N° RG 20/01697 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPEG
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DU HAVRE du 25 Février 2020
APPELANTE :
S.A.S. REFLEXES NET
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Guillaume BOULAN de la SCP C R T D ET ASSOCIES, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE
INTIMEE :
Madame [U] [W] épouse [O]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Bastien SUZZI de la SCP BEN BOUALI PAUL SUZZI, avocat au barreau du HAVRE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/006492 du 01/09/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme [U] [O] a été engagée par la société Réflexes Net en qualité d'agent de service par contrat de travail à durée déterminée du 1er mars au 31 mai 2018, puis par contrat de travail à durée indéterminée.
Mme [O] a reçu un avertissement le 10 janvier 2019 rédigé en ces termes :
'Votre superviseur nous a informés de la bagarre qui a eu lieu au restaurant le 21/12/2018 entre vous et M. [C]. Ce dernier, ayant constaté que vous avez caché le matériel de nettoyage dans votre casier l'a cassé et a récupéré le matériel pour pouvoir travailler et vous avez riposté ce qui a entraîné la bagarre.
Nous condamnons fermement tout acte de violence au sein de nos équipes. Et souhaitons à l'avenir ne plus avoir ce type de comportement.
Par ailleurs, il nous a été rapporté que vous avez laissé entré ce même jour au sein du restaurant une personne étrangère à la société exposant ainsi la société et vos collègues à une insécurité totale.
Nous vous rappelons que vous êtes membre d'une équipe de nettoyage qui se doit de travailler en parfaite collaboration. Et, comme tel, vous êtes obligés de communiquer avec les autres salariés et d'échanger les différents outils de travail mis à la disposition de toute l'équipe de nettoyage par le Mc Donald pour le bon fonctionnement de l'équipe.
De plus, par mesure de sécurité des lieux et du personnel, il est formellement interdit de laisser entrer dans le restaurant toute personne étrangère à l'équipe de nettoyage.
Aussi, nous sommes au regret de vous notifier cet avertissement, et souhaitons vivement que cette sanction vous fera prendre conscience de la nécessité de ne pas réitérer ce type de comportement qui risque fort, s'il venait à se reproduire, de remettre en cause notre collaboration.'
Par requête du 24 juin 2019, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes du Havre en annulation de son avertissement, ainsi qu'en paiement d'indemnités.
Par jugement du 25 février 2020, le conseil de prud'hommes a :
- annulé l'avertissement adressé le 10 janvier 2019 et condamné la société Réflexes Net à verser à Mme [O] la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
- pris acte du désistement de Mme [O] de voir condamner la société Réflexes Net à garantir sa sécurité sur son lieu de travail en affectant M. [C] sur un autre site ou en modifiant les plannings de travail afin qu'ils ne travaillent pas dans le restaurant en même temps, sous astreinte du paiement de la somme de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement,
- dit que les sommes dues seraient assorties des intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,
- débouté la société Réflexes Net de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Réflexes Net à verser à Me [N] [L] la somme de 1 800 euros à titre d'indemnité prise en application de l'article 700-2° du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens et frais d'exécution du jugement.
La société Reflexes Net a interjeté appel de cette décision le 3 juin 2020.
Par conclusions remises le 11 août 2022, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société Réflexes Net demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter Mme [O] de l'intégralité de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions remises le 30 octobre 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [O] demande à la cour de confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, et y ajoutant, de condamner la société Réflexes Net à verser à la SCP Ben Bouali-Paul-[L] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700-2° du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande d'annulation de l'avertissement du 10 janvier 2019
Tout en soutenant que l'avertissement a été signé par 'le service administratif' et non par l'employeur, seul habilité à faire usage du pouvoir disciplinaire, Mme [O] considère que l'avertissement est particulièrement infondé au regard des violences dont elle a été victime, sachant qu'elle conteste avoir caché du matériel dans son casier et avoir été violente à l'égard de M. [C]. Enfin, elle explique que si son mari s'est effectivement présenté sur son lieu de travail, ce n'était que pour l'emmener à l'hôpital suite aux violences subies.
En réponse, la société Réflexes Net indique que l'avertissement a été signé par Mme [J], responsable administrative, qui avait reçu délégation de pouvoir en septembre 2018. Sur le fond, elle estime que la matérialité des faits est rapportée par l'attestation de M. [P], superviseur intervenu immédiatement après l'altercation, mais aussi par l'audition de Mme [O] devant les services de police qui démontre qu'elle a participé à l'altercation et l'a entretenue, sachant que son mari savait parfaitement qu'il n'avait pas à être présent et n'était pas simplement venu pour l'emmener à l'hôpital dès lors qu'il a fui quand M. [P] est arrivé.
En l'espèce, l'avertissement de Mme [O] se conclut par la mention 'Le service administratif', en dessous duquel est apposé le tampon de l'entreprise accompagné d'une signature, peu lisible, mais qui peut néanmoins être attribuée à Mme [J] en comparant les signatures apposées sur son contrat de travail et sur cette lettre d'avertissement.
Or, au-delà de la mention 'Le service administratif' qui ne peut en soi correspondre à une signature pour ordre de l'employeur, il ne ressort nullement de la fiche de poste de Mme [J], responsable de la gestion comptable, administrative et juridique, qu'elle aurait eu un quelconque pouvoir disciplinaire à l'égard des salariés puisqu'il était simplement prévu qu'elle conçoive et envoie les convocations aux agents en vue de sanction disciplinaire éventuelle et envoie les courriers de licenciement.
Par ailleurs, la procuration du 3 septembre 2018 produite aux débats aux termes de laquelle M. [F] [G] [T], président de la société Réflexes Net donne procuration à Mme [J] pour 'parapher et signer tous actes administratifs et de procédures juridiques voire judiciaires, à l'effet de représenter et d'engager quelque action que ce soit, dans l'intérêt de la société', n'est non seulement pas signée mais elle n'est en outre pas suffisante à établir l'existence d'une délégation du pouvoir disciplinaire, lequel est une prérogative essentielle de l'employeur.
Aussi, l'avertissement ainsi délivré n'est pas valable et doit être annulé sur ce seul fondement.
Surabondamment, il ressort de l'audition de Mme [O] devant les services de police qu'elle a constaté en arrivant que son casier avait été forcé, que M. [C] a confirmé qu'il était l'auteur de cette dégradation car il cherchait quelque chose à l'intérieur pour travailler, qu'ils ont néanmoins repris leur travail, qu'elle a mis les chaussures de M. [C] dans une autre salle que celle dans laquelle elle devait nettoyer, qu'il les a ramenées en lui disant que si elle les remettait ailleurs, il la frapperait, que ne voulant pas les abîmer, elle les a remises dans la salle où il se trouvait, qu'il a alors pris le manche de la raclette et l'a frappée plusieurs fois sans s'arrêter, qu'elle-même, en se défendant, a réussi à attraper le manche de la raclette et sa veste, qu'une collègue l'entendant crier est arrivée et a réussi à les séparer, qu'après ça, étant énervée, elle a attrapé M. [C] par la veste et a alors appelé son superviseur, M. [P].
La version de Mme [O] est corroborée par le certificat médical émanant du Centre hospitalier du Havre dans lequel sont décrites les lésions présentées, à savoir hématome frontal gauche, cervicalgie, hématome du triceps brachial gauche, douleur persistante des derniers arcs costaux gauches, partie latérale, hématome de la face externe de la cuisse gauche de dix centimètres de diamètre avec gêne à la marche pendant quatre jours et une douleur de l'aileron rotulien externe gauche.
Or, face à ces pièces, la société Réflexes Net se contente de produire une attestation de M. [P], rédigée le 25 juillet 2020, soit postérieurement au jugement rendu par le conseil de prud'hommes, et plus d'un an et demi après les faits, et, outre qu'il maîtrise mal l'écrit et qu'il est donc difficile de comprendre précisément le déroulé des faits tel qu'il les décrit, il ne fait en tout état de cause que relater les propos des uns et des autres puisqu'il n'était pas présent au moment de l'altercation pour ne s'être rendu sur les lieux qu'en raison de l'appel de Mme [O] qui lui disait avoir été battue par M. [C].
Dès lors, cette attestation n'apporte aucun élément probant sur le déroulement de l'altercation, sans que les photographies de M. [C], non datées, avec un tee-shirt déchiré, ne soient de nature à combler cette carence à défaut de savoir dans quelles conditions elles ont été prises.
Aussi, et étant relevé que l'employeur ne produit pas l'attestation de la seule salariée tierce présente au moment de l'altercation qui serait intervenue pour séparer les protagonistes, il convient de dire que la société Réflexes Net n'apporte aucun élément de nature à établir de quelconques faits de violence exercés par Mme [O] qui explique dans son audition s'être défendue, sans que son énervement, postérieur aux faits de violence ne puisse être retenu contre elle.
Enfin, en ce qui concerne la présence de son mari, si M. [P] écrit dans son attestation : 'Quand j'arrive je vue le mari de [U] et de que il m'a vu, il a fuit, je ne sais pas pourquoi [U] a ouvrir la porte restaurant', cela est insuffisant pour conclure à un comportement fautif de celui-ci, étant relevé qu'il apparaît légitime, au regard de la tournure des événements qui se déroulent vers une heure du matin, et non 12h45 comme l'indique M. [P], que Mme [O] ait appelé son mari.
Aussi, à défaut de tout fait fautif établi à l'égard de Mme [O], l'avertissement était infondé.
Il s'ensuit qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a annulé l'avertissement envoyé à Mme [O] le 10 janvier 2019.
Par ailleurs, au regard du certificat médical produit par Mme [O] concluant à quatre jours d'incapacité temporaire totale, du délai mis par l'employeur pour muter M. [C] sur un autre site en juin 2019, peu important qu'aucun nouveau fait de violence ne soit à déplorer, et du préjudice résultant de la réception d'un avertissement alors que Mme [O] était victime des faits, le conseil de prud'hommes a justement évalué le préjudice subi résultant du manquement à l'obligation de sécurité et il convient également de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Réflexes Net aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Me [L] la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700-2° du code de procédure civile, en plus de la somme allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la SAS Réflexes Net à payer à Me Suzzi la somme de 1 200 euros en application de l'article 700-2° du code de procédure civile ;
Déboute la SAS Réflexes Net de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Réflexes Net aux entiers dépens.
La greffière La présidente