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20/10/2022 | FRANCE | N°20/01027

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 20 octobre 2022, 20/01027


N° RG 20/01027 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IN2B





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 20 OCTOBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 07 Février 2020





APPELANTE :





S.A.R.L. CRISTAL QUARTZ

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Olivier JOUGLA de la SELARL EKIS, avocat au barreau du HAVRE



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INTIME :





Monsieur [Y] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté par Me Laurent LEPILLIER de la SELARL LEPILLIER BOISSEAU, avocat au barreau du HAVRE





































COMPOSITION DE LA COUR  :





En ...

N° RG 20/01027 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IN2B

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 20 OCTOBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 07 Février 2020

APPELANTE :

S.A.R.L. CRISTAL QUARTZ

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Olivier JOUGLA de la SELARL EKIS, avocat au barreau du HAVRE

INTIME :

Monsieur [Y] [O]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Laurent LEPILLIER de la SELARL LEPILLIER BOISSEAU, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 14 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 14 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 Octobre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 20 Octobre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [Y] [O] a été engagé par la société Cristal quartz en contrat à durée indéterminée le 15 septembre 2014 en qualité de technico-commercial.

Il a été licencié pour faute grave le 5 janvier 2019 dans les termes suivants :

'Nous avons eu à déplorer de votre part un certain nombre d'agissements fautifs et qui sont les suivants :

- Le 26 novembre 2018, alors que Mme [D] [N] vous rencontre sur le temps de travail, elle échange avec vous sur votre emploi du temps, ce qui ne vous a pas plu, et vous n'avez pas hésité à la bousculer à trois reprises.

Mme [N] qui a consulté un médecin a subi du fait de cette agression du 26 novembre 2018, des lésions entraînant une ITT de six jours à savoir : douleur épaule droite et rachis cervical.

Nous vous avons convoqué à un entretien préalable le 11 décembre 2018.

Lors de cet entretien, vous avez indiqué que vous reconnaissiez avoir bousculé un obstacle avec la portière de la voiture sans toutefois reconnaître véritablement les faits qui sont en tout état de cause justifiés par le certificat médical et l'entretien que vous avez eu sur place avec Mme [N].

- Aux termes de votre contrat de travail, vous bénéficiez d'un véhicule de service qui est mis à votre disposition et qui est attribué pour le seul exercice de vos fonctions.

A ce titre, vous déclarez avoir déposé le véhicule et qu'il y aurait un litige entre véhicule de fonction et de service.

Aux termes de votre contrat de travail, il est bien rappelé que ce véhicule ne sera pas à utiliser à titre personnel et que dès lors que l'exécution du contrat est suspendue (congés payés, maladie), le véhicule doit être restitué à l'entreprise.

Au lieu de cela, vous conservez par devers vous le véhicule de service tous les jours et le week-end et vous l'utilisez à des fins personnelles et ce malgré notre demande par courrier recommandé en date du 7 novembre 2018.

- Vous refusez catégoriquement de donner votre emploi du temps, vos horaires de travail ainsi que le nom des clients visités et ce, en complète contradiction avec vos obligations contractuelles, vous rappelant en cela que vous êtes embauché en qualité de technico-commercial, et il vous appartient bien évidemment, de nous rendre compte de l'ensemble de vos démarches effectuées et des clients visités.

Au lieu de cela vous refusez de communiquer ces éléments ce que nous vous avons rappelé à plusieurs reprises.

En particulier, par mail du 11 septembre 2018, 14 septembre 2018, 15 novembre 2018 et par courrier recommandé en date du 28 novembre 2018.

A ce titre, lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué ne pas avoir à travailler avec un planning et concernant les clients, ne pas les connaître sur l'instant.

Nous vous rappelons à ce titre qu'à un certain nombre de reprises, vous avez fait l'objet de rappels à l'ordre et d'avertissement en particulier :

Par courrier en date du 27 août 2018, nous vous avions rappelé par le biais d'un rappel à l'ordre, votre insolence envers la hiérarchie et le refus de respecter le matériel et les ordres qui vous étaient donnés, de sorte que vous avez été averti à un certain nombre de reprises de ce comportement et la réitération des faits pour lesquels vous avez été déjà sanctionné, manifeste une volonté évidente de nuire à l'entreprise et de refuser vos obligations contractuelles.

De la même façon, par courrier recommandé du 19 septembre 2018, nous vous demandions de déposer le véhicule de service de la société à l'atelier et de déposer en même temps, le téléphone portable.

Cette conduite met en cause la bonne marche de l'entreprise.

Les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 11 décembre 2018 ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave car ces agissements sont d'une gravité exceptionnelle et que nous ne pouvons tolérer bien évidemment, l'agression physique à l'encontre de Mme [N].

En outre, l'ensemble des autres faits vous ont été rappelés et la réitération de ces faits malgré plusieurs rappels à l'ordre et avertissement manifestent une volonté claire de ne pas respecter les instructions qui vous sont données. (...).'

Par requête du 8 mars 2019, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappel de salaires et indemnités.

Par jugement du 7 février 2020, le conseil de prud'hommes a :

-fixé la moyenne mensuelle du salaire de M. [O] à la somme de 2 566,80 euros bruts,

-requalifié le licenciement pour faute en un licenciement pour cause réelle et sérieuse,

-condamné la société Cristal quartz à payer à M. [O] les sommes suivantes :

rappel de salaire sur mise à pied : 2 884,09 euros

congés payés afférents : 288,41 euros

indemnité de préavis : 5 000 euros

congés payés afférents : 500 euros

indemnité légale de licenciement : 3 080,16 euros

remboursement de la retenue pour matériel : 500 euros

indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros

- dit que les sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour les salaires et accessoires de salaires,

- débouté M. [O] du surplus de ses demandes et la société Cristal quartz de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Cristal Quart aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.

La société Cristal quartz a interjeté appel de cette décision le 28 février 2020.

Par conclusions remises le 15 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, la société Cristal quartz demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, en conséquence, statuant à nouveau, dire le licenciement pour faute grave bien fondé, débouter M. [O] de toutes ses demandes et le condamner au remboursement de la totalité des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire du jugement du 7 février 2020, ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 4 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens, M. [O] demande à la cour de :

-infirmer partiellement le jugement, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Cristal quartz à lui verser les sommes suivantes :

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 13 000 euros

rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement : 710,46 euros

indemnité pour procédure abusive et vexatoire : 5 000 euros

rappel de salaires (notes de frais) : 560,24 euros

rappel de salaires (avantages en nature) : 1 863,21 euros

rappel de salaires (déduction avance sur frais) : 500 euros

- confirmer le jugement en ce qui concerne le rappel de salaire sur mise à pied, les congés payés afférents, l'indemnité de préavis, les congés payés afférents, l'indemnité conventionnelle de licenciement et le rappel de salaire relatif à la déduction matériel,

-subsidiairement, confirmer le jugement,

- en tout état de cause, débouter la société Cristal quartz de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 7 juillet 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Outre qu'il soutient avoir commencé à travailler pour la société Cristal quartz dès juillet 2014 sans qu'aucun contrat ne soit régularisé, M. [O] explique que ses conditions de travail ont commencé à se dégrader en 2017 après l'arrivée de l'épouse du gérant, notant ainsi des retards de paiement dans son salaire, mais aussi des déductions de sommes injustifiées ou encore des frais non remboursés, et ce, accompagnés d'avertissements et de divers rappels par courriers recommandés avant qu'il ne soit procédé à son licenciement.

Ainsi, contestant les termes de la lettre de licenciement et rappelant qu'un système de géolocalisation doit être porté à la connaissance du salarié et est illégal lorsque celui-ci dispose d'une certaine autonomie dans l'organisation de ses déplacements, il considère qu'il ne peut lui être reproché l'utilisation du véhicule à des fins personnelles, sachant qu'il a toujours bénéficié de ce véhicule et que ce n'est qu'en 2017 qu'il lui a été réclamé de le restituer chaque soir et durant les week-end, étant par ailleurs relevé que Mme [N] surveillait ses horaires et le suivait dans tous ses déplacements, y compris à son domicile, sans qu'elle n'ait jamais subi aucune violence comme le démontre le fait qu'elle ait continué à le suivre après les faits dénoncés et qu'elle n'ait pas déposé plainte, seule une main courante ayant été déposée quatre jours plus tard. Enfin, il relève qu'il a toujours été autorisé à travailler de son domicile, qu'il n'était pas prévu contractuellement qu'il transmette des comptes-rendus de son activité, et que, sans refuser de justifier de cette activité, il n'avait néanmoins pas à justifier de ses horaires de travail alors qu'il pouvait les gérer comme bon lui semblait.

Il considère qu'en tout état de cause les faits reprochés ne sauraient valoir un licenciement pour faute grave dès lors que si, comme l'affirme la société, il a été régulièrement relancé, elle a tardé à le sanctionner.

En réponse, la société Cristal quartz explique que Mme [N] a été engagée en janvier 2016 et qu'il n'existe donc aucun lien entre son embauche et les avertissements dont a fait l'objet M. [O], uniquement dus à une dégradation de son comportement début 2017, sachant que les faits invoqués à l'appui du licenciement sont justifiés.

Ainsi, elle relève que la réalité même d'une altercation n'est pas contestée, M. [O] se retranchant derrière la provocation qu'aurait constitué le fait d'être pisté par Mme [N], et ce, alors qu'elle l'a simplement interrogé sur les conditions d'exécution de son contrat de travail, sur son temps de travail et ses horaires de travail. Par ailleurs, elle note qu'ayant mis en place de manière légale un dispositif de géolocalisation, elle s'est aperçue que M. [O] avait utilisé à plusieurs reprises le véhicule de service à des fins personnelles et enfin qu'il a refusé de s'expliquer sur son activité, et ce, alors qu'il était dans un lien de subordination, peu important qu'il ait une certaine autonomie dans l'organisation de son temps de travail et qu'il n'ait pas été prévu contractuellement qu'il transmette des comptes-rendus à son employeur.

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie et exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et l'employeur qui l'invoque doit en rapporter la preuve.

A l'appui du licenciement, la société Cristal quartz produit la main courante établie par Mme [N] le 30 novembre 2018 aux termes de laquelle elle explique, que, le 26 novembre, devant faire un détour afin d'éviter les blocages opérés par les gilets jaunes et se trouvant ainsi à proximité du domicile de M. [O], elle a décidé d'y passer pour voir s'il respectait ses horaires de travail et l'a vu arriver à 14h30, en même temps qu'elle, alors qu'en tant que commercial il aurait dû démarcher à cette heure, aussi, lui a t-elle demandé ce qu'il faisait, que lui-même lui ayant retourné la question, elle lui a clairement indiqué qu'elle venait le contrôler, qu'il est reparti en voiture, qu'elle a décidé de le suivre afin de s'assurer qu'il reprenait son activité, qu'ils se sont retrouvés à [Localité 5], qu'elle lui a reposé la question de savoir ce qu'il allait faire de son après-midi, qu'il a alors commencé à s'énerver en lui disant qu'elle le harcelait et qu'elle lui prenait la tête, qu'il est descendu de son véhicule, l'a toisée, est remonté dans son véhicule mais qu'en voulant fermer la portière alors qu'elle se trouvait dans l'entrebâillement, il l'a heurtée à trois reprises. Elle précise que pour être sûre de son manque de conscience professionnelle, elle s'est postée à l'issue à deux rues de chez lui et l'a vu rentrer 7 minutes après, sa journée étant visiblement finie.

Si Mme [N] justifie avoir vu son médecin traitant dès le 27 novembre, lequel a constaté des douleurs à l'épaule droite et au rachis cervical suite à un traumatisme et qu'un naturopathe relève la présence de contusions cervicales et ecchymoses brachiales, force est de constater que le premier certificat ne fait état de la présence d'aucune lésion objective et que le second certificat n'est pas daté quand bien même il est fixé une nouvelle date de rendez-vous au 7 décembre.

Par ailleurs, les autres pièces médicales, à savoir, IRM, radios et rendez-vous chez le naturopathe ne sont pas de nature à établir de manière certaine un quelconque lien avec ces faits, des problèmes d'arthrose étant essentiellement mis en avant.

En tout état de cause, outre les conditions inadaptées dans lesquelles Mme [N] s'est présentée au domicile de son salarié, il n'est pas apporté d'éléments suffisamment probants sur les conditions mêmes de l'altercation, M. [O] expliquant pour sa part avoir refermé la portière et avoir involontairement heurté Mme [N], sachant qu'aucune pièce n'est de nature à contredire cette version, quand bien même M. [O] reconnaît avoir été énervé, aussi, ce grief ne peut être retenu à l'appui d'un licenciement disciplinaire.

En ce qui concerne le deuxième grief, selon l'article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. L'utilisation d'un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail, laquelle n'est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen, fût-il moins efficace que la géolocalisation, n'est pas justifiée lorsque le salarié dispose d'une liberté dans l'organisation de son travail.

En l'espèce, alors que M. [O] était technico-commercial et disposait ainsi d'une liberté dans l'organisation de son travail, la société Cristal quartz pouvait exercer son contrôle sur la durée du travail par une demande de compte-rendu journalier permettant suffisamment d'apprécier la réalité des déplacements effectués et des clients visités.

Aussi, convient-il de retenir qu'il ne pouvait être recouru au système de géolocalisation quand bien même la société Cristal quartz a procédé à la déclaration auprès de la Cnil et justifie suffisamment avoir informé les salariés de la mise en place de ce système par voie d'affichage.

Au-delà de ce constat qui doit conduire à écarter les relevés de géolocalisation produits aux débats tendant notamment à établir l'utilisation du véhicule à des fins personnelles, il est reproché à M. [O] d'avoir conservé le véhicule les soirs et week-ends alors qu'il lui avait été demandé de le ramener à l'entreprise dès la fin de son service, à plusieurs reprises, et plus particulièrement par courrier recommandé du 7 novembre 2018.

A cet égard, si M. [O] soutient qu'il s'agissait d'un véhicule de fonction, il ressort du contrat de travail signé entre les parties le 15 septembre 2014, qu'engagé en qualité de technico-commercial à temps partiel, il était mis à sa disposition un véhicule de service, avec cette précision que ce véhicule, attribué pour le seul exercice de ses fonctions, ne serait pas utilisé à titre personnel et que lorsque l'exécution du contrat de travail serait suspendue (congés payés, maladie...) le véhicule devrait être restitué à l'entreprise.

Il résulte ainsi très clairement du contrat de travail de M. [O] que le véhicule dont il disposait était un véhicule de service, et non un véhicule de fonction, aussi, c'est à juste titre que la société Cristal quartz a réclamé à plusieurs reprises à M. [O] de déposer le véhicule de service chaque soir à l'entreprise ainsi que les week ends.

Néanmoins, le constat d'huissier dressé le 27 novembre 2018 dont il résulte que le véhicule mis à la disposition de M. [O] ne se trouvait pas dans les locaux de l'entreprise à 7h50 est insuffisant à rapporter la preuve de ce qu'il ne remettait pas le véhicule en fin de service, M. [O] ayant pu le prendre plus tôt dans la matinée ou le gérant de la société Cristal quartz le déplacer, aussi, convient-il de dire que ce grief n'est pas établi.

En ce qui concerne le troisième grief, alors qu'il est reproché à M. [O] de refuser de donner son emploi du temps, ses horaires de travail, le nom des clients visités et plus généralement de rendre compte des démarches effectuées, c'est vainement qu'il fait valoir qu'il était libre de son organisation et qu'il n'avait pas été contractuellement prévu la transmission de comptes-rendus d'activité alors même que, comme justement relevé par la société Cristal quartz, l'employeur est bien fondé à solliciter de son salarié, placé dans un lien de subordination, qu'il justifie de la réalité de son activité, laquelle constitue la prestation de travail en contrepartie de laquelle lui est versée sa rémunération, sachant qu'il était en outre contractuellement prévu qu'il s'engage à respecter les instructions qui pourraient lui être données par l'entreprise et à se conformer aux règles régissant le fonctionnement interne de celle-ci.

Or, en l'espèce, il est produit de très nombreux mails à compter d'avril 2017 aux termes desquels il est demandé à M. [O] des explications sur le manque de chiffre d'affaires apporté, mais aussi plus largement sur le travail réalisé et les clients démarchés, sans qu'aucune réponse, et à tout le moins aucune réponse sérieuse, ne soit apportée.

Ainsi, pour exemples, n'est-il pas répondu à un mail du 18 juillet tendant à connaître le nombre de clients vus à [Localité 7], pas plus qu'il n'est répondu à un mail du 26 avril aux termes duquel il lui est demandé s'il y a un devis à taper pour le magasin [I] et [H] chez lequel il devait passer il y a quatre jours ou encore un mail du 14 septembre 2018 aux termes duquel il lui est demandé pour quelles raisons il a déposé [T] à 16h au bureau sans le prendre avec lui pour aller à son rendez-vous quartier [Adresse 8], tout en lui rappelant que cela fait plusieurs fois qu'il va dans ce quartier sans qu'aucun devis ne soit transmis.

Il doit également être noté que, s'agissant du mail du 26 avril alors qu'il lui est précisé qu'il s'oppose toujours à fournir un carnet de rendez-vous, qu'il ne répond pas à '[P]' qui lui a demandé trois fois de chez quel client il venait et qu'il lui a répondu 'aux chiottes chez un client à [Localité 9]', il n'apporte aucune réponse, ni aucune contradiction.

S'il est exact que l'employeur, malgré de nombreuses demandes vaines, s'est contenté dans un premier temps de rappels ou d'avertissements, cela ne saurait néanmoins faire perdre son caractère de gravité à ces actes d'insubordination répétés dès lors qu'ils se sont poursuivis postérieurement à ces rappels.

Ainsi, alors que la société Cristal quartz lui réclame par mail du 12 novembre 2018 de faire un compte-rendu du suivi de 25 dossiers pour lesquels des devis ont été établis entre janvier et octobre 2018, la seule réponse apportée par M. [O] le 15 novembre consiste en 'Mag presse attente d'un devis, La hacienda j'attend l'expert, L'olivier changement de pas de porte.', soit trois informations particulièrement brèves, puis deux autres réponses tout aussi brèves le 16 novembre, à savoir [Le [K]] 'pas de travaux pour le moment et l'ypocampe à [Localité 6] attente établissement fermé pour l'hiver' et [Tabac le domino] 'Attente signature chez le notaire' sans aucune réponse pour les 19 autres dossiers, étant au surplus relevé que dans ce mail, la société Cristal quartz s'interrogeait également incidemment sur le devenir des autres devis France boissons de 2017 pour lesquels il l'avait précédemment interrogé en avril 2018, sachant qu'à cette occasion, alors que son employeur lui avait fait remarquer, suite à sa réponse, que faire le point avec les commerciaux un an après manquait de sérieux, M. [O] lui avait écrit 'Laisser les pros faire leurs boulot'.

Alors qu'il ressort de cet échange de mails qu'aucun des 25 devis cités ne s'est concrétisé par une commande, sans que M. [O] ne prenne la peine d'apporter de quelconques explications à d'éventuelles difficultés rencontrées pour ce faire, qu'ainsi, c'est de manière particulièrement légitime que la société Cristal quartz a réitéré le 15 novembre sa demande tendant à obtenir son emploi du temps, son carnet de rendez-vous et ses horaires de travail, déjà sollicités le 6 novembre dans la mesure où à 10h37, M. [O] n'avait pas récupéré le véhicule de service, là encore, M. [O] ne répond pas et ne transmet aucune information complémentaire.

Aussi, et peu important que M. [O] transmette un certain nombre de devis réalisés chaque mois, ce refus réitéré d'apporter la moindre explication à son employeur ou de les apporter de manière extrêmement désinvolte, empêchait toute poursuite du contrat de travail, l'accumulation de ces actes répétés d'insubordination caractérisant cette gravité, quelle qu'ait été la patience et la bienveillance de son employeur durant plusieurs mois.

Dès lors, et sur la base de ce seul grief, il convient de dire que le licenciement pour faute grave de M. [O] est justifié et il convient en conséquence d'infirmer le jugement et de le débouter de l'ensemble de ses demandes en lien avec la rupture du contrat de travail.

Sur la demande de remboursement de frais

M. [O] sollicite le remboursement des frais engagés de juillet à octobre 2018 dont il n'a jamais obtenu paiement, sans que la société Cristal quartz n'apporte aucune contradiction à cette demande.

Néanmoins, et alors qu'elle ne sollicite qu'une infirmation partielle du jugement, il convient de se référer à la motivation du jugement, à savoir que cette demande de M. [O] a été rejetée au motif que les notes de frais avaient déjà été remboursées sous déduction de frais faisant double emploi ou personnels.

A cet égard, il résulte des pièces mêmes de M. [O] que les sommes de 15,27 euros et 12,03 euros réclamées pour le mois d'août correspondent à des frais d'essence pour son véhicule personnel sans qu'il n'établisse nullement avoir dû se servir de ce véhicule pour des besoins professionnels alors que la charge de la preuve des frais engagés lui incombe.

Il convient en conséquence de retenir que la société Cristal quartz lui devait la somme de 112,13 euros pour le mois d'août 2018.

En ce qui concerne le mois de juillet 2018, s'il n'est pas produit de tableau récapitulatif quant aux frais engagés, il est cependant produit des justificatifs qui ne seront retenus qu'à hauteur de 109,38 euros, un des tickets correspondant à l'utilisation du véhicule personnel sans qu'il ne soit là encore établi par M. [O] la nécessité de l'utiliser à des fins professionnelles.

Enfin, pour les mois de septembre et octobre, si M. [O] verse aux débats un tableau récapitulatif de ses notes de frais, il ne produit aucune facture justifiant des dépenses réclamées et il ne peut dans ces conditions lui être octroyé aucune somme sur ces deux mois dès lors qu'il lui appartient de justifier des frais engagés.

Néanmoins, il résulte des bulletins de salaire que M. [O] n'a été remboursé de ses frais que pour 90,70 euros en juillet 2018 et 60,14 euros en août 2018 sans que la pièce 35 qui correspondrait à un talon de chèque sur lequel est inscrit 253,52 euros pour les frais de juillet et août 2018 ne permette d'établir ni la preuve de ce versement à M. [O], ni, le cas échéant, le motif de ce paiement.

Il convient en conséquence de condamner la société Cristal quartz payer à M. [O] la somme de 70,67 euros à titre de remboursement de frais.

Sur la demande de remboursement des avantages en nature

Il résulte du contrat de travail que la société Cristal quartz a mis à disposition de M. [O] un outil (téléphone mobile avec accès internet) issu des nouvelles technologies de l'information et de la communication dont l'usage était en partie privé, avec cette précision que cet usage privé constituait un avantage en nature devant être inclus dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale, sa valeur étant évaluée à 39,90 euros.

Aussi, c'est à juste titre que la société Cristal quartz a intégré cette somme au niveau du salaire brut soumis à cotisations pour la soustraire ensuite des sommes dues à M. [O], sauf à bénéficier et de l'avantage en nature et d'une somme égale à l'évaluation de cet avantage en nature.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de remboursement des avantages en nature.

Sur la demande de remboursement de la somme déduite au titre du matériel non restitué

M. [O] soutient que, malgré la restitution du matériel faite par l'intermédiaire de son avocat, la société Cristal quartz a déduit de son salaire 500 euros au titre du matériel non restitué, sachant que le seul matériel qui n'a pu l'être est une échelle téléscopique volée trois ans plus tôt.

Bien qu'il résulte du dispositif des conclusions de la société Cristal quartz qu'elle ne sollicite l'infirmation du jugement qu'en ce qu'il requalifie le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse, elle sollicite néanmoins le débouté de M. [O] de l'ensemble de ses demandes et réclame la restitution de l'intégralité des sommes accordées en première instance, lesquelles comprennent la somme de 500 euros au titre du matériel non restitué, aussi, convient-il de considérer qu'elle réclame l'infirmation de cette disposition.

Il n'est cependant fait état d'aucun moyen, en droit ou en fait, à l'appui d'une telle demande et il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné le remboursement de la somme de 500 euros au titre du matériel non restitué, étant relevé qu'il n'est produit aucune facture pour l'échelle téléscopique et que l'employeur ne peut solliciter le remboursement de matériel volé par un tiers en l'absence de faute lourde du salarié.

Sur la demande de remboursement de la somme déduite au titre d'une avance sur frais

M. [O] réclame le paiement d'une somme de 500 euros qui a été déduite de son dernier bulletin de salaire au titre d'une avance sur frais.

Alors que la société Cristal quartz produit un courrier signé par M. [O] aux termes duquel il reconnaît avoir touché une avance sur frais de 500 euros en mars 2015, il lui appartient de justifier que cette avance aurait été déduite des frais postérieurement dus, ce qu'il ne fait pas et il convient en conséquence de le débouter de sa demande.

Sur la demande de remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire

Dès lors que le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie partiellement succombante, il y a lieu de condamner la société Cristal quartz aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [O] la somme de 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté M. [Y] [O] de sa demande de remboursement de frais, en ce qu'il a dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave mais sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SARL Cristal quartz à payer à M. [Y] [O] un rappel de salaire sur mise à pied, une indemnité de préavis, les congés payés afférents à ces deux sommes et une indemnité de licenciement ;

L'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [Y] [O] est justifié par une faute grave ;

Déboute M. [Y] [O] de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture du contrat de travail ;

Condamne la SARL Cristal quartz à payer à M. [Y] [O] la somme de 70,67 euros à titre de remboursement de frais ;

Confirme le jugement pour le surplus ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

Condamne la SARL Cristal quartz à payer à M. [Y] [O] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL Cristal quartz de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL Cristal quartz aux entiers dépens.

La greffièreLa présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01027
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;20.01027 ?
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