N° RG 20/01989 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IPX6
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 18 JANVIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 22 Mai 2020
APPELANT :
Monsieur [B] [G]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assisté de Me Valérie FLANDREAU, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
CAISSE INTERPROFESSIONNELLE DE PREVOYANCE ET D'ASSURANCE VIEILLESSE (CIPAV)
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Marc ABSIRE de la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN substitué par Me Adrien LAHAYE, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 15 Novembre 2022 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 15 Novembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 Janvier 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 18 Janvier 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
M. [B] [G] a été affilié au régime social des indépendants (RSI) jusqu'au 31 décembre 2014, en qualité d'expert.
Le 28 janvier 2015, la caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse des professions libérales (CIPAV) a émis à son encontre une contrainte portant sur un montant de 14 650, 81 euros représentant des cotisations (12 076 euros) et majorations de retard (2 574, 81 euros) impayées.
Le 18 septembre 2018, la CIPAV l'a fait signifier à M. [G], qui a formé opposition le 1er octobre 2018.
Par jugement du 22 mai 2020, le tribunal judiciaire, pôle social, de Rouen a :
- validé la contrainte du 28 janvier 2015 portant sur un montant de 14 650, 81 euros,
- débouté la CIPAV de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [G] au paiement de la somme de 70, 98 euros au titre des frais de signification de la contrainte,
- rejeté les autres demandes.
Par déclaration envoyée le 22 juin 2020, M. [G] a formé appel contre ce jugement en ce qu'il a validé la contrainte et l'a condamné au paiement des frais de signification de la contrainte.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Soutenant oralement ses conclusions reçues au greffe le 9 novembre 2022, et les complétant à l'audience, M. [G] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
$gt; à titre principal, annuler la contrainte,
$gt; subsidiairement, réduire la contrainte à la somme de 2 248 euros,
$gt; en tout état de cause :
- condamner la CIPAV à lui payer la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la CIPAV à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la CIPAV aux dépens.
Soutenant oralement ses conclusions reçues au greffe le 31 octobre 2022, et les complétant à l'audience, la CIPAV demande à la cour de :
$gt; à titre principal, confirmer le jugement,
$gt; à titre subsidiaire, valider la contrainte pour un montant de 4 822, 81 euros représentant les cotisations (2 248 euros) et les majorations de retard (2 574, 81 euros) dues pour la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012,
$gt; en tout état de cause :
- débouter M. [G] de ses demandes,
- condamner M. [G] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [G] au paiement des frais de recouvrement.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
Sur la demande d'annulation de la contrainte
M. [G] soutient en premier lieu que la contrainte n'est pas sous-tendue par une mise en demeure valide. Il souligne, au vu du bordereau d'accusé de réception, qu'il n'a pas réceptionné la mise en demeure.
Il considère en outre que la contrainte n'est motivée, ni de façon correcte, ni de façon autonome, de sorte qu'elle ne lui a pas permis d'avoir une connaissance exacte de la nature et de la cause de son obligation.
La CIPAV fait valoir que l'absence de réception effective de la mise en demeure ne rend pas la procédure irrégulière, et qu'elle a pour seule obligation d'envoyer le courrier recommandé.
Elle soutient qu'elle n'est pas tenue d'indiquer le mode de calcul des sommes réclamées, que leur nature est indiquée, de même que la période litigieuse, et que la contrainte fait expressément référence à la mise en demeure préalable, qui n'a pas fait l'objet de la moindre contestation et qui comporte les mentions prescrites à peine de nullité par l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale.
Sur ce :
Sur le fondement de l'article L. 244-2 du code de la sécurité sociale, auquel renvoie l'article L. 623-1 relatif au régime d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés jusqu'au 1er janvier 2018, et l'article L. 642-6 depuis cette date, toute action ou poursuite en paiement de cotisations de sécurité sociale est obligatoirement précédée de l'envoi d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée à l'employeur ou au travailleur indépendant.
La mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de la mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. A cette fin, il importe qu'elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.
Une contrainte est valable si elle ne contient pas elle-même toutes ces mentions mais se réfère à une ou plusieurs mises en demeure les comportant. Il n'est donc pas nécessaire à la validité de la contrainte qu'elle comporte une motivation « autonome » ainsi que le soutient le cotisant.
Il est par ailleurs rappelé que peu importe que la lettre de mise en demeure ne soit pas réceptionnée de manière effective par le cotisant, dès lors qu'elle a été envoyée à l'adresse de celui-ci dont l'organisme de sécurité sociale avait connaissance.
Dans ces conditions, le fait que la mise en demeure du 23 juin 2014 ait été retournée à la CIPAV avec la mention « pli avisé et non réclamé », ainsi qu'il résulte de la copie de l'enveloppe versée aux débats, ne remet pas en cause sa validité et son effet, et ne permet donc pas de considérer que la contrainte ne serait pas sous-tendue par une mise en demeure valide.
Par ailleurs, la cour constate que :
- la contrainte fait par elle-même état d'une somme de 12 076 euros due à titre de cotisations et d'une somme de 2 574, 81 euros due à titre de majorations de retard, cela pour la « période d'exigibilité du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012.
- la mise en demeure, à laquelle la contrainte fait référence, mentionne une période d'exigibilité en substance identique, puisque courant du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2011 et du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2012. Pour chacune de ces deux années civiles, elle détaille les sommes dues au titre du régime de base (196, 77 euros de majorations afférentes aux cotisations tranche 1 et 11, 17 euros de majorations afférentes aux cotisations tranche 2), au titre de la retraite complémentaire (10 920 euros et 1 156 euros de cotisations, 2 239, 71 euros et 127, 18 euros de majorations afférentes) et au titre du risque invalidité-décès (aucune somme due), pour un total de 13 159, 71 euros dû au titre de l'année 2011 et de 1 491, 10 euros dû au titre de l'année 2012, étant précisé que le calcul des majorations de retard a été arrêté au 20 juin 2014.
Par les différentes indications portées dans l'un et l'autre document (indications qui n'avaient pas à être reproduites à l'identique dans l'un et l'autre document, mais qui se complètent dans le cadre d'une lecture combinée de ces deux documents), M. [G] avait donc connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. Il est précisé à cet égard que la caisse n'a pas à préciser le détail du calcul des sommes réclamées.
La contrainte était donc suffisamment motivée et n'encourt aucune nullité de ce chef.
La cour ajoute que l'acte de signification de la contrainte comporte bien une date, celle du 18 septembre 2018, contrairement à ce que M. [G] allègue, de sorte que cette contrainte a été parfaitement signifiée.
Sur la demande de régularisation du montant de la contrainte
M. [G] soutient que la CIPAV, pourtant tenue de recalculer les cotisations de l'année N une fois le revenu professionnel de cette année définitivement connu, s'abstient généralement de recalculer à la baisse les cotisations de retraite complémentaire lorsque les revenus du cotisant au cours de cette année N sont inférieurs à ceux de l'année N-1. Il affirme avoir été victime de cette pratique.
La CIPAV fait valoir qu'en vertu de ses statuts, la cotisation est ajustée lorsque le revenu de la dernière année d'exercice est connu ; qu'en l'occurrence, M. [G] a déclaré des revenus professionnels 2009 à hauteur de 86 885 euros, de sorte que la cotisation a été appelée en classe 10 (soit 10 920 euros), somme qu'il reste donc devoir. A titre subsidiaire, si la juridiction entendait régulariser le montant de la cotisation sur la base du revenu définitif, la CIPAV fait valoir que M. [G] a perçu en 2011 un revenu de 12 132 euros, de sorte que la cotisation devrait être appelée en classe 1, soit 1 092 euros. Elle ajoute que pour 2012, la cotisation a été calculée sur le revenu professionnel 2010 (40 370 euros), correspondant à la classe 1 ; que cette classe reste pertinente, subsidiairement, si l'on tient compte de l'absence de revenu perçu par M. [G] en 2012.
Sur ce :
Selon les dispositions de l'article 3 du décret n° 79-262 du 21 mars 1979 modifié, seules applicables au paiement des cotisations litigieuses, la cotisation au régime d'assurance vieillesse complémentaire des assurés relevant de la section professionnelle gérée par la CIPAV est versée à celle-ci dans les mêmes formes et conditions que la cotisation du régime d'assurance vieillesse de base. Il en résulte que les cotisations de retraite complémentaire calculées à titre provisionnel doivent être régularisées par la caisse une fois le revenu professionnel définitivement connu.
En l'espèce, la caisse admet que la somme de 10 920 euros réclamée à titre de cotisations 2011 correspond à la classe 10 de cotisations, eu égard aux revenus perçus par M. [G] en 2009.
Or, étant tenue de régulariser le montant de cotisations initialement réclamé pour tenir compte des revenus perçus en 2011 (12 132 euros), elle ne pouvait réclamer au titre des cotisations 2011 que la somme de 1 092 euros correspondant à la classe 1.
M. [G] ne développe pas de moyen spécifique concernant la cotisation appelée pour 2012.
Il en résulte que le montant de la contrainte doit être ramené à la somme de 2 248 euros (1 092 + 1 156) au titre des seules cotisations.
S'agissant des majorations de retard, il est relevé que M. [G] ne réclame pas une « remise » des majorations de retard qui seraient dues, remise qui serait de la seule compétence du directeur de la caisse et serait conditionnée au paiement intégral des cotisations, mais sollicite une révision de leur montant au regard du montant de cotisations réellement dû.
Le montant de la cotisation 2011 ayant été ramené de 10 920 euros à 1 092 euros, le montant des majorations de retard doit être ramené de 2 239, 71 euros à 223, 97 euros. S'y ajoutent les majorations de retard pour l'année 2012, non contestées.
Au final, la contrainte est validée pour un montant ramené à 2 807, 07 euros (2 248 euros de cotisations et 559, 07 euros de majorations de retard arrêtées au 20 juin 2014).
Sur la demande de dommages et intérêts
M. [G] fait valoir que les dysfonctionnements de la CIPAV lui ont causé un préjudice moral, constitué des inquiétudes résultant des mises en demeure, actes d'huissier et procédure judiciaire ; que ces erreurs sont massives et récurrentes, de sorte que seules des condamnations à indemnisation importantes peuvent conduire la caisse à plus d'attention dans la gestion de ses dossiers. Il ajoute que même en l'absence de faute, une caisse de cotisations retraite peut voir sa responsabilité engagée dès lors que le cotisant est victime d'un préjudice anormal et spécial, ce qui est son cas.
La CIPAV considère que M. [G] ne justifie pas du caractère fautif de sa position ; qu'investie d'une mission de service public, elle estime faire une juste application des textes ; qu'en outre M. [G] ne justifie pas du préjudice allégué.
Sur ce :
L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé de le réparer, et l'article 1241 du même code ajoute que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
L'article 9 du code de procédure civile fait obligation à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
En l'espèce, l'appréciation juridiquement erronée de son droit ne constitue pas une faute, en l'absence de mauvaise foi.
Or M. [G] ne justifie pas qu'en 2014, date de la mise en demeure, en 2015, date d'émission de la contrainte, ou encore en 2018, date de sa signification, la CIPAV était de mauvaise foi en lui réclamant un montant de cotisations fondé sur les revenus de l'année N-2.
M. [G] est en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les frais de signification et d'exécution de la contrainte ainsi que sur les frais du procès
En vertu de l'article R. 133-6 du code de la sécurité sociale, les frais de signification de la contrainte faite dans les conditions prévues à l'article R133-3, ainsi que de tous actes de procédure nécessaires à son exécution, sont à la charge du débiteur, sauf lorsque l'opposition a été jugée fondée.
Dès lors que la contrainte est validée, même pour un montant réduit, les frais de signification sont à la charge du cotisant.
En revanche, dans la mesure où M. [G] a été contraint de saisir une juridiction pour obtenir la régularisation des sommes qui lui étaient réclamées de manière partiellement infondées, il est justifié de condamner la CIPAV aux dépens de première instance et d'appel.
Il est précisé que la présente décision permet le recouvrement des frais de son exécution forcée et que la charge des frais d'exécution forcée est régie par les dispositions d'ordre public de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution. Le juge du fond ne pouvant statuer par avance sur le sort de ces frais, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la CIPAV tendant à la condamnation de M. [G] au paiement des frais de recouvrement.
La caisse, condamnée aux dépens, est également condamnée à payer à M. [G] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement rendu le 22 mai 2020 par le tribunal judiciaire, pôle social, de Rouen, en ce qu'il a validé la contrainte du 28 janvier 2015 portant sur un montant de 14 650, 81 euros,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déboute M. [B] [G] de sa demande d'annulation de la contrainte émise à l'encontre de M. [G] le 28 janvier 2015 et signifiée le 18 septembre 2018,
Valide cette contrainte pour un montant ramené à 2 807, 07 euros (2 248 euros de cotisations et 559, 07 euros de majorations de retard arrêtées au 20 juin 2014),
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné M. [B] [G] au paiement de la somme de 70, 98 euros au titre des frais de signification de la contrainte,
Y ajoutant :
Condamne la CIPAV aux dépens de première instance et d'appel,
Condamne la CIPAV à payer à M. [B] [G] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
LE GREFFIER LA PRESIDENTE