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10/11/2022 | FRANCE | N°20/01821

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 10 novembre 2022, 20/01821


N° RG 20/01821 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPMT





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 18 Mai 2020





APPELANTE :





S.A.R.L. L'AVENIR

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Laure COBERT DELAUNAY, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Mélanie HIRSCH, avo

cat au barreau de PARIS









INTIMEE :





Madame [S] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]



présente



représentée par Me Christine SEVESTRE-BEDARD de la SELARL CONIL ROPERS GOURLAIN PARENTY ROGOWSKI ET ASSOCIES, avoca...

N° RG 20/01821 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPMT

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 18 Mai 2020

APPELANTE :

S.A.R.L. L'AVENIR

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Laure COBERT DELAUNAY, avocat au barreau de DIEPPE substitué par Me Mélanie HIRSCH, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

Madame [S] [G]

[Adresse 1]

[Localité 4]

présente

représentée par Me Christine SEVESTRE-BEDARD de la SELARL CONIL ROPERS GOURLAIN PARENTY ROGOWSKI ET ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2020/006461 du 01/09/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

M. GUYOT, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 11 mai 2009, Mme [S] [G] a été engagée en qualité d'agent d'entretien par la SARL L'Avenir par contrat de travail à durée déterminée de quatre mois. Son contrat a été renouvelé jusqu'au 30 novembre 2009, puis s'est poursuivi en contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2009.

Le 21 mars 2018, l'employeur lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Par requête du 27 avril 2018, Mme [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement et paiement d'indemnités.

Par jugement du 18 mai 2020, le conseil de prud'hommes a constaté que les faits des 20 novembre 2017, 11 décembre 2017, 4 et 5 janvier 2018 étaient prescrits, dit que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence, condamné la société L'Avenir à payer à Mme [G] la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens, débouté la société L'Avenir du surplus de ses demandes.

La société L'Avenir a interjeté appel de cette décision le 15 juin 2020.

Par conclusions remises le 6 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société L'Avenir demande à la cour d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en toutes ses dispositions, et en conséquence, statuant à nouveau, rejeter l'ensemble des demandes formulées par la salariée, la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par conclusions remises le 1er octobre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de ses moyens, Mme [S] [G] demande à la cour de confirmer en tout point le jugement entrepris, débouter la société L'Avenir de toutes ses demandes, fins et conclusions et la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.

L'article L. 1235-1 du même code précise qu'à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, étant précisé que, si un doute subsiste, il profite au salarié, conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 21 mars 2018 faisant suite à un entretien préalable auquel Mme [G] a été convoquée par lettre du 5 mars 2018 , qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit : 'Suite à notre entretien qui s'est tenu le 15 mars 2018, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs suivants :

- absentéisme répété sans justificatif, et sans autorisation, qui désorganise le planning des tournées, les journées suivantes : le 20/11/2017, le 11/12/2017, les 04 et 05/1/2018 et le 06/03/2018

- reprise anticipée de votre travail le 27/02/2018 alors que vous étiez en arrêt maladie, sans autorisation de votre médecin ni de votre hiérarchie,

- comportement vis-à-vis de vos supérieurs [...]'

I - Sur les absences injustifiées

Sur les absences qui lui sont reprochées, Mme [G] ne les conteste pas mais fait valoir qu'il s'agit de faits prescrits en application des dispositions des articles L. 1332-4 et L. 1332-5 du code du travail et que s'agissant de l'absence du 6 mars 2018, elle ne peut être invoquée, puisqu'elle est intervenue postérieurement à l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable.

La société L'Avenir conteste cette analyse, soutenant qu'elle pouvait évoquer des absences de plus de deux mois non sanctionnées pour caractériser la gravité du manquement non prescrit que constitue l'absence du 6 mars 2018. En outre, elle verse aux débats de très nombreux avertissements donnés à Mme [G] pour des absences injustifiées sur les années antérieures.

Aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ces poursuites.

La prise en compte d'un fait antérieur à deux mois peut cependant intervenir pour fonder la lettre de licenciement si le comportement du salarié s'est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.

Par ailleurs, conformément à l'application des dispositions de l'article L 1332-5 du code du travail, aucune sanction antérieure de plus de trois ans à l'engagement des poursuites disciplinaires ne peut être invoquée à l'appui d'une nouvelle sanction.

En l'espèce, la lettre de licenciement vise les absences répétées 'sans justificatif, et sans autorisation, qui désorganise le planning des tournées, les journées suivantes : le 20/11/2017, le 11/12/2017, les 04 et 05/1/2018 et le 06/03/2018".

Il résulte des pièces produites par la société L'Avenir que les absences des 4 et 5 janvier 2018 ont été sanctionnées par un avertissement délivré à Mme [G] le 10 janvier 2018.

Or, il convient de rappeler que si l'employeur a connaissance de plusieurs faits pouvant être reprochés à un salarié, mais qu'il choisit de ne sanctionner qu'un seul fait, alors l'épuisement du pouvoir disciplinaire lui interdit d'envisager toute sanction ultérieure sur ces mêmes faits.

Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas contesté que la société L'Avenir avait connaissance le jour même de la situation, elle ne pouvait fonder son licenciement sur les absences 20 novembre, 11 décembre 2017, 4 et 5 janvier 2018, et ce peu important qu'il s'agisse de faits répétés justifiant que le délai de prescription de deux mois prévu par l'article L. 1332-4 du code du travail ne reçoive pas application.

Il reste donc l'absence non contestée du 6 mars 2018, qui contrairement à ce que soutient Mme [G], peut être invoquée au soutien du licenciement, même si elle a eu lieu postérieurement à l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable.

Certes, la société L'Avenir verse aux débats de nombreuses pièces montrant qu'entre 2010 et 2013, Mme [G] a été sanctionnée à huit reprises pour des absences pour arrêt maladie trop fréquentes qui désorganisaient le service ou signalées trop tardivement à son employeur. Toutefois, ces faits étant atteints par la prescription de l'article L. 1332-5 du code du travail, ils sont indifférents.

Il en est de même des avertissements adressés à Mme [G] au mois de mai-juin 2014, étant de surcroît fait observer qu'ils sont d'une nature tout autre, puisqu'il s'agissait de lui reprocher une mauvaise exécution de sa prestation de ménage sur un des chantiers qui lui avait été attribué.

Pour les faits postérieurs au 5 mars 2015, non atteints par la prescription de l'article L. 1332-5 du code du travail, la société L'Avenir justifie avoir sanctionné Mme [G] par un avertissement du 21 avril 2017 pour avoir prévenu tardivement de son absence pour examen médical le 18 avril 2017 et avoir rappelé à cette dernière, par courrier du 1er juin 2017, à la suite d'une absence le mercredi 24 mai 2017 au matin signalée à midi, qu'elle se devait de prévenir le plus rapidement possible son employeur de la situation.

Toutefois, même à la lumière de ces deux faits de 2017, l'unique absence de Mme [G] du 6 mars 2018 ne peut justifier la rupture du contrat de travail pour cause réelle et sérieuse.

II - Sur la reprise anticipée

Mme [G] conteste ce grief au motif que son employeur était parfaitement informé de sa reprise et qu'il l'a organisée.

Bien qu'aucune des deux parties ne produise de justificatifs en ce sens, l'arrêt de travail versé aux débats par la société L'Avenir présentant des mentions manuscrites effacées totalement illisibles, il n'est pas contesté qu'à la fin du mois de février 2018 en ce compris le 27 février 2018, Mme [G] se trouvait en arrêt maladie.

Pour justifier du contexte dans lequel elle a repris le travail à partir de cette date, Mme [G] verse aux débats l'échange de SMS avec M. [X] [R], son responsable, le 25 février à 22h37 'Bonsoir [X], c'est pour veut dire que je vais retourner voir mon médecin demain matin, ça va pas.' Le 26 février 2018 à 19h08 : 'bonsoir [X], je sors de chez mon médecin, je reprends le travail demain. Bonne soirée'. Réponse à 19h50 : 'Ok. Commencez par les immeubles où vous pouvez accéder par les codes. Toutes les clés sont dans mon bureau au dépôt'.

La société L'Avenir soutient que cet échange n'a aucune valeur d'autorisation de reprise anticipée de travail, puisqu'il a été donné par le supérieur hiérarchique de Mme [G] en charge de l'attribution des chantiers de ménage et non par la direction administrative parisienne qui gère les arrêts maladie et à qui Mme [G] adressait tous ses arrêts maladies.

Outre le fait que cette situation de fait n'est établie par aucun élément, elle est, en tout état de cause, indifférente. En effet, le fait que Mme [G] ait informé son employeur représentée par M. [R], supérieur hiérarchique de celle-ci, de la décision de son médecin, et qu'en retour, elle ait obtenu son accord pour reprendre le travail ainsi que la transmission de consignes de travail suffit à ôter à cette situation tout caractère fautif imputable à Mme [G].

III - Sur le comportement déplacé

La société L'Avenir explique, en cause d'appel, que ce grief viserait les propos tenus par Mme [G] à l'encontre de M. [R] à qui elle aurait manqué de respect, que cette situation a été évoquée lors de l'entretien préalable de licenciement et que Mme [G] en est parfaitement conscience. Elle produit à ce titre un mail faisant état de ce que la salariée aurait tenu les propos suivants : 'vous pouvez crever en enfer, vous votre femme et votre enfant votre maison dans un trou, vous ne l'emporterez pas au paradis'.

Toutefois, alors que Mme [G] conteste fermement avoir manqué de respect à son supérieur hiérarchique, cet unique mail dont l'auteur n'est pas identifiable, dont la moitié de l'objet du mail a été volontairement caché et dont la date n'est pas mentionnée, n'est pas un élément de preuve suffisant.

Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le licenciement de Mme [G] était dénué de cause réelle et sérieuse.

Conformément aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction postérieure à l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au présent litige, en considération de la taille de l'entreprise qui emploie habituellement plus de onze salariés, de l'ancienneté de Mme [G] (8 ans), qui fixe le montant de l'indemnité entre trois et huit mois de salaire, de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (48 ans), des circonstances de la rupture, du montant de son salaire mensuel moyen (1 743,10 euros), de ce qu'elle ne donne aucune explication ni justificatif sur sa situation financière postérieure à la rupture du contrat de travail, il y a lieu d'allouer à Mme [G] une somme de 10 000 euros, confirmant ainsi le jugement entrepris.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la SARL L'Avenir aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à Mme [S] [G] la somme de 2 000 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL L'Avenir à payer à Mme [S] [G] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL L'AVENIR de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SARL L'AVENIR aux entiers dépens.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/01821
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;20.01821 ?
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