N° RG 20/01976 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPW7
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 10 NOVEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 18 Mai 2020
APPELANT :
Monsieur [M] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Thierry LEVESQUES, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
E.U.R.L. TRANSPORTS [K] [X]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Caroline VELLY de la SELARL VD & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 28 Septembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame BERGERE, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. GUYOT, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 28 Septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Novembre 2022
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 10 Novembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [M] [G] a été engagé en qualité de chauffeur - livreur messagerie par l'EURL Transports [K] [X] dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 2004.
Le 23 mars 2017, le salarié a été placé en arrêt de travail.
Déclaré inapte à son poste de chauffeur-livreur le 12 février 2018, le licenciement pour inaptitude à été notifié au salarié par courrier en date du 23 mars 2018.
Par requête du 9 juillet 2018, M. [G] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement ainsi qu'en paiement de rappels de salaires et d'indemnités.
Par jugement du 18 mai 2020, le conseil de prud'hommes a débouté M. [G] de l'intégralité de ses demandes, débouté la société Transports [K] [X] du surplus de ses demandes et laissé les dépens à la charge de M. [G].
M. [G] a interjeté appel de cette décision le 26 juin 2020.
Par conclusions remises le 22 septembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [M] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, statuant à nouveau,
- à titre principal, prononcer la nullité de son licenciement et condamner la société Transport [K] [X] à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement nul : 30 000 euros ;
indemnité de préavis : 3 820, 92 euros ;
congés payés afférents : 382, 09 euros ;
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros ;
- à titre subsidiaire, juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Transport [K] [X] à lui verser les sommes suivantes :
dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse : 23 000 euros ;
indemnité de préavis : 3 820, 92 euros ;
congés payés afférents : 382.09 euros ;
indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros.
Par conclusions remises le 22 octobre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Transports [K] [X] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, débouter M. [G] de ses demandes, fins et conclusions et le condamner à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 8 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [G] fait valoir que son employeur n'a pas mené l'indispensable recherche d'aménagement et de reclassement que la situation imposait, de sorte qu'en réalité seule la fragilité de son état de santé est à l'origine de son éviction définitive sans qu'à aucun moment son reclassement n'ait été sérieusement envisagé. Il s'agit donc d'un licenciement discriminatoire en raison de l'état de santé qui encourt la nullité. À titre subsidiaire, M. [G] soutient que le motif du licenciement est faux, puisqu'en tout état de cause, il pouvait réintégrer son poste et que le respect des indications médicales étaient tout à fait compatibles avec l'exercice de ses fonctions, dès lors que des aménagements auraient pu être effectués, ou à tout le moins recherchés. Son licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur la nullité du licenciement pour discrimination
L'article L. 1132-1 du code du travail pose un principe général de non-discrimination en raison notamment de l'état de santé d'un salarié, l'article L. 1132-4 du même code sanctionnant de la nullité toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ce principe.
Toutefois, l'article L. 1133-2 du code du travail prévoit que 'les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elle sont objectives, nécessaires et appropriées.'
Il convient de préciser qu'en dehors de l'hypothèse d'une discrimination avérée fondée sur l'état de santé du salarié notamment lorsque l'inaptitude n'a pas été constatée par le médecin du travail conformément aux dispositions légales et réglementaires du code du travail, un licenciement pour inaptitude ne peut être annulé qu'en application de l'article L.1226-13 du code du travail, soit lorsque celui-ci est prononcé au cours de la période de suspension du contrat du travail et qu'il n'est pas justifié par la faute grave du salarié ou par la nécessité de le remplacer. En revanche, lorsque l'avis d'inaptitude a été rendu régulièrement, le licenciement fondé sur cet avis ne peut être nul.
En l'espèce, il est constant qu'à la suite d'une étude de poste réalisée le 14 novembre 2017, puis d'une visite de reprise organisée le 9 janvier 2018 au terme de laquelle le médecin du travail a considéré que M. [G] était apte au poste de chauffeur PL sans faire de messagerie et sans rythme soutenu pour les livraisons, suivie d'un échange avec l'employeur et enfin d'une nouvelle visite fixée au 12 février 2018, M. [G] a été déclaré inapte ' au poste de chauffeur PL dans l'entreprise actuelle. M. [G] pourrait effectuer des tournées sans cadence trop élevée, sans avoir à tirer de palettes de plus de 500 kg en terrain plat, sans port de plus de 80 colis en moyenne par jour, c'est à dire une tournée de type de celle qu'il assurait avant son arrêt maladie. Pas de tournée de ce type à proposer dans l'entreprise selon l'employeur'.
Cette procédure étant conforme aux exigences de l'article R .4624-42 du code du travail dans sa version applicable au litige, ce qu'au demeurant M. [G] ne conteste pas, son licenciement fondé sur cet avis d'inaptitude ne peut encourir aucune nullité pour cause de discrimination.
Le jugement entrepris est confirmé sur ce point.
Sur le manquement à l'obligation de reclassement
En vertu de l'article L. 1222-6 du code du travail, le salarié déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment bénéficie d'un droit de reclassement.
Il appartient à l'employeur, qui peut tenir compte de la position prise par le salarié déclaré inapte, de justifier qu'il n'a pu, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste de travail ou aménagement du temps de travail, le reclasser dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, effectuée au sein de l'entreprise et des entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent entre elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Les propositions de reclassement par l'employeur doivent être loyales et sérieuses.
La preuve du respect de l'obligation de reclassement du salarié inapte pèse sur l'employeur.
En l'espèce, à la suite de l'arrêt maladie de M. [G] intervenu le 23 mars 2017, le médecin du travail a réalisé, le 14 novembre 2017, une étude de poste dans laquelle il mentionne les éléments suivants :
'Circonstance de l'étude de poste : l'étude de poste fait suite aux visite de pré-reprise à la demande du salarié des 25 septembre et 8 novembre 2017. Suite à la visite du 25 septembre, une reprise à mi-temps thérapeutique et la possibilité de disposer d'un transpalette électrique ont été demandées.
Principaux éléments de l'étude de poste :
- Monsieur [X] explique qu'il ne peut accepter le mi-temps thérapeutique car cela pose de nombreux problèmes pour répondre aux demandes des clients et conserver les tournées existantes. L'utilisation d'un transpalette électrique n'est pas envisageable non plus par manque de place dans les camions. Une proposition est faite à Monsieur [G] d'effectuer une tournée pour la société Heppner : livraisons aux pharmacies.
- pour Monsieur [G], cette tournée est très difficile car la cadence est importante.
- Pour Monsieur [X], c'est la seule qu'il peut confier à Monsieur [G]. Il a perdu la tournée que ce dernier faisait auparavant et les autres tournées sont déjà prises.
Sont incompatibles avec l'état de santé de Monsieur [G] :
- les efforts physiques importants ou répétés,
- les manutentions lourdes,
- des contraintes de temps et une cadence trop élevée.
Conclusion : Monsieur [G] pense ne pas pouvoir reprendre la tournée proposée.'
Lors de la visite de reprise du 9 janvier 2018, le médecin du travail a conclu à l'aptitude de M. [G] au poste de chauffeur PL sans faire de messagerie et sans rythme soutenu pour les livraisons.
Il résulte d'un courrier adressé par M. [G] à son employeur le 17 janvier 2018 que dans ce cadre de la reprise de son poste, la société Transports [K] [X] a proposé à son salarié d'être affecté sur la tournée 'Heppner', ce que M. [G] a refusé, estimant que cette affectation n'était pas compatible avec son état de santé en raison des efforts répétés qu'elle impliquait.
Une nouvelle visite médicale a été organisée le 12 février 2018 à la demande de l'employeur, au terme de laquelle le médecin du travail a conclu à l''inaptitude au poste de chauffeur PL dans l'entreprise actuelle. M. [G] pourrait effectuer des tournées sans cadence trop élevée, sans avoir à tirer de palettes de plus de 500 kg en terrain plat, sans port de plus de 80 colis en moyenne par jour, c'est à dire une tournée de type de celle qu'il assurait avant son arrêt maladie. Pas de tournée de ce type à proposer dans l'entreprise selon l'employeur'.
Cet avis d'inaptitude est accompagné d'un courrier du médecin du travail dans lequel il fait les remarques et observations suivantes :
'Par courriel en date du 26 janvier 2018, vous m'avez assurée que vous ne disposiez d'aucune tournée qui respecterait les restrictions posées lors de la visite du 9 janvier dernier. Monsieur [G] est donc inapte au poste de chauffeur PL dans votre entreprise. En effet, Monsieur [G] ne pourrait effectuer que des tournées sans cadence trop élevée, sans avoir à tirer des palettes de plus de 500kg en terrain plat, sans port de plus de 80 colis en moyenne par jour, c'est-à-dire une tournée du type de celle qu'il assurait avant son arrêt maladie.'
Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que M. [G] fait valoir que son inaptitude a été prononcée en raison du fait que son employeur ne pouvait lui proposer un poste compatible avec les restrictions émises par le médecin du travail.
C'est au demeurant ce que la société Transports [K] [X] a expliqué à M. [G] dans sa lettre de licenciement, rappelant que l'entreprise comptait 18 salariés, dont un mécanicien, deux postes administratifs, 15 chauffeurs, qu'elle avait actuellement pour clients principaux les sociétés Heppner, GEFCO et KUEHNE NAGEL, qui lui imposaient de réaliser uniquement 'de la messagerie', c'est-à-dire des tournées avec plus de 80 colis, en moyenne une centaine, des charges lourdes ainsi qu'une cadence élevée, sans qu' aucun aménagement ne soit possible, de sorte qu'aucun poste compatible avec son état de santé n'était disponible au sein de l'entreprise.
En revanche, c'est à tort que M. [G] critique cette situation, en estimant que la société Transports [K] [X] en est responsable par manquement à son obligation de reclassement, en ce qu'elle n'a fait aucune démarche sérieuse et loyale pour lui proposer une tournée compatible avec son état de santé.
A titre liminaire, il convient de relever que M. [G] ne soutient pas qu'il aurait pu occuper un poste administratif ou de mécanicien, étant précisé que le registre unique du personnel montre que ces postes n'étaient pas vacants.
Dès lors, le salarié ne pouvait être reclassé que sur un poste de chauffeur livreur.
Or, contrairement à ce que soutient M. [G], la société Transports [K] [X] rapporte la preuve que son activité commerciale ne lui permettait pas d'adapter le poste de son salarié à son état de santé.
En effet, s'agissant de la tournée 911 confiée à M. [G] juste avant son arrêt maladie, les pièces produites par l'employeur (planning, registre unique du personnel, contrat de travail) permettent d'établir que cette tournée originairement confiée à M. [N] n'a été attribuée à M. [G] qu'à compter de février 2017, après le départ à la retraite de M. [N] le 31 janvier 2017. Or, ce départ n'était que temporaire, puisque M. [N] a finalement repris une activité professionnelle au sein de la société dès le mois d'avril 2017, dans un premier temps dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis dans un second temps dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. M. [G] étant en arrêt maladie sur cette période, M. [N] a, à nouveau, été, affecté à la tournée 911, poste manifestement le moins contraignant physiquement et donc adapté à la situation de M. [N], salarié le plus âgé de l'entreprise.
Au vu de ces éléments, c'est en vain que M. [G] soutient que son employeur aurait pu lui attribuer la tournée 911 qu'il effectuait juste avant son arrêt maladie.
Par ailleurs, sur les autres tournées exécutées par les chauffeurs de l'entreprise, la société Transports [K] [X] justifie valablement qu'elles sont toutes incompatibles avec l'état de santé de M. [G]. Ainsi, outre l'attestation de son comptable qui confirme que les clients de l'entreprise au moment du licenciement litigieux étaient Heppner, GEFCO et KUEHNE NAGEL, elle verse aux débats des échanges de mails avec ces sociétés aux termes desquels elles attestent toutes que les prestations qu'elles sous-traitent à la société Transports [K] [X] ne sont pas compatibles avec les restrictions médicales imposées à M. [G]. Ainsi, les sociétés GEFCO et KUHENE NAGEL expliquent qu'en raison de la saisonnalité de l'activité, des volumes aléatoires, des particularités de livraison (industriels, particuliers, GMS, GSB etc..) et du niveau élevé de productivité, les postes de chauffeur livreur apte à l'exercice de cette activité ne peuvent faire l'objet d'aucune restriction médicale. Quant à la société Heppner, elle indique que son activité se compose exclusivement d'un mélange de colis et palettes, colis d'un poids individuel allant de 10 à 30 kg, avec comme impératif 25 points de livraison et 2 enlèvements par jour en moyenne.
Le fait que ces échanges aient eu lieu au cours du second semestre 2018 ne les prive pas de leur valeur probante ; la critique de M. [G] émise à ce titre est vaine, puisqu'il ne s'agit pas d'une recherche de reclassement auprès de ces sociétés clients, obligation à laquelle n'était pas soumise son employeur, mais d'établir la preuve, dans le cadre de l'instance prud'homale qu'il avait engagé, que l'activité de la société Transports [K] [X] n'offrait aucune possibilité d'aménagement permettant de proposer à M. [G] un poste compatible avec son état de santé.
De surcroît, ces explications sont corroborées par la production des bordereaux de groupage et des listes de chargement pour les livraisons de ces clients qui montrent que la charge de travail pour chacun mission est incompatible avec l'état de santé de M. [G].
Enfin, bien qu'elle n'en était pas tenue, la société Transports [K] [X] justifie avoir, par courriers recommandés du 28 février 2018, fait des démarches auprès de ses principaux concurrents de la région, afin de tenter de trouver un poste de reclassement à M. [G].
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il est suffisamment établi que l'obligation de reclassement pesant sur la société Transports [K] [X] a été sérieusement et loyalement exécutée, de sorte que le licenciement intervenu pour impossibilité de reclassement de M. [G] est parfaitement fondé.
La cour confirme donc le jugement entrepris.
Sur les dépens et frais irrépétibles
En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner M. [G] aux entiers dépens, de le débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à payer à la société Transports [K] [X] la somme de 100 euros sur ce même fondement pour les frais générés en cause d'appel, le jugement ayant débouté la société Transports [K] [X] de sa demande au titre des frais irrépétibles de première instance étant confirmé.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [M] [G] à payer à l'EURL Transports [K] [X] la somme de 100 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [M] [G] aux dépens de la présente instance.
La greffière La présidente