N° RG 19/03041 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IH3K
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 09 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DU HAVRE du 25 Mars 2019
APPELANTE :
SAS [7]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Romain RAPHAEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
INTIMEES :
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Emmanuel GALISTIN de la SELEURL HALKEN, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Melanie POETE, avocat au barreau de PARIS
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU [Localité 4]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ROGER-MINNE, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 09 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 09 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Mme [E] [U] a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie du [Localité 4] (la caisse) un cancer du poumon diagnostiqué en 2012 et un cancer du larynx diagnostiqué en 2005 dont a souffert son époux, [R] [U], décédé le 27 avril 2012.
La caisse a pris en charge le cancer broncho-pulmonaire au titre du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, le 19 novembre 2012, puis a reconnu l'imputabilité du décès à la maladie, suivant décision du 2 janvier 2013.
La société [7] (la société), employeur de [R] [U], a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse puis devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Havre.
Les ayants droit de [R] [U] ont été indemnisés de leur préjudice par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (le Fiva) qui, subrogé dans leurs droits, a sollicité la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur devant le même tribunal. Les deux recours ont été joints.
Par jugement du 13 novembre 2017, le tribunal a, avant-dire droit, instauré une mesure d'expertise afin que le médecin désigné dise si [R] [U] était atteint d'un cancer broncho-pulmonaire primitif, au sens du tableau 30 bis des maladies professionnelles, en prenant soin de dire les effets possibles d'un cancer du larynx dont il aurait souffert et des antécédents tabagiques de celui-ci sur la survenance du cancer dont il semblait être décédé.
Par jugement du 25 mars 2019, le tribunal de grande instance du Havre, devenu compétent pour statuer, a :
- dit opposable à la société la décision de la caisse de prise en charge de la pathologie et du décès au titre de la législation sur les risques professionnels,
- dit que la société avait commis une faute inexcusable à l'origine de la maladie et du décès de [R] [U],
- fixé à son maximum l'indemnité forfaitaire de l'article L. 452- 3 du code de la sécurité sociale, soit un montant de 17'921,64 euros,
- dit qu'elle serait versée par la caisse au Fiva à hauteur de 5 863,84 euros et à la succession de [R] [U] à hauteur de 12'058 euros,
- fixé à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime et dit qu'elle serait directement versée par l'organisme de sécurité sociale,
- fixé le préjudice de [R] [U] comme suit :
20'000 euros au titre du préjudice physique,
20'000 euros au titre du préjudice moral,
- débouté le Fiva de sa demande formée au titre du préjudice d'agrément de la victime,
- fixé le préjudice des ayants droit comme suit :
30'000 euros au titre du préjudice personnel de Mme [U],
8 000 euros au titre du préjudice moral de chacun des enfants de [R] [U] (Mme [K] [O], Mme [J] [U] et M. [S] [O]),
3 000 euros au titre du préjudice moral des petits-enfants de [R] [U] (MM [F], [C] et [B] [O], MM [P] et [I] [U], Mme [A] [N] et Mme [G] [U]),
- dit que la caisse devrait procéder au paiement de ces sommes entre les mains du Fiva,
- condamner la société à rembourser à la caisse ces sommes,
- débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
- dit que chaque partie conserverait la charge de ses propres dépens.
La société a relevé appel de cette décision et, par conclusions remises le 1er février 2022, soutenues oralement, demande à la cour de :
- infirmer le jugement,
- annulé la décision de rejet de la commission de recours amiable de la caisse du 20 août 2013,
- annuler les décisions de prise en charge de la maladie et du décès de [R] [U] des 19 novembre 2012 et 2 janvier 2013,
- subsidiairement, dire qu'elles lui sont inopposables,
- ordonner à la caisse de communiquer l'arrêt à intervenir à la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail de Normandie, en lui demandant de procéder au retrait des incidences de la maladie professionnelle du décès de [R] [U] de son compte accidents du travail-maladies professionnelles pour l'établissement concerné,
- dire qu'elle n'a pas commis de faute inexcusable à l'encontre de [R] [U] et débouter le Fiva de l'ensemble de ses demandes,
- subsidiairement, ramener le quantum des préjudices physiques et moral de [R] [U], ainsi que des préjudices personnels de ses ayants droit, à de plus justes proportions et rejeter la demande d'indemnisation du préjudice d'agrément ou a minima le ramener à de plus justes proportions,
- dire que les dispositions de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale sont inapplicables,
- condamner la caisse et le Fiva aux dépens.
La société, pour contester le caractère professionnel de la maladie, fait valoir qu'à l'exception du colloque médico administratif, aucune pièce du dossier ne mentionne un cancer du poumon primitif, alors que [R] [U] a dans un premier temps contracté un cancer du larynx, de sorte que le cancer du poumon pourrait constituer une maladie secondaire à celle de 2005. Elle soutient que la caisse n'a pas vérifié le caractère primitif du cancer et a omis de préciser dans son enquête que la victime présentait un antécédent tabagique important. Elle considère par ailleurs que l'enquête n'a pas permis de déterminer la durée d'exposition au risque, ni la réalisation par [R] [U] de travaux visés au tableau n° 30 bis, ni une exposition habituelle alors que le salarié exerçait avant tout des fonctions d'encadrement sans réaliser directement et personnellement les travaux du service de maintenance qui se déroulaient lorsque les équipements étaient à l'arrêt.
Elle fait observer que l'expert judiciaire a établi son rapport sur la base des seuls comptes rendus figurant au dossier médical de [R] [U], faute d'avoir pu obtenir l'imagerie médicale de sa veuve ou du service radiologique de l'hôpital, de sorte qu'il ne pouvait conclure à une imputabilité certaine de la maladie à l'exposition à l'amiante, d'autant qu'un facteur extérieur de première importance était clairement mis en avant.
La société fait valoir qu'au-delà de ces motifs de fond, il existe des irrégularités de forme justifiant l'inopposabilité des décisions de la caisse, en ce que l'employeur doit avoir connaissance de la qualification de la maladie retenue initialement et que la caisse ne l'a pas informée des éléments propres à retenir la qualification de cancer broncho-pulmonaire primitif. Elle ajoute qu'une seule procédure d'instruction a été menée et qu'ainsi la caisse ne pouvait se prononcer distinctement sur la maladie et le décès de [R] [U], alors qu'elle était saisie dès le départ du décès de celui-ci. Elle considère par ailleurs que la décision de la commission de recours amiable n'est pas motivée ce qui justifie son annulation.
S'agissant de la faute inexcusable, elle fait valoir qu'une telle faute ne peut lui être imputée en l'absence de caractère professionnel de la maladie ; que les travaux de maintenance représentent une part minime de son activité interne et que le salarié n'a pas été exposé de façon habituelle aux poussières d'amiante ; que le décret du 17 août 1977 s'appliquait aux ateliers dans lesquels les salariés étaient amenés à manipuler de l'amiante ou des matériaux susceptibles d'en contenir dans le cadre de la production, ce qui n'était pas son cas, puisqu'elle fabrique et distribue des engrais, de sorte qu'elle ne pouvait avoir conscience des risques causés par l'amiante, d'autant que la responsabilité de l'État du fait de l'adoption tardive d'une réglementation protectrice a été reconnue.
La société soutient, à titre subsidiaire sur la réparation des préjudices, que la rente dont la réversion est versée à la veuve de [R] [U] couvre pour partie des dommages-intérêts sollicités s'agissant des souffrances endurées au cours des derniers mois de la vie ; qu'aucune pièce n'est produite permettant d'établir la réalité d'un préjudice d'agrément ; que l'indemnité forfaitaire de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale n'est pas due en l'absence de notification par la caisse d'un taux d'IPP de 100 %. En ce qui concerne l'action récursoire de la caisse, elle considère qu'elle n'a pas lieu de s'appliquer dans la mesure où elle est fondée à solliciter une inopposabilité de fond de la décision de reconnaissance de maladie professionnelle.
Par conclusions remises le 28 septembre 2022, soutenues oralement, le Fiva demande à la cour de :
- confirmer le jugement sauf en ce qu'il a réduit ses demandes indemnitaires au titre des souffrances physiques et morales de [R] [U] et des préjudices moraux de ses ayants droit et en ce qu'il a rejeté sa demande au titre du préjudice d'agrément de la victime,
- fixer l'indemnisation des préjudices personnels de [R] [U] comme suit :
57'700 euros au titre des souffrances morales,
18'600 euros au titre des souffrances physiques,
18'600 euros au titre du préjudice d'agrément,
- fixer comme suit l'indemnisation des préjudices moraux des ayants droit :
32'600 euros pour Mme [E] [U],
8 700 euros pour chacun des enfants,
3 300 euros pour chacun des petits-enfants,
- juger que la caisse devra lui verser la somme totale de 176'700 euros,
- subsidiairement, surseoir à statuer et désigner un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles afin qu'il dise si la pathologie présentée par [R] [U], figurant au tableau numéro 30 bis des maladies professionnelles, a été directement causée par son travail habituel au sein de la société,
- condamner la société au paiement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la partie succombante aux dépens.
Il soutient que [R] [U] a bien été exposé aux travaux du tableau 30 bis entre 1968 et 2000 et que son cancer broncho-pulmonaire était bien primitif au regard des éléments médicaux ;que pour détruire la présomption d'imputabilité de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, l'employeur doit établir que le tabac est le seul responsable du cancer développé par [R] [U], alors qu'en l'état actuel des connaissances de la médecine il est établi que les fumeurs exposés à l'amiante ont un risque de développer une pathologie maligne plus élevée que les personnes non-fumeuses soumises à la même exposition.
Le Fiva rappelle la réglementation applicable à l'époque d'exposition aux risques du salarié visant à prévenir les affections respiratoires et en déduit que la société, compte tenu de son importance, de sa taille et de son organisation, avait ou aurait dû avoir conscience du danger. Il considère que la faute inexcusable est caractérisée puisque l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver [R] [U] du risque.
Il considère, s'agissant de la réparation des préjudices, que les préjudices indemnisés par le capital ou la rente majorée sont totalement distincts des préjudices visés à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, qui ne fait aucune référence à la notion de consolidation.
Par conclusions remises le 20 janvier 2022, soutenues oralement, la caisse demande à la cour de :
- déclarer opposables à la société les décisions de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la pathologie et du décès de [R] [U],
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice en ce qui concerne l'existence d'une faute inexcusable de la société,
- en cas de reconnaissance d'une telle faute :
réduire à de plus justes proportions les indemnités réclamées au titre des souffrances morales et physiques de [R] [U], les indemnités réclamées au titre du préjudice moral de sa veuve et des enfants,
rejeter la demande de réparation du préjudice d'agrément de [R] [U] et du préjudice moral de ses petits-enfants,
condamner la société à lui rembourser le montant des réparations qui pourraient être allouées.
Elle fait valoir que son médecin conseil a vérifié que la pathologie déclarée répondait aux conditions médicales exigées par l'un des tableaux de maladies professionnelles et que le médecin expert désigné par le tribunal a tenu compte de l'ensemble des facteurs extra professionnels et des antécédents médicaux de [R] [U] avant d'établir ses conclusions par lesquelles il affirme que la pathologie est bien celle du tableau n° 30 bis.
Elle indique que les éléments du dossier permet de constater que [R] [U] a été exposé durant son activité professionnelle à des travaux visés au tableau n° 30 bis pendant 32 ans et en déduit qu'il devait bénéficier de la présomption d'imputabilité de la maladie à son travail.
Elle précise que Mme [U] a procédé à une demande de prise en charge de la pathologie du tableau 30 bis, ce dont la société a été informée. Elle soutient qu'aucun délai ne s'impose à elle pour effectuer cette information et qu'ainsi la société avait connaissance au jour de la clôture de l'instruction du dossier de l'ensemble des éléments susceptibles de lui faire grief, dont notamment la qualification de la pathologie. Elle indique en outre que la reconnaissance du caractère professionnel du décès impliquant nécessairement la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie l'ayant entraîné, cela nécessitait impérativement, avant de prendre en charge le décès, d'étudier le caractère professionnel de la maladie.
Elle considère, s'agissant de la décision de la commission de recours amiable, que la société n'a aucun intérêt à soulever son inopposabilité ou sa nullité.
S'agissant de l'action récursoire, elle fait valoir qu'une éventuelle inopposabilité des décisions de prise en charge de la maladie et du décès de [R] [U] au titre de la législation sur les risques professionnels est sans incidence sur les conséquences financières d'une éventuelle reconnaissance de faute inexcusable, par application de l'article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leurs prétentions, moyens et argumentation.
MOTIVATION
Sur la demande de nullité de la décision de la commission de recours amiable et des décisions reconnaissant le caractère professionnel de la maladie et du décès de [R] [U]
Le tribunal saisi d'un recours à l'encontre d'une décision d'une commission de recours amiable doit se prononcer sur le bien fondé du recours, ce dont il résulte que le moyen tiré d'un défaut de motivation de la décision de la commission est inopérant.
Dans les rapports entre la caisse et l'employeur, la conséquence d'une absence de caractère professionnel d'une pathologie prise en charge par l'organisme de sécurité sociale au titre de la législation sur les risques professionnels ou d'un défaut de respect de la procédure de reconnaissance qui s'impose à lui, ne peut être que l'inopposabilité à l'égard de l'employeur de la décision de prise en charge de la pathologie et non sa nullité.
Il résulte des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
La maladie désignée dans le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles est le cancer broncho-pulmonaire primitif provoqué par l'inhalation de poussières d'amiante. Le délai de prise en charge est de 40 ans sous réserve d'une durée d'exposition de 10 ans. La liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie mentionne notamment les travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d'amiante ainsi que des travaux d'entretien de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d'amiante.
Si l'exposition à l'amiante doit être habituelle, elle ne doit pas être permanente et continue, peu important le fait que la société ne participe pas au processus de fabrication ou de transformation de l' amiante.
Un salarié peut être personnellement et directement exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante lors de travaux habituels visés au tableau 30 bis, même si ces derniers ont été manipulés par d'autres salariés se trouvant dans la même zone que lui.
En premier lieu, il ressort du colloque médico administratif que le médecin-conseil de la caisse, au vu du résultat histologique, a retenu que la pathologie dont était atteint [R] [U] était un cancer broncho-.pulmonaire primitif, correspondant ainsi à la maladie du tableau susvisé. En outre le docteur [X], désigné en qualité d'expert par le tribunal, a été en mesure, malgré l'absence des scanners thoraciques de conclure au regard du recul, d'une part, et de la présentation notamment todomodensitométrique et endoscopique, d'autre part, que [R] [U] était atteint d'un cancer broncho-pulmonaire primitif lié à l'association d'un ancien grand tabagisme et d'une exposition professionnelle asbestosique, situation permettant de considérer cette pathologie comme relevant du tableau litigieux. Le compte rendu de l'expertise permet d'établir que l'expert a tenu compte, outre du tabagisme important de [R] [U], de ses antécédents médicaux.
La société ne conteste pas utilement ces éléments médicaux, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que [R] [U] était atteint de la maladie du tableau 30 bis, dont il est décédé.
En deuxième lieu, il ressort du certificat de travail, de l'avis de l'inspecteur du travail et de l'enquête de la caisse, notamment des attestations des collègues de travail qui lui ont été communiquées, que :
- [R] [U] a travaillé au sein de la société de 1972 à 2000 en qualité d'agent de maîtrise dans le secteur maintenance, il était responsable des travaux de calorifuge, fumisterie, peinture et d'échafaudage effectués par des entreprises extérieures,
- les installations de l'établissement étaient calorifugées avec de l'amiante,
- le salarié participait aux travaux d'entretien, de vérification ou d'inspection pendant les arrêts techniques des unités, programmés ou non, au cours desquels il était amené à rentrer dans les fours et les chaudières dont l'isolant principal était à base d'amiante (plaques, fibres, tresses'), étant exposé aux poussières dans les phases de démontage, et dans une moindre mesure lors des entretiens non programmés ; le salarié était également amené à manipuler des matelas d'amiante pour expliquer les consignes aux ouvriers,
- les périodes d'arrêts d'unités, qui étaient programmés tous les cinq à six ans duraient plusieurs mois et la dernière exposition potentielle de [R] [U] aux poussières d'amiante remontait à 1993/1994 selon le responsable des ressources humaines.
Au regard de ces éléments, qui ne sont pas utilement combattus par la société, il est établi que [R] [U] a été exposé, de manière habituelle, aux poussières d'amiante pendant au moins 10 ans, en participant lui-même ou en étant dans l'environnement de salariés réalisant des travaux d'entretien ou de maintenance sur des équipements contenant de l'amiante.
L'ensemble des conditions du tableau n° 30 bis sont réunies et la société ne renverse pas la présomption qui en résulte.
En dernier lieu, il convient de constater que le certificat médical initial transmis à l'employeur mentionne un cancer du poumon dû à une exposition à l'amiante et précise qu'il s'agit de la maladie du tableau n° 30 bis. En outre, la société a été invitée à consulter les pièces du dossier par courrier du 30 octobre 2012 mentionnant qu'une décision serait prise sur le caractère professionnel de la maladie « cancer broncho-pulmonaire primitif » inscrite dans le tableau n° 30 bis. Enfin dans les pièces mises à sa disposition, le colloque médico administratif énonçait clairement, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, la maladie et le tableau correspondant. La caisse a en conséquence respecté son obligation d'information.
Par ailleurs, c'est à juste titre qu'elle a rendu deux décisions distinctes, après avoir reçu la demande de reconnaissance de maladie professionnelle, dès lors qu'elle devait également se prononcer sur l'imputabilité du décès, après avoir accepté la prise en charge de la maladie déclarée.
C'est en conséquence à juste titre que le tribunal a débouté la société de ses demandes d'annulation et d'inopposabilité.
Sur la faute inexcusable
Le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a retenu que la société avait nécessairement conscience du danger provoqué par les poussières d'amiante à l'époque où [R] [U] travaillait pour son compte, au regard des textes réglementant spécifiquement l'amiante mais également visant à prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général. Il a également retenu à bon droit que la société n'avait pas mis en 'uvre les moyens de protection destinés à prévenir le risque, M. [D] et M. [W] ayant attesté que les salariés ne disposaient pas de protection avant 1999. Le Fiva fait observer par ailleurs, à juste titre, que le conseil d'État qui a retenu la responsabilité de l'État, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, a jugé qu'elle n'excluait pas celle des employeurs.
Le jugement qui a considéré que la faute inexcusable de l'employeur était démontrée doit en conséquence être confirmé.
Sur les conséquences financières de la faute inexcusable
- Sur les préjudices de [R] [U]
S'agissant de l'indemnité forfaitaire visée à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale allouée lorsque la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, c'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal y a fait droit, après avoir recherché si l'état de santé de la victime avant son décès justifiait un tel taux, en l'absence d'une décision de la caisse sur la fixation de l'IPP, et jugé que tel était le cas au vu des éléments médicaux.
Contrairement à ce que soutient le Fiva, la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise, d'une part, les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, le déficit fonctionnel permanent, en sorte que sont réparables en application de l'article L. 452-3 les souffrances physiques et morales non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.
Il ressort des éléments médicaux versés par le Fiva qu'en décembre 2011 et début janvier 2012, [R] [U] a subi plusieurs examens dans un contexte de dorsalgies évoluant depuis plusieurs mois. Il a été mis en avant l'existence d'une lésion tumorale lombaire supérieure droite ainsi que de multiples lésions secondaires disséminées sur l'ensemble du rachis. Le 11 janvier 2012, il présentait un état général altéré et une chimiothérapie était envisagée, justifiant la pose d'une chambre implantable qui a échoué. [R] [U] a été hospitalisé pour une anémie post-chimiothérapie en mars 2012, à la suite d'un malaise ayant entraîné une chute. Un examen radiologique a mis en évidence une fracture de trois côtes du côté droit. Il a bénéficié d'une transfusion sanguine. Le compte rendu du scanner thoracique du 14 mars 2012 faisait état d'un épanchement pleural droit abondant avec des troubles de ventilation du lobe inférieur droit au contact. Il a à nouveau été hospitalisé le 26 avril 2012 pour un état fébrile et une détresse respiratoire. Il a bénéficié d'une nouvelle transfusion sanguine et d'une antibiothérapie ainsi que d'une oxygénothérapie. Cependant sa situation a évolué défavorablement jusqu'à la survenue d'un coma et il est décédé le lendemain.
[R] [U] était âgé de 69 ans à la date du diagnostic de son cancer ainsi qu'au moment de son décès.
Son épouse atteste de ses souffrances physiques importantes et indique qu'il s'est vu mourir, ce qui établit l'importance du préjudice moral résultant de la connaissance qu'avait [R] [U] de son exposition professionnelle aux poussières d'amiante, de l'annonce du diagnostic de son cancer des poumons, de l'apparition des premiers symptômes, de leur aggravation et de la connaissance de l'issue fatale de la maladie.
Au regard de ces éléments relatifs aux souffrances subies non indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, il convient de fixer à la somme de 57 700 euros la réparation du préjudice moral et à celle de 18'600 euros celle du préjudice physique de [R] [U].
En l'absence de tout élément justifiant de l'existence d'un préjudice d'agrément, lequel résulte de l'impossibilité de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique de sport et de loisirs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le Fiva de sa demande.
- Sur les préjudices des ayants droit
Il y a lieu à confirmation du jugement en sa disposition relative à la majoration de la rente du conjoint survivant qui n'est contestée par la société qu'en ce qu'elle découle de la reconnaissance d'une faute inexcusable.
C'est à juste titre que le tribunal a considéré que la caisse prétendait à tort que seuls les ayants droit au sens de l'article L. 434- 7 du code de la sécurité sociale pouvaient obtenir la réparation de leur préjudice personnel résultant du décès, alors que l'article L. 452-3 dispose que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral.
Compte tenu du caractère brutal du décès de [R] [U], des 48 années de mariage et de l'accompagnement de fin de vie que son épouse lui a assuré, laquelle a dû prendre un traitement anxiolytique et antidépresseur, il y a lieu de chiffrer le montant réparant le préjudice moral de cette dernière à la somme de 32 600 euros.
Enfin, eu égard aux circonstances du décès, il convient d'accorder les sommes sollicitées par le Fiva en réparation du préjudice moral des enfants et petits-enfants de la victime.
Sur l'action récursoire de la caisse
La cour, comme le tribunal, ayant retenu le caractère professionnel de la maladie dont est décédé [R] [U], la caisse est en droit de récupérer contre la société les conséquences financières de la faute inexcusable, conformément à l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale. Le jugement sera dès lors confirmé.
Sur les frais du procès
La société qui perd le procès sera condamnée aux dépens et à payer au Fiva la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par décision contradictoire,
Confirme le jugement sauf sur les sommes allouées en réparation des préjudices de [R] [U] et de ses ayants droit et sur les dépens ;
Fixe aux sommes suivantes la réparation des préjudices de [R] [U] dont la caisse fera l'avance et pourra récupérer auprès de la société :
- 57 700 euros en réparation de ses souffrances morales,
- 18'600 euros en réparation de ses souffrances physiques,
Fixe aux sommes suivantes la réparation des préjudices moraux des ayants droit :
- 32'600 euros pour Mme [E] [U],
- 8 700 euros pour Mme [K] [O], Mme [J] [U] et M. [S] [O], chacun,
- 3 300 euros pour MM [F], [C] et [B] [O], MM [P] et [I] [U], Mme [A] [N] et Mme [G] [U], chacun,
Condamne la société [7] à payer au Fiva la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE