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20/10/2022 | FRANCE | N°20/00897

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 octobre 2022, 20/00897


N° RG 20/00897 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INQ4





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :



Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 16 Janvier 2020





APPELANTE :





Madame [D] [P]

[Adresse 3]

[Localité 2]



présente



représentée par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN










INTIMEE :





Association FEMMES INTER-ASSOCIATION NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 4]



représentée par Me Pascale ROUVILLE de la SELARL EPONA CONSEIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Cyril CAPACCI, avoc...

N° RG 20/00897 - N° Portalis DBV2-V-B7E-INQ4

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 16 Janvier 2020

APPELANTE :

Madame [D] [P]

[Adresse 3]

[Localité 2]

présente

représentée par Me Stéphane PASQUIER de la SELARL PASQUIER, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Association FEMMES INTER-ASSOCIATION NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Pascale ROUVILLE de la SELARL EPONA CONSEIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Cyril CAPACCI, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Mme [D] [P] a été engagée en contrat à durée indéterminée par l'association Femmes inter-associations Normandie (l'association FIA Normandie) le 15 octobre 2013 en qualité de coordinatrice/chargée de projet de développement social et urbain.

Placée en arrêt de travail à compter du 19 mai 2017 et soutenant être victime de faits constitutifs d'exécution défectueuse du contrat de travail, de harcèlement moral et de dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen le 24 septembre 2018.

Par jugement du 16 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [P] de l'ensemble de ses demandes et l'association FIA de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Mme [P] aux entiers dépens.

Mme [P] a interjeté appel de cette décision le 20 février 2020.

Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 31 juillet 2020.

Par conclusions remises le 13 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [P] demande à la cour de réformer le jugement et, en conséquence, de :

- dire qu'elle est victime de faits constitutifs d'exécution défectueuse du contrat de travail, harcèlement moral, dégradation des conditions de travail et de l'état de santé et condamner l'association FIA Normandie à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- rappeler que les intérêts légaux courent de plein droit à compter de la saisine sur les créances de nature salariale et faire courir les intérêts au taux légal sur les demandes indemnitaires à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts dès lors que les intérêts courront depuis plus d'un an et qu'une demande a été faite,

- condamner l'association FIA Normandie à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance qui comprendront les frais d'exécution du jugement à intervenir.

Par conclusions remises le 12 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, l'association FIA Normandie demande à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement et de débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes, à titre subsidiaire de ramener les demandes de condamnation à de plus justes proportions et en tout état de cause, condamner Mme [P] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Après rabat de l'ordonnance de clôture du 7 juillet 2022, une nouvelle ordonnance de clôture de la procédure a été rendue avant la tenue des débats le 14 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Mme [P] soutient qu'alors que sa situation était satisfaisante jusqu'à la fin du premier semestre 2016 et qu'elle a toujours donné satisfaction dans son travail, ses conditions de travail se sont par la suite dégradées avec l'arrivée de la nouvelle présidente, Mme [F], laquelle a voulu modifier à plusieurs reprises sa fiche de poste et lui a retiré ses fonctions de coordinatrice de l'association pour lui attribuer celles de chargée de projet.

Elle note ainsi que certaines de ses responsabilités ont été confiées à d'autres de ses collègues, ainsi, les fonctions d'encadrement du pôle médiation ou la responsabilité de la caisse, mais aussi plus généralement la gestion de l'association, ces faits étant accompagnés d'une absence de prise en compte de sa surcharge de travail, d'une remise en cause du télétravail dont elle bénéficiait mais aussi de critiques permanentes sur ses méthodes de travail et ce, devant son équipe et les membres du conseil d'administration, dont elle était par ailleurs mise à l'écart en n'étant plus invitée aux réunions.

Enfin, elle explique que cette situation de harcèlement moral s'est encore traduite par la réception de plusieurs courriers recommandés reçus durant ses week-ends, congés ou arrêt maladie, et notamment la réception d'une sanction disciplinaire en mai 2017 ou la tentative de la licencier pour motif économique à l'été 2017, ce qui a conduit à un arrêt de travail ininterrompu à compter de mai 2017, qui n'a pas empêché l'association FIA Normandie de continuer à la déstabiliser en tardant systématiquement à lui verser les compléments de salaire auxquels elle pouvait prétendre.

La société FIA Normandie conteste toute situation de harcèlement moral et rappelle que Mme [P] a, certes, été engagée en qualité de coordinatrice mais également en qualité de chargée de projet, sachant que la part de son travail consacré à l'encadrement restait minoritaire et qu'elle n'a jamais été en charge de fonctions de direction, lesquels étaient l'apanage de la présidente du conseil d'administration, aussi, conteste t-elle toute volonté de modifier unilatéralement les fonctions de Mme [P] et tout retrait de responsabilités, sachant qu'il ne ressort pas de ses missions qu'elle aurait dû avoir la responsabilité de la caisse, ni qu'elle aurait été la référente du pôle médiation, fonction qui était en réalité confiée à une autre collègue comme en témoigne la fiche de poste de cette dernière.

Elle relève par ailleurs que si des mails ont été envoyés avec plusieurs destinataires en copie, outre qu'ils ont toujours été respectueux, ils ne sont que la réponse à des mails de Mme [P] mettant en cause Mme [F], présidente de l'association, de manière parfois très virulente, avec cette même liste de destinataires, sachant qu'elle avait réclamé à plusieurs reprises que cessent ces mails collectifs, en vain.

Elle note encore que, malgré de nombreuses demandes de Mme [F], Mme [P] n'a jamais justifié d'un quelconque accord qui lui aurait été donné de télétravailler les mercredis, et qu'ainsi, c'est à juste titre qu'elle a été contrainte de la sanctionner en raison de son refus d'appliquer les consignes malgré la désorganisation du service qui s'ensuivait, de dépassement de devis sans accord préalable des membres du conseil et de l'attitude agressive adoptée à l'égard d'une stagiaire, comportement qui avait déjà été dénoncé en 2015.

Enfin, elle relève qu'il résulte tant de ses comptes annuels que de la mesure de sauvegarde décidée en mars 2016 que l'association rencontrait des difficultés économiques justifiant une plus grande intervention de la présidente dans la gestion de l'association mais aussi l'engagement d'une procédure de licenciement économique à l'égard Mme [P].

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Compte tenu des griefs formulés à l'encontre de l'association FIA Normandie, et notamment celui relatif au retrait d'un certain nombre de prérogatives, il convient, à titre liminaire, de relever qu'il résulte du contrat de travail de Mme [P] qu'elle a été engagée en qualité de coordinatrice/chargée de projet de développement social et urbain et que ses missions étaient les suivantes :

- diagnostiquer les besoins

- concevoir et rédiger un projet d'activités

- participer à l'élaboration des budgets prévisionnels

- constituer les dossiers de demande de subventions

- développer, mobiliser et animer un réseau de partenaires

- concevoir des outils de communication sur les activités de la structure

- mettre en oeuvre et suivre le projet d'activités

- évaluer les actions et rédiger le rapport d'activités

- participer à l'élaboration des comptes rendus financiers

- superviser et encadrer le travail des équipes de l'association.

Il est par ailleurs produit un avenant accompagné d'une fiche de poste élaborée en 2015, dont il est précisé par l'association FIA Normandie qu'elle avait été le fruit d'un travail de réflexion de plusieurs membres du conseil d'administration et qu'elle avait été validée par ce conseil.

Aussi, et alors que Mme [P] explique, quant à elle, qu'elle avait refusé de la signer à cette époque à défaut de toute modification par rapport à son contrat de travail, il convient d'en retenir les missions comme étant celles de Mme [P].

Sans en reprendre cependant l'intégralité, et notamment celles relatives à la qualité de chargée de projets qui ne sont pas l'objet principal du débat entre les parties, sauf à préciser qu'il était indiqué que les projets devaient être réalisés en co-construction avec l'équipe pédagogique (médiateurs, intervenants), l'équipe administrative (comptable, secrétaire) et en concertation avec le conseil d'administration, s'agissant du management de l'équipe, il était noté qu'elle organisait les tâches de chacun des professionnels pour mettre en oeuvre le projet pédagogique et faisait des propositions au conseil d'administration pour trouver les moyens humains de la réalisation du projet.

Etaient ensuite listées plus précisément ses missions, à savoir :

- Responsabilité quotidienne de l'activité

- Vérifie l'exécution des tâches

- Utilise et met en place des outils à ces fins

- Met en place et anime les réunions

- Rédaction du rapport d'activité annuel

- Mettre en place et accompagner dans la formation les professionnels

- En lien avec la secrétaire, la coordinatrice assure les actes administratifs réglementaires dans la gestion du personnel : déclarations, arrêts de travail, congés, salaires, remboursement des frais professionnels...

Si ces actes administratifs sont réalisés par la secrétaire et la comptable, ils sont supervisés par la coordinatrice.

- La coordinatrice a une fonction d'encadrement des professionnels, appropriée au degré d'autonomie des différents postes, et de formation des professionnels arrivant dans l'association: salariés, médiateurs, adultes relais, services civiques.

La responsabilité employeur est du ressort du conseil d'administration et de la présidente : embauches, sanctions, licenciements. La coordinatrice est associée à la décision et mise en oeuvre de ces actes.

Aspects financiers :

- Elaboration du budget prévisionnel de l'association

- Suivi du tableau de trésorerie

- Suivi des financements

En lien avec la comptable qui réalise les budgets selon les indications de la coordinatrice et la validation de la trésorière. Tout acte qui engage l'association sur ses fonds doit être validé par la trésorière et son conseil d'administration.

En regard de ces deux pièces, à l'appui de sa demande, Mme [P] produit la fiche de poste qui lui a été soumise pour signature en 2017, des attestations d'anciens membres de l'association et de nombreux mails qui, selon elle, témoigneraient du retrait d'un certain nombre de ses responsabilités, de sa mise à l'écart des réunions mais aussi de la critique et du dénigrement dont elle était l'objet.

Ainsi, invoque t-elle plus précisément deux mails des 12 décembre 2016 et 19 mars 2017 dans lesquels Mme [F] lui demande à être informée avant l'embauche d'un salarié ou encore rappelle que les embauches de nouveaux médiateurs sont conditionnées par les finances de l'association et par la validité des contrats proposés, actuellement en cours d'étude par un avocat conseil.

Outre qu'il résulte du jugement rendu par le tribunal de grande instance le 31 mars 2016 ouvrant une procédure de sauvegarde de l'association qu'il s'est interrogé sur le statut des '31 'salariés' vacataires ('), apparemment payés à l'heure, qui sont presque tous interprète/médiateur', ce qui justifiait une reprise en mains et une étude plus fine de leur statut par un avocat, en tout état de cause, il ne ressort pas des missions de Mme [P] qu'il lui appartenait de décider des embauches de ces salariés, interprètes ou médiateurs, seul le diagnostic des moyens lui revenant, ce qui ressort d'ailleurs très clairement de la fiche de poste élaborée en 2015.

Par ailleurs, si dans un mail du 20 juillet 2016, il est évoqué sa qualité de chargée de projet, ce qu'elle est, en lui rappelant qu'en cette qualité, il lui appartient de monter et déposer les dossiers qu'elle remplit pour les demandes de subventions, sans mentionner sa deuxième qualité de coordinatrice, cela ne signifie cependant nullement qu'il lui est dénié cette seconde mission.

Il en est de même du mail du 22 décembre 2016 dans lequel Mme [F] répond à Mme [P], qu'au regard de la date proposée pour rencontrer l'association Voix de femme, non compatible avec les disponibilités des membres du bureau, elle va prendre leur contact, sachant qu'il ne s'agit que d'une réponse à un mail de Mme [P] qui demande à ce que les membres du conseil d'administration soient présents lors de la rencontre organisée avec cette association.

Enfin, un certain nombre de mails invoqués par Mme [P] ne sont que le reflet du pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur, et non celui d'un retrait de ses responsabilités, ainsi, lorsque Mme [F] relit les conventions qui lui sont soumises pour signature et qu'elle constate et modifie des erreurs, notamment sur le montant des budgets accordés ou quand elle s'autorise à lui demander des documents ou à lui faire part de quelques questionnements sur l'organisation d'une formation dans des termes parfaitement courtois qui ne sauraient s'apparenter à une remise en cause de son travail.

La lecture des différents mails ne permet pas non plus de retenir qu'il lui aurait été donné des ordres ou des contre-ordres ou que ses mails seraient restés sans réponse. A cet égard, une réponse tardive le 23 janvier à un mail envoyé le 20 décembre, soit à une période précédant les fêtes de fin d'année, dans lequel la présidente commence par s'excuser de la tardiveté de sa réponse et en explique les raisons ne saurait s'apparenter à une absence de réponse ou encore à une volonté d'isoler ou de mettre à l'écart Mme [P].

Bien plus, alors que Mme [P] évoque un dénigrement de son travail devant ses équipes et les membres du conseil d'administration, outre qu'il ressort de tous les mails versés à la procédure que la pratique du mail collectif était particulièrement utilisée au sein de l'association, y compris par Mme [P], la teneur d'un des mails qu'elle envoie à Mme [F] qui lui indique avoir découvert l'existence d'un nouveau devis sur un projet et qui rappelle que toute démarche qui engage l'association doit être validée au préalable, questionne sur le positionnement de Mme [P] elle-même face à son employeur au regard du ton employé.

Ainsi, Mme [P] écrit le 29 mars 2017 : 'Madame la Présidente, 'Vous n'étiez pas au courant' du projet femmes migrantes, cela fait pourtant partie des documents relatifs aux demandes de subvention pour 2017 que je vous ai remis le 15 février pour validation. (...) Je ne sais pas comment faire pour communiquer avec vous si vous ne prenez pas le temps comme vous me l'avez précisez vendredi dernier, le 24 mars, de lire les documents. Je n'apprécie pas que vous décriez mon travail de cette manière, je vous demande de prendre des mesures pour que nos relations au sein de l'organisation FIA s'améliorent. Par ailleurs, je constate depuis plusieurs semaines des tensions dans l'équipe du fait d'un manque de clarté et de positionnement des uns et des autres. Il est urgent que vous preniez des décisions et que vous communiquiez avec des collègues afin de nous donner à tous la possibilité de nous épanouir dans notre travail. Je n'accepterai pas d'être mise en cause sur des sujets qui vous concernent. Cordialement'.

Il en est de même du mail du 12 décembre 2016 qu'invoque Mme [P] pour reprocher à Mme [F] de ne pas prendre en compte sa charge de travail.

En effet, outre que, comme justement indiqué par l'association FIA Normandie, il n'est pas demandé à Mme [P] 'de mieux s'organiser' mais simplement 'de s'organiser au mieux', et ce, pour faire effectivement face à une surcharge de travail pouvant résulter de l'absence de plusieurs salariés sur la journée du 9 décembre, les termes du mail de Mme [P] à l'origine de cette réponse dans laquelle Mme [F] explique par ailleurs les raisons l'ayant conduite à accorder une absence à une des salariées alors qu'elle n'avait pas encore connaissance de l'arrêt de travail d'une autre, sont pour le moins inadaptés pour s'adresser à la présidente de l'association, dès lors que, se retrouvant certes seule à gérer le service, elle lui écrit 'Il est urgent que tu puisses communiquer mieux tes décisions notamment sur l'attribution des journées de congés avec un délai de prévenance raisonnable.', et ce, d'autant qu'il n'est pas justifié qu'elle aurait réalisé des heures supplémentaires sans contrepartie au regard des nombreuses journées de récupération dont elle bénéficiait.

Enfin, si Mme [H], présidente de l'association jusqu'en janvier 2016, explique dans son attestation que Mme [P] était très autonome dans son travail, très investie et qu'elle travaillait même de son domicile en demandant à conserver ses outils de travail et que, dans un souci de transparence, avec son soutien, elle a voulu formaliser ce fonctionnement en demandant à travailler chez elle le mercredi avec des arguments valables (frais de garde le mercredi pour des enfants en bas âge), sans que cela ne pose aucun problème d'organisation pour la structure, outre que les termes de cette attestation ne permettent pas d'accréditer l'existence d'un télétravail, de fait, les mercredis, antérieurement à cette demande, les pièces objectives du dossier en confortent l'absence.

Ainsi, la première demande écrite produite par Mme [P] dans laquelle elle indique souhaiter mettre en place une 'nouvelle' organisation de son temps de travail date du 17 juillet 2015, soit effectivement pendant la présidence de Mme [H], mais elle fait suite à une réunion du conseil d'administration lors de laquelle il a été refusé sa demande de prise en charge de ses frais de déplacement domicile-travail, seule demande alors présentée.

Ce n'est donc qu'après cette réunion lors de laquelle une de ses collègues obtenait, pour sa part, de voir modifier son emploi du temps de manière à lui permettre d'avoir son mercredi après-midi libre, qu'une telle demande a été faite.

Dès lors, à défaut de toute autre pièce accréditant l'existence d'un accord donné suite à cette demande, il ne peut être fait grief à Mme [F] de l'avoir refusée, d'autant qu'elle est intervenue après qu'une autre salariée ait déjà été autorisée à bénéficier de son mercredi après-midi, s'agissant d'une petite structure avec peu de personnel.

Enfin, alors que Mme [P] n'était pas membre de droit du conseil d'administration, il n'est pas davantage établi qu'elle aurait été mise à l'écart de ces réunions, et il ressort au contraire des mails qu'elle prend pour exemple que, si elle n'a pas assisté à toutes les réunions, elle y est néanmoins expressément conviée et il lui est même conseillé d'appeler un des membres du bureau pour savoir si elle doit préparer quelque chose pour ladite réunion, aussi, le courrier écrit par Mme [X], ancienne trésorière, dans le cadre de la procédure en cours, qui ne peut s'apparenter à une attestation à défaut de pièce d'identité et de mentions des sanctions encourues en cas de fausse déclaration, ne permet pas de remettre en cause ce constat, d'autant qu'il est très imprécis sur cette question.

Néanmoins, au-delà du fait que Mme [P] revendique des prérogatives qui ne ressortent nullement de son contrat de travail et émet un ressenti très subjectif sur un certain nombre de sujets, la comparaison des fiches de poste qui lui ont été proposées en 2015 et 2017, toutes deux réalisées en concertation par les membres du conseil d'administration au regard des missions qu'ils estimaient être les siennes, permet de relever une évolution sensible de celles-ci et peut aussi expliquer la virulence de certains de ses mails dans un contexte de frustration face à une perte de responsabilités.

Ainsi, alors que dans la fiche de poste de 2015 il était clairement précisé qu'elle organisait les tâches de chacun des professionnels pour mettre en oeuvre le projet pédagogique, qu'elle vérifiait l'exécution des tâches, et surtout, avait une fonction d'encadrement des professionnels appropriée au degré d'autonomie des différents postes, dans la fiche de poste de 2017, en ce qui concerne sa mission d'encadrement, toujours visée, il n'est cependant plus prévu qu'un encadrement technique, avec appui et soutien dans les missions des salariés et plan de formation, et un encadrement fonctionnel avec préparation et animation des réunions d'équipe et transmission des informations aux salariés.

Il est ainsi manifeste que quand bien même il est maintenu les termes d'encadrement technique et fonctionnel, il lui a été retiré la fonction d'encadrement de son équipe, celle-ci ne pouvant ressortir de la seule préparation et animation d'une réunion ou d'une simple transmission d'informations, ni d'ailleurs d'un soutien technique.

Par ailleurs, et alors qu'il n'est nullement justifié que Mme [P] serait à l'origine du prêt de 600 euros accordé par l'association à Mme [H] en juillet 2015 et qu'il n'y a donc pas lieu de remettre en cause la force probante de son attestation, il en ressort que Mme [P] avait en charge l'encadrement de l'équipe et la structuration du pôle médiation avec le soutien du conseil d'administration, propos corroborés par l'acte de démission de Mme [X] le 4 mai 2017 de son poste de trésorière qui la met en partie en lien avec le management existant à l'égard de Mme [P], et notamment le retrait de ses responsabilités d'encadrement de l'équipe et de l'activité médiation au moment de l'élaboration des fiches de poste.

A cet égard, au-delà des liens amicaux qui lient éventuellement Mme [X] à Mme [P] mais qui ne sont pas de nature à remettre en cause un écrit très spontané, en dehors de tout litige prud'homal à cette époque, la fiche de poste de Mme [M] produite par l'association FIA, qui permet de constater qu'elle est référente des médiateurs, est sans intérêt, voire conforte les allégations de Mme [P], dès lors qu'elle date de juin 2017, soit peu de temps après la démission de Mme [X] qui, précisément, faisait état du retrait de cette responsabilité.

Ainsi, et si la plupart des mails qu'elle produit sont inopérants en ce qu'ils ne reflètent que le rôle de décideur de la présidente de l'association d'embaucher ou non, en fonction des contraintes financières et légales, il ressort néanmoins suffisamment des précédentes pièces produites aux débats que Mme [P] établit avoir été démise de ses responsabilités du pôle médiation mais aussi plus largement du rôle d'encadrement qui était le sien et qui allait au-delà d'un simple rôle d'animation des réunions d'équipe et de transmission des informations aux salariés.

Il en est de même de la responsabilité de la caisse dont il n'est pas contesté par l'association FIA Normandie qu'elle a été confiée à une autre salariée mais aussi de la responsabilité du suivi de trésorerie dès lors que cette mission ressortait également de la fiche de fonction de Mme [P] de 2015 et qu'il résulte d'un mail de Mme [F] le 14 octobre 2016 envoyé à Mme [P] qu'elle se charge désormais elle-même de la visibilité des comptes et de faire un suivi de trésorerie régulier.

Au-delà de la perte d'un certain nombre de responsabilités, il est invoqué par Mme [P] les courriers recommandés qui lui ont été adressés, ainsi, en a t-elle reçu un le 5 janvier 2017 afin de lui rappeler qu'elle ne peut persister à travailler de chez elle à défaut d'accord, qu'elle doit prévenir et obtenir l'aval des membres du conseil d'administration pour ses congés et enfin qu'elle ne peut demander une participation de 5 euros à des stagiaires alors que l'association reçoit des subventions pour les formations délivrées.

Il est encore produit une convocation à un entretien préalable à sanction disciplinaire le 31 mars 2017, convocation qui a fait l'objet de questionnements de la part de deux membres du conseil d'administration non avisés de la mise en oeuvre de cette procédure, laquelle a été suivie d'une mise à pied disciplinaire le 11 mai et ce pour trois motifs, à savoir non-respect des consignes de l'employeur quant au télétravail, dépassement du montant d'un devis sans l'accord préalable du conseil d'administration et enfin attitude inadaptée adoptée à l'égard d'une stagiaire.

Enfin, il est justifié qu'elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement économique le 7 août 2017 et qu'il lui a été transmis une proposition de reclassement le 19 septembre sur un contrat à durée déterminée de neuf mois, à raison de 4 heures par semaine, en qualité d'animatrice d'ateliers linguistiques, statut employé, sans qu'il ne soit donné aucune suite à cette procédure.

Couplés aux éléments médicaux produits par Mme [P], à savoir, suivi régulier avec un psychiatre à compter de novembre 2017 et un arrêt de travail à compter de mai 2017 pour syndrome anxio-dépressif, ininterrompu jusqu'à l'avis d'inaptitude délivré le 19 mai 2020, Mme [P] présente des faits répétés de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral, sans qu'il ne puisse cependant être retenu que l'association FIA Normandie aurait maintenu Mme [P] dans la précarité pendant cette période d'arrêt de travail en ne remettant pas ses relevés d'indemnités journalières à l'organisme de prévoyance dès lors qu'il ressort suffisamment des pièces du dossier qu'elle a transmis des éléments partiels qui ont imposé à l'association de lui réclamer des pièces complémentaires.

Il appartient en conséquence à l'association FIA Normandie de démontrer que ses décisions ont été prises sur la base d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Comme déjà développé précédemment, l'association FIA Normandie apporte un certain nombre de justificatifs à certaines des mesures prises à l'égard de Mme [P], et notamment en ce qui concerne la mise à pied disciplinaire mise en oeuvre en mai 2017 dès lors qu'il est suffisamment justifié qu'il n'avait pas été fait droit à la demande de télétravail de Mme [P] et que, celle-ci, malgré les nombreuses demandes de son employeur de respecter cette décision, est passée outre.

Au contraire, s'agissant des deux autres griefs, le seul mail d'un membre du bureau expliquant que Mme [P] n'a pas compris la demande formulée par Mme [F], à savoir qu'elle n'a pas été informée du devis modificatif, ne permet pas suffisamment d'en vérifier la véracité.

Surtout, en ce qui concerne son attitude à l'égard de Mme [S], stagiaire, il n'est produit qu'un compte-rendu non signé qui correspondrait à un entretien avec Mme [V], médiatrice, dans lequel il est indiqué que Mmes [M] et [P] auraient employé des mots indécents et non professionnels à l'égard de Mme [S]. A supposer même que ce compte-rendu soit conforme aux propos de Mme [V], il n'est pas versé aux débats les comptes-rendus des entretiens qui auraient dû être également menés avec les autres protagonistes de l'affaire, sachant qu'en l'occurrence deux versions différentes s'opposaient sur l'attitude de la stagiaire elle-même et il ne peut dans ces conditions être retenu que ce grief est justifié, sans qu'un précédent différend, deux ans plus tôt, ne soit de nature à établir la réalité de ces faits.

Outre que cette mise à pied n'est que très partiellement fondée, la procédure de licenciement économique mise en oeuvre au mois d'août 2017 n'est, quant à elle, aucunement justifiée dès lors que les comptes annuels démontrent que les résultats de l'association FIA Normandie ont sensiblement progressé entre fin 2016 et fin 2017 pour dégager un bénéfice de 2 314 euros alors que les pertes étaient de 25 565 euros en décembre 2016.

A cet égard, et alors que l'association FIA Normandie fait valoir qu'elle ne pouvait connaître cette progression en cours d'année, elle ne produit aucun chiffre mensuel ou aucune attestation quelconque d'un comptable explicitant cette difficulté mais il doit en outre être constaté que seule Mme [P] a été concernée par cette procédure de licenciement, que le poste de reclassement proposé ne pouvait qu'être refusé par Mme [P] tant au regard de son caractère temporaire, du temps de travail ou de sa qualification et qu'enfin, cette procédure est restée sans suite sans qu'aucune explication ne soit apportée.

Enfin, si l'ouverture d'une procédure de sauvegarde pouvait justifier que la présidente de l'association se montre plus vigilante sur l'exercice de ses prérogatives, notamment en ce qui concernait l'embauche de salariés ou le contrôle opéré sur les comptes et projets soumis au conseil d'administration, elle ne pouvait néanmoins justifier qu'il soit retiré à Mme [P] sa fonction d'encadrement des professionnels et ce, sans que l'incident de janvier 2015 ayant opposé Mme [P] à une salariée, lequel avait mis en avant des problèmes de management, ne puisse davantage justifier ce retrait de responsabilités dès lors, qu'à l'époque, aucune initiative n'avait été prise en ce sens et qu'au contraire, la fiche de poste de 2015 confortait Mme [P] dans sa fonction d'encadrement, sachant qu'alors qu'il lui est reproché d'avoir sollicité le licenciement de cette salariée, il ressort de la fiche de fonction de 2015 qu'il lui appartenait d'apporter son avis sur les sanctions envisagées.

Au vu de ces éléments, il convient de retenir l'existence d'un harcèlement moral et de condamner l'association FIA Normandie à payer à Mme [P] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral au regard des pièces médicales qu'elle produit aux débats et qui démontrent la réalité d'un état dépressif durable ayant nécessité un suivi psychiatrique.

Les sommes allouées, à caractère indemnitaire, produiront intérêts à compter du présent arrêt et les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l'arrêt, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner l'association FIA Normandie aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Condamne l'association Femmes inter-associations à payer à Mme [D] [P] la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Dit que les sommes allouées, à caractère indemnitaire, produiront intérêts à compter du présent arrêt et les intérêts échus produiront intérêts, dés lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière à compter de l'arrêt ;

Y ajoutant,

Condamne l'association Femmes inter-associations Normandie à payer à Mme [D] [P] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute l'association Femmes inter-associations de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l'association Femmes inter-associations aux entiers dépens.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/00897
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;20.00897 ?
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