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08/12/2022 | FRANCE | N°20/02016

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 08 décembre 2022, 20/02016


N° RG 20/02016 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPZ6





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 08 DECEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 02 Juin 2020





APPELANT :





Monsieur [U] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]



représenté par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barreau de ROUEN








>INTIMEE :





S.A.S. PSA RETAIL FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]



représentée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence MOREAU, avocat au barreau de ROUEN





















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N° RG 20/02016 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPZ6

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 02 Juin 2020

APPELANT :

Monsieur [U] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Pierre-Hugues POINSIGNON, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

S.A.S. PSA RETAIL FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Emmanuelle DUGUÉ-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence MOREAU, avocat au barreau de ROUEN

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 13 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

A compter du 1er avril 2010, la société commerciale Citroën, aux droits de laquelle vient désormais la société PSA Retail France, a embauché M. [U] [O] en qualité de vendeur, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée.

La convention collective applicable est celle du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981.

M. [O] a été promu vendeur automobile confirmé puis attaché commercial.

Par un avenant prenant effet au 1er septembre 2015, M. [O] a été promu conseiller des ventes, statut cadre, avec un temps de travail s'inscrivant désormais dans le cadre d'un forfait en jours.

A partir du 5 février 2018, M. [O] a été placé en arrêt de travail pour maladie.

Par une lettre du 16 avril 2018 adressée à son employeur, M. [O] a fait état d'un syndrome anxio-dépressif réactionnel provoqué par ses mauvaises conditions de travail, en particulier une surcharge de travail.

Le 14 juin 2018, M. [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

A l'issue d'une visite médicale de reprise du 31 janvier 2019, le médecin du travail l'a déclaré apte à son poste. M. [O] a contesté cet avis en saisissant le conseil de prud'hommes de Rouen pour solliciter la désignation d'un médecin inspecteur du travail. Par une ordonnance du 2 avril 2019, le conseil de prud'hommes en sa formation de référé a débouté le salarié de sa demande.

Par lettre du 3 juin 2019, la société PSA Retail France a notifié à M. [O] son licenciement pour faute grave, lui reprochant un abandon de poste depuis le 3 avril 2019.

Par jugement du 2 juin 2020, le conseil de prud'hommes de Rouen a :

- dit et jugé que la convention de forfait-jours n'était pas opposable à M. [O],

- dit et jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [O] aux torts de la société PSA Retail France,

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [O] est fondé du fait de son absence injustifiée à son poste de travail malgré l'avis d'aptitude de la médecine du travail,

- débouté M. [O] de l'ensemble de ses autres demandes,

- débouté la société PSA Retail France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Par déclaration au greffe le 29 juin 2020, M. [O] a formé appel du jugement en ce qu'il :

- a dit et jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [O] aux torts de la société PSA Retail France,

- a dit et jugé que le licenciement pour faute grave de M. [O] est fondé du fait de son absence injustifiée à son poste de travail malgré l'avis d'aptitude de la médecine du travail,

- l'a débouté de ses demandes.

Par ordonnance du 6 octobre 2022, le conseiller de la mise en état a clôturé la procédure au même jour et renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 13 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES 

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 21 septembre 2022, M. [O] demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail à effet au 4 juin 2019 ; subsidiairement, juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société PSA Retail France à lui payer les sommes de :

47 063 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

18 825 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 883 euros à titre de congés payés sur préavis,

12 550 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

46 811,57 euros à titre de rappel de salaire (heures supplémentaires), outre 4 682 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

13 909 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de contrepartie en repos,

2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [O] estime en premier lieu que la convention de forfait en jours lui est inopposable, dès lors que son employeur n'a pas respecté les garanties conventionnelles permettant de vérifier que cette convention était bien compatible avec les limites et plafonds prévus en matière de durée du travail ainsi qu'avec sa vie personnelle et familiale, conformément à l'article 4.06 de la convention collective. Il ajoute que le fait de ne pas s'être plaint d'une quelconque difficulté ne peut être pris en considération, et que les dispositifs d'alerte évoqués par l'employeur ne sont corroborés par aucun document. Il en déduit qu'il est en droit de prétendre au paiement d'heures supplémentaires, en indiquant avoir supporté une importante charge de travail, en contestant les incohérences relevées par l'employeur, et en faisant valoir que ce dernier n'apporte aucun élément permettant de contredire son décompte. Il considère avoir également droit à des dommages et intérêts pour absence de contrepartie obligatoire en repos dès lors que les heures supplémentaires ont été accomplies au-delà du contingent annuel.

A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire, il rappelle que les manquements de son employeur l'ont conduit à remettre en cause la validité de la clause de forfait en jours contenue dans son contrat de travail, et ajoute qu'il a dû faire face pendant une longue période à une surcharge de travail importante. Il fait valoir que la dégradation de ses conditions de travail a conduit à son arrêt maladie pour épuisement professionnel. Il considère que la société PSA Retail France, qui ne pouvait ignorer le caractère déraisonnable de cette charge de travail et l'a néanmoins laissé faire face à cette situation, a manqué à son obligation de sécurité.

A l'appui de sa demande subsidiaire tendant à voir reconnaître l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement, il fait valoir qu'en dépit de l'avis d'aptitude dont il a fait l'objet à son retour d'arrêt maladie, la charge de travail et le contexte de travail dégradé l'ont empêché de reprendre son poste, et que cela ne saurait constituer un abandon de poste.

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 5 octobre 2022, la société PSA Retail France demande à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la convention de forfait jours n'était pas opposable à M. [O] et l'a déboutée de sa demande d'indemnité procédurale, et statuant à nouveau :

- juger que la convention de forfait en jours sur l'année était valable,

- condamner M. [O] aux frais irrépétibles et dépens de première instance,

- condamner M. [O] à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de l'instance,

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé qu'il n'y avait pas lieu de prononcer la résiliation du contrat de travail,

- jugé que le licenciement pour faute grave est fondé,

- débouté M. [O] de sa demande au titre des heures supplémentaires et repos compensateurs,

- débouté M. [O] de ses autres demandes.

La société PSA Retail France fait valoir qu'elle avait connaissance du nombre de jours travaillés ou non travaillés par M. [O], ainsi que de leur date, et pouvait ainsi s'assurer que la charge de travail du salarié n'était pas trop importante ; que M. [O] a bénéficié chaque année d'un entretien annuel avec son supérieur hiérarchique au cours duquel une attention particulière était portée sur l'équilibre vie professionnelle / vie personnelle et sur la charge de travail ; que M. [O] n'a jamais fait part de la moindre difficulté, ni auprès de ce dernier, ni auprès de quiconque, alors qu'il existe au sein du groupe PSA des dispositifs d'alerte. Elle en déduit que la remise en cause par M. [O] du forfait-jours relève de la mauvaise foi.

Subsidiairement, elle considère que M. [O] ne rapporte pas la preuve des heures supplémentaires alléguées, qu'il n'a établi son tableau récapitulatif que pour les besoins de la cause et que ses revendications sont entachées d'incohérences alors qu'il incombe au salarié de produire des éléments précis. Elle estime qu'au regard du délai de prescription triennal, M. [O] ne peut remonter au-delà du 15 juin 2015. Elle ajoute que les auteurs des attestations versées par M. [O], soit ont été licenciés pour motif disciplinaire, soit sont ou ont été en litige avec la société. Elle considère qu'en l'absence de preuve des heures supplémentaires prétendument effectuées, M. [O] doit être débouté de sa demande au titre des contreparties obligatoires en repos.

Pour s'opposer à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la société PSA Retail France fait valoir que M. [O] ne s'est jamais plaint de ses objectifs, de sa charge de travail ou encore d'une dégradation de ses conditions de travail ; qu'elle-même lui avait fixé des objectifs réalisables ; qu'en réalité, l'arrêt maladie du 5 février 2018 fait suite à la découverte, le vendredi 2 février 2018, de la relation extraconjugale que Mme [W] entretenait avec lui, étant précisé que celle-ci était alors mariée avec M. [P], et que tous trois étaient collègues. Elle fait remarquer que le syndrome d'épuisement professionnel évoqué par M. [O] n'est pas établi. Elle ajoute que M. [O], qui s'est vu déclarer apte à son poste le 31 janvier 2019, qui s'est vu débouter de sa contestation de cet avis devant la formation de référé du conseil de prud'hommes, et qui n'a pas fait appel de cette décision, n'a cependant pas repris son poste le 3 avril 2019, de sorte qu'elle a été contrainte de le licencier pour faute grave. Elle soutient qu'en tout état de cause, M. [O] ne rapporte pas la preuve d'une surcharge de travail ou d'une dégradation de ses conditions de travail imputable à la société.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions déposées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire et de dommages et intérêts pour repos compensateurs non pris

1. L'article L. 3121-43 du code du travail applicable de 2008 au 10 août 2016, ou l'article L. 3121-58 applicable depuis cette date, autorise la conclusion d'une convention individuelle de forfait en jours sur l'année pour les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés.

Selon l'article L. 3121-60 applicable depuis le 10 août 2016, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.

Sur le fondement de l'article L. 3121-39 jusqu'au 10 août 2016, de l'article L. 3121-63 depuis lors, les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

En l'occurrence, la convention collective nationale du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981, étendue par arrêté du 30 octobre 1981, prévoit :

- en son article 1.09 f) la possibilité de conclure un forfait en jours et précise en son paragraphe 3 que la charge quotidienne de travail doit être répartie dans le temps de façon à assurer la compatibilité des responsabilités professionnelles avec la vie personnelle du salarié, selon les modalités indiquées à l'article 4.06 ;

- en son article 4.06, que dans la mesure où l'horaire de travail des salariés qui ont conclu une convention de forfait en jours n'est pas contrôlable, et afin d'assurer la meilleure adéquation entre les conditions de travail particulières qui en découlent et les responsabilités assumées par ces salariés, les entreprises sont tenues d'assurer un suivi individuel régulier des salariés concernés et sont invitées à mettre en place des indicateurs appropriés de la charge de travail ; que le respect des dispositions contractuelles et légales sera assuré au moyen d'un système déclaratif, chaque salarié en forfait jours devant renseigner le document de suivi du forfait mis à sa disposition à cet effet ; que ce document de suivi du forfait fera apparaître le nombre et la date des journées travaillées ainsi que le positionnement et la qualification des jours non travaillés en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels, jours fériés chômés, jours de repos liés au forfait, autres jours non travaillés ; que ce document sera établi mensuellement par le collaborateur, qui en remettra un exemplaire à l'employeur ; que ce document rappellera la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables ; que chaque année, au cours d'un entretien individuel, un point sera fait avec le salarié sur sa charge de travail, son organisation du travail, l'amplitude de ses journées de travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, l'objectif étant de vérifier l'adéquation de la charge de travail au nombre de jours prévu par la convention de forfait et de mettre en 'uvre les actions correctives en cas d'inadéquation avérée.

Il incombe à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a respecté les stipulations de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours, à défaut de quoi la convention de forfait-jours est privée d'effet.

En l'espèce, il n'est pas versé aux débats de « document de suivi de forfait » de sorte que l'employeur n'établit pas que ce document comportait le rappel de la nécessité de respecter une amplitude et une charge de travail raisonnables.

En outre, alors que M. [O] a bénéficié d'une convention de forfait-jours à partir du 1er septembre 2015, il n'est pas versé aux débats de compte-rendus d'entretien individuel pour les années 2015 et 2017. S'il est produit pour l'année 2016 un compte-rendu d' « entretien individuel » et un compte-rendu d' « entretien de développement professionnel », force est de constater que le premier document n'évoque que la performance du salarié, et que le deuxième, après avoir évoqué la question de la mobilité et des aspirations professionnelles du salarié, ses points forts et compétences, les actions à mettre en 'uvre, se contente ensuite d'une phrase particulièrement sommaire « bon équilibre entre monde professionnel et familiale » dans la partie intitulée « organisation du travail ». Cette seule mention est tout à fait insuffisante pour attester de que l'employeur a évoqué avec le salarié sa charge de travail et l'amplitude de ses journées de travail.

Le fait que M. [O] n'ait jamais émis de réclamation sur la durée du travail ne suffit pas à considérer que l'employeur a satisfait à son obligation de contrôle.

Il en résulte que la convention de forfait en jours est privée d'effet, et partant, inopposable au salarié qui se trouve dès lors en droit de réclamer paiement des heures supplémentaires accomplies.

2. En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, "en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable".

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-2 al. 1 (imposant à l'employeur l'établissement des documents nécessaires au décompte de la durée de travail, hors horaire collectif), de l'article L. 3171-3 (imposant à l'employeur de tenir à disposition de l'inspection du travail lesdits documents et faisant référence à des dispositions réglementaires concernant leur nature et le temps de leur mise à disposition) et de l'article L. 3171-4 précité, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Ainsi, la charge de la preuve ne pèse pas sur le seul salarié, mais est partagée avec l'employeur.

Il est précisé que les éléments apportés par le salarié peuvent être établis unilatéralement par ses soins, la seule exigence posée étant qu'ils soient suffisamment précis pour que l'employeur puisse y répondre.

En l'espèce, M. [O] verse aux débats un document excel établi par ses soins reprenant semaine après semaine (de la semaine 23 de l'année 2015, à savoir celle du lundi 1er juin 2015, à la semaine 52 de l'année 2017) le nombre d'heures de travail accomplies selon lui, pour en déduire le nombre d'heures devant être majorées à 25 % et à 50 % et le salaire dû à ce titre (46 811,57 euros au total). Il produit également ses agendas 2015 à 2017, des tableaux mensuels sur lesquels il a renseigné les heures de début et de fin de travail de mars 2015 à décembre 2017 ainsi qu'une liste des offres de vente qu'il a émises auprès des clients, avec indication de la date et de l'heure de l'offre. Il produit enfin des attestations relevant un investissement professionnel sans faille.

Ces éléments sont suffisamment précis pour que l'employeur puisse y répondre en apportant ses propres éléments.

Les calendriers produits font état d'une arrivée systématique à son poste à 8h30, ainsi que le dénonce l'employeur, mais celui-ci n'apporte aucun élément permettant de contredire cet horaire alors qu'il avait pu formaliser en 2013 le reproche d'un manque de ponctualité dans le compte-rendu d'entretien individuel.

Il est par ailleurs noté que le salarié tient compte des pauses méridiennes, dont il évalue le plus souvent la durée à 1h30 ou 2h.

Le fait que le salarié évoque des horaires de travail importants alors que son agenda et la liste de offres ne font état que de peu d'éléments (peu ou pas de rendez-vous, peu ou pas d'offre) ne peut être considéré systématiquement comme une incohérence, mais constitue un élément d'appréciation de la fiabilité des décomptes.

Par ailleurs, c'est de manière justifiée que la société PSA Retail France s'oppose à la prise en considération des heures de travail qui auraient été effectuées plus de trois ans avant la saisine de la juridiction prud'homale le 14 juin 2018. Dans la mesure où les heures supplémentaires s'apprécient par semaine civile, il convient de ne prendre en considération que les heures effectuées à partir du lundi 15 juin 2015.

S'agissant du taux horaire appliqué, c'est de manière justifiée que M. [O] s'est fondé sur le salaire brut du mois concerné, variable à raisons des primes perçues.

Au vu des éléments produits aux débats, la cour s'estime suffisamment informée pour évaluer la créance salariale résultant du nombre d'heures supplémentaires effectuées entre le lundi 15 juin 2015 et la fin de l'année 2017 à la somme de 32.768,10 euros brut.

La société PSA Retail France est donc condamnée à payer cette somme à M. [O], outre celle de 3 276,81 euros brut au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé en ce sens.

3. Le dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires donne lieu à une contrepartie obligatoire en repos avec paiement de l'indemnité afférente.

Or M. [O] formule une demande de dommages et intérêts, sans invoquer de préjudice spécifique.

Tenue par le seul dispositif, en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne peut que débouter M. [O] de sa demande. Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail et les demandes pécuniaires afférentes

1. En vertu de l'article L 1231-1 du code du travail, « le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative ['] du salarié ['] dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre ».

Saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, le juge apprécie si l'inexécution par l'employeur de certaines de ses obligations résultant du contrat de travail présente une gravité suffisante pour justifier la résiliation de ce contrat.

La charge de la preuve de l'imputabilité de la rupture incombe au demandeur.

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation est justifiée. C'est seulement s'il ne l'estime pas fondée qu'il doit statuer sur le licenciement.

Si la demande de résiliation est justifiée, le juge fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement.

En l'espèce, il est acquis que l'employeur n'a pas respecté son obligation de suivi du forfait-jours.

Les pièces versées aux débats, telles les listes d'offre de vente et les objectifs des vendeurs, mettent en évidence une importante charge de travail, également confortée par les attestations produites.

Ces seuls éléments ne sont pas suffisants pour rapporter la preuve d'un manquement suffisamment grave de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail alors que M. [O] n'avait signalé aucune difficulté avant d'être placé en arrêt maladie et que les débats, en ce compris les attestations produites par le salarié, n'établissent pas que cet arrêt serait lié à une quelconque surcharge de travail. Il est relevé à cet égard que les arrêts maladie évoquent simplement des « troubles thymiques » ou « troubles thymiques réactionnels » sans aucunement faire référence à un épuisement ou à un burn-out ; que la facture établie par sa psychologue le 16 février 2018 n'évoque ni le motif de la consultation ni le diagnostic de la professionnelle. Les attestations de M. [P] et de Mme [W] produites par l'employeur, qui évoquent les circonstances dans lesquels le premier a appris, le vendredi 2 février 2018, que son épouse l'avait trompé avec M. [O], et la réaction de celui-ci, honteux de la situation, tendent au contraire à établir un lien entre cet événement essentiellement d'ordre privé et l'arrêt de travail.

Par suite, il y a lieu de débouter M. [O] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

2. La faute grave est définie comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, y compris pendant la durée du préavis.

La preuve de la faute grave incombe à l'employeur.

En l'espèce, la lettre de licenciement fait état d'un abandon de poste par M. [O] depuis le 3 avril 2019, celui-ci étant absent sans justification depuis cette date et cela malgré les courriers de mise en demeure de l'employeur des 5 avril, 11 avril et 19 avril 2019.

Ce dernier justifie des courriers précités, par lesquels il a demandé au salarié de lui transmettre au plus vite tout document justifiant son absence (courriers des 4 et 11 avril 2019) avant de s'étonner de son absence à son poste en dépit du nouvel avis d'aptitude rendu à l'issue d'une visite médicale du 8 avril 2019, de constater l'absence persistante de justificatif et de lui demander une nouvelle fois de bien vouloir lui transmettre au plus vite tout document justifiant son absence.

M. [O] ne conteste aucunement la matérialité de ces faits, admettant avoir fait l'objet d'un avis d'aptitude mais estimant que sa charge de travail et le contexte de travail dégradé l'ont empêché de reprendre son poste. C'est d'ailleurs dans les mêmes termes, en substance, qu'il avait répondu à son employeur le 19 avril 2019, terminant son courrier par les phrases : « par la présente, je maintien ma demande de résiliation judiciaire, sans pour autant démissionner ni prendre acte de la rupture. Je ne me présenterai pas à mon poste de travail ».

M. [O] ne justifie donc pas d'un motif valable lui permettent de s'exonérer de son obligation d'exécuter sa prestation de travail.

Le refus délibéré d'accomplir son travail sans motif valable caractérise un abandon de poste et rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, y compris pendant la durée du préavis.

Le licenciement pour faute grave est donc justifié.

Par suite, M. [O] est débouté de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis, ainsi que d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement est confirmé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Au regard de la solution donnée au litige, qui voit aboutir une partie des demandes de M. [O], la société PSA Retail France est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

En revanche, il n'apparaît pas contraire à l'équité de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés. Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté chaque partie de ses demandes à ce titre, et de débouter celles-ci de leurs demandes respectives formées en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de l'appel,

Infirme le jugement rendu le 2 juin 2020 par le conseil de prud'hommes de Rouen , en ce qu'il a débouté M. [O] de sa demande de rappel de salaire,

Statuant à nouveau :

Condamne la société PSA Retail France à payer à M. [U] [O] la somme de 32.768,10 euros brut à titre de rappel de salaire (heures supplémentaires), outre la somme de 3 276,81 euros brut au titre des congés payés afférents,

Confirme le jugement pour le surplus des dispositions frappées d'appel,

Et y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes respectives formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la procédure d'appel,

Condamne la société PSA Retail France aux dépens, tant de première instance que d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/02016
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;20.02016 ?
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