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08/12/2022 | FRANCE | N°20/02134

France | France, Cour d'appel de Rouen, Chambre sociale, 08 décembre 2022, 20/02134


N° RG 20/02134 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IQCU





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 08 DECEMBRE 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 08 Juin 2020





APPELANTE :





Société ATALIAN PROPRETE venant aux droits de la Société ATALIAN PROPRETE NORD NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 2]



représentée par Me Vincent MOSQ

UET, de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN







INTIMEE :





Madame [L] [S] [E] épouse [V]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]



représentée par Me Arnaud VALLOIS de la SELARL ARNAUD VALLOIS-...

N° RG 20/02134 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IQCU

COUR D'APPEL DE ROUEN

CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE

ARRET DU 08 DECEMBRE 2022

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 08 Juin 2020

APPELANTE :

Société ATALIAN PROPRETE venant aux droits de la Société ATALIAN PROPRETE NORD NORMANDIE

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Vincent MOSQUET, de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame [L] [S] [E] épouse [V]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Arnaud VALLOIS de la SELARL ARNAUD VALLOIS-CLAIRE MOINARD AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/007750 du 31/08/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)

COMPOSITION DE LA COUR  :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Octobre 2022 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé du rapport.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame BIDEAULT, Présidente

Madame POUGET, Conseillère

Madame DE BRIER, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme WERNER, Greffière

DEBATS :

A l'audience publique du 13 Octobre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 08 Décembre 2022

ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé le 08 Décembre 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.

FAITS ET PROCÉDURE

A tout le moins depuis le 20 août 2014, la société TFN Propreté Nord Normandie, devenue par la suite la société Atalian Propreté Normandie puis Atalian Propreté, a embauché Mme [L] [V] née [S] [E] en qualité d'agent de service dans le cadre de nombreux contrats de travail à durée déterminée et à temps partiel.

Le dernier contrat a été conclu le 1er juin 2017 avec un terme fixé au 30 juin 2017.

La convention collective applicable est celle des entreprises de propreté.

Le 15 février 2019, Mme [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen, qui par jugement du 8 juin 2020, a :

- condamné la société Atalian Propreté à payer à Mme [V] la somme de 22 704, 98 euros à titre de rappel de salaire de juillet 2017 à février 2019, et celle de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Atalian Propreté de ses demandes reconventionnelles,

- laissé les dépens de l'instance à la charge de la société Atalian Propreté.

Par déclaration au greffe le 8 juillet 2020, la société Atalian Propreté a formé appel.

Par ordonnance du 22 septembre 2022, le conseiller de la mise en état a clôturé la procédure au même jour et renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 13 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES 

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 10 août 2022, la société Atalian Propreté demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de :

- débouter Mme [V] de ses demandes,

- déclarer irrecevables la demande de requalification des CDD en CDI ainsi que les demandes financières afférentes (indemnité de requalification, dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière, indemnité de préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse),

- condamner Mme [V] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les dépens.

La société Atalian Propreté fait valoir que le remplacement d'un salarié absent est l'un des cas autorisés de recours au CDD, et qu'il offre la possibilité de recourir de façon successive à des CDD avec le même salarié en application de l'article L. 1244-1 du code du travail. Elle ajoute que par principe, il est fixé un terme à ce contrat, dès sa conclusion ; que ce n'est que par exception que le CDD conclu pour remplacer un salarié absent peut comporter un terme imprécis, à savoir la fin de l'absence de la personne remplacée. Relevant que le dernier CDD conclu avec Mme [V] avait un terme fixé au 30 juin 2017, elle en déduit que celle-ci, dont le contrat a pris fin de plein droit le 30 juin 2017 à la survenance du terme, ne peut se prévaloir d'une rupture anticipée, peu important à cet égard que Mme [V] ait encore été en arrêt maladie à cette date.

Du fait de la rupture à son terme du CDD, la société Atalian Propreté s'oppose à la demande en paiement d'un rappel de salaire actualisé et devant se poursuivre jusqu'au retour effectif de Mme [T]. Elle précise en tout état de cause que celle-ci a été remplacée depuis son licenciement du 7 mai 2018.

La société expose que les seules demandes de Mme [V] en première instance portaient sur un rappel de salaire et une indemnité procédurale. Elle en déduit que la demande de requalification de la relation de travail en CDI est irrecevable, étant nouvelle en cause d'appel. Elle estime subsidiairement que cette demande formée pour la première fois dans des conclusions du 17 décembre 2020, plus de deux ans après le terme du dernier CDD, est prescrite.

Encore plus subsidiairement, elle soutient que la demande est infondée dès lors que Mme [T] était bien absente et n'a jamais pu reprendre son poste.

Par ses dernières conclusions, remises au greffe le 9 juillet 2021, Mme [V] demande à la cour de confirmer le jugement et, à ajoutant, de :

- à titre principal, condamner la société Atalian Propreté Nord Normandie à lui payer les sommes de :

50 190 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux salaires normalement perçus de juillet 2017 à décembre 2020 inclus,

1 195 euros par mois à compter de janvier 2021 jusqu'à la justification par la société du sort réservé au contrat de travail de Mme [U] [T],

- à titre subsidiaire, condamner la société à lui payer la somme de 12 248,75 euros à titre de salaires ou indemnités,

- à titre infiniment subsidiaire, requalifier le CDD en CDI, et en conséquence, condamner la société Atalian Propreté Nord Normandie à lui régler les sommes de :

1 195 euros à titre d'indemnité de requalification,

1 195 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière,

2 390 euros à titre d'indemnité de préavis (2 mois), outre 239 euros à titre de congés payés sur préavis,

1 344, 38 euros à titre d'indemnité de licenciement,

7 170 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Atalian Propreté à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [V] expose avoir travaillé en remplacement de Mme [T] depuis le 24 décembre 2012, jusqu'au 30 juin 2017. Elle admet que le CDD peut ne pas comporter de terme précis lorsqu'il est conclu pour remplacer un salarié absent ; soutient qu'en ce cas, il doit être conclu pour une durée minimale et a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée. Elle considère qu'en l'occurrence, le véritable motif de recours au CDD était le remplacement de Mme [T] jusqu'à son retour théorique de sorte que l'indication d'une date précise sur les contrats successifs constitue un détournement et une fraude. Elle estime que le terme de son CDD n'était pas le 30 juin 2017 mais la date du retour de Mme [T] dans l'entreprise ou la rupture de son contrat de travail. Elle fait valoir que cette dernière a été déclarée inapte le 7 juillet 2016 mais ne s'est vu proposer de postes de reclassement que 9 mois plus tard et n'a été licenciée pour inaptitude que le 7 mai 2018 ; qu'il était contraire à l'esprit de la loi de prévoir un terme précis à son CDD, qui aurait dû expirer le 7 mai 2018. Elle considère que la rupture anticipée de son CDD doit donner lieu à une indemnité correspondant au montant des salaires bruts devant lui être versés de juillet 2017 à décembre 2020, puis jusqu'à ce que l'employeur justifie du sort donné au contrat de travail de Mme [T].

A l'appui de sa demande subsidiaire, elle estime être en droit d'obtenir paiement des salaires jusqu'au 7 mai 2018, date de la rupture du contrat de travail de Mme [T].

A l'appui de sa demande, plus subsidiaire encore, de requalification du contrat, elle se prévaut d'un usage irrégulier et abusif de CDD pour pourvoir un emploi permanent sans motif valablement démontré, et alors que le motif précis du recours au CDD n'est plus indiqué sur les contrats postérieurs à novembre 2015. Elle soutient que le délai de prescription de deux ans n'a commencé à courir qu'à compter du moment où elle a pu avoir connaissance de l'évènement justifiant sa nouvelle prétention en cause d'appel ; qu'en outre, aucune prescription ne saurait être opposée à cette demande complémentaire accessoire qui concerne l'exécution du même contrat et de la même relation de travail.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur les demandes

1. En vertu de l'article L. 1242-7 du code du travail, dans ses versions successivement en vigueur depuis 2012, le contrat de travail à durée déterminée comporte un terme fixé avec précision dès sa conclusion.

Toutefois, le contrat peut ne pas comporter de terme précis lorsqu'il est conclu dans l'un des cas suivants :

1° Remplacement d'un salarié absent ;

2° Remplacement d'un salarié dont le contrat de travail est suspendu ; [...]

Le contrat de travail à durée déterminée est alors conclu pour une durée minimale. Il a pour terme la fin de l'absence de la personne remplacée ou la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.

Dans ces cas de remplacement d'un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, il peut être conclu des contrats de travail à durée déterminée successifs avec le même salarié, en application des dispositions de l'article L. 1244-1.

Sur le fondement des articles L. 1243-1 et L. 1243-4 du code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail ; hors ces cas, la rupture anticipée du CDD à l'initiative de l'employeur ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.

La bonne foi contractuelle est présumée, et il incombe à celui qui se prévaut d'une fraude à ses droits d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, il est constant, et justifié par les contrats produits, que Mme [V] a successivement conclu de nombreux contrats de travail à durée déterminée, que chacun d'eux prévoyait un terme précis et visait au remplacement de Mme [T], absente ; que le dernier contrat conclu prévoyait un terme au 30 juin 2017.

Mme [V] n'apporte pas d'élément permettant d'établir que ce choix de l'employeur, offert par la loi, de recourir à des contrats de date à date plutôt qu'à un unique CDD comportant un terme imprécis, était frauduleux. A cet égard, la chronologie des évènements, et en particulier le fait que des CDD se soient encore succédés après la déclaration d'inaptitude de Mme [T], pendant une durée de près d'un an, est inefficace. Il en est de même du fait que l'employeur ait cessé de convenir avec elle de nouveaux CDD après le 30 juin 2017, alors que Mme [T] n'avait pas encore été licenciée.

La relation contractuelle a donc pris fin à cette date, terme du dernier CDD conclu.

En conséquence, Mme [V] ne peut valablement se prévaloir d'une rupture anticipée à cette date et considérer que la véritable fin de son CDD doit être fixée au jour du retour de Mme [T] à son poste ou au jour de la fin de son contrat de travail.

Elle est donc déboutée de ses demandes, tant principale que subsidiaire, de dommages et intérêts et salaires. Le jugement est infirmé en ce sens.

2. En vertu de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les articles 565 et 566 précisent que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La demande subsidiaire de requalification des CDD en CDI n'entre pas dans les prévisions de l'article 564 précité.

Elle a une finalité différente de celle de la demande en paiement de salaires seule présentée par Mme [V] en première instance.

Parfaitement autonome d'une demande en paiement de salaires ou de dommages et intérêts, la demande de requalification de la relation contractuelle ne peut être considérée comme son accessoire, sa conséquence ou son complément nécessaire.

Cette demande subsidiaire en requalification, et les demandes pécuniaires qui en résultent (indemnité de requalification, dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière, indemnité de préavis, congés payés sur préavis, indemnité de licenciement, dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) sont donc déclarées irrecevables.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En qualité de partie succombante pour l'essentiel, Mme [V] est condamnée aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

Par suite, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a accordé à Mme [V] une indemnité procédurale, et de débouter celle-ci de sa demande formée en cause d'appel. Pour autant, il n'apparaît pas contraire à l'équité de débouter également la société Atalian Propreté de sa demande d'indemnité procédurale formée en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant contradictoirement et en dernier ressort, dans les limites de l'appel,


Infirme le jugement rendu le 8 juin 2020 par le conseil de prud'hommes de Rouen,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Déboute Mme [L] [V] née [S] [E] de sa demande en paiement de la somme de 50 190 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux salaires normalement perçus de juillet 2017 à décembre 2020 inclus, et de la somme de 1 195 euros par mois à compter de janvier 2021 jusqu'à la justification par la société Atalian Propreté du sort réservé au contrat de travail de Mme [U] [T],

Déboute Mme [L] [V] née [S] [E] de sa demande subsidiaire de condamnation de la société Atalian Propreté à lui payer la somme de 12 248, 75 euros à titre de salaires ou indemnités,

Déclare irrecevables les demandes infiniment subsidiaires de requalification de la relation contractuelle et de paiement d'une indemnité de requalification, de dommages-intérêts pour procédure de licenciement irrégulière, d'une indemnité de préavis, de congés payés sur préavis, d'une indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Déboute les parties de leurs demandes respectives formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tant pour la procédure de première instance que pour la procédure d'appel,

Condamne Mme [L] [V] née [S] [E] aux dépens, tant de première instance que d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Rouen
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/02134
Date de la décision : 08/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-08;20.02134 ?
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