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10/11/2022 | FRANCE | N°20/01778

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 10 novembre 2022, 20/01778


N° RG 20/01778 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPJQ





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Mars 2020





APPELANTE :





S.A. LA POSTE

[Adresse 4]

[Localité 1]



représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Jul

ie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN











INTIME :





Monsieur [O] [D]

[Adresse 3]

[Localité 2]



représenté par Me Elise LAURENT, avocat au barreau de ROUEN

































COMPOSI...

N° RG 20/01778 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPJQ

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 20 Mars 2020

APPELANTE :

S.A. LA POSTE

[Adresse 4]

[Localité 1]

représentée par Me Eric DI COSTANZO de la SELARL ACT'AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Julie LEMAIRE ETIENNE, avocat au barreau de ROUEN

INTIME :

Monsieur [O] [D]

[Adresse 3]

[Localité 2]

représenté par Me Elise LAURENT, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BACHELET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Après avoir été engagé par la société La Poste en qualité de conseiller financier par contrat de travail à durée indéterminée du 1er décembre 1997, M. [O] [D] a été reclassé sur un poste de guichetier par avenant signé le 15 mai 2003.

Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective commune La Poste - France Télécom.

Victime d'un acte de violence de la part d'un client le 29 mai 2013, il a été placé en arrêt de travail suite à ce fait et, déclaré inapte à tout poste le 1er août 2016, il a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement le 18 octobre 2016.

Par requête du 20 juillet 2017, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation du licenciement, ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et indemnités.

Par jugement du 20 mars 2020, le conseil de prud'hommes, en sa formation de départage, a, avec le bénéfice de l'exécution provisoire, dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [D] et condamné la société La Poste à lui verser à la somme de 32 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, ordonné à la société La Poste de remettre à M. [D] une attestation Pôle emploi rectifiée conformément à la décision, rejeté toute demande plus ample ou contraire et condamné la société La Poste à verser à M. [D] la somme de 1 300 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

La société La Poste a interjeté un appel de cette décision le 10 juin 2020.

Par conclusions remises le 9 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, la société La Poste demande à la cour d'infirmer la décision rendue en toutes ses dispositions, par conséquent, de dire que le licenciement de M. [D] repose sur une cause réelle et sérieuse, le débouter de l'ensemble de ses demandes et reconventionnellement, le condamner à lui verser une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions remises le 6 novembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens, M. [D] demande à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement mais l'infirmer en ce qu'il a limité les dommages et intérêts à 32 000 euros et à 1 300 euros la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, statuant à nouveau, condamner la société La Poste à lui verser la somme de 49 344,96 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et 2 500 euros pour les frais exposés en appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

M. [D] explique avoir été victime d'une agression sur son lieu de travail le 29 mai 2013, reconnue comme accident du travail résultant d'une faute inexcusable de l'employeur, à la suite de laquelle il a été placé en arrêt de travail sans discontinuer jusqu'à la visite de reprise le déclarant inapte à tout poste. Ayant été licencié suite à cet avis d'inaptitude, il demande à ce qu'il soit jugé que ce licenciement est sans cause réelle et sérieuse pour être dû à la faute de l'employeur, sachant qu'il n'avait reçu aucune formation liée à la prévention et la gestion des incivilités en 19 ans de carrière, que son espace de travail n'était pas sécurisé contrairement à ceux des conseillers financiers, que son directeur d'agence était absent le jour de l'agression et qu'il n'a pas été pris les mesures s'imposant suite à cette agression.

En réponse, la société La Poste soutient qu'il appartient au salarié d'établir la preuve que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver de l'accident subi et qu'en tout état de cause, elle justifie n'avoir commis aucun manquement, ayant depuis de nombreuses années lancé un grand chantier en matière de lutte contre les incivilités, sachant qu'il a été plus précisément délivré une formation sur cette question aux agents de [Localité 6], qui n'était pas particulièrement un bureau à risque, à laquelle M. [D], qui a par ailleurs bénéficié de nombreuses autres formations, n'a pu assister qu'en raison d'un arrêt maladie, ce qui ne saurait lui être reproché. Elle note encore que le comportement de l'agresseur, tiers à la société et avec lequel elle n'avait aucun lien hiérarchique, était totalement imprévisible et que le directeur d'établissement, dont la présence n'aurait rien changé, s'est immédiatement rendu sur place lorsqu'il a eu connaissance de l'incident et a procédé aux formalités prescrites pour accompagner M. [D].

Selon l'article L. 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Selon l'article L. 4121-2, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, il résulte des pièces du dossier que M. [D], alors qu'il se trouvait au guichet du bureau de poste de [Localité 5], a été victime le 29 mai 2013 d'une agression par un homme qui, étant venu retirer de l'argent alors qu'il n'en avait plus suffisamment sur son compte et ne voulant l'entendre malgré ce que lui disait M. [D], lui a asséné un coup de poing au visage avant que celui-ci ne le raccompagne et le fasse sortir.

Si, suite à ces faits, il a été délivré à M. [D] un certificat médical prescrivant une incapacité temporaire totale de 48 heures au regard des lésions présentées, à savoir, léger oedème et érythème de l'arête nasale gauche, + zone sous-orbitaire, douleur à la pression de ces mêmes zones et traumatisme psychique, il n'a pu par la suite revenir sur son lieu de travail malgré une tentative d'une demi-journée et il a été déclaré inapte total à tous postes en un seul examen le 1er août 2016, avec la précision que tout maintien du salarié dans l'entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, sachant qu'il ressort très clairement des documents produits aux débats que cette inaptitude a pour origine cet accident du travail qui a entraîné une incapacité permanente partielle de 50 %, dont 10 % de taux professionnel, en raison d'un état de stress post-traumatique caractérisé.

Contrairement à ce que soutient la société La Poste, dès lors qu'il est avéré que M. [D] a été victime d'un accident du travail, il lui appartient de justifier qu'elle a pris les mesures nécessaires pour le préserver de l'accident subi.

Or, comme relevé par les premiers juges dont il convient d'adopter les motifs justes et pertinents, les risques liés aux violences externes n'étaient pas imprévisibles mais au contraire répertoriés dans le document unique d'évaluation des risques professionnels des bureaux de postes rattachés à [Localité 6], d'ailleurs désigné comme zone urbaine sensible dans la coupure de presse versée aux débats par la société La Poste, peu important que le comportement individuel de M. [C] n'ait pas été prévisible, cette gestion des risques collectifs ayant précisément pour objet de gérer au mieux ces comportements individuels inopinés de tiers, sans que la société La Poste ne puisse être tenue que des risques de violence émanant de ses propres salariés.

A cet égard, la mise en oeuvre de formations sur la gestion des incivilités participe à cette gestion des risques prévisibles dans un bureau de poste, et là encore, comme justement relevé par les premiers juges, si la société La Poste met en avant de nombreuses coupures de presse ou documents internes faisant état de sa préoccupation majeure face à ces incivilités et sa volonté de former au mieux ses agents pour les en protéger, outre qu'un grand nombre d'entre eux sont postérieurs aux faits survenus en mai 2013, il convient surtout de s'assurer que M. [D] a pu, personnellement, en bénéficier.

Or, s'il a suivi de nombreuses formations tout au long de sa carrière professionnelle, aucune n'est en lien avec la gestion des incivilités ou, de manière plus large, avec les risques liés aux violences externes, et s'il est produit un document qui tend à démontrer qu'une telle formation a été dispensée les 13 et 15 novembre 2012 sur l'entité d'affectation de [Localité 6], à laquelle est rattachée le bureau de poste de [Localité 5], outre qu'il n'est produit aucun document permettant de s'assurer que M. [D] y aurait été convié, en tout état de cause, dès lors qu'il était en arrêt maladie à cette date, il n'est pas justifié qu'une telle formation lui aurait été proposée à nouveau à son retour, sachant que la précédente formation sur le site de [Localité 6] datait de novembre 2009 et que la suivante n'a eu lieu qu'en juin 2014, ce qui ne permet pas de démontrer une volonté déterminée de la société La Poste de former de nombreux agents à ces risques, quand bien même il est exact que M. [D] cumulait des absences longues et répétées pouvant rendre plus difficiles la mise en oeuvre de cette formation à son égard.

Il résulte encore des pièces du dossier qu'au-delà de la vidéo-surveillance, le jour des faits, le directeur d'établissement n'était pas présent et que, par ailleurs, M. [D], guichetier, et donc directement confronté aux possibles mécontentements des clients, n'avait pas de collègue à proximité immédiate et se trouvait donc seul avec une stagiaire face à ce client agressif , et ce, alors que son poste n'était pas équipé d'un bouton d'alarme, contrairement à ce qui existait pour les chargés de clientèle, ni davantage d'autres matériels de protection le séparant du public.

Si la société La Poste fait valoir que la présence du directeur d'établissement n'aurait pas évité ce coup rapide et inattendu qui n'a d'ailleurs pas permis à M. [D] de se reculer suffisamment vite, il est certain que, couplé à un bouton d'alarme, en l'espèce inexistant, la présence d'un responsable, face à un client dont le mécontentement est monté au fur et à mesure de ce qu'il entendait qu'il n'avait pas suffisamment d'argent sur son compte, ce que lui a répété M. [D] à plusieurs reprises avant que le coup ne soit porté, aurait pu permettre une intervention tierce, émanant d'une personne ayant autorité, pour calmer la situation, ce qui est d'ailleurs répertorié dans 'le guide du manager' comme étant une aide possible à un collaborateur.

Aussi, au regard du poste de guichetier occupé par M. [D], particulièrement exposé aux violences externes pour être confronté de manière permanente à un public très varié, il convient de dire que la société La Poste, en ne lui mettant pas à disposition du matériel tendant à assurer davantage sa sécurité et en ne lui offrant pas la possibilité de suivre des formations le sensibilisant aux situations difficiles, et notamment aux incivilités, n'a pas pris les mesures de prévention qu'elle avait les moyens de mettre en oeuvre, sachant que ces formations étaient d'autant plus essentielles que la société La Poste ne pouvait ignorer la fragilité de M. [D] au regard de ses très nombreux arrêts de travail et de la lettre que sa compagne avait pu envoyer en 2012 pour alerter sur cette question.

Aussi, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'ensemble des moyens développés sur les démarches effectuées par la société La Poste après cet événement, il est suffisamment caractérisé un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude ayant conduit au licenciement de M. [D].

Dès lors, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur au moment des faits, au regard de l'ancienneté de M. [D], âgé de 51 ans au moment du licenciement, de son salaire d'un montant de l'ordre de 1 980 euros, de sa situation de surendettement, également liée à la situation médicale de sa compagne, des indemnités chômage qu'il justifie avoir perçues jusqu'en décembre 2018, sachant qu'il a signé un contrat à durée indéterminée avec la société Maximo en décembre 2019, même s'il a par la suite été déclaré en rechute de son accident du travail, les premiers juges ont justement apprécié le préjudice de M. [D] et il convient de confirmer le jugement sur ce point.

Sur la remise de documents

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la société La Poste de remettre à M. [D], une attestation Pôle emploi rectifiée.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société La Poste aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [D] la somme de 1 500 euros sur ce même fondement, en plus de la somme allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SA La Poste à payer à M. [O] [D] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA La Poste de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA La Poste aux entiers dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01778
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;20.01778 ?
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