N° RG 20/01137 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IOA4
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 13 Février 2020
APPELANTE :
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ROUEN
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Karine MAUREY-THOUOT, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [L] [C]
[Adresse 1]
[Localité 6]
représenté par Me Marie-Pierre OGEL de la SCP GARRAUD OGEL LARIBI HAUSSETETE, avocat au barreau de DIEPPE substituée par Me Anne-sophie MARTEL, avocat au barreau du HAVRE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/012973 du 12/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
Maître Guillaume BRANCHU en qualité de mandataire ad hoc de la société STATION FOOD
[Adresse 2]
[Localité 4]
n'ayant pas constitué avocat
régulièrement assigné par acte d'huissier en date du 08/06/2020
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022
ARRET :
REPUTE CONTRADICTOIRE
Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 26 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Rouen a :
- dit que le contrat de travail à durée déterminée conclu entre M. [L] [C] et la SARL Station Food le 10 mai 2016 est réputé conclu pour une durée indéterminée,
- condamné la SARL Station Food à régler à M. [C] une indemnité de requalification à hauteur de 1 466,65 euros nets,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] aux torts exclusifs de l'employeur et dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné, en conséquence, la SARL Station Food à payer à M. [C] les sommes suivantes :
1 466,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 146,66 euros au titre des congés payés y afférents,
1 466,65 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 655,63 euros à titre de rappels de salaire sur les mois d'août et septembre 2016, outre la somme de 165,55 euros au titre des congés payés y afférents,
8 799,90 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
950 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- ordonné à la société Station Food de remettre à M. [C] des bulletins de salaire, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi prenant en compte la présente décision, en assortissant cette obligation d'une astreinte de 15 euros par jour de retard pour l'ensemble des documents à compter du 30ème jour de la notification de la présente décision, le conseil se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte.
La SARL Station Food, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Rouen du 9 mai 2017, a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 novembre 2017, à la suite d'un jugement de clôture de la procédure pour insuffisance d'actifs rendu le même jour.
Par ordonnance du 12 avril 2018, le président du tribunal de commerce de Rouen a désigné M. Guillaume Branchu en qualité de mandataire ad hoc chargé de représenter la société Station Food.
Par requête du 30 juillet 2018, M. [L] [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen d'une demande tendant à rendre opposable le jugement intervenu le 26 juin 2017 à l'AGS CGEA et à M. [M] et à voir fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes allouées par cette première décision.
Par jugement du 13 février 2020, le conseil de prud'hommes a :
- fixé les créances au passif de la liquidation judiciaire de la Société Station Food,
- dit que le contrat de travail à durée déterminée de M. [C] en date du 10 mai 2016 est un contrat de travail à durée indéterminée,
- dit que la demande de résiliation judiciaire en date du 9 mai 2017 de M. [C] est un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Station Food pris en son représentant légal à verser les sommes suivantes à M. [C] :
1 466,65 euros brut au titre de l'indemnité de requalification,
1 466,65 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
146,66 euros brut au titre des congés payés y afférent à l'indemnité compensatrice de préavis,
1 655,53 euros brut au titre de rappel de salaire sur la période du mois d'août et septembre 2016,
165,55 euros brut au titre des congés payés y afférent au rappel de salaire,
8 799,90 euros net au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
1 466,65 euros net au titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- donné acte à l'AGS et au CGEA de Rouen de leur intervention,
- déclaré que l'ensemble de la décision en date du 26 juin 2017 est opposable aux AGS/CGEA de Rouen, sauf sur la demande de l'article 700 du code de procédure civile, dans la limite de six fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance chômage,
- ordonné à M. Guillaume Branchu en qualité de mandataire ad hoc de la société Station Food à verser à M. [C] la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- mis les entiers dépens à la charge de M. Guillaume Branchu, ès qualités.
L'Unedic délégation AGS CGEA de Rouen a interjeté appel de cette décision le 9 mars 2020.
Par conclusions remises le 25 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen demande a la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, statuant à nouveau,
à titre principal,
- fixer la date de résiliation à la date initialement retenu par le conseil de prud'hommes dans son premier jugement soit le 26 juin 2017,
- dire et juger que la garantie des AGS n'est pas due au titre des éventuelles indemnités de rupture qui pourraient être allouées en conséquence de la rupture de son contrat de travail, conformément à l'article L.3253-8 du code du travail,
- déclarer la décision à intervenir totalement inopposable au CGEA-AGS en ce qui concerne :
l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents ;
les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
les dommages et intérêts pour travail dissimulé ;
à titre subsidiaire,
- débouter M. [C] de sa demande d'indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé,
en tout état de cause,
- donner acte au CGEA de Rouen de ses réserves et statuer ce que de droit quant à ses garanties, - déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA et à l'AGS dans les limites de la garantie légale,
- dire que la garantie de l'AGS n'a qu'un caractère subsidiaire et lui déclarer la décision à intervenir opposable dans la seule mesure d'insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire,
- dire que l'AGS ne saurait être tenue aux dommages-intérêts et autres indemnités n'ayant pas le caractère de créances salariales,
- dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-6 et L.3253-8 du code du travail que dans les termes et les conditions résultants des dispositions et articles L.3253-15, L.3253-18, L.3253-19, L.3253-20, L.3253-21, L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail,
- dire et juger qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D.3253-5 du code du travail,
- statuer de ce que de droit quant aux dépens et frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge du CGEA.
Par conclusions remises le 24 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses motifs, M. [L] [C] demande à la cour de confirmer la décision déférée, en conséquence, débouter l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen de l'intégralité de ses demandes, condamner M. Guillaume Branchu en qualité de mandataire ad-hoc de la société Station Food à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, statuer ce que droit quant aux dépens et frais d'instance.
M. Guillaume Branchu en qualité de mandataire ad hoc de la société Station Food n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'objet du litige
Il est constant que par jugement du 26 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Rouen a :
- dit que le contrat de travail à durée déterminée conclu entre M. [L] [C] et la SARL Station Food le 10 mai 2016 est réputé conclu pour une durée indéterminée,
- condamné la SARL Station Food à régler M. [C] une indemnité de requalification à hauteur de 1 466,65 euros nets,
- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] aux torts exclusifs de l'employeur et dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné, en conséquence, la SARL Station Food à payer à M. [C] les sommes suivantes :
1 466,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 146,66 euros au titre des congés payés y afférents,
1 466,65 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 655,63 euros à titre de rappels de salaire sur les mois d'août et septembre 2016, outre la somme de 165,55 euros au titre des congés payés y afférents,
8 799,90 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Il est tout aussi constant que cette décision qui n'a pas été frappée d'appel est désormais définitive et donc irrévocable.
Au vu de ces éléments et en considération de ce que M. [C] l'avait uniquement saisi d'une demande tendant à rendre opposable le jugement intervenu le 26 juin 2017 à l'AGS CGEA et à M. [M] et à voir fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société les sommes allouées par cette première décision, c'est de façon maladroite et non conforme aux principes de l'autorité de chose jugée et aux dispositions de l'article 5 du code de procédure civile aux termes duquel le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé, que le conseil de prud'hommes dans sa décision rendue le 13 février 2020 a statué à nouveau sur toutes les demandes présentées par M. [C] au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail le liant à la société Station Food.
En conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Sur les créances de M. [C]
Eu égard à l'autorité de chose jugée attachée au jugement rendu le 26 juin 2017 et à l'évolution du litige tenant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Station Food le 9 mai 2017, il convient de fixer au passif de cette procédure les créances de M. [C] issues de la décision rendue dans l'ignorance de l'existence de la procédure collective.
Sur la garantie de l'AGS
Il résulte de l'article L. 3253-8 du code du travail que seules sont couvertes par le régime d'assurance de garantie des salaires les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant pendant la période d'observation ; dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ; dans les quinze, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'empoi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ; pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation judiciaire et dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde est élaboré, suivant la fin de ce maintien de l'activité.
En outre, les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l'article L. 3253-8 2° du code du travail s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur.
Enfin, il convient de rappeler que la résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet au jour où le juge la prononce, dés lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur. Lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ou au jour de la prise d'acte de rupture ou au jour à partir duquel le salarié a cessé de se tenir à la disposition de son employeur.
En l'espèce, la liquidation judiciaire de la société Station Food a été prononcée le 9 mai 2017. Par jugement définitif du 26 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Rouen a prononcé 'la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [C] aux torts exclusifs de l'employeur et dit que cette résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse'.
Contrairement à ce que soutient l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen, cette disposition ne prévoit pas expressément que les effets de la résiliation sont fixés à la date du jugement qui la prononce.
Or, au vu des motifs adoptés dans la décision, cette omission ne peut être complétée en considérant que la date d'effet de cette rupture doit nécessairement être fixée à la date du jugement. Au contraire, les faits de l'espèce non sérieusement contestés qui établissent que M. [C] a cessé de se tenir à la disposition de son employeur à compter du 25 octobre 2016, date à laquelle son employeur a mis fin unilatéralement à son contrat de travail, après un entretien préalable non suivi d'une lettre officielle de licenciement, conduisent à considérer que c'est cette date qui doit être retenue pour fixer les effets de la résiliation judiciaire litigieuse.
Ainsi, la résiliation judiciaire du contrat de travail liant M. [C] à la société Station Food étant intervenue antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, c'est à tort que l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen entend dénier sa garantie.
En conséquence, il y a lieu de dire que l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Rouen est tenue de garantir les créances de M. [C] fixées au passif de la procédure collective de la société Station Food, en ce compris l'indemnité au titre du travail dissimulé, cette créance étant définitive, et en revanche à l'exclusion de la créance au titre des frais irrépétibles, des dépens et de l'éventuelle liquidation d'astreinte, le tout dans la limite des plafonds fixés par l'article D 3253-5 du code du travail.
Il n'y a pas lieu, en l'espèce, de faire application du principe de subsidiarité de l'intervention de l'AGS, la liquidation judiciaire de la société Station Food ayant été clôturée pour insuffisance d'actifs, de sorte qu'il n'y a plus de fonds disponibles.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner l'UNEDIC délégation AGS-CGEA de Rouen aux entiers dépens, y compris ceux de première instance.
La demande étant présentée exclusivement à l'encontre de M. Branchu,, ès qualités, qui ne succombe aucunement dans cette instance initiée dans l'unique but d'obtenir la garantie de l'AGS, il convient de rejeter la prétention présentée par M. [C] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Fixe au passif de la procédure collective de la SARL Station Food les créances de M. [C] telles qu'issues de la décision du conseil des prud'hommes de Rouen rendue le 26 juin 2017, à savoir les créances suivantes :
1 466,65 euros au titre de l'indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
1 466,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 146,66 euros au titre des congés payés y afférents,
1 466,65 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
1 655,63 euros à titre de rappels de salaire sur les mois d'août et septembre 2016, outre la somme de 165,55 euros au titre des congés payés y afférents,
8 799,90 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
950 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
Dit que l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen est tenue de garantir ces créances à l'exclusion de la créance au titre des frais irrépétibles, des dépens et de l'éventuelle liquidation d'astreinte prononcée par le jugement du 26 juin 2017, le tout dans la limite des plafonds fixés par l'article D 3253-5 du code du travail ;
Déboute M. [C] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'Unedic Délégation AGS CGEA de Rouen aux entiers dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente