N° RG 20/02349 - N° Portalis DBV2-V-B7E-IQSC
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 10 FEVRIER 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
19/1434
Jugement du POLE SOCIAL DU TJ DE ROUEN du 26 Mai 2020
APPELANTE :
Société [3]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Rachid MEZIANI de la SARL MEZIANI & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Maria BEKMEZCIOGLU, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Vincent BOURDON, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame ROGER-MINNE, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
M. CABRELLI, Greffier
DEBATS :
A l'audience publique du 13 Décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 10 Février 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 10 Février 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [N] [X] a été engagée le 26 août 2015 par la société [3] (la société) en qualité d'employée de réception.
Le 8 février 2016, suite aux indications de Mme [X], la société a établi une déclaration d'accident du travail mentionnant les circonstances suivantes : ' Une cliente a demandé d'ôter l'antivol sur le CD qu'elle venait d'acheter. L'outil pour déclipser les antivols est capricieux. Il faut taper dessus plusieurs fois avec l'objet antivolé. Mle [X] en tapant sur cet outil s'est cogné le poignet' sur 'le rebord de la caisse'.'
Un certificat médical initial établi le jour-même fait état d'une 'contusion poignet droit'.
Le 15 février 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 4] (la caisse) a notifié à la société la prise en charge de cet accident au titre de la législation sur les risques professionnels.
La société a saisi la commission de recours amiable (la CRA) en contestation de la durée des arrêts de travail prescrits à Mme [X] à la suite du dit accident. En sa séance du 23 février 2017, la CRA a rejeté son recours.
La société a poursuivi sa contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, devenu pôle social du tribunal judiciaire, de Rouen qui, par jugement du 26 mai 2020, a débouté la société de l'intégralité de ses demandes.
Cette dernière a relevé appel de ce jugement le 7 juillet 2020.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions remises le 16 novembre 2022, soutenues oralement à l'audience, la société demande à la cour de :
déclarer son recours recevable et bien fondé,
En conséquence,
réformer la décision entreprise,
ordonner la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire afin de :
déterminer les lésions directement imputables à l'accident dont a indiqué avoir été victime Mme [X] le 8 février 2016,
déterminer l'existence d'une pathologie antérieure et indépendante,
déterminer la durée des arrêts de travail en relation directe avec l'accident, en dehors de tout état antérieur ou indépendant,
déterminer la date de consolidation des lésions en relation directe avec l'accident en dehors de tout état antérieur ou indépendant,
faire injonction au service médical de la caisse de communiquer à l'expert l'ensemble des pièces médicales en sa possession, ainsi qu'à son médecin conseil.
Par conclusions remises le 5 décembre 2022, soutenues oralement à l'audience, la caisse demande à la cour de :
confirmer le jugement rendu le 26 mai 2020 par le tribunal judiciaire,
à titre subsidiaire, si la cour devait ordonner la mise en oeuvre d'une expertise médicale judiciaire :
dire que la mission qui sera confiée à l'expert ne pourra être que la suivante : dire si les soins et arrêts de travail prescrits à Mme [X] jusqu'à la date de consolidation fixée au 30 septembre 2016 ont une cause totalement étrangère à l'accident du travail survenu le 8 février 2016,
mettre les frais d'expertise à la charge de la société.
Il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé détaillé de leurs moyens et arguments.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l'imputabilité des arrêts de travail prescrits à la salariée
L'employeur soutient pour l'essentiel que la durée de l'arrêt de travail dont a bénéficié la salariée apparaît excessive compte tenu de la lésion initiale.
Il indique que 211 jours d'arrêt de travail pour ce qui était initialement décrit comme 'une contusion du poignet droit' apparaissent disproportionnés.
Il verse aux débats le compte rendu établi par le docteur [M], son médecin conseil, qui rappelle que Mme [X] était âgée de 25 ans au jour de l'accident, qui fait état de l'existence d'un état antérieur en ce qu'il précise que dans sa discussion médico-légale, le médecin rapporte un état antérieur constitué par 2 entorses en 2005 et 2009.
La société observe que si les arrêts de travail font état dans un premier temps d'un traumatisme du poignet droit, ils évoquent ensuite un traumatisme avec douleur du bord cubital, le certificat médical final du docteur [W] du 30 septembre 2016 concluant à des douleurs persistantes + trajet long fléchisseur ulnaire du poignet droit. Flexion contrariée en inclinaison ulnaire très douloureuse. Port d'une attelle en permanence.'
Selon le docteur [M], l'accident du travail du 8 février 2016 doit être considéré comme guéri le 10 juin 2016, 'les états antérieurs prenant alors le relais.'
La caisse fait valoir que la société n'apporte aucun élément permettant de renverser la présomption d'imputabilité qui couvre l'ensemble des prestations servies jusqu'à la date de guérison ou de consolidation, à savoir l'existence d'une cause totalement étrangère au travail, que l'existence d'un état pathologique antérieur ne peut en aucun cas être suffisante pour renverser cette présomption d'imputabilité qui s'attache aux soins et arrêts de travail prescrits au titre d'un accident du travail et qu'il n'appartient pas à la juridiction de suppléer, par une mesure d'instruction, la carence du demandeur dans l'administration de la preuve.
Sur ce ;
La cour rappelle que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail s'étend à toute la durée d'incapacité précédant soit la guérison complète soit la consolidation de l'état de la victime dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail. Il appartient donc à l'employeur qui entend renverser cette présomption d'imputabilité d'apporter la preuve que les lésions ayant donné lieu aux prescriptions d'arrêt de travail qu'il conteste, sont dues à une cause totalement étrangère au travail.
L'existence d'un état antérieur n'est pas, en soi, constitutif de cette preuve dès lors qu'il n'est pas démontré que la lésion et/ou les arrêts de travail subséquents ont une cause totalement étrangère au travail.
En l'espèce, il convient de constater que si le certificat médical initial porte mention d'une contusion du poignet droit comme les prolongations accordées jusqu'au 10 juin 2016, la prolongation d'arrêt de travail versée aux débats du 10 juin 2016 porte la mention de 'arthropathie post traumatique, pisi-triquétrale droite', ce qui constitue un nouveau diagnostic.
Le médecin conseil de l'employeur estime que les éléments transmis permettent de considérer que le fait accidentel s'est produit sur le même poignet droit que celui qui a subi deux entorses en 2005 puis en 2009, que ce poignet présentait un état antérieur qui a évolué pour son propre compte à compter du 10 juin 2016, preuve en étant de la mention d'arthripathie post traumatique sur la prolongation d'arrêt de travail et que l'arrêt de travail en lien avec l'événement du 8 février 2016 n'est justifié que jusqu'au 10 juin 2016.
Ces éléments constituent un commencement de preuve suffisant et sérieux, au regard des dispositions de l'article 146 du code de procédure civile, permettant d'ordonner avant dire droit une mesure d'expertise judiciaire dont les modalités seront énoncées au dispositif, étant précisé que pour apprécier l'étendue de la prise en charge des arrêts de travail postérieurs à l'accident, il est nécessaire que l'expert se prononce, dans les rapports caisse/employeur, sur la date de consolidation, comme le demande la société.
Aux termes de l'article L. 141-2-2 du code de la sécurité sociale issu de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, lorsque sont contestées, en application de l'article L. 142-1, les conditions de reconnaissance du caractère professionnel d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ou l'imputabilité des lésions ou des prestations servies à ce titre, le praticien conseil du contrôle médical du régime de sécurité sociale concerné transmet, sans que puisse lui être opposé l'article 226-13 du code pénal, à l'attention du médecin expert désigné par la juridiction compétente, les éléments médicaux ayant contribué à la décision de prise en charge ou de refus et à la justification des prestations servies à ce titre à la demande de l'employeur, ces éléments sont notifiés au médecin qu'il mandate à cet effet. La victime de l'accident du travail de la maladie professionnelle est informée de cette notification.
En application de ce texte, l'expert désigné par la cour pourra se voir communiquer par le service médical de la caisse l'ensemble des documents médicaux constituant le dossier de la victime.
Il convient en l'état de réserver les dépens de l'instance et de renvoyer les parties sur le fond à une audience postérieure fixée selon les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, avant dire droit ;
Ordonne une expertise judiciaire sur pièces,
Désigne le docteur [C] [D],
avec pour mission de :
- se faire communiquer par le praticien-conseil de la caisse d'assurance maladie de [Localité 4] l'entier dossier médical de Mme [N] [X],
- décrire les lésions figurant sur le certificat médical du 8 février 2016,
- retracer l'historique médical de Mme [N] [X],
- dire si les arrêts de travail prescrits à cette dernière et qui se sont prolongés jusqu'au 30 septembre 2016 ont, en totalité ou en partie, pour origine une cause totalement étrangère à l'accident du travail survenu le 8 février 2016,
- dans l'hypothèse où une partie seulement des arrêts de travail serait imputable à l'accident, préciser laquelle et fixer, au besoin, une nouvelle date de consolidation,
- apporter toutes précisions utiles,
Dit que le praticien-conseil de la caisse devra transmettre, en application de l'article L. 142-10 du code de la sécurité sociale, les éléments médicaux ayant contribué à la prise en charge des arrêts de travail de Mme [X], au médecin-conseil mandaté par la société [3] à cet effet, la victime étant avisée de cette communication,
Fixe à 800 euros la provision à valoir sur les honoraires de l'expert que la société [3] devra consigner auprès de la régie de la cour dans le mois du présent arrêt,
Dit que l'expert devra adresser un prérapport aux parties en leur laissant un délai suffisant pour présenter leurs observations,
Dit que l'expert devra déposer son rapport au greffe de la cour d'appel, chambre sociale et de la sécurité sociale, trois mois après avoir reçu du greffe l'avis du versement de la consignation,
Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, il sera pourvu à son remplacement par simple ordonnance sur requête,
Réserve les demandes et les dépens,
Renvoie l'affaire à l'audience du 13 juin 2023 à 14 h 00.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE