N° RG 20/03868 - N° Portalis DBV2-V-B7E-ITTM
COUR D'APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 02 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 27 Octobre 2020
APPELANTS :
Maître [P] [H] en qualité de mandataire liquidateur de la SARL SEMAFER.
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN
S.A.R.L. SEMAFER
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN
INTIMES :
Monsieur [X] [T]
[Adresse 3]
[Localité 5]
représenté par Me Clémence BONUTTO-VALLOIS, avocat au barreau de ROUEN
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA ROUEN
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 13 Décembre 2022 sans opposition des parties devant Madame ALVARADE, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame ALVARADE, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 13 Décembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 02 Février 2023, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 02 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 02 Mars 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame ALVARADE, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [X] [T] a été engagé le 1er janvier 2015 en contrat de prestation de services, lequel a été transformé en contrat à durée indéterminée au 20 mai 2015, M. [T] occupant les fonctions de directeur général.
Le 12 novembre 2018, reprochant notamment à la société de ne pas avoir versé une partie de ses salaires, M. [T] a démissionné.
Par ordonnance de référé du 26 février 2019, la société a été condamnée à lui verser à titre de provision la somme de 50.000 euros.
Par jugement du 25 juin 2019, le tribunal de commerce de Rouen a placé la société en redressement judiciaire et désigné M. [P] [H] mandataire judiciaire, en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 14 août 2019, M. [T] a déclaré sa créance auprès de M. [H], ès qualités.
M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen par requête du 20 septembre 2019 afin que sa démission soit requalifiée en prise d'acte aux torts de l'employeur et que celle-ci produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 27 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Rouen a requalifié la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixé le salaire moyen de référence à 4 500 euros brut, soit 3 666,69 euros net et a condamné la société à verser à M. [T] les sommes suivantes :
11.000,07 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
3 437,52 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
1 833,34 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
62 659,03 euros nets de rappel de salaire.
En outre, le conseil de prud'hommes a :
- fixé les créances au passif de la société ;
- débouté M. [T] de sa demande de remboursement de frais professionnels et du surplus de ses demandes ;
- ordonné à M. [H], ès qualités, de fournir à M. [T] des bulletins de paie correspondant à la réalité des paiements effectués pour l'intégralité de la période contractuelle, et ce sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement ;
- condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, à verser à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire de droit du jugement ;
- assorti les condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la date de saisine ;
- rejeté la demande de capitalisation des intérêts ;
- déclaré la décision à intervenir opposable au CGEA et à l'AGS dans la limite des garanties légales ;
- jugé que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme dans la limite du plafond applicable ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ;
- condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, aux entiers dépens.
M. [P] [H], ès qualités et la société ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions remises le 29 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [P] [H], ès qualités, et la société demandent à la cour de voir :
- infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la prise d'acte de la rupture du contrat de travail en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et fixé la créance de M. [T] à l'encontre de la société représentée par M. [P] [H], ès qualités, aux sommes suivantes :
11 000,07 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
3 437,52 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
1 833,34 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
69 992,41 euros net à titre de rappel de salaire ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à M. [H], ès qualités, de fournir à M. [T] des bulletins de paie correspondant à la réalité des paiements effectués pour l'intégralité de la période contractuelle et, sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, à verser à M. [T] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire du jugement ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a assorti les condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la date de saisine ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, aux entiers dépens ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. [T] à verser à M. [H], ès qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [T] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Maître [H], ès qualités, expose que la SARL Semafer travaillait sur de nombreux chantiers en [Adresse 8] avec la société Sider, devenue Arcelormittal entre 1980 et 2016, date à laquelle elle a quitté l'[Adresse 8],
que M. [T], devenu le seul interlocuteur de la société Arcelormittal maîtrisant la langue, profitera de cette situation pour détourner ses clients au profit de deux sociétés qu'il créera,
- la première, le 2 janvier 2017, en [Adresse 8], dénommée « Sur rail » ayant un objet similaire, à savoir la fabrication de matériel roulant pour chemin de fer, alors qu'il mettra tout en 'uvre pour que le contrat conclu avec Arcelormittal [Adresse 8] ne soit pas exécuté,
- la seconde, le 12 novembre 2018, en France, dénommée « Ferro et Industrie normande », ayant pour objet l'importation, l'exportation, la distribution de tous équipements ferroviaires, industriels et d'arts graphiques, ladite société ayant permis de détourner le client Socofer, alors qu'en vertu d'un accord cadre de représentation exclusif, elle était la seule habilitée à représenter ladite société en [Adresse 8],
qu'elle s'est trouvée en grande difficulté économique et a été placée en redressement judiciaire en raison des agissements de son directeur général.
Il fait valoir que les demandes du salarié devront être rejetées dès lors qu'il a manqué à son obligation d'exécuter son contrat de travail de manière loyale,
qu'en tout état de cause,
sur la base du salaire, la décision devra être confirmée en ce qu'elle a dit que la rémunération mensuelle prévue au contrat de travail à hauteur de 4 500 euros doit être considérée comme exprimée en brut, et non en net.
sur le rappel de salaire, les sommes revendiquées antérieures au 12 novembre 2015 sont couvertes par la prescription,
qu'à minima, le salarié ne peut en outre réclamer des salaires antérieures au 15 juillet 2015, date à laquelle elle a obtenu une autorisation de travail le concernant,
que la demande au titre des frais professionnels devra être rejetée pour être injustifiée,
que la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, n'est pas fondée, alors que le salarié a saisi le conseil de prud'hommes un an après sa démission,
que les manquements qui sont imputés à l'employeur sont trop anciens pour justifier la rupture du contrat de travail, alors qu'il lui est reproché de ne pas avoir réglé ses salaires depuis son embauche en 2015 et ne sauraient être retenus au regard du comportement fautif du salarié.
Par conclusions remises le 28 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, M. [T] demande à la cour de :
- constater l'absence réitérée de paiement de ses salaires par la société jusqu'au jour de la prise d'acte ;
En conséquence,
A titre principal,
- réformer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a retenu un salaire moyen de 4 500 euros brut, soit 3 666,69 euros net ;
- réformer le jugement en ce qu'il a limité son indemnisation aux sommes suivantes :
3 487,52 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
11 000 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
1 833,34 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
62 659,03 euros net de rappels de salaire ;
- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel au titre des frais professionnels ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
- retenir un salaire moyen de 4 500 euros net mensuels ;
- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :
4 218,75 euros net à titre d'indemnité légale de licenciement ;
13 500 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
2 250 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
100 824,88 euros net à titre de rappels de salaires ;
7 699 euros à titre de remboursement de frais professionnels ;
A titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a :
- requalifié la prise d'acte de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- fixé son salaire moyen à 4 500 euros brut, soit 3 666,69 euros net ;
- fixé ses créances à l'encontre de la société représentée par M. [H], ès qualités, aux sommes suivantes :
11 000,07 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
3 437,52 euros à titre d'indemnité légale de licenciement ;
1 833,34 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
69 992,41 euros net à titre de rappel de salaire ;
- ordonné à M. [H], ès qualités, de lui fournir des bulletins de paie correspondant à la réalité des paiements effectués pour l'intégralité de la période contractuelle, et ce sous astreinte de 10 euros par jour de retard à compter du 30ème jour suivant la notification du jugement ;
- condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- assorti les condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la date de saisine ;
- déclaré la décision à intervenir opposable au CGEA et à l'AGS dans la limite des garanties légales ;
- condamné la société représentée par M. [H], ès qualités, aux entiers dépens ;
En tout état de cause,
- condamner M. [H], ès qualités, aux entiers dépens de l'instance d'appel ;
- condamner M. [H], ès qualités, à 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déclarer la décision à intervenir opposable à l'AGS.
Il fait valoir qu'il a préalablement saisi la juridiction des référés en paiement de ses salaires irrégulièrement versés depuis son embauche,
que M. [F], gérant de la société, a reconnu à l'audience du 29 janvier 2019, ne pas avoir payé l'intégralité de ses salaires,
que nonobstant la condamnation de la société, l'ordonnance de référé du 10 avril 2019 n'a jamais été exécutée, une procédure de redressement judiciaire ayant été initiée dès le 25 juin 2019,
qu'il a été contraint de saisir la juridiction statuant au fond,
que sa demande de rappel de salaire sur la base d'un montant net de 4 500 euros, à défaut de stipulation claire du contrat de travail, est justifiée, ainsi que sa demande au titre des frais professionnels,
qu'en raison du non-paiement de ses salaires, il est fondé à solliciter la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur ne pouvant se prévaloir d'aucune exception d'inexécution.
Par conclusions remises le 31 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, l'AGS demande à la cour de voir :
A titre principal,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
- confirmer le jugement en ce qu'il a fixé la rémunération de M. [T] à la somme mensuelle de 4 500 euros brut ;
- fixer au passif un rappel de salaires brut de 159.300 euros sous déduction des salaires nets déjà perçus de 65.675,12 euros et ce, après précompte des cotisations et contributions de sécurité sociale ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande de rappel de frais professionnels ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et par voie de conséquence requalifier la prise d'acte en une démission ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que les sommes portaient intérêts et par voie de conséquence débouter, au visa de l'article L.622-28 du code de commerce, M. [T] de sa demande au titre des intérêts légaux ;
A titre infiniment subsidiaire,
- si par extraordinaire la cour devait confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, confirmer le montant des indemnités allouées à M. [T] à ce titre ;
En tout état de cause,
- donner acte à l'AGS de ses réserves et statuer ce que de droit quant à ses garanties ;
- déclarer la décision à intervenir opposable à l'AGS dans les limites de la garantie légale ;
- dire que la garantie de l'AGS n'a qu'un caractère subsidiaire et déclarer la décision à intervenir opposable dans la seule mesure d'insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire ;
- dire que les demandes présentées quant à la remise d'un document sous astreinte et sur le paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile n'entrent pas dans le champ d'application des garanties du régime ;
- dire que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15, L.3253-18, L.3253-19, L. 3253-20, L. 3253-21, L.3253-17 et D 3253-5 du code du travail ;
- dire et juger qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l'article D. 3253-5 du code du travail ;
- dire et juger que l'obligation de l'AGS de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement ;
- statuer ce que de droit quant aux dépens et frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'association concluante.
L'UNEDIC AGS CGEA délégation de Rouen, rappelle qu'aucune condamnation directe ne pourra être prononcée à l'encontre du CGEA qui ne pourra que faire l'avance en l'absence de fonds disponibles des créances constatées et fixées par la cour d'appel dans les limites de sa garantie et des plafonds déterminés par les dispositions légales et réglementaires.
Elle précise qu'une demande d'avance a été faite à hauteur d'une somme de 40.500 euros, réglée le 23 février 2021 et déposée sur le compte séquestre du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rouen.
Elle émet certaines réserves quant aux demandes formulées par le salarié employé depuis mai 2015 en qualité de directeur général sans que ses salaires ne soient jamais réglés.
Elle fait valoir que la rémunération s'entend brute ainsi que cela résulte de des bulletins de paie du salarié, que le jugement devra être infirmé quant au montant du rappel de salaire qui ne correspond à aucune réalité.
L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 24 novembre 2022.
MOTIFS
Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
Sur le rappel de salaire
Aux termes du contrat de travail produit aux débats, M. [T] a été engagé en qualité de directeur général à compter du 15 juin 2015, moyennant une rémunération mensuelle de 4 500 euros.
Il soutient ne pas avoir été régulièrement réglé de ses salaires depuis son embauche, que l'employeur est redevable d'une somme de 100.824,88 euros, outre 10.082,48 euros à titre de congés payés y afférents, sur la base d'un salaire de 4 500 euros net et subsidiairement de 62.659,03 euros à titre de rappel de salaire et de congés payés afférents, soit 6 265,93 euros brut, sur la base d'un salaire de 4 500 euros brut.
L'employeur a l'obligation de payer le salaire convenu au contrat de travail, celui-ci devant s'entendre comme exprimé en brut et non en net comme soutenu par le salarié.
En cas de litige relatif au paiement des salaires, il appartient à l'employeur de démontrer que le salarié a refusé d'exécuter son travail ou ne s'est pas tenu à sa disposition.
M. [H], ès qualités, oppose en premier lieu la prescription des salaires antérieurs au 12 novembre 2015 en application de l'article L.3245-1 du code du travail, faisant valoir qu'en tout état de cause, il n'a pu travailler avant le 15 juillet 2015 date de son autorisation de travail. Au cas d'espèce, M. [T] a limité sa demande aux salaires dus à compter de novembre 2015, tenant compte, de fait, des règles applicables en matière de prescription.
M. [H], ès qualités, invoque en outre l'exception d'inexécution en ce que le salarié a manqué à son obligation d'exécuter son contrat de travail de manière loyale en n'accomplissant pas sa mission, en détournant la clientèle de son employeur, en constituant deux sociétés concurrentes, la société Sur rail alors qu'il était encore salarié et la société Ferro et Industrie normande suite à sa démission, et en utilisant les moyens matériels de son employeur à son profit.
Il soutient que M. [T] avait mission de mettre en 'uvre les moyens nécessaires au recouvrement des créances notamment auprès de la société Acelormittal et disposait des pouvoirs les plus étendus sur les affaires et chantiers en [Adresse 8] qu'il gérait au quotidien jusqu'à leur finalisation,
qu'il est responsable du défaut de règlement de ses factures par la société Acelormittal, alors qu'il n'a pas mis en 'uvre les moyens nécessaires aux fins de recouvrement de ses créances, provoquant la cessation des paiements de la société Semafer, dès lors qu'elle n'a plus disposé de trésorerie.
Il produit la facture litigieuse concernant la société Acelormittal et l'attestation de l'expert-comptable du 24 janvier 2019, indiquant que la créance douteuse Sider (Acelormittal) de 712.000 euros est non encaissée à ce jour et que l'absence de recouvrement est à l'origine des difficultés financières de la société Semafer.
Il n'est toutefois caractérisé aucune faute commise par le salarié dans l'exercice de ses fonctions, alors que ce dernier produit des attestations d'emploi, des ordres de mission, des emails échangés avec le gérant attestant d'une réelle activité pour le compte et au bénéfice de la société Semafer sur l'ensemble de la période. Ainsi dans un courriel du 30 juin 2018, M. [T] indiquait '3) ne pas oubliez l'affaire Sider perdue des 720 .000 euros..;c'est une situation très grave pour la société Semafer, à mon sens une rencontre entre nous trois est plus qu'importante, très importante même pour pouvoir sortir Semafer de ce gouffre' . Il était par ailleurs régulièrement félicité par son employeur (courriel du 11 mai 2017 'toutes mes félicitations pour votre professionnalisme et votre engagement pour Semafer je n'oublierai pas votre prime en plus du reste dès réception des 720 Ke - courriel du 10 avril 2018,« vous êtes un membre important et indispensable».
Aucun élément du dossier ne permet d'affirmer que le non-recouvrement de la créance douteuse concernant la société Sider et partant le déclenchement de la procédure collective à l'endroit de la société Semafer lui est imputable.
S'agissant de l'exécution déloyale du contrat de travail par la création d'entreprises concurrentes, M. [H], ès qualités, procède par allégations, alors qu'il verse aux débats des pièces insusceptibles de fonder ses contestations par la caractérisation d'actes de concurrences déloyales, telles que les statuts des sociétés Sur rail et Ferro et Industrie Normande, le procès-verbal d'assemblée générale du 12 novembre 2018 désignant M. [T] en qualité de gérant, l'accord cadre conclu entre la société Semafer et la société Socofer le 14 novembre 2014, le contrat de mise à disposition de locomotives conclu avec la société Acelormittal', lesdites pièces établissant seulement l'existence des sociétés Sur rail et Ferro et Industrie Normande, d'une part, et de relations entre la société Semafer, d'une part et Socofer et Acelormittal, d'autre part.
Le salarié, pour sa part, justifie que la société Semafer avait connaissance de l'existence de la société Sur rail par la production de deux attestations rédigées par le commissaire aux comptes qui déclare : « vos deux sociétés entretiennent une relation de fournisseur de service (Eurl Sur rail) à client (SARL Semafer [Adresse 8]) qui fait ressortir à ce jour un solde non réglé par ledit client » et par Mme [Y], assistante du gérant qui confirme que ce dernier était informé de l'existence de la société Sur rail, laquelle a aidé la société Semafer lorsque celle-ci ayant dû faire face à ses problèmes de non-paiement de charges fiscales et parafiscales a été contrainte d'utiliser la société Sur Rail pour la mise à disposition de main d''uvre, ce qui peut expliquer que des ingénieurs et techniciens de la société Semafer, lors de leur déplacement sur le chantier Sider [C], aient pu constater à plusieurs reprises que des travailleurs locaux, avec des tenues « Sur rail », effectuaient divers travaux ferroviaires chez le client de Semafer et utilisaient ses outils et matériels, ces éléments ne permettant pas de caractériser des agissements de concurrence déloyale au regard des relations entretenues entre ces deux sociétés, d'autant que M. [F] écrivait dès 2016 que la société Sur rail était son partenaire commercial déjà en 2016 (lettre du 27 septembre 2016).
Par ailleurs, la seule création de la société Ferro et Industrie Normande le 11 décembre 2018, après la démission du salarié le 12 novembre 2018 est insuffisante à caractériser des actes de concurrence déloyale, le contrat de travail signé entre les parties ne contenant en tout état de cause aucune clause de non-concurrence.
Les moyens étant écartés, M. [T] est fondé en sa demande de rappel de salaire.
Les parties s'accordent sur le fait que des salaires ont été réglés à hauteur de d'une somme de 65.675,12 euros net, décomposée comme suit :
Décembre 2015 5.000 euros
2016 23.918,78 euros
2017 11.756,34 euros
2018 25.000,00 euros
Les salaires dus exigibles entre novembre 2015 et novembre 2018, exprimés en brut s'élève à 157.500 euros, soit 128.334,15 euros net, sur la base d'un salaire mensuel de 3 666,69 euros.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé les sommes dues à titre de salaire à 62.659,03 euros net et de congés payés à 6 265,90 euros, alors que M. [H], ès qualités et l'Unedic Ags Cgea, ne tiennent pas compte des mêmes bases de calcul, opérant ainsi une déduction de sommes perçues en net de sommes dues en brut, l'Ags excluant en outre le mois de novembre 2015 et qu'ils ne produisent pas en tout état de cause de meilleur décompte.
Sur le remboursement des frais professionnels
M. [T] sollicite une somme de 7 699 euros à titre de remboursement de frais professionnels.
Il incombe au salarié de démontrer qu'il a exposé des frais dans le cadre de l'exercice de ses fonctions.
En l'absence de justification, sa demande ne peut qu'être rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
Sur la requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Il résulte des dispositions de l'article L. 1231-1 du code du travail que le contrat de travail peut être rompu par la démission du salarié.
Toutefois, lorsque la démission est motivée par des manquements imputés à l'employeur faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail, elle produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque ces faits le justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Par lettre du 12 novembre 2018, M. [T] a adressé à l'employeur une lettre de démission libellée en ces termes :
« Je fais suite à la lettre recommandée que je vous ai adressée le 12 octobre dernier.
Vous ne m'avez pas répondu à ce sujet et vous ne m'avez toujours pas payé mes salaires. Vous ne m'avez pas non plus adressé l'intégralité de mes bulletins de paie.
Je vous avais déjà interrogé à ce sujet, et notamment en juin et même au mois d'août à [Localité 9] lors de notre rencontre(concernant les futures commandes du chemins de fer algérien) en présence de votre fils.
Samedi dernier, je vous ai relancé par email. Vous le savez parfaitement, j'ai besoin de bulletins de salaires et d'une attestation d'emploi pour le visa de mon épouse.
Sans pour autant parler des dettes que vous m'aviez laissées en [Adresse 8].Voue me mettez dans une situation très compliquée.
J'ai calculé aujourd'hui le montant des salaires impayés par Semafer:125,324,88 euros, sans compter 7 699 euros de notes de frais ! Et je ne parle même pas de la voiture de fonction que vous m'aviez promise et que je n'ai jamais eue, une prime de fin de chantier PMA etc.
J'ai dû prendre un prêt bancaire pour pouvoir vivre au quotidien.
Ça ne peut plus durer. Je vous informe quitter votre entreprise pour retrouver un travail pour lequel je serai enfin payé. Vous ne me laissez vraiment pas le choix... »
Le salarié reproche en conséquence le non-paiement de l'intégralité de ses salaires et l'absence de délivrance de bulletins de paye.
Ces griefs sont établis au regard des développements ci-avant et faisaient obstacle à la poursuite du contrat de travail en raison de leur gravité, sans qu'il ne puisse être opposé l'ancienneté des faits, alors qu'entre 2015 et 2018, des paiements ont été effectués par l'employeur et que le salarié pouvait légitimement s'attendre à une régularisation de sa part et que les manquements se sont en outre poursuivis jusqu'à son départ de la société, en dépit de ses réclamations formulées dès 2016.
La démission de M. [T] doit donc produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le salarié peut par conséquent prétendre au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés y afférents et à une indemnité légale de licenciement, les sommes accordées à ce titre par le premier juge, qui ne sont pas spécifiquement contestées dans leur quantum, seront confirmées, ainsi que celle octroyée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme réparant justement le préjudice subi
Sur les autres demandes
Sur la remise des documents sociaux
La cour ordonnera à M. [H], ès qualités, de remettre à M. [T] un bulletin de salaire récapitulatif rectifié conforme à la présente décision.
Il n'est pas nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur les intérêts au taux légal
En application des dispositions de l'article L 622-28 du code du commerce, le cours des intérêts légaux s'arrête au jour de l'ouverture de la procédure collective.
Sur les frais du procès
M. [H], ès qualités, qui succombe doit supporter les dépens et il y a lieu de le condamner à payer au salarié une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 1 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe, en matière prud'homale,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ses dispositions relatives aux intérêts au taux légal et à l'astreinte assortissant la délivrance du bulletin de salaire rectificatif,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Fixe la créance de M. [X] [T] au passif de la liquidation de la société Semafer à la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Ordonne à M. [H], ès qualités, de remettre à M. [X] [T] un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision, sans qu'il y ait lieu à astreinte,
Rappelle que le cours des intérêts légaux s'arrête au jour de l'ouverture de la procédure collective,
Dit que les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Semafer,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions.
La greffière La présidente