d'information et ne constituent pas un travail effectif exécuté à la demande de l'employeur : à titre d'exemple, celui du 27 octobre 2017 de 23h23 (transfert d'une note sur la fugue d'une mineure) ou du 10 décembre à 21h24 : « c'est ok pour moi. A plus »,  

-le remplacement du directeur n'a porté que sur la période de septembre 2017 à février 2018 et n'a pas généré de rendez-vous supplémentaires comme en témoignent les copies de l'agenda électronique et les deux pages produites de l'agenda « papier » du salarié (pages 101 et 103),

-la prise en compte, dans le décompte des heures de travail, de diligences étrangères à ses obligations professionnelles (nombreux appels et SMS personnels, relecture de document d'une de ses collègues pour l'obtention de son diplôme ') ou encore des occupations personnelles effectuées sur le temps de travail (mails relatifs à la location d'un appartement pour les vacances),

-les déclarations d'heures supplémentaires comprennent plusieurs incohérences, dont certaines ont été retenues, à juste titre, par les premiers juges, portant sur des jours ou des heures non travaillées : à titre d'exemple, la semaine du 29 octobre au 3 novembre 2015 où le salarié déclare 37 heures de travail, alors qu'il était en congés, ce qu'il ne discute pas, précisant seulement qu'il a assuré des rendez-vous les lundi et mardi.

Enfin, si l'employeur fait valoir que les agendas versés aux débats correspondent à l'impression du calendrier de la boîte e-mail personnelle du salarié et que les mentions qui y sont portées l'ont été a posteriori, il ne justifie pas du caractère totalement erroné de ces documents au-delà des incohérences et des remarques précédemment retenues.

Ainsi, au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [H] a bien effectué les heures supplémentaires non rémunérées.

Compte tenu de l'amplitude de travail réelle qui résulte notamment de la lecture des agendas du salarié et qui tient compte des incohérences relevées, du taux horaire et des majorations applicables, il sera fait droit à la demande de M. [H] à hauteur de 9 265,81 euros, outre les congés payés afférents.

La cour rappelle que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et seront capitalisés dès lors qu'ils seront dus pour une année entière.

La décision déférée est infirmée sur ce chef.

Au regard des précédents développements, du nombre d'heures supplémentaires retenu par la cour pour les années 2015 à 2018, il y a lieu de constater que le salarié n'a pas dépassé le contingent annuel d'heures supplémentaires, de sorte que sa demande au titre des repos compensateurs ne peut prospérer.

Le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a rejeté cette prétention.

Sur la demande au titre du travail dissimulé

Par application de l'article L.8221-5, 2° du code du travail, la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli constitue le travail dissimulé dans la mesure où elle est intentionnelle.

L'attribution par une juridiction au salarié d'heures supplémentaires non payées ne constitue pas à elle seule la preuve d'une dissimulation intentionnelle.

Faute pour le salarié de justifier d'éléments permettant de caractériser l'élément intentionnel de l'infraction, il doit être débouté de sa demande de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle

L'intimée sollicite le remboursement de 23 jours de congés annuels non pris et réglés au salarié au motif qu'il ressort des agendas produits qu'en réalité, ce dernier en a bénéficié.

Il n'est pas discuté qu'en application de l'article 22 de la convention collective applicable et de l'article 6 précédemment rappelé, le salarié dispose de jours de congés annuels, de congés trimestriels et de congés d'ancienneté auxquels s'ajoutent 21 jours de RTT, soit un nombre total de 75 jours de congés par an, toutes causes confondues.

Or, il s'infère de l'examen des agendas du salarié que celui-ci n'a pas pris un nombre de jours de congés supérieur à celui auquel il avait droit.

S'il reconnaît avoir omis de déclarer 4 jours au titre des congés annuels pris en décembre 2017, il ressort toutefois des mentions portées sur son agenda de l'année 2017, qu'il n'avait pas été rempli de ses droits au titre des jours RTT (12 jours pris en 2017), de sorte que l'employeur n'est pas non plus fondé à solliciter un remboursement à ce titre.

Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté cette prétention de l'intimée, la décision déférée étant confirmée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

La Fondation Les Nids, partie succombante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [H] les frais non compris dans les dépens qu'il a pu exposer. Il convient en l'espèce de condamner l'employeur à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel. La décision déférée est infirmée en ce qu'elle a condamné l'appelant à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux heures supplémentaires, aux frais irrépétibles et aux dépens,

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,

Condamne la Fondation Les Nids à payer à M. [L] [H] la somme de 9 265,81 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre celle de 926,58 euros au titre des congés payés afferents,

Rappelle que les sommes à caractère salarial produiront intérêt au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière ;

Condamne la Fondation Les Nids à payer à M. [L] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la Fondation Les Nids aux dépens de première instance et d'appel.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00874
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;20.00874 ?
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